Pourquoi va-t-on réduire la «quatorzaine» alors que la progression virale est «exponentielle» ?

Bonjour

08/09/2020 Une fois de plus, la nécessité absolue d’une pédagogie destinée au plus grand nombre – un exercice que l’exécutif peine à mettre en place. Le gouvernement va très vraisemblablement réduire la période d’isolement des malades du Covid-19 et des cas contacts, jugeant que la durée actuelle de 14 jours est «trop longue». Mais comment justifier cette mesure alors que les indicateurs de l’épidémie continuent globalement de se détériorer ?

Olivier Véran, ce matin sur France Inter  au sujet de la réduction à venir du délai de quatorzaine en cas de suspicion de Covid-19. « Le Conseil scientifique m’a rendu ses conclusions sur cette question », précise-t-il. « Il est favorable à ce qu’on puisse réduire la période de mise à l’abri dans un certain nombre de situations, et de passer de 14 à 7 jours. On est davantage contagieux dans les 5 premiers jours, ensuite la contagiosité diminue de façon importante. Ce n’est pas à moi de prendre cette décision, elle sera prise vendredi lors du conseil de défense national. »

Dans le même temps on sait que l’incidence du Covid-19 dépasse désormais le seuil d’alerte – soit 50 cas pour 100 000 habitants – dans dix-neuf départements et le taux de positivité (proportion du nombre de personnes positives divisé par le nombre de personnes testées, sur les sept derniers jours) continue d’augmenter : il a atteint 4,9 % dimanche 6 septembre, contre 4,3 % en milieu de semaine.

Dans son dernier point de situation, Santé publique France (SpF) annonce constater une progression « exponentielle » de la circulation du virus et une dynamique de transmission « préoccupante ». Sept nouveaux départements ont été classés en zone rouge, portant le total à vingt-huit. « On a une croissance aujourd’hui de 30 % du nombre de cas par semaine, de 15 % du nombre d’hospitalisations. Si on continue avec ce même rythme, on arrivera sur une situation critique en décembre dans plusieurs régions de France », a averti dimanche l’épidémiologiste Arnaud Fontanet sur LCI.

« Grenade dégoupillée »

« Nous connaissons mieux le virus, et les données montrent que l’essentiel de la transmission a lieu dans les cinq premiers jours de l’infection », souligne Yazdan Yazdanpanah, infectiologue à l’hôpital Bichat et membre du Conseil scientifique, en soulignant qu’un raccourcissement de la quarantaine permettrait de la rendre plus « acceptable ». « Il faut aussi penser aux gens, à la vie, à l’économie du pays », plaide-t-il, cité par Le Monde. Où l’on perçoit la difficulté, y compris chez les membres du Conseil scientifique, à faite la part entre la « santé publique » et l’économique.

Même observation, plus compréhensible, chez les responsables politiques.Olivier Véran avait ainsi expliqué dès le 5 septembre avoir demandé «aux autorités scientifiques de donner un avis pour savoir si on ne peut pas réduire» la période d’isolement pour les cas contacts, la jugeant «sans doute trop longue». Le Monde rappelle que le ministre avait déjà évoqué cette hypothèse le 27 août, lors de la conférence de presse gouvernementale, indiquant avoir «saisi le Conseil scientifique en vue d’adapter si possible les conditions de cette mise à l’abri, et notamment sa durée», disant espérer «un feu vert pour réduire cette période».

Cet avis a été remis au gouvernement jeudi 3 septembre, mais n’a pas encore été rendu public, a indiqué le Conseil scientifique à l’AFP. «Il faut désormais être pragmatiques et efficaces», estimait il y a peu sur Twitter l’épidémiologiste Antoine Flahault. Les ‘’quatorzaines’’ doivent maintenant devenir des semaines de cinq jours. Au-delà de cinq jours, moins de 10% des porteurs de virus non symptomatiques sont contagieux». «Je pense que c’est une bonne idée, je pense qu’effectivement (…) la contagiosité est essentiellement lors des premiers jours, après l’infection, a déclaré lundi sur Europe 1 Rémi Salomon, président de la Commission médicale de l’AP-HP. Au delà du 7ème jour après les premiers signes, la charge virale et par conséquent le risque de transmettre le virus sont faibles», précise-t-il sur Twitter.

