Bonjour
15/09/2020. Le ton, la température, montent dans les médias. Le pouvoir exécutif, le passé et le présent, est la cible de mille et une nouvelles flèches. Dernier (et passionnant) exemple en date l’entretien accordé au Monde (Chloé Hecketsweiler et Solenn de Royer) par le Dr Bernard Jomier, sénateur de Paris (apparenté Parti socialiste) – corapporteur de la commission d’enquête parlementaire du Sénat chargée de faire la lumière sur la gestion de la crise sanitaire.
En voici des extraits édifiants :
«Ce qui me frappe, d’abord, c’est le désarroi des acteurs de terrain que nous auditionnons depuis juillet. Ils ont eu le sentiment d’être livrés à eux-mêmes lors de cette première vague épidémique et de ne pas comprendre comment était pilotée, gérée, cette crise. Ils nous l’ont dit crûment, évoquant une pénurie, de masques, de tests, de tout. Et il leur a été insupportable d’entendre ministre ou haut fonctionnaire affirmer le contraire, tenter de jouer sur les mots. On ne joue pas sur les mots dans un contexte pareil. Le premier devoir des responsables, c’est la loyauté vis-à-vis du peuple, vis-à-vis des acteurs ayant été en première ligne. Ils nous doivent la vérité. »
« Agnès Buzyn [ministre de la santé jusqu’à la mi-février] a dit la vérité : elle a bien donné l’alerte dès le mois de janvier. Les premières réunions de crise ont eu lieu à ce moment-là, y compris dans des territoires. Dans les Hauts-de-France, par exemple, l’agence régionale de santé [ARS] a fait sa première réunion de crise le 23 janvier ! Or, cette alerte précoce – et c’est l’un des grands enseignements de nos auditions – n’a pas été suivie de décisions. Le mois de février reste un mystère, un trou noir. L’appareil d’Etat est resté l’arme au pied, sans prendre les décisions qui s’imposaient pour faire face à l’épidémie. (…)
« Sur les tests, c’est très net. Le 10 janvier, les Chinois transmettent la carte d’identité du virus à la communauté scientifique dans le monde entier. L’Institut Pasteur la reçoit, prépare le test, et le transmet au Centre national de référence. Puis, plus rien. Au même moment, les Allemands lancent la fabrication des tests à grande échelle. Que s’est-il passé au mois de février pour que les retards s’accumulent ainsi au point que la France s’est retrouvée complètement dépourvue en plein pic de l’épidémie ? »
Le Monde précise que les sénateurs organiseront, le 16 septembre, une confrontation inédite, délicate, entre le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, et l’ex-responsable de Santé publique France, François Bourdillon. « Le second assure avoir alerté le premier de l’état déplorable des stocks de masques… Devant l’Assemblée nationale, M. Salomon a justifié sa décision de ne commander que 100 millions de masques en 2018 alors que 1 milliard auraient été nécessaire pour reconstituer le stock… » rappelle le quotidien. Réponse :
«On constate qu’un certain nombre de personnes auditionnées veulent redessiner a posteriori la cohérence de leurs décisions. Il y a clairement chez certains la volonté de ne pas dire, de ne pas être franc, de tenter d’échapper à ce devoir de loyauté dû au peuple. On ne peut pas avoir vécu une telle crise sanitaire, avec des modes de gestion n’ayant pas été satisfaisants, et avoir des responsables publics, aux niveaux les plus élevés qui n’assument pas leurs responsabilités et se renvoient la balle. C’est intolérable. Notre commission d’enquête n’est pas un tribunal mais chacun doit dire la vérité des faits. »
Or Agnès Buzyn assure de son côté qu’elle n’a pas eu connaissance des courriers de François Bourdillon alertant la direction générale de la santé sur l’état catastrophique des stocks…
« Si c’était le cas, il s’agit d’un défaut de gouvernance majeur dans l’administration du ministère et elle doit l’assumer. Si elle était au courant, ça se passe de commentaire. De toute façon ce n’est pas entendable. Quand on est ministre, on assume tout. (…)
« Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le pilotage n’est toujours pas adapté : la lutte contre l’épidémie a été confiée à un conseil de défense, qui se réunissait à huis clos à l’Elysée, assisté du SGDSN [Secrétariat général à la défense et de la sécurité nationale, rattaché au premier ministre]. Or, ce n’est pas une instance où peut s’élaborer une politique de santé publique. A côté, le conseil scientifique donne son avis de temps à autre, des sociétés savantes émettent des recommandations et les médecins se disputent sur les plateaux de télévision. Mais où se discute la stratégie de dépistage ? Nous avons besoin d’une véritable instance de santé publique. A ce stade, notre dispositif reste donc insuffisamment solide pour répondre aux prochains épisodes épidémiques. »
C’est dire si l’on attend, avec un vif intérêt, les conclusions de la commission d’enquête parlementaire du Sénat
A demain @jynau
En espérant que cette commission sénatoriale soit objective et sans arrière pensée politicienne. Un vœu pieux ?