Elargir le champ du diagnostic pré-implantatoire ouvre-t-il la porte au nouvel eugénisme ?

Bonjour

27/07/2020. Où l’on évoque à nouveau, sous couvert de bioéthique, le spectre de l’eugénisme. Et ce au travers d’une équation exemplaire. Ce sont deux tribunes jumelles et militantes à ne pas manquer. La première est publiée par Le Monde elle est signée de quatre rapporteurs de la loi de bioéthique 1. Ils défendent l’extension du diagnostic préimplantatoire (DPI) à la recherche d’anomalie du nombre de chromosomes. Même propos dans Libération 2. Accusée (notamment) de vouloir éradiquer la trisomie 21, cette mesure permettrait (avec le consentement des parents) de réduire le nombre des fausses couches chez les femmes ayant recours à la PMA. Eléments de la controverse qui renaît avec le retour à l’Assemblée nationale, lundi 27 juillet, pour une deuxième lecture du projet de révision de la loi bioéthique.  

Contexte. Le DPI est pratiqué dans cinq centres en France depuis 1999. Il est proposé aux quelques centaines de couples connus pour être à risque de transmettre à leur enfant une maladie génétique d’une particulière gravité au moment où la démarche de PMA est lancée. L’intérêt de cette technique est de pouvoir réaliser un diagnostic génétique sur un embryon – obtenu par fécondation in vitro – avant qu’il ne soit porté par la femme. Le couple peut alors débuter une grossesse avec un embryon non atteint par la maladie suspectée.

« Mais, tel que pratiqué actuellement, le DPI ne vérifie pas si l’embryon a le bon nombre de chromosomes, ajoutent les auteurs des tribunes. Or, comme dans le cas d’une fécondation normale, une partie importante des embryons obtenus par fécondation in vitro (FIV) est aneuploïde, conduisant dans la quasi-totalité des cas à une fausse couche et expliquant une partie des échecs des FIV. C’est sur ce point que nous souhaitons agir. »

« Polémique gonflée d’accusations aussi outrancières qu’erronées » 

Ils ajoutent que parmi les mesures adoptées récemment en commission, une disposition, que nous soutenons, est « au centre d’une polémique gonflée d’accusations aussi outrancières qu’erronées ». Il s’agit de l’extension du diagnostic préimplantatoire, ou DPI, à la recherche d’aneuploïdie, ou anomalie du nombre de chromosomes, ici limitée aux chromosomes non sexuels. C’est ce que l’on nomme, dans le jargon, le « DPI-A ».

Selon eux compléter le DPI par une recherche d’aneuploïdie permettrait, simplement, de vérifier si l’embryon qui fait l’objet d’un DPI a le bon nombre de chromosomes afin d’accroître les chances d’implanter un embryon viable. Associer, en somme, un « DPI-A » à un DPI avec le consentement des deux parents – et ce en limitant le « DPI-A » aux autosomes (les chromosomes non sexuels) « afin d’éviter tout risque de discrimination basée sur le sexe et d’écarter la recherche des syndromes de Turner et de Klinefelter, qui peuvent faire l’objet d’un traitement ».

Cette extension ne s’appliquerait qu’aux DPI existants (environ 4 % des FIV), afin qu’aucun acte supplémentaire ne soit réalisé sur l’embryon. Il rendrait plus sûresles grossesses déjà considérées à risque et objet d’un parcours particulièrement difficile car recourant à un DPI. Il s’agit donc bien d’utiliser les possibilités ouvertes par le progrès scientifique pour éviter aux femmes qui recourent à une FIV avec DPI un parcours du combattant.

Mais le sujet est hautement sensible. « Ainsi, c’est avec effarement, stupéfaction et tristesse que nous avons pris acte des procès en eugénisme 3 accusations de vouloir éradiquer la trisomie 21 et autres mésinterprétations qui circulent d’Internet à l’Hémicycle. L’origine du malentendu est la suivante : dans une part infime des cas, une mauvaise numération des chromosomes n’aboutit pas à une fausse couche, mais à une trisomie 21. Le DPI-A permettrait alors à la future mère de disposer de cette information et de décider d’implanter, ou non, l’embryon avec trisomie 21.

