Justice et santé publique : étrange épidémie de «non-lieux» dans le scandale de l’amiante

Bonjour

Un vrai scandale peut-il en cacher deux autres ?

Scandale de l’amiante»: c’est ainsi que l’on désigne, en France, le délai qui a existé entre la découverte des effets sanitaires délétères de l’exposition humaine à ce matériau isolant et l’action préventive des autorités sanitaires et politiques. Ce laps de temps, qui apparaît aujourd’hui proprement invraisemblable, s’étale approximativement du milieu des années 1970 à la fin des années 1990 1.

À l’époque, le concept de lanceur d’alerte n’existait pas, pas plus que celui de démocratie sanitaire. À l’époque, les médias généralistes étaient rarement en situation de dénoncer l’action des lobbies. À l’époque, les scandales sanitaires qui devaient suivre –à commencer par les affaires du sang contaminé– n’avaient pas encore conduit à théoriser la dissociation entre l’évaluation médico-scientifique du risque et la gestion politique de ce dernier. À l’époque, enfin, on était à cent mille coudées d’imaginer que l’on inscrirait un jour le principe de précaution au sein de la Constitution.

Depuis 1998, soit un an après l’interdiction de l’usage de l’amiante en France, le Programme national de surveillance des mésothéliomes pleuraux (PNSM) fournit des données chiffrées aidant à prendre progressivement la mesure de l’ampleur du scandale passé. Vingt ans plus tard, fin juin 2019, Santé publique France a dévoilé un rapport revenant sur ces vingt années de surveillance, qui confirme malheureusement que l’exposition à l’amiante demeure et demeurera encore pendant plusieurs décennies un sujet majeur de santé publique, une forme de tragédie nécessitant le maintien de la surveillance et le renforcement des actions de prévention.

«On estime aujourd’hui que 1.100 nouveaux cas de mésothéliome surviennent annuellement en France. L’augmentation est plus marquée chez les femmes, avec un doublement des cas en vingt ans pour atteindre 310 cas par an. La proportion des personnes atteintes de mésothéliome pleural ayant exercé une activité dans le secteur du BTP est en augmentation constante depuis 1998, pour atteindre 50% en 2016. Une exposition professionnelle à l’amiante est retrouvée de manière probable ou très probable pour 97% d’entre eux.»»

Deuxième scandale

Les maladies générées par l’exposition professionnelle à l’amiante sont inscrites aux tableaux des maladies professionnelles du régime d’assurance-maladie des salarié·es comme des exploitant·es agricoles. Et depuis 2002, toute personne victime des effets de l’amiante peut également obtenir une indemnisation auprès du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA).

Or, et l’on peut voir là un deuxième scandale, les données du PNSM indiquent que le recours à ces dispositifs est encore loin d’être systématique. Ainsi, entre 2005 et 2017, plus d’une personne sur quatre atteinte de mésothéliome et affiliée au régime général de sécurité sociale n’avait entrepris aucune démarche de reconnaissance en maladie professionnelle, pas plus qu’elle n’avait sollicité le FIVA. Une telle situation est d’autant moins compréhensible que le mésothéliome est une pathologie spécifique et que l’établissement d’un tel diagnostic devrait aussitôt conduire à une prise en charge adaptée.

C’est dans ce contexte que l’on découvre la nouvelle dimension, judiciaire, de l’affaire. « En moins d’une semaine, les magistrats instructeurs du Pôle de santé publique de Paris chargés des dossiers d’exposition à l’amiante viennent d’ordonner deux non-lieux généraux dans des affaires vieilles de vingt-trois ans liées à cette fibre tueuse, reconnue cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 1973 » résume Le Monde (Patricia Jolly). De ce point de vue, la décision de non-lieu dans l’affaire Eternit est édifiante.

Le cas d’Eternit est hautement symbolique: l’entreprise était à la fois le premier producteur français d’amiante-ciment jusqu’à l’interdiction de la fibre et le premier producteur visé par une plainte de cette nature, déposée pour homicides et blessures involontaires par d’anciens salariés en 1996. Or, dans leur ordonnance datée du 10 juillet dernier, les juges d’instruction écrivent :

 «Compte tenu de l’impossibilité de dater l’intoxication des plaignants, il apparaît impossible de déterminer qui était aux responsabilités au sein de l’entreprise […] et quelles réglementations s’imposaient à cette date inconnue.[…] En tout état de cause, les investigations menées au cours de l’instruction ont démontré qu’aucune faute de nature pénale ne pouvait être imputée à une ou à plusieurs personnes physiques ou morales en lien avec la société Eternit».

Puis le 17 juillet dans celui de l’équipementier automobile Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados) qui impliquait cinq ex-responsables d’usine. Les personnes visées dans ces deux affaires étaient mises en examen pour « homicides et blessures involontaires ». Ces décisions s’ajoutent à d’autres, analogues, prises depuis un peu plus d’un an dans les affaires de la centrale EDF d’Arjuzanx (Landes), d’Everite-Saint-Gobain, de DCN (chantiers navals militaires), des Charbonnages de France… « Le parquet n’a jamais précisé le nombre de dossiers amiante en cours mais les associations de victimes estiment qu’il en reste une dizaine à régler » précise Le Monde..

« Véritable permis de tuer« 

Me Michel Ledoux, avocat des victimes dans les affaires Eternit et Ferodo-Valeo, prévoit que la quinzaine de dossiers toujours au Pôle Santé seront voués au même sort. « Dans la mesure où le parquet est hostile aux victimes, on s’attend à une pluie de non-lieux motivés par les mêmes arguments dans les semaines à venir, prévient-il. On peut même se demander si le fait de nous les notifier en période de vacances n’est pas une manœuvre supplémentaire pour tenter de nous faire oublier le délai de dix jours pour faire appel. » Dans un communiqué, l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) a pour sa part dénoncé un « véritable permis de tuer sans crainte de poursuites pénales » délivré par les juges.

Les motivations des ordonnances de non-lieux qui se succèdent sont de véritables copier-coller qui, tous, puisent leur argumentation dans un rapport d’expertise définitif de février 2017. Ce dernier, selon l’interprétation des magistrats, affirme l’impossibilité d’établir la date d’une éventuelle faute ayant entraîné la contamination puis l’intoxication des victimes, et donc d’imputer avec certitude la responsabilité à une personne physique.

