Bonjour
Qui aurait pensé lire, un jour, Jacques Testart dans Valeurs actuelles (propos recueillis par Charlotte d’Ornellas) ?
Jacques Testart, 80 ans ou presque, phosphorescence intacte et un site où il guerroie contrele libéralisme économique et l’eugénisme, son allié naturel. Jacques Testart héraut solitaire d’une « science citoyenne » et allergique sinon à la « médecine » du moins à presque tous les médecins. Jacques Testart qui voit dans le Diagnostic préimplantatoire (DPI) et les Centres d’études et de conservation du sperme et des œufs humains (CECOS) la source du mal présent et à venir. Jacques Testart qui, si tout va bien, fêtera dans trois ans et avec René Frydman les quarante ans d’Amandine-premier-bébé-éprouvette-français.
Pour l’heure l’ancien chercheur paradoxal ne commente pas l’actualité médiatique et la prochaine révision de la loi de bioéthique qui devrait (si rien ne change) bouleverser la donne français en dépénalisant la pratique de la « PMA pour toutes ». C’est que, pour Testart, « il y a des questions infiniment plus graves et dont personne ne parle. Pas même ceux qui sont censés voter la loi ! Or l’eugénisme s’affirme comme projet de société. C’est ça dont il faudrait parler aujourd’hui. »
« Eugénisme » ?
« La volonté de constituer une espèce humaine de meilleure qualité, plus performante, plus compétitive… C’est le transhumanisme, finalement ! Le but de la médecine serait d’avoir des individus en bonne santé mais elle augmente sans cesse le nombre de ses clients en identifiant des malades qui s’ignoraient et en élevant la barre du « normal ». Si l’on ne fixe pas de limites, cela peut conduire à l’eugénisme. En Europe, on n’ose pas en parler parce que ça rappelle le nazisme. Alors nous évitons le débat. Sauf que, dans la pratique du tri des embryons, il est bien question de mettre en compétition les individus qui vont survivre selon des critères de plus en plus exigeants.
« Voilà trente ans que j’alerte et que je préviens. Hélas, je suis bien obligé de vous dire que cela n’a absolument rien changé. J’ai parlé devant des députés, des sénateurs, le Conseil d’État… Les décideurs m’interrogent chaque fois que l’on veut changer une loi. Je leur sers toujours la même rengaine : le gros problème, c’est l’eugénisme. J’explique, ils acquiescent. Me disent que j’ai raison. Et tout se poursuit sans embûches. »
Le dernier avis (n°129) du Comité national d’éthique ?
« Le CCNE franchit cette fois-ci des pas énormes, sans que rien n’ait été discuté dans les états généraux de la bioéthique. Les députés vont se retrouver avec cet avis qui est le même que celui du comité d’éthique de l’Inserm ou de l’Académie de médecine. Ils sont tous d’accord et ils poussent sans que personne ne réagisse.
« L’avis préconise de libéraliser encore un peu plus la recherche sur les embryons, en supprimant la nécessité d’une finalité médicale. Maintenant, ce pourrait être pour des enjeux économiques, par exemple ; l’humain devient matière première. On pourrait établir des gestations chez l’animal avec des chimères humain-animal…
« Mais il y a aussi l’élargissement du recours au diagnostic préimplantatoire, au diagnostic pré-conceptionnel ainsi qu’au diagnostic génétique à généraliser dans la population totale. Il est clairement question de tri d’embryons pour ne garder que les plus performants. Cela mériterait au minimum de longues discussions, or il n’y en a aucune, pas même dans les médias. Nous sommes en train de laisser passer des choses gravissimes. »
Mais encore ?
« À la page 64 de l’’’Avis 129’’ du CCNE, il est écrit : ‘’La médecine génomique et les examens génétiques permettent de réduire l’incidence de certaines maladies génétiques graves et ouvrent de nouvelles pistes pour des prises en charge adaptées pour les patients.’’ C’est absolument faux. Cela ne permet pas de réduire l’incidence sauf si l’on interdisait la procréation des couples découverts ‘’ à risque’’, et cela n’ouvre pas de nouvelles pistes puisque, en général, il n’y a pas de traitement. Les embryons sont triés, c’est tout. Ils affirment des choses fausses. Avec l’assurance que leur donne une expertise supposée être la meilleure. »
Désespéré ?
« C’est un peu désespérant, à vrai dire. J’avais essayé de prévenir en 1986, avant même l’invention du diagnostic préimplantatoire (DPI, en 1990). Je pressentais que ça déraperait très rapidement et qu’il n’y avait pas de limites possibles. Si l’on arrive à obtenir – par de nouvelles technologies – de nombreux embryons dans les années à venir, des centaines éventuellement, on pourra alors détecter des centaines ou des milliers de supposées pathologies et c’est un véritable système de tri eugénique qui nous guette, d’autant que les servitudes de la fécondation in vitro seraient alors épargnées aux patientes.
« J’étais donc contre, mais quand le DPI a été légalisé en 1994, j’ai cherché des limites possibles. Et j’en ai trouvé une qui vaut ce qu’elle vaut : limiter le diagnostic à une pathologie ‘’particulièrement grave et incurable’’ par couple. Ça n’a jamais été repris, ni par mes collègues ni par les politiques, alors que c’était la seule façon d’éviter l’élargissement sans limites du DPI, même s’il demeure intrinsèquement eugénique. »
Transhumanisme, nouvelle rupture du XXIème siècle ?
« C’est une rupture définitive. Certains proposent, d’autres acceptent et les gens finissent par s’habituer, voire demander. Regardez le nombre de gens prêts à porter des bracelets pour savoir le nombre de pas, de battements cardiaques, le poids… Les techniques sont encore rudimentaires, mais l’habitude est là et la prise en compte du corps est incroyablement présente. Ils veulent absolument survivre, c’est tout. Comment imaginer un retour en arrière ? Les gadgets vont peu à peu s’introduire dans nos vies puis dans nos corps, sans que personne ne résiste. »
Plus généralement Testart observe l’avancée à marche forcée vers la « libéralisation ». « Personne ne propose jamais d’interdire ce qui était autorisé, dit-il. Pour compenser, on parle d’encadrer les pratiques, on confie la gestion des limites à des autorités qui seraient par principe non critiquables. Le Comité consultatif national d’éthique ou l’Agence de la biomédecine, par exemple. Mais cette dernière est au service de la science elle aussi, et se laisse donc griser par les ‘’progrès’’ de la médecine ! ». Sans parler de l’Académie de médecine : « la plupart des médecins qui en font partie ne sont pas compétents sur ces sujets précis, on peut leur raconter ce que l’on veut au nom des progrès de la science et du bien de l’humanité. Qui voudrait s’y opposer ? Personne. Il n’y a donc aucun contre-pouvoir dans ce domaine et quelques rares experts ont les coudées franches. »
Valeurs Actuelles lui demande alors s’il est ou non possible d’imaginer une autre raison de vivre que cette fascination pour tant et tant de dérives.
« Très honnêtement, je pense que c’est perdu tant que ce système attire et fascine. Parce que sa ‘’religion’’ est cohérente : elle est celle de la croissance économique, de l’amélioration des capacités humaines, de la toute-puissance d’Internet, de la compétition généralisée… Puisqu’on ne peut interdire, qu’il semble impossible de limiter en raison de comités cautions, de la pression internationale ou du tourisme médical, il faut donc espérer que les gens n’en veuillent plus. Il faut générer une autre attirance, comme ce que faisait la religion dans la société, avant. »
Etait-ce « mieux avant », avec le Vatican ? Sera-ce pire plus tard, sans ?
A demain
@jynau