De quelle « hauteur » parlent les auteurs ?

Or aujourd’hui, cette information est disponible après l’implantation. Une femme a, en effet, droit à un diagnostic non invasif de la trisomie 21 en début de grossesse par un prélèvement sanguin. En cas de suspicion, une amniocentèse peut alors être conduite. Celle-ci ouvre la possibilité d’un avortement thérapeutique, qui pourrait être évité si l’information était transmise au bon moment, soit pendant le DPI….

« L’argument de l’eugénisme, brandi comme un épouvantail, ne peut ici que choquer, tant les mots ont un sens, écrivent es deux auteures de Libé.  L’eugénisme d’hier était collectif et coer­citif, reposant sur un désir de purification ou d’amélioration de la race humaine qui ont justifié des politiques raciales, autoritaires et meurtrières. Est aujourd’hui invoqué un ‘’nouvel eugénisme’’, décrit comme plus individuel et libéral, lié à une génétique médicale moderne. » Faudrait-il s’en étonner ?

« En la matière, ce spectre de la sélection, visant, pour faire court, un enfant parfait alliant beauté, intelligence, santé et longévité, n’a aucun sens, ajoutent-elles. Le DPI-A n’est là ni pour sélectionner les ‘’meilleurs’’ ni pour éliminer les plus ‘’mauvais’’ embryons. » En est-on si certain ? Certes son rôle premier est d’éviter de transférer des ­embryons qui ne se développeront pas jusqu’à un terme viable. D’éviter aux femmes, aux couples, la violence d’échecs à répétition liés à une anomalie chromosomique, dans un parcours d’assistance médicale à la procréation long et douloureux.

Et son rôle second est bien de mettre en évidence des anomalies, qui sont de toute façon recherchées en début de grossesse par le diagnostic prénatal ­légal, autorisé et organisé. Reste, néanmoins, cette hantise récurrente d’un « Meilleur des Mondes » (1931) dont nous n’aurions jamais été aussi prêt – comme en témoignent nombre d’exemples étrangers… « Sur un sujet aussi sérieux et lourd de conséquences, le niveau du débat parlementaire doit maintenant être à la hauteur » font valoir les auteures. De quelle « hauteur » parlent-elles ?

A demain @jynau

1 Philippe Berta, député (MoDem) du Gard, rapporteur du projet de loi bioéthique ; Coralie Dubost, députée (LRM) de l’Hérault, rapporteure du projet de loi bioéthique ; Hervé Saulignac, député (PS) de l’Ardèche, rapporteur du projet de loi bioéthique ; Jean-Louis Touraine, député (LRM) du Rhône, rapporteur du projet de loi bioéthique.

2 Loi bioéthique : examiner le statut génétique de l’embryon n’est pas de l’eugénisme. Par Catherine Rongières Cheffe du service clinico-biologique d’assistance médicale à la procréation CHRU Strasbourg  et Estelle Naudin Professeure à la Faculté de droit de Strasbourg. Libération, 23/07/2020

3 En janvier dernier le Sénat à majorité de droite s’était opposé à l’expérimentation d’un dépistage préimplantatoire recherchant des anomalies chromosomiques qualifiée de « démarche d’eugénisme » par le chef de file des sénateurs Les Républicains (LR) Bruno Retailleau. Et le Sénat de supprimer cette disposition par 181 voix contre 123. « Très clairement, on est dans une démarche d’eugénisme : il s’agit de trier les embryons et d’éliminer ceux qui ne sont pas normaux », a déclaré M. Retailleau, faisant en particulier référence à la trisomie 21. 

« Ne cherchons pas, au nom de ce que permet la science, à uniformiser ce que sera la société demain », a appuyé Cécile Cukierman, du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE, à majorité communiste). Pour sa part la ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn, avait affirmé que l’efficacité de cette technique est « loin d’être démontrée ». « Le temps est encore à la recherche », avait-elle ajouté.