Dans les ordonnances des 11 et 17 juillet que Le Monde a consultées, les juges estiment qu’il n’est « pas possible de déterminer a posteriori une date précise d’intoxication par les fibres d’amiante » et donc « de mettre en corrélation le dommage et les éventuelles fautes qui pourraient être imputées à des personnes qui auraient une responsabilité dans l’exposition à l’amiante subie ». Une argumentation « spécieuse » pour Me Michel Ledoux. « Ce qu’ils nous demandent pour l’amiante équivaut à sommer un fumeur d’indiquer quelle cigarette est à l’origine de son cancer bronchopulmonaire, or, pour toute substance cancérogène, mutagène et reprotoxique, on ne peut raisonner que par période d’exposition et pas d’intoxication. Il s’agit d’un processus continu », dit-il.

On peut le dire autrement : les faits sont aujourd’hui prescrits parce qu’on ne peut pas les dater précisément. « Ce que je ne comprends pas, c’est qu en datant la période de contamination, et non pas le jour précis, on doit pouvoir faire partir la prescription du dernier jour où le salarié a été exposé à l’amiante, nous a confié une magistrate particulièrement au fait des questions de santé publique. Tout le débat est de savoir si le délai de prescription des délits,  qui est aujourd’hui de sept ans (et qui était de cinq ans à l’époque)  part du dernier jour d’exposition à l’amiante ou, comme dans tous les délits dits occultes ou cachés, du jour où la toxicité du produit a été découverte. Je pense que le « parquet santé » aurait dû tenter cette analyse juridique pour faire avancer les choses en matière de délits liés à la santé publique, c’est tout de même son travail….. »

A demain @jynau

1 Voir « Le scandale de l’amiante est une bombe à retardement » Slate.fr 19 juillet 2019

Au fait, le Roundup® est-il cancérigène ? Si tout va bien, nous le saurons avant la fin de 2021

Bonjour

Sortir du grand flou, celui où aiment se cacher les loups ! A la demande du gouvernement français on devrait, demain ou après-demain, répondre à une question sanitaire essentielle, au cœur d’une polémique politique aux dimensions planétaires – mais une question toujours pendante. Nous venons ainsi d’apprendre que l’Agence nationale française de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) va se bouger. Elle va lancer « un appel à candidature pour améliorer les connaissances relatives à la cancérogénicité du glyphosate, herbicide massivement employé à travers le monde et mieux connu sous le nom de Roundup®.

C’est peu dire que de parler d’un « grand flou » . Le CIRC, agence internationale de recherche sur le cancer de l’OMS avait inscrit en 2015 le glyphosate sur la liste des substances « cancérigènes probables ». Puis l’EFSA (Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments) et l’ECHA  (Agence Européenne des produits Chimiques d’autre part) concluaient respectivement en 2015 et en 2017 que le glyphosate était « peu susceptible de présenter un risque cancérogène ». Certains, journalistes et/ou militants déguisés en lanceurs d’alerte virent là l’œuvre d’innombrables lobbies. Puis la justice américaine commença à venir à leur secours en jugeant sur le fondement d’un lien de causalité toujours en pointillé.

C’est dans ce contexte embrouillé que les ministres français en charge de l’écologie, de la santé et de l’agriculture avaient saisi l’ANSES en mars 2018. Puis en juillet  cette agence avait remis « un avis relatif à un cahier des charges d’une étude sur le potentiel caractère cancérogène du glyphosate ». Et c’est finalement à la suite de cet avis que l’ANSES lance un appel à candidature « à l’attention des équipes de recherche publique, nationales et internationales pour réaliser cette étude ». Les résultats seront disponibles « sous 18 mois » et viendront « compléter le dossier de réexamen de l’autorisation de la substance par les États Membres de l’Union Européenne en 2022 ».

Questions citoyennes

Ce qui, d’ailleurs, n’empêcha nullement Robert Genet, directeur général de l’ANSES de déclarer en mai dernier sur Europe 1 que « le glyphosate, utilisé conformément aux réglementations en vigueur, ne présente pas de danger en France ». On rappellera qu’en 2016 l’ANSES estimait que « le niveau de preuve de cancérogénicité chez l’animal et chez l’homme est considéré comme relativement limité » (sic) et que le classement du CIRC  pouvait « se discuter » (re-sic).

Coût de l’étude à venir : 1,2 M€. En complément (et pour ne rien simplifier…) le gouvernement français va « mobiliser l’ANSES » pour qu’elle procède (avec l’appui de l’INRA) au retrait des autorisations de mise sur le marché français des produits contenant du glyphosate – dès lors que des alternatives existent pour chacun des usages couverts par l’autorisation de la mise sur le marché.

Où l’on retrouve Emmanuel Macron, son célèbre concept (« en même temps ») associé au verdissement affiché de son gouvernement. Explication de l’exécutif au citoyen: « Cette démarche permet, sur le fondement des travaux de la communauté scientifique, de mettre en œuvre l’engagement présidentiel de sortie du glyphosate et d’accélérer la transition vers une agriculture moins dépendante aux produits phytosanitaires et plus respectueuse de l’environnement et de la santé. »

S’il pouvait poser une question le citoyen demanderait pourquoi lancer si tard une étude dont les commanditaires semblent déjà connaître les conclusions – conclusions différentes de celles du passé. Et ce même citoyen, soucieux des deniers publics, de demander pourquoi cette étude n’est pas menée (et financée) à l’échelon européen.

A demain @jynau

Leucémies et électricité : les troublantes recommandations sur les Lignes à Haute Tension

Bonjour

Alors ? Dangereuses ou pas ? On ne le saura pas. Ou du moins pas de sitôt. Telle est la principale conclusion d’un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) – « avis du 5 avril rendu public vendredi 21 juin » : « Effets sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques basses fréquences ».

Nous sommes ici aux confins des inquiétudes de l’exécutif, de l’invisible et de la réduction des risques. Six ans de travail. L’Anses avait été saisie le 27 février 2013 par les ministères en charge de la santé, du travail, de l’environnement et de l’agriculture. Deux missions. D’abord approfondir l’expertise scientifique relative aux conséquences sur la santé animale et les performances zootechniques de l’exposition aux champs électromagnétiques basses fréquences. Ensuite réaliser une mise à jour de l’expertise scientifique sur les effets sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques basses fréquences, pour la population générale et les travailleurs.

Cœur du sujet, en 2013 : l’étude Géocap (Sermage-Faure et al. 2013), dont l’objectif était d’étudier l’influence de différentes expositions environnementales en France sur le risque de cancer de l’enfant. Elle avait « mis en évidence », chez les enfants âgés de moins de 5 ans, une association statistiquement significative entre le fait d’habiter à moins de 50 m de l’aplomb d’une ligne de transport d’électricité à très haute tension (supérieure à 225 kV) et le risque de développer une leucémie infantile. C’était une nouvelle étude épidémiologique sur un vieux sujet à très haut potentiel polémique.