«Il vaut mieux huit jours bien respectés que 14 jours mal respectés», estimait lundi sur LCI Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP. Actuellement, «on a du mal à savoir si les Français respectent» les mesures d’isolement, car «on contrôle peu», mais les remontées de terrain montrent que «c’est compliqué». «Plus c’est court, plus c’est facile à observer, plus c’est efficace. On ne peut pas prétendre au risque zéro, mais la mesure serait mieux acceptée socialement», explique encore Antoine Flahaut, dans le Journal du Dimanche.

Mais même écourté, faire respecter l’isolement reste un défi, avertit toutefois Rémi Salomon. Le néphrologue pédiatrique appelle à réfléchir à «des mesures économiques, des indemnités» pour les populations précaires et les professions indépendantes, qui aujourd’hui refusent parfois d’aller «se faire tester par crainte d’être isolées, d’être obligées de s’arrêter» de travailler.

L’isolement, s’il est essentiel pour empêcher l’épidémie de se propager, entraîne en effet de lourdes conséquences pratiques et économiques, qu’il s’agisse d’un salarié renvoyé chez lui, d’un indépendant devant suspendre son activité ou d’un enfant que ses parents devront garder. Raccourcir sa durée pourrait donc en limiter l’impact, mais ce serait un mauvais calcul, selon l’épidémiologiste Catherine Hill. «Une stratégie qui consiste à laisser le virus circuler, c’est une grenade dégoupillée, qui coûtera bien plus cher que de bien faire les choses», déclare-t-elle. Si on veut alléger le fardeau des quarantaines, on fait les choses «dans le désordre», estime aussi Martin Blachier, médecin de santé publique interrogé par l’AFP. Il faudrait d’abord «trier» les bonnes et les mauvaises quatorzaines, car aujourd’hui «90% sont inutiles» selon lui, parce qu’elles concernent des cas contacts qui ne sont pas vraiment «à risque».

« Grenade dégoupillée » ? Où l’on perçoit une nouvelle fois, dans cette cacophonie des voix dissonantes et médiatisées, la difficulté de faire, ici, œuvre de pédagogie.

A demain @jynau

3 réflexions sur “Pourquoi va-t-on réduire la «quatorzaine» alors que la progression virale est «exponentielle» ?

  1. Avis pragmatique datant de début août d’un spécialiste allemand,: le virologue Christian Drosten

    « À mesure que notre connaissance du pathogène augmente, nous devons réviser nos concepts. Et surtout nous devons nous adapter au fait que la deuxième vague aura une dynamique complètement différente.

    Alors que le virus est entré dans la population avec la première vague, il se propagera hors de la population avec la deuxième vague . Parce qu’entre-temps, il est devenu de plus en plus uniformément réparti entre les classes sociales et les cohortes d’âge. Et après les fêtes de fin d’année, nous verrons que les nouvelles infections seront plus uniformément réparties qu’avant en termes géographiques. »

    « Le confinement ciblé des grappes est apparemment plus important que la détection de cas individuels grâce à des tests généraux. Le Japon a réussi à dominer la première vague sans verrouillage malgré un nombre important d’infections importées.