Pourquoi il nous faut saluer la loi pro-PMA mais anti-GPA enfin votée par les députés français

Bonjour

A en croire le communiqué de presse du gouvernement ce fut comme un ravissement – « une atmosphère constructive et respectueuse des convictions de chacun ».  Des débats finalement apaisés. Et à la fin le gouvernement l’a démocratiquement emporté. Beau comme l’antique. « Le 15 octobre 2019 Agnès Buzyn, Nicole Belloubet, Frédérique Vidal et Adrien Taquet ont salué l’adoption en première lecture du projet de loi relatif à la bioéthique par l’Assemblée nationale – première étape législative vers l’adoption définitive du texte. » Le texte a été voté en première lecture par 359 voix, 114 députés ont voté contre et 72 se sont abstenus, sous des applaudissements de la majorité. Il devrait être examiné par le Sénat au premier trimestre 2020. Le gouvernement espère voir la loi promulguée avant l’été 2020.  

Les ministres des Solidarités et de la Santé, de la Justice, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et le Secrétaire d’Etat auprès de la Ministre des Solidarités et de la Santé ont défendu leur projet au cours de cent trente heures de débat parlementaire en commission spéciale et en séance publique. Victoire gouvernemental totale : les principales mesures du projet de loi ont été adoptées par l’Assemblée nationale ;  les interdits que le gouvernement avait décidé de poser sont maintenus.

Ainsi est donc adopté en première lecture, l’accès à la PMA pour les couples de femmes et les femmes non mariées « L’extension de cette procédure doit selon la formule d’Agnès Buzyn permettre d’« ouvrir les yeux sur ce qu’est la famille française contemporaine » (sic). Adoptée également « la sécurisation de la filiation des enfants d’un couple de femmes, nés par PMA ». « Le besoin, pour les personnes nées de PMA avec don, d’avoir accès à l’identité du donneur de gamètes est également reconnu, souligne le gouvernement. A cet effet, la création d’une commission dédiée et d’une base de données centralisée et sécurisée, gérée par l’Agence de la Biomédecine est confirmée. » Autre mesure dans le champ de la procréation, l’autoconservation des gamètes « sans raison médicale », pour les femmes comme pour les hommes, dans des limites d’âge, est adoptée.

Le socle de l’interdit de la GPA

Ce n’est pas tout, loin s’en faut. « Parallèlement à ces avancées, et face à des pratiques qui se répandent à l’étranger, le gouvernement a tenu une ligne claire et cohérente, assure ce même gouvernement.. Le respect des principes fondateurs de notre droit bioéthique que sont le respect de la dignité humaine et la non marchandisation du corps, a conduit à réaffirmer pendant les débat l’interdiction de la gestation pour autrui. »

C’est ainsi que les tests génétiques dits « récréatifs » (re-sic) demeurent « interdits » – et ce « pour éviter toute dérive et exploitation de données personnelles très sensibles ». Plus important peut-être : il en est de même pour le diagnostic préimplantatoire des anomalies chromosomiques visant à améliorer le taux de succès des fécondations in vitro. « C’est par la recherche que ce taux de succès pourra être amélioré, estime le gouvernement. Enfin, les valeurs éthiques françaises sur la scène de la recherche internationale sont à nouveau affirmées par le maintien intangible de l’interdiction de créer des embryons à des fins de recherche et l’interdiction de modifier le patrimoine génétique d’un embryon destiné à naître. »

Où l’on perçoit ainsi, bien au-delà de la « PMA », la volonté gouvernementale de faire que la France demeure une exception dans le vaste monde de plus en plus ouvert à la marchandisation des éléments du corps humain – de plus en plus demandeur d’un nouvel eugénisme, démocratique. Un monde transhumanisé. De ce point de vue le maintien de la condamnation solennelle de la GPA (réaffirmée par le gouvernement contre l’avis de quelques députés de son camp) constitue un socle éthique et démocratique essentiel. Question: pour combien de temps ?

A demain @jynau

PS A lire, dans Politis (n°1570), de Jacques Testart :  « Lois de bioéthique : la griserie technophile »

« L’embryon humain est un sujet inflammable ». Qui mettra le feu au sujet de l’eugénisme ?