« Ce n’était pas la première, tant s’en faut, à mettre en évidence une telle association, mais d’autres enquêtes épidémiologiques donnent des résultats contradictoires, se souvient Le Monde (Stéphane Foucart). La co-saisine par le ministère de l’agriculture était justifiée par les suspicions d’effets délétères sur les animaux d’élevage. L’Anses a abordé cet aspect dans un rapport précédent, rendu en 2015, qui ne mettait pas en évidence de liens. »

Où en sommes nous, six ans plus tard ?  « S’agissant des suspicions d’effets sur les humains, nous avons voulu passer en revue l’ensemble de la littérature sur le sujet, des études menées in vitro ou sur l’animal, aux études épidémiologiques disponibles, précise Olivier Merckel, chef de l’unité Agents physiques, nouvelles technologies et grands aménagements à l’Anses. Plusieurs ont été publiées depuis 2010 et trouvent plutôt moins fréquemment de lien entre lignes à haute tension et leucémies infantiles que les études plus anciennes, mais un certain nombre d’entre elles indiquent toutefois une association. »

L’angoisse des « gueules noires » de Moselle

En 2010, l’Anses soulignait « la convergence d’études épidémiologiques » qui montraient une association entre la survenue de leucémie infantile et l’exposition aux champs magnétiques basses fréquences à des niveaux supérieurs à 0,2 µT ou 0,4 µT [microTesla]. Au regard des nouvelles données, l’Agence confirme le niveau de preuve « limité » associé à cet effet à long terme.  Dans le cadre de cette expertise, l’Anses explique avoir  financé une étude afin de quantifier la part de la population française, et plus spécifiquement les enfants, exposée à de tels niveaux de champs émis par une ligne à haute tension. Cette étude a été menée par une équipe de l’Inserm et du CHU de Caen. Elle indique qu’environ 40 000 enfants de moins de 15 ans (0,35 % de la population) sont exposés à leur domicile à un champ magnétique supérieur à 0,4 µT, et environ 8 000 enfants (0,18 %) sont scolarisés dans une école exposée à un champ magnétique supérieur à 0,4 µT.

Mais encore ? Considérant l’ensemble de ces résultats, l’Agence « réitère sa recommandation de limiter, par précaution, le nombre de personnes sensibles exposées autour des lignes à hautes tension ainsi que les expositions ». À ce titre, elle recommande « de ne pas installer ou aménager de nouveaux établissements accueillant des personnes sensibles (hôpitaux, écoles…) à proximité immédiate des lignes à très haute tension, ni d’implanter de nouvelles lignes au-dessus de tels établissements ».

Ce n’est pas tout. A des niveaux d’exposition élevés (pouvant être rencontrés en milieu professionnel) des études expérimentales ont mis en évidence la possibilité de certains « effets biologiques » (« stress oxydant, effets génotoxiques, effets sur la physiologie cellulaire »). S’alarmer ? Pas vraiment : l’Anses indique que les études épidémiologiques « sont trop hétérogènes pour établir un lien entre l’exposition professionnelle et l’apparition de pathologies chroniques, en particulier maladies neurodégénératives et tumeurs du système nerveux ». Que faire ? « Il apparaît nécessaire de poursuivre les recherches concernant le risque éventuel de pathologies associées à l’exposition aux champs magnétiques basses fréquences » répond l’Agence.

Et cette dernière « d’attirer l’attention sur les cas d’exposition de la femme enceinte au travail ». Pourquoi ? Car « il a été montré que dans certains scénarios d’exposition professionnelle, la densité de courant induite chez le fœtus peut être supérieure aux valeurs limites recommandées pour la population générale ». L’Anses recommande donc « de mieux informer et sensibiliser les femmes sur les dispositions réglementaires d’aménagement de leur poste de travail lorsqu’elles sont enceintes, afin de limiter l’exposition du fœtus aux champs électromagnétiques basses fréquences ».

21 juin 2019. Le jour même de la publication de cet avis, Le Monde (Patricia Jolly) nous apprend que la veille, lors d’une audience à la chambre sociale de la Cour de cassation réunie en formation plénière, l’avocate générale, Catherine Courcol-Bouchard, a requis le rejet du pourvoi formé par ces « gueules noires » de Moselle contre une décision de la cour d’appel de Metz de 2017. Plus de 700 mineurs exposés à un cocktail de produits toxiques et cancérogènes durant toute leur carrière professionnelle, vivent dans la peur de tomber malade à tout moment. Ils réclament justice depuis juin 2013.

On ne tirera bien évidemment aucune conclusion de ce qui n’est qu’une coïncidence : l’Anses venait alors d’être saisie par les ministères en charge de la santé, du travail, de l’environnement et de l’agriculture inquiets des possibles effets délétères de l’électricité sur les animaux et sur les jeunes humains.

A demain @jynau

«Tuer le cancer, 500 euros»: pourquoi le célèbre test français n’est-il toujours pas remboursé ?

Bonjour

C’est une étrange affaire médicale qui, dans les médias, n’en finit pas. Celle d’un test de dépistage ultra-précoce du cancer – un test présenté depuis des années comme potentiellement miraculeux par son auteure mais qui demeure toujours en marge des procédés officiels et, à ce titre, non remboursé par l’assurance maladie. Nous avons, sur ce blog, consacré plusieurs textes à cette affaire qui semble ne jamais devoir trouver son épilogue.

Le dernier épisode en date était un « communiqué de presse » publié sur le site de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris : « Détection du cancer : Le Professeur Patrizia Paterlini-Bréchot nommée finaliste du Prix de l’inventeur Européen 2019 pour ses travaux ». Où l’on retrouvait sous une forme bien étrange, aux frontières du discours publicitaire, le discours tenu depuis des années :

« L’invention de Patrizia Paterlini-Bréchot permet aux médecins de détecter les cellules cancéreuses dans un échantillon de sang bien avant qu’une tumeur ne puisse être détectée grâce aux méthodes classiques d’imagerie médicale. Une détection qui intervient avant même que le patient ne développe des métastases, un stade de propagation où 90 % des patients perdent leur combat contre la maladie (…) ».

Le « prix de l’inventeur Européen 2019 » n’a toujours pas été attribué mais la finaliste était ce matin l’invitée de RTL (Elizabeth Martichoux) pour expliquer sa découverte : « Le fait de détecter ces cellules précocement permet d’agir avant que les  métastases se forment et donc d’empêcher les patients de mourir ».