    Je préconise désormais uniquement (ou du moins principalement) de réagir à un test positif avec des mesures officielles s’il provient d’un éventuel membre du cluster. Les nombreux tests que les politiciens préparent actuellement seront bientôt plus souvent positifs et submergeront ensuite les autorités sanitaires – après tout, vous ne pouvez pas tester le virus, vous devez réagir aux tests positifs. »

    Et, pour revenir plus précisément au thème de la durée de confinement des individus potentiellement porteurs du virus, voici son raisonnement :

    (NB : il ne semble pas aborder dans cet extrait la situation des personnes relevant d’une hospitalisation ou même gravement malades, mais bien de la manière de traiter les clusters)

    « Ce qui suit s’applique ici: regarder en arrière est plus important que regarder en avant. Parce que les cas d’infection ne sont généralement reconnus que plusieurs jours après l’apparition des symptômes. Le patient développe une fièvre, dort dessus pendant une nuit, puis se rend chez le médecin. Il ne reçoit son résultat de test que le lendemain. Un autre jour est souvent perdu car le patient hésite, le médecin de famille dissuade ou le laboratoire envoie les échantillons à un sous-traitant. La plupart du temps, cela fait quatre jours ou plus que le patient a commencé à ressentir des symptômes. À ce stade, cependant, il n’est guère contagieux. Nous savons maintenant que la phase infectieuse dure environ une semaine, les deux premiers jours avant l’apparition des symptômes. Certaines autorités sanitaires isolent encore le cas détecté en premier pour éviter qu’il n’en infecte d’autres. »

    « Mais si les clusters sont reconnus partout dans la dynamique de la deuxième vague, un verrouillage national ne serait-il pas imposé après tout? Ne faudrait-il pas alors mettre les gens en quarantaine partout ? Et cela ne mènerait-il pas à une résistance?

    Peut-être pas si vous utilisez la stratégie à bon escient. Tout d’abord: si vous regardez des données plus récentes sur l’excrétion du virus, il suffit d’isoler les membres du cluster pendant cinq jours, y compris le week-end. J’appellerais ce mélange de quarantaine et d’isolement « temps de recharge » pour ne pas diluer la terminologie. A l’issue de ces cinq jours (et pas avant) les membres du cluster sont testés. Une telle réglementation générale pour les clusters est gérable et est toujours meilleure qu’un verrouillage non ciblé. »

    (traduction automatique en ligne)

    https://www.zeit.de/2020/33/corona-zweite-welle-eindaemmung-massnahmen-christian-drosten

  2. Bonjour,

    < (…) un raccourcissement de la quarantaine permettrait de la rendre plus « acceptable ». « Il faut aussi penser aux gens, à la vie, à l’économie du pays » … Effectivement … Mêmes tonalités, mêmes raisonnements et justifications côté allemand … qui sont à entendre et écouter sur les ondes allemandes et lire par ailleurs.

    < Covid-19Politiker für kürzere Corona-Quarantäne:

    https://www.deutschlandfunk.de/covid-19-politiker-fuer-kuerzere-corona-quarantaene.1939.de.html?drn:news_id=1169064

  3. Et, pendant qu’on y est, un texte commentant et éclairant l’avis du virologue Drosten :
    https://www.businessinsider.de/politik/deutschland/nur-noch-fuenf-tage-quarantaene-gesundheitspolitiker-unterstuetzen-christian-drostens-vorschlag/

    « Drosten lui-même a déclaré que sa proposition était «à la limite de l’épidémiologie». Néanmoins, il est important de raccourcir le plus possible le temps afin de faire accepter les mesures dans la société. »

    En retweetant cet article, le virologue Drosten, reconnait lui-même :
    « Je conviens avec vous que la situation reste compliquée et qu’il y aura certainement des contre-arguments. C’est pourquoi il est bien que l’on fasse des suggestions ».

    La croissance exponentielle de la compréhension de « l’univers » de ce virus nécessite un ajustement en temps réel de nos paradigmes *, cela semble inévitable.
    Mais nous sommes tous dans la même galère, alors, au moins, serrons nous les coudes…..

    * (d’ailleurs, peut-il encore y avoir des paradigmes ?) Paradigme « Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d’explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée. « 

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