Bonjour

Depuis plus d’un quart de siècle, à échéance régulière on le retrouve dans les médias ou dans les couloirs des ministères : René Frydman, « grand spécialiste de la médecine de la reproduction, – en 1982 a donné naissance à Amandine, le premier bébé-­éprouvette français – fin connaisseur de la législation bioéthique ». Hier il était il est présent dans Le Journal du Dimanche (Anne-Laure Barret) : « L’obstétricien René Frydman sur la PMA : « C’est à l’humanité, et non à Dieu, de fixer les limites » » (sic).

Sans surprise le demi-père d’Amandine se félicite de l’ouverture de la PMA « aux célibataires et aux lesbiennes » (au nom du « progrès des droits des femmes »). Et à nouveau il  réclame, comme depuis des années l’autorisation d’un dépistage ADN dans certains cas de fécondation in vitro ». Extraits de l’entretien 

« Les anti-PMA craignent que le désir humain n’ait plus de bornes. Êtes-vous « no limit »?
Pas du tout : je suis contre la GPA, une aliénation de la femme ! Mais je pense qu’il faut laisser à l’humanité – et non à Dieu! – le soin de fixer les limites. A mon sens, tout ce qui concerne le don mérite réflexion car un tiers entre dans l’histoire. Ça vaut pour les couples hétérosexuels comme pour ceux de femmes. Un temps de recul est nécessaire ; chacun doit se retourner sur son passé, réfléchir à la notion de secret, de génétique. En Belgique, 15 à 20% des couples qui demandent à bénéficier d’un don se voient opposer un refus. La médecine n’est pas un bouton sur lequel on appuie. Le texte législatif prévoit qu’une équipe pluridisciplinaire puisse motiver un éventuel refus, quel que soit le type de couple concerné (…) »

Qui, de René Frydman et d’Agnès Buzyn ?

On en vient à la question de « la possibilité de dépister l’embryon ». « Le gouvernement s’y oppose en parlant d’eugénisme, précise le JDD. «Quelles sont les maladies que l’on ne souhaite plus voir vivre? C’est une dérive eugénique claire», s’est insurgée Agnès Buzyn au sujet d’un amendement MoDem qui visait à élargir le diagnostic préimplantatoire (DPI) aux anomalies chromosomiques (Le Figaro Agnès Leclair). René Frydman, pour qui « l’embryon est un sujet inflammable » 1 :

« Le point clé, c’est que l’espèce humaine n’est pas une très bonne reproductrice ; 60% des embryons ne donnent jamais de bébés. Dans certains cas, chez des femmes âgées de plus de 35 ans, une analyse génétique serait utile. L’idée n’est pas de tout passer au crible mais de traquer les anomalies chromosomiques afin d’éviter de transférer des embryons qui n’ont aucune chance de ­donner une grossesse mais aussi des fausses couches à répétition et des traitements lourds chez des femmes qui ne pourront pas tomber enceintes. Ceux qui parlent d’eugénisme, en pensant à la ­trisomie 21, ne sont pas opposés au dépistage ADN pratiqué au moyen d’une prise de sang au début de la grossesse. C’est absurde. Pourquoi préfère-t-on que des femmes souffrent, alors que l’on sait prévenir ces souffrances? »

Le DPI et l’embryon : ne faudrait-il pas voir en lui le grand sujet politique, plus politique encore que la « PMA pour toutes » ?

« L’embryon est au cœur d’une certaine idéologie religieuse, estime René Frydman. C’est un sujet inflammable. Notre pays est le seul à avoir une succession de lois bioéthiques qui deviennent très politiques : des alliances de circonstance se nouent à chaque fois. Ailleurs, on fait des réglementations et on les évalue. Je propose d’expérimenter ce dépistage pendant trois ans. Dans certaines ­circonstances, avec déclaration officielle à l’Agence de biomédecine. On sait déterminer le sexe d’un fœtus à la huitième semaine par simple prise de sang depuis des années mais personne ne s’est mis à le faire. Les médecins ont une éthique. »

Une « éthique » ? Sans aucun doute, mais une éthique hautement relative qui varie ce que le législatif autorise, laisse faire ou interdit. René Frydma le reconnaît lui-même qui estime qu’il y a « beaucoup d’excès », à l’étranger, dans le domaine de la marchandisation de de la PMA et des éléments du corps humain. « En Espagne, dit-il, les prix s’envolent avec des promotions pour les FIV comme au superamrché ou des quasi-ventes forcées d’examens génétiques inutiles ». Mais ici, doit dire ce qui est utile et ce qui ne l’est pas ?