Pourquoi ne pas avoir imaginé cette technique plus tôt  ?« Parce qu’il y avait des défis technologiques. Il fallait bien comprendre comment les métastases se forment (…) On a réalisé que ces cellules qui ont été décrites pour la première fois en 1869 et après recherchées par les chercheurs du monde entier, n’avaient pas été détectées parce qu’elles sont rarissimes (…) ».

 « A peu près 40 % des cancers sont diagnostiqués au stade métastatique donc quand la métastase est déjà formée. Ce sont ces cancers que l’on cible. (…) Plus on détecte précocement, plus on a de grandes chances d’éliminer la maladie (…) Parce que le cancer n’est vraiment un monstre que si on lui laisse le temps : il va envahir l’organisme mais aussi il va muter lui-même. Donc les cellules du cancer qui vont se répandre dans le corps sont toutes différentes. Quand on applique après ces traitements ciblés qui sont extrêmement coûteux, ces traitements vont cibler la majorité des cellules, mais pas toutes. Ce qui fait que le patient rentre en rémission mais après il y a des cellules qui ne sont pas mortes, qui recommencent à proliférer et on perd la bataille. »

Pipe-line

Comment comprendre, dès lors, que ce test (protégé par cinq brevets publics -Université Descartes, Inserm, AP-HP- pris entre 2005 et 2012) n’est-il toujours pas accessible au plus grand nombre ? « Parce que toute avancée de la médecine demande énormément d’études, et dans ce domaine en particulier où la méthode est valable pour tout type de cancer, il faut bien voir que pour avoir les avals réglementaires qui permettent ensuite d’avoir accès au remboursement, il faut faire des études cancer par cancer. C’est très long et coûteux. Mais on ne peut pas valider un test qui est valable pour tous les cancers. Il faut suivre la piste cancer par cancer. »

Précisément, où en est-on ? « Nous sommes en train d’activer toutes nos forces pour trouver les moyens de faire des essais de validation clinique de phase II/III (…) ». A quel horizon ce test sera-t-il accessible pour nous ? Cinq ans, dix ans, cinquante ans ?   « Je n’arrive pas à répondre car cela dépend des moyens qui sont investis.  (…) Il y a des milliards d’euros dans le secteur privé … le secteur public a quand même du mal à investir même des dizaines de centaines de millions. … Ce test intéresse mais il faut tout de même faire tout le travail pour que ces tests soient remboursés. … Pour les premiers trois cancers, c’est à l’horizon 4 à 5 ans … Les autres vont suivre rapidement .. D’abord les cancers du poumon et le cancer de la prostate, ensuite d’autres sont dans le pipe-line … ».

A demain @jynau


L’invraisemblable affaire du malade auquel l’administration refuse le droit au pembrolizumab

Bonjour

On attend la réaction du ministère des Solidarités et de la Santé.

C’est à lire dans Nice Matin :« Atteint d’un cancer de la vessie, il ne peut pas être soigné à cause d’un incroyable problème administratif » (Nancy Cattan). Où l’on apprend que depuis trois semaines, le Dr Jérôme Barrière, oncologue à la polyclinique Saint-Jean de Cagnes-sur-Mer, « se bat comme un lion » : posts sur LinkedIn, appels insistants à la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie), à la DGOS (Direction générale de l’offre de soins), prise de contact avec les autres établissements de santé du territoire…

« Partout, la même réponse : vous avez raison, mais on ne peut rien faire. Inacceptable pour l’oncologue azuréen. Car, ne rien faire, c’est laisser mourir René, un habitant de Saint-Laurent-du-Var de 76 ans, atteint d’un cancer de la vessie métastatique. Laisser mourir René, alors qu’il existe un médicament, le pembrolizumab, susceptible de le sauver. »

Précision : le pembrolizumab (Keytruda® ) de MSD.

« Un médicament qui a obtenu le Graal, soit une autorisation de mise sur le marché (AMM), mais dont le prix n’a toujours pas été fixé par les instances. Pendant que la situation s’éternise, ce médicament peut légalement être utilisé, mais, faute de prix, il ne peut être facturé par les établissements de santé à la CPAM. Personne dès lors pour honorer une facture qui devrait s’élever à plus de 70.000 euros pour un an de traitement (c’est à ce prix que le pembrolizumab est commercialisé dans son autre indication, le cancer du poumon métastatique). »

Nice Matin rapporte encore que, confronté à une fin de non-recevoir administrative et « incapable d’accepter la sentence », le Dr Barrière a choisi de saisir la presse pour dénoncer une situation kafkaïenne, mais qui deviendrait, selon lui, le quotidien des oncologues. 

« M. Estève est en impasse thérapeutique. Sa maladie évolue, sa vie est en danger, mais on ne peut plus le traiter une seconde fois par chimiothérapie, ça le tuerait. Seul le pembrolizumab, une immunothérapie déjà utilisée dans le cancer du poumon, peut encore le sauver. Nous sommes tombés d’accord sur ce point en RCP (réunion de concertation pluridisciplinaire). La preuve scientifique de l’efficacité de cette molécule a été fournie, puisqu’elle a obtenu en 2017 son autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’indication, cancer de la vessie avec métastase. »

Le Dr Barrière envisage même une requête de référé devant le tribunal administratif. Sans y croire. Et le temps presse. Le pronostic vital de René est engagé. « Les pouvoirs publics sont incohérents, dit-il à la presse. Ils nous mettent, nous médecins, dans des situations kafkaïennes et éthiquement intolérables, avec des patients qui comprennent qu’ils ont des pertes de chance de guérison. Ne pourrait-on pas avoir une procédure de remboursement accélérée, une fois les AMM accordées ! ».

On attend la réponse des services d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé.

A demain

@jynau

Comment faire un vrai tabac médiatique avec charcuterie, glyphosate, et viande rouge

Bonjour

Pierre Médevielle, 59 ans est depuis cinq ans sénateur (centriste) de la Haute-Garonne. Cet ancien maire de la commune de Boulogne-sur-Gesse, vice-président du groupe d’études Chasse et pêche est également vice-président (avec le célèbre mathématicien Cédric Villani)  de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Pierre Médevielle fut aussi pharmacien d’officine.

