Bonjour
27/07/2020. Où l’on évoque à nouveau, sous couvert de bioéthique, le spectre de l’eugénisme. Et ce au travers d’une équation exemplaire. Ce sont deux tribunes jumelles et militantes à ne pas manquer. La première est publiée par Le Monde elle est signée de quatre rapporteurs de la loi de bioéthique 1. Ils défendent l’extension du diagnostic préimplantatoire (DPI) à la recherche d’anomalie du nombre de chromosomes. Même propos dans Libération 2. Accusée (notamment) de vouloir éradiquer la trisomie 21, cette mesure permettrait (avec le consentement des parents) de réduire le nombre des fausses couches chez les femmes ayant recours à la PMA. Eléments de la controverse qui renaît avec le retour à l’Assemblée nationale, lundi 27 juillet, pour une deuxième lecture du projet de révision de la loi bioéthique.
Contexte. Le DPI est pratiqué dans cinq centres en France depuis 1999. Il est proposé aux quelques centaines de couples connus pour être à risque de transmettre à leur enfant une maladie génétique d’une particulière gravité au moment où la démarche de PMA est lancée. L’intérêt de cette technique est de pouvoir réaliser un diagnostic génétique sur un embryon – obtenu par fécondation in vitro – avant qu’il ne soit porté par la femme. Le couple peut alors débuter une grossesse avec un embryon non atteint par la maladie suspectée.
« Mais, tel que pratiqué actuellement, le DPI ne vérifie pas si l’embryon a le bon nombre de chromosomes, ajoutent les auteurs des tribunes. Or, comme dans le cas d’une fécondation normale, une partie importante des embryons obtenus par fécondation in vitro (FIV) est aneuploïde, conduisant dans la quasi-totalité des cas à une fausse couche et expliquant une partie des échecs des FIV. C’est sur ce point que nous souhaitons agir. »
« Polémique gonflée d’accusations aussi outrancières qu’erronées »
Ils ajoutent que parmi les mesures adoptées récemment en commission, une disposition, que nous soutenons, est « au centre d’une polémique gonflée d’accusations aussi outrancières qu’erronées ». Il s’agit de l’extension du diagnostic préimplantatoire, ou DPI, à la recherche d’aneuploïdie, ou anomalie du nombre de chromosomes, ici limitée aux chromosomes non sexuels. C’est ce que l’on nomme, dans le jargon, le « DPI-A ».
Selon eux compléter le DPI par une recherche d’aneuploïdie permettrait, simplement, de vérifier si l’embryon qui fait l’objet d’un DPI a le bon nombre de chromosomes afin d’accroître les chances d’implanter un embryon viable. Associer, en somme, un « DPI-A » à un DPI avec le consentement des deux parents – et ce en limitant le « DPI-A » aux autosomes (les chromosomes non sexuels) « afin d’éviter tout risque de discrimination basée sur le sexe et d’écarter la recherche des syndromes de Turner et de Klinefelter, qui peuvent faire l’objet d’un traitement ».
Cette extension ne s’appliquerait qu’aux DPI existants (environ 4 % des FIV), afin qu’aucun acte supplémentaire ne soit réalisé sur l’embryon. Il rendrait plus sûresles grossesses déjà considérées à risque et objet d’un parcours particulièrement difficile car recourant à un DPI. Il s’agit donc bien d’utiliser les possibilités ouvertes par le progrès scientifique pour éviter aux femmes qui recourent à une FIV avec DPI un parcours du combattant.
Mais le sujet est hautement sensible. « Ainsi, c’est avec effarement, stupéfaction et tristesse que nous avons pris acte des procès en eugénisme 3 accusations de vouloir éradiquer la trisomie 21 et autres mésinterprétations qui circulent d’Internet à l’Hémicycle. L’origine du malentendu est la suivante : dans une part infime des cas, une mauvaise numération des chromosomes n’aboutit pas à une fausse couche, mais à une trisomie 21. Le DPI-A permettrait alors à la future mère de disposer de cette information et de décider d’implanter, ou non, l’embryon avec trisomie 21.