Depuis quelques heures l’homme a atteint la célébrité médiatique nationale. Tout simplement en violant l’embargo qui protégeait le rapport (rendu public le 16 mai) de l’OPECST – rapport qui traite, notamment, du célèbre glyphosate. Tout est écrit dans l’entretien que l’ancien pharmacien a accordé à La Dépêche (Lionel Laparade). Extrait :

« Dans notre rapport, nous avons relevé des points d’amélioration. [concernant le glyphosate] En Europe, l’évaluation, c’est un peu la foire d’empoigne. Si l’on veut progresser, il va falloir uniformiser les pratiques d’évaluation des dangers et du risque des substances. L’Agence européenne des produits chimiques et l’Agence européenne de sécurité alimentaire évaluent le danger des substances, or il y a une différence fondamentale entre le danger et le risque. Sur le glyphosate, on a fait des études de danger, point final. Alors certes, 117 autorisations de mises sur le marché de produits contenant du glyphosate ont été supprimées par l’ANSES. Mais c’était à une époque où la molécule était associée des co-constituants, la talowamine par exemple, extrêmement toxique en milieu aquatique.

« Je veux aussi souligner que l’on épand de moins en moins de glyphosate et que l’herbicide reste une charge pour l’agriculteur : croyez-vous qu’il peut aujourd’hui se permettre le luxe du gaspillage ? Je voudrais que l’on puisse débattre sereinement et que chacun retrouve ses esprits… Évitons d’interdire des substances avant de disposer d’éléments scientifiques. Et quand les preuves sont là, comme pour les néonicotinoïdes, agissons. C’est ce que nous avons fait avec Chantal Jouanno en réclamant leur interdiction. »

Ne pas se hâter d’interdire le glyphosate ?

« Je serai parmi les premiers à réclamer son interdiction dès que les preuves scientifiques de sa nocivité seront apportées. Or, à la question : Le glyphosate est-il cancérogène, la réponse est non ! Il est moins cancérogène que la charcuterie ou la viande rouge qui ne sont pas interdites. »

Sur quelles bases affirmer cela ?

« Sur la base d’études scientifiques ! Des études menées à l’Agence européenne de sécurité alimentaire de Parme, à Bruxelles, à l’ANSES, agence la plus performante en Europe et probablement au monde. Nous avons aussi en France un excellent système de pharmacovigilance mais que voulez-vous, nous vivons aujourd’hui dans un monde où tout est remis en cause, sans preuve, où un lanceur d’alerte peut, sur de simples allégations, jeter le discrédit sur toute la communauté scientifique…

« Nous prenons nos responsabilités. Ce rapport, nous le rendons à quatre parlementaires, sous l’égide de l’OPECST dont les membres sont tous des scientifiques. Je ne vois aucune raison pour laquelle nous prendrions notre part de l’hystérie collective suscitée par une molécule dont on affirme qu’elle est cancérogène alors qu’en réalité, elle ne l’est pas. Ou alors on devient tous fous… »

Colossale énormité

Comme prévu ces propos ont déclenché une vive polémique 1. « Pour le sénateur il n’existerait aucune étude scientifique montrant que le glyphosate est cancérogène ! C’est faire fi de la revue complète réalisée par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) en 2015. C’est faire également fi des études commanditées par l’industrie elle-même et qui montrent aussi le potentiel cancérogène du glyphosate, soutient Générations Futures. Le sénateur nous ressort le vieil argument utilisé par l’industrie selon lequel le glyphosate serait moins cancérogène que la viande. Totalement à côté de la plaque cet argument fait allusion au classement cancérogène de la viande rouge par le CIRC. Il vise à brouiller les cartes. » François Veillerette, le co-fondateur et porte-parole de l’ONG Générations Futures, interrogé sur France Info, a dénoncé une « contre-vérité, d’une énormité colossale au niveau scientifique ».

Propagande

José Bové a immédiatement dénoncé une « propagande »: « Cela fait partie des éléments de langage sortis régulièrement pour essayer de discréditer tous les rapports scientifiques. Ce n’est pas la première fois que cet office du Parlement défend des positions qui vont à l’encontre des faits scientifiques avérés » .

Quant au mathématicien macronien Cédric Villani, interrogé sur France Info, il s’est dit désolé de tels propos : « Je regrette que le sénateur Médevielle, en s’exprimant prématurément et sous une forme qui ne reflète pas le rapport, ait contribué à ajouter de l’huile sur le feu ».

Où l’on voit que manier la science la plus dure n’interdit pas d’user des vieilles métaphores. Et qu’il est toujours aussi compliqué de séparer le gentil bon grain écologique de la méchante ivraie politique.

A demain

@jynau

1 Gérard Longuet, président et Cédric Villani, premier vice-président ont apporté les précisions suivantes dans l’après-midi du 13 mai: « (….) Contrairement à ce qui a pu être indiqué, le rapport de l’OPECST ne se prononce pas sur la toxicité à long terme du glyphosate, qui doit être réexaminée par plusieurs agences d’évaluation européennes dans le cadre du processus de ré-autorisation du glyphosate à l’horizon 2022. Si la question du glyphosate est abordée dans le rapport, c’est pour mettre en perspective les différences d’appréciations entre le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et les agences d’évaluation, notamment l’EFSA, afin d’éclairer le public sur le contenu et la portée de ces divergences apparentes entre experts, mais pas de rouvrir le débat sur l’interdiction du glyphosate, qui a été tranché par le Gouvernement.

Cancer : donner un peu moins de 500 euros pour le dépister ? Un étrange communiqué de l’AP-HP

Bonjour

Où l’on reparle d’une affaire jamais résolue : celle de la « méthode de filtrage du sang qui permet un dépistage précoce du cancer » ; une méthode mise au point Patrizia Paterlini-Bréchot professeure de biologie cellulaire et moléculaire et d’oncologie à l’université Paris Descartes ; directrice d’une équipe de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et « conseillère scientifique d’une entreprise qu’elle a fondée ».

Nous avons, sur ce blog, consacré plusieurs textes à cette affaire à bien des égards troublante. On la voit aujourd’hui réapparaître sous la forme, peu banale, d’un « communiqué de presse » sur le site de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris : « Détection du cancer : Le Professeur Patrizia Paterlini-Bréchot nommée finaliste du Prix de l’inventeur Européen 2019 pour ses travaux ». Où l’on retrouve, sous une forme bien étrange, aux frontières du discours publicitaire, le discours tenu depuis des années :

« L’invention de Patrizia Paterlini-Bréchot permet aux médecins de détecter les cellules cancéreuses dans un échantillon de sang bien avant qu’une tumeur ne puisse être détectée grâce aux méthodes classiques d’imagerie médicale. Une détection qui intervient avant même que le patient ne développe des métastases, un stade de propagation où 90 % des patients perdent leur combat contre la maladie (…)

On estime à 18,1 millions le nombre de cancers diagnostiqués dans le monde en 2018 et à 9,6 millions le nombre de personnes ayant succombé à la maladie l’an dernier. Certains cancers sont particulièrement difficiles à diagnostiquer : le cancer du poumon, par exemple, n’est détecté à un stade précoce que dans 15 % des cas. Trouver une méthode efficace et non contraignante pour diagnostiquer les cancers le plus tôt possible permettrait de sauver des millions de vies chaque année. Cela a été l’objectif de toute la carrière de la chercheuse italienne (…) C’est en 2000 que l’inventrice a partagé les résultats de son nouveau procédé – nommé ISET® (Isolation by Size of Tumour cells) – dans des revues scientifiques, avant de déposer une demande pour le premier d’une longue série de brevets européens. »

Et encore ceci, toujours sur le site de l’AP-HP :

« La méthode de Patrizia Paterlini-Bréchot consiste à prélever, diluer puis déposer le sang dans une petite fiole en plastique contenant un filtre en polycarbonate ultrafin, qui va fonctionner comme un filtre à café. La fiole est ensuite déposée dans une sorte de centrifugeuse qui va générer une légère aspiration permettant au sang de passer à travers le filtre.

« Tandis que les cellules les plus petites vont passer à travers les pores du filtre, les cellules tumorales, s’il y en a, vont être retenues parce qu’elles sont plus grosses. Une manipulation qui peut être réalisée en seulement 15 minutes environ. Elle est si précise qu’elle peut détecter une seule CTC dans un échantillon de 10 millilitres de sang, soit parmi près de 50 milliards de cellules sanguines. Les oncologues peuvent ensuite étudier au microscope les cellules capturées par le filtre afin de déterminer s’il s’agit bien de cellules cancéreuses et ainsi effectuer d’autres analyses en conséquence. Les patients peuvent alors passer d’autres examens pour déterminer la teneur et la durée du traitement à recevoir, et cela bien avant l’apparition des métastases. »

Pour diffuser son invention, Patrizia Paterlini-Bréchot a fondé Rarecells Diagnostics en 2009. L’entreprise est une spin-off de l’université Paris-Descartes, de l’INSERM et de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris et détient la licence exclusive des brevets du test ISET, qu’elle distribue et élabore. Le contrat de licence stipule que les redevances doivent revenir aux institutions publiques qui détiennent les brevets.

« Le marché mondial du dépistage des CTC était estimé à 8,2 milliards d’euros en 2017 et devrait atteindre 24,9 milliards en 2023. Patrizia Paterlini-Bréchot est une véritable pionnière sur ce marché, ajoute encore  l’AP-HP.  Son test ISET® est disponible en France depuis février 2017 pour un coût qui avoisine les 500 euros, pour l’instant pas encore couvert par l’assurance maladie (sic). » Où l’on retrouve l’impasse que nous évoquions il y a deux ans lorsque la Pr Patrizia Paterlini-Bréchot venait de publier « Tuer le cancer » (éditions Stock).

Efficace le test ISET® ? Comment savoir ? 1 Disponible partout en France ? Il y a deux ans il n’était pratiqué que sur un seul site : le Laboratoire Probio (9, rue Stanislas – 75006). Le prélèvement de sang n’yétait effectué que sur rendez-vous les mardis et jeudis entre 9h00 et 11h00. Aujourd’hui ce prélèvement n’est plus effectué que les jeudis. Le prix n’a pas changé. Seule étrange nouveauté : le « communiqué de presse » de l’AP-HP.

A demain

@jynau

1 En janvier 2017 l’Institut National du Cancer nous précisait  que la technique ISET® était soutenue par l’Institut National du Cancer (INCa) était soutenue à hauteur de 1,6 M€ sous la forme de quatre ‘’Appels à projets’’ – et que cette technique était « actuellement en cours d’évaluation ».

 

Pr Dominique Stéhelin (1943-2019). Un brillant pionnier de la recherche des gènes du cancer

Bonjour

La science sait parfois, elle aussi, être une jungle. Carnet du Monde daté du 11 avril 2019. On y apprend la mort, survenue le 5 avril, du Pr Dominique Stéhelin. « Esprit brillant, il appartenait à ces grands chercheurs qui allient une intelligence exceptionnelle à une formidable intuition, résume avec justesse La Voix du Nord. Il avait ainsi apporté une contribution majeure à la découverte des oncogènes, une catégorie de gènes dont l’altération favorise la survenue des cancers. »

Pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises dans les années 1980 (pour Le Monde) nous gardons de Dominique Stéhélin le souvenir d’un biologiste hors du commun, brillant, pédagogue, charismatique – le représentant d’une nouvelle génération incarnée quelques années plus tôt par son confrère Philippe Maupas (1939-1981) . Deux hommes promis au Nobel de médecine qui, de manière différente mais également injuste leur échappa.

« Au début des années 1970, les mécanismes du cancer faisaient l’objet de nombreux débats, rappelle l’Inserm dans la biographie qu’il lu avait consacré. Les uns pensaient que les causes de la cancérisation étaient externes aux cellules (théorie virale des cancers), alors que d’autres défendaient une origine cellulaire des dérèglements cancérigènes (théorie génétique). La connaissance des virus et l’avènement de la biologie moléculaire ont permis de clarifier ce débat. Le premier virus identifié pour causer des tumeurs (sarcomes) chez le poulet fut le virus du sarcome de Rous en 1911 par le chercheur américain Peyton Rous.

 « En 1976, Dominique Stéhelin, alors chercheur détaché du CNRS dans le laboratoire de Michael Bishop à San Francisco, démontre par une technique d’hybridation différentielle, la présence d’un fragment d’ADN du virus du sarcome de Rous dans le génome de cellules normales non infectées. Cela démontrait que le gène src du virus avait sa contrepartie dans les cellules normales et sa caractérisation a permis de montrer que le virus était devenu cancérigène, en incorporant et en modifiant ce gène dans son génome. Quinze ans plus tard, en 1989, le prix Nobel de physiologie et médecine a été décerné pour cette découverte de l’origine cellulaire des oncogènes rétroviraux aux co-auteurs du travail, les américains Michael Bishop et Harold Varmus. »

Le Monde du 10 octobre 1989

C’était il y a trente ans. Et nous gardons également en mémoire la profonde injustice que ressentit la communauté scientifique spécialisée en apprenant  l’exclusion du chercheur français d’une récompense qu’il méritait amplement de partager – et ce d’autant que les deux lauréats plaidèrent sa cause. En vain. Rue des Italiens, Le Monde daté du 10 octobre 1989 :

« Le prix Nobel de médecine a été décerné, lundi 9 octobre, à deux chercheurs américains de San-Francisco, J. Michael Bishop et Harold E. Varmus, pour leur découverte de  » l’origine cellulaire des oncogènes rétroviraux « .