De quelle « hauteur » parlent les auteurs ?
Or aujourd’hui, cette information est disponible après l’implantation. Une femme a, en effet, droit à un diagnostic non invasif de la trisomie 21 en début de grossesse par un prélèvement sanguin. En cas de suspicion, une amniocentèse peut alors être conduite. Celle-ci ouvre la possibilité d’un avortement thérapeutique, qui pourrait être évité si l’information était transmise au bon moment, soit pendant le DPI….
« L’argument de l’eugénisme, brandi comme un épouvantail, ne peut ici que choquer, tant les mots ont un sens, écrivent es deux auteures de Libé. L’eugénisme d’hier était collectif et coercitif, reposant sur un désir de purification ou d’amélioration de la race humaine qui ont justifié des politiques raciales, autoritaires et meurtrières. Est aujourd’hui invoqué un ‘’nouvel eugénisme’’, décrit comme plus individuel et libéral, lié à une génétique médicale moderne. » Faudrait-il s’en étonner ?
« En la matière, ce spectre de la sélection, visant, pour faire court, un enfant parfait alliant beauté, intelligence, santé et longévité, n’a aucun sens, ajoutent-elles. Le DPI-A n’est là ni pour sélectionner les ‘’meilleurs’’ ni pour éliminer les plus ‘’mauvais’’ embryons. » En est-on si certain ? Certes son rôle premier est d’éviter de transférer des embryons qui ne se développeront pas jusqu’à un terme viable. D’éviter aux femmes, aux couples, la violence d’échecs à répétition liés à une anomalie chromosomique, dans un parcours d’assistance médicale à la procréation long et douloureux.
Et son rôle second est bien de mettre en évidence des anomalies, qui sont de toute façon recherchées en début de grossesse par le diagnostic prénatal légal, autorisé et organisé. Reste, néanmoins, cette hantise récurrente d’un « Meilleur des Mondes » (1931) dont nous n’aurions jamais été aussi prêt – comme en témoignent nombre d’exemples étrangers… « Sur un sujet aussi sérieux et lourd de conséquences, le niveau du débat parlementaire doit maintenant être à la hauteur » font valoir les auteures. De quelle « hauteur » parlent-elles ?
A demain @jynau
1 Philippe Berta, député (MoDem) du Gard, rapporteur du projet de loi bioéthique ; Coralie Dubost, députée (LRM) de l’Hérault, rapporteure du projet de loi bioéthique ; Hervé Saulignac, député (PS) de l’Ardèche, rapporteur du projet de loi bioéthique ; Jean-Louis Touraine, député (LRM) du Rhône, rapporteur du projet de loi bioéthique.
2 Loi bioéthique : examiner le statut génétique de l’embryon n’est pas de l’eugénisme. Par Catherine Rongières Cheffe du service clinico-biologique d’assistance médicale à la procréation CHRU Strasbourg et Estelle Naudin Professeure à la Faculté de droit de Strasbourg. Libération, 23/07/2020
3 En janvier dernier le Sénat à majorité de droite s’était opposé à l’expérimentation d’un dépistage préimplantatoire recherchant des anomalies chromosomiques qualifiée de « démarche d’eugénisme » par le chef de file des sénateurs Les Républicains (LR) Bruno Retailleau. Et le Sénat de supprimer cette disposition par 181 voix contre 123. « Très clairement, on est dans une démarche d’eugénisme : il s’agit de trier les embryons et d’éliminer ceux qui ne sont pas normaux », a déclaré M. Retailleau, faisant en particulier référence à la trisomie 21.
« Ne cherchons pas, au nom de ce que permet la science, à uniformiser ce que sera la société demain », a appuyé Cécile Cukierman, du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE, à majorité communiste). Pour sa part la ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn, avait affirmé que l’efficacité de cette technique est « loin d’être démontrée ». « Le temps est encore à la recherche », avait-elle ajouté.