« L’attribution de ce prix a immédiatement entraîné la réaction du professeur Dominique Stehelin, spécialiste français des oncogènes, qui a été le premier à travailler sur le sujet à l’époque où il appartenait au laboratoire _ de 1972 à 1975 _ de San-Francisco. « Je suis très déçu, je trouve cela très injuste et très moche », a déclaré le professeur, affirmant qu’il avait, lui seul, découvert les « gènes du cancer » (oncogènes) et que « ses travaux lui appartiennent ». Le professeur Stehelin, qui travaille actuellement à Lille, a ajouté : « Je ne comprends pas pourquoi la communauté scientifique refuse de m’attribuer cette découverte, sans doute parce que je n’ai pas « ramé » et parce que travailler à Lille est jugé moins prestigieux que d’être chercheur à San-Francisco. » »

A son retour des Etats-Unis, Dominique Stéhelin avait mis en place  une équipe de recherche à l’Institut Pasteur de Lille et poursuit la découverte et la caractérisation de nouveaux oncogènes. Il poursuivit son œuvre, montrant aussi que des rétrovirus peuvent contenir deux oncogènes susceptibles de leur conférer des propriétés “transformantes” accrues et/ou de cancériser des cellules. Et plus généralement le rôle essentiel des oncogènes dans tous les processus cellulaires normaux et clarifie leur implication dans le cancer lorsqu’ils sont dérégulés.

Il fut aussi à l’origine de la création en 1996 de l’Institut de biologie de Lille, avec le soutien du CNRS, de la région Nord Pas de Calais et de l’Etat. De très nombreux chercheurs français et étrangers ont été formés dans le laboratoire de Dominique Stéhelin, qui a su les attirer par ses qualités scientifiques, associées à son charisme et son ouverture d’esprit. Plusieurs sont devenus directeurs de laboratoires à l’Inserm, au CNRS, dans des laboratoires internationaux, ou directeurs de département dans l’industrie pharmaceutique.

On pourrait gloser sur la meurtrissure durablement vécue par ce biologiste. On ne gardera que le souvenir d’un homme hors du commun, brillant, pédagogue, charismatique. Son intelligence et son intuition. Son regard et son sourire.

A demain

@jynau

 

Pesticides, ondes, Wi-Fi et cancers pédiatriques : en direct de Sainte-Pazanne (Loire-Atlantique)

Bonjour

Le rationnel peut-il éclairer l’étrange, l’épidémiologie le comprendre ? On se souvient au « signalement d’un particulier » neuf cas de cancers pédiatriques (diagnostiqués avant 17 ans) ont été répertoriés sur les douze cancers signalés sur le secteur de Sainte-Pazanne (communes de Sainte-Pazanne, Saint-Mars de Coutais, Sainte-Hilaire-de-Chaléons et Rouans). Sur ces neuf cancers pédiatriques, six sont des cancers du sang. Pourquoi un tel « cluster » (groupement) ? Après celle des « bébés nés sans bras » l’affaire intrigue, inquiète, fait polémique, met directement en cause Santé publique France et ses experts.

Le 4 avril dernier une réunion publique a été organisée par l’ARS Pays de la Loire et Santé publique France. Près de 800 personnes ont répondu à l’appel du Collectif « Stop aux cancers de nos enfants » et à la Mairie de Sainte-Pazanne :

« Cas de cancers pédiatriques à Ste Pazanne (44) L’ARS Pays de la Loire et Santé publique France mobilisés pour apporter des réponses aux familles ».  Résumé officiel :

« Cet échange avec les familles et leurs proches a permis de répondre à leurs questions et inquiétudes et de leur présenter le projet d’enquête épidémiologique qui sera mise en place dans les plus brefs délais.

Bien que 90% des leucémies infantiles aiguës soient aujourd’hui sans cause connue et que les facteurs de risque liés aux cancers puissent être multiples, l’ARS a saisi Santé publique France pour poursuivre les investigations. L’étude qui sera mise en place par SpF a pour objectif de rechercher d’éventuelles expositions communes. Elle s’appuie sur un protocole standardisé consistant à : vérifier qu’il s’agit bien de cas qui répondent à la même définition clinique ; définir le périmètre géographique et temporel des cas étudiés ; évaluer s’il y a un réel excès de cas de cancers observés dans la zone étudiée par rapport à celui habituellement attendu dans cette même zone ; faire la synthèse de la littérature sur les expositions à risque à rechercher ; mener une enquête auprès de chacune des familles concernées pour documenter les expositions à risque, notamment environnementales. »

Téléphones portables, pesticides, Wi-Fi …

Cette « première étape »  a été menée avec l’ensemble des partenaires au niveau local (CHU de Nantes, registre général des tumeurs de Loire-Atlantique et Vendée) et national (registre national des cancers de l’enfant). Elle  devra permettre « d’identifier des hypothèses afin d’orienter des investigations complémentaires ». Les premières conclusions seront rendues à l’automne 2019 avec « une restitution aux familles concernées dans un premier temps ». Enfin une réunion d’information va être prochainement organisée par l’ARS auprès des professionnels de santé du secteur de Sainte-Pazanne.

Souhaitable, cet échange a-t-il vraiment permis de répondre « aux questions et inquiétudes » des familles et de leurs proches ? On peut raisonnablement en douter au vu de ce qu’en ont rapporté les médias présents.

« Jeudi 4 avril, un millier de personnes – réparties dans trois salles municipales, équipées de moyens de retransmission, de cette ville de 6 500 habitants – se sont retrouvées, durant trois heures, à la réunion publique organisée à la demande du collectif Stop aux cancers de nos enfants,  indique pour sa part Le Monde (Patricia Jolly).  D’abord prévu début mai, ce rendez-vous a été avancé à la demande du collectif (…) Depuis le 1er avril, trois autres jeunes, tombés malades au cours de la même période, se sont fait connaître. Téléphones portables, antennes d’opérateurs téléphoniques, Wi-Fi, lignes à haute tension, utilisation des pesticides, tensions de la vie quotidienne, augmentation de la population de la commune… Dans l’assistance, on a beaucoup supputé sur les causes possibles des cancers diagnostiqués dans la zone. »

En avril 2017, le signalement à l’ARS de six cas de cancers pédiatriques – dont quatre de leucémies aiguës – avait provoqué le déclenchement d’une première enquête. L’agence avait alors listé « quatre pistes » – la pollution des sols aux hydrocarbures, la pollution de l’air au benzène, l’utilisation de pesticides et la présence de radon, un gaz radioactif naturel très présent dans les sols de la région. Mais sans parvenir à dégager de « cause prédominante ».

« Il est possible qu’il n’y ait aucun risque et il est possible qu’il y en ait un, a reconnu le Dr Thierry Le Guen de l’ARS des Pays de la Loire. Aujourd’hui, je ne sais pas répondre à cette question. » « Maintenant que je vous ai écouté, en tant que maman, qu’est-ce que je fais ? », l’a interrogé une femme désireuse de voir appliquer des « principes de précaution » parallèlement à la future étude épidémiologique.  « Il ne faut pas céder à la panique, nous ne sommes pas face à une épidémie », a répondu le Dr Le Guen. En est-il bien certain ?

Tout était dit. Il reste à attendre.

A demain

@jynau

 

Vertus du «bio» : quand l’Académie nationale de médecine fait la leçon aux journalistes 

Bonjour

Parfois, depuis la rue Bonaparte, l’institution lance des missiles. Ainsi : « Rôle de l’alimentation « bio » sur le cancer, l’Académie nationale de médecine alerte sur l’interprétation trop rapide des résultats épidémiologiques ». Où l’on voit la vieille Académie dénoncer à sa manière le traitement journalistique d’une information scientifique et médicale.

Tout avait commencé en octobre par un communiqué  du service de presse de l’INRA : « Moins de cancers chez les consommateurs d’aliments bio ? ». « Prenons le pari : c’est un communiqué de presse qui sera amplement repris, écrivions-nous alors.  Comment pourrait-il en être autrement avec ce pitch : ‘’ Une diminution de 25% du risque de cancer a été observée chez les consommateurs « réguliers » d’aliments bio, par rapport aux personnes qui en consomment moins souvent. C’est ce que révèle une étude épidémiologique 1 menée par une équipe de l’Inra, Inserm, Université Paris 13, CNAM, grâce à l’analyse d’un échantillon de 68 946 participants de la cohorte NutriNet-Santé’’. »

 L’affaire fut aussitôt relayée par les militants de Générations Futures qui remplaça le point d’interrogation initial par un autre, d’exclamation. « Une nouvelle étude INSERM/INRA montre que les consommateurs réguliers de bio ont un risque moindre de 25 % de développer un cancer par rapport aux non-consommateurs de produits bio ! ».

Forêts pavées de biais

Puis reprise par Le Monde (Stéphane Foucart, Pascale Santi) : « L’alimentation bio réduit de 25 % les risques de cancer. Selon une étude menée sur 70 000 personnes, la présence de résidus de pesticides dans l’alimentation conventionnelle explique ce résultat. » Quelques jours plus tard notre collègue Stéphane Foucart revenait sur le sujet dans les colonnes du Monde, sans nullement redouter de s’aventurer dans une forêt pavée de biais, dans les brouillards des chemins mêlés des corrélations et des causalités.

 En écho : « Prudence, prudence, prudence avec ces annonces, écrivait Hervé Maisonneuve sur son blog spécialisé. Je vous suggère d’écouter tranquillement John P. A. Ioannidis (Stanford University School of Medicine) qui explique que la plupart des recherches en nutrition sont biaisées, voire fausses. Il faut des spins dans les communiqués de presse pour faire le buzz… ». 

Aujourd’hui (cinq mois plus tard) l’Académie nationale de médecine donne de la voix : « La presse et les médias ont largement relayé les travaux d’une équipe française reconnue, publiée en octobre 2018 dans une revue internationale, avec la conclusion que la consommation d’une alimentation organique 2  en d’autres termes « bio » réduisait le risque d’incidence de certains cancers. Pour cela les auteurs ont comparé le nombre de cancers observé chez des personnes affirmant consommer une alimentation « bio » et ceux qui n’en consommaient pas. »

Rédacteurs de communiqués de presse

« Cette étude est intéressante et les auteurs ont réalisé un important travail » ajoutent les académiciens diplomates.Avant de dégainer : « Cependant il existe un certain nombre de biais méthodologiques qui ne permettent pas de soutenir les conclusions des auteurs ». Et de rappeler qu’ils avaient déjà exposé 3 la complexité des méthodes épidémiologiques et les critères de qualité qui les sous-tendent dans un rapport publié en 2011. 

« En effet les deux groupes de personnes évaluées diffèrent non seulement par le fait que les uns consomment une alimentation « bio », mais également par d’autres facteurs : le sexe, l’âge de la première grossesse, facteur déterminant pour le risque de cancer du sein, la consommation de fruits et légumes, le niveau socio-économique, l’activité physique… tous facteurs susceptibles d’expliquer à eux seuls une différence.

 « De plus les sujets inclus dans l’étude devaient dire s’ils consommaient une alimentation « bio » de temps en temps, sans précision ni sur la quantité ni sur la durée de cette consommation. Enfin la survenue de cancers n’était appréciée que sur une période de 4,5 ans ce qui est très court pour la genèse d’un cancer par exposition à des produits.

Ainsi même si cette étude met en évidence un « signal » entre alimentation « bio » et la moindre survenue d’un cancer, l’Académie nationale de médecine considère qu’à ce jour, au vu de cette seule étude, le lien de causalité entre alimentation « bio » et cancer ne peut être affirmé et invite à la prudence dans l’interprétation trop rapide de ces résultats. Il reste aux académiciens à remonter l’échelle des causalités –  à s’intéresser à la confection des « communiqués de presse » et à leurs auteurs ; des communiqués élégamment confectionnés ; des communiqués qui, bien souvent – « spins et buzz » – expliquent finalement la manière dont « la presse et les médias » relatent les avancées de la science.

A demain

@jynau

 1 The frequency of organic food consumption is inversely associated with cancer risk: results from the NutriNet-Santé prospective Cohort. JAMA Internal Medicine. 22 octobre 2018 (Julia Baudry, Karen E. Assmann, Mathilde Touvier, Benjamin Allès, Louise Seconda, Paule Latino-Martel, Khaled Ezzedine, Pilar Galan, Serge Hercberg, Denis Lairon & Emmanuelle Kesse-Guyot).

2 « Organic food consumption » = alimentation “bio” : sans utilisation d’engrais synthétiques, pesticides,  modifications génétiques, et médicaments vétérinaires pour les animaux.

3 Rapport ANM 2011 http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2014/01/RapportEpidemiologieANM_FlahaultSpira_04nov2011.pdf