Qui, de René Frydman ou d’Agnès Buzyn doit tracer la frontière entre ce qui est du ressort de l’eugénisme et ce qui ne l’est pas. La porte, ici, a été entrouverte avec la légalisation du DPI. Un quart de siècle plus tard la question se pose, comme on pouvait aisément le prévoir.  Elle se reposera. L’embryon est un sujet inflammable.

A demain @jynau

1 « Inflammable » : Qui est susceptible de prendre feu et qui brûle en produisant une flamme. − P. métaph. Nous, nous avons eu jadis le gnome à l’orgueil monstrueux qui (…) accumulait les papiers inflammables pour allumer un jour le feu de la guerre (Jaurès, Eur. incert.,1914, p. 388).

Le terme (effet du réchauffement planétaire ?) est à la mode. Ainsi, dans Le Monde (Solène Cordier)  peut-on lire : « Attention, sujet à potentiel inflammable. Faut-il ou non accompagner sur le plan médical les femmes célibataires qui veulent avoir un enfant toutes seules, en leur permettant d’accéder, comme les couples hétérosexuels infertiles, aux techniques de procréation médicalement assistée ? C’est ce que prévoit l’article premier du projet de loi sur la bioéthique, qui sera débattu à l’Assemblée à partir de mardi 24 septembre.  »

Polémique eugéniste : de quel droit nous interdire de connaître nos gènes et notre avenir?

Bonjour

C’est aujourd’hui une question majeure de bioéthique politique. Une question rarement traitée dans les médias généralistes français – et un sujet qui passe à l’as dans le projet de loi bioéthique. L’affaire est opportunément rappelée aujourd’hui par Le Parisien/Aujourd’hui en France (Florence Méréo: « Maladie, faut-il miser sur la médecine prédictive ? ». Avec, coïncidence, la sortie du « livre-plaidoyer » 1 du Pr Pascal Pujol, 55 ans, spécialiste d’oncogénétique au CHU de Montpellier.

Le Pr Pujol est par ailleurs président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP). Il s’agit ici d’une forme de lobby créé en 2014 « pour répondre à des questions médicales et transversales dans le contexte d’une médecine prédictive et personnalisée en plein essor ». La volonté de la SFMPP est de répondre de façon multidisciplinaire et sociétale aux questions que pose cette nouvelle approche de la médecine en intégrant les dimensions éthiques et économiques. La SFMPP a notamment pris position sur le dépistage prénatal non invasif de la trisomie 21 en 2016, l’extension des indications d’analyse BRCA1 et BRCA2, l’utilisation des signatures génomiques et a élaboré des recommandations cliniques pour les données secondaires du génome.

Dans son ouvrage l’oncogénéticien « appelle à un élargissement des tests génétiques aux adultes qui le demandent ». Et plus particulièrement aux futurs parents afin de rechercher des gènes responsables de maladies graves pour leurs futurs enfants (dépistage préconceptionnel). « Mais voilà, alors qu’elles faisaient partie du débat initial, ces applications ont disparu des travaux actuels de révision des lois de bioéthique » précise Le Parisien. . « Catastrophique et ridicule, tranche Jean-Louis Mandel, 73 ans, généticien de renom et professeur honoraire au Collège de France. Il y a une évidente perte de chance de mise en place d’actions préventives pour des patients. Je pense aux femmes porteuses de BRCA qui ne sont pas détectées parce que leurs antécédents familiaux ne les y autorisent pas. »

Qu’en pense Agnès Buzyn, elle dont le passé médical et le fonctions passées et présentes font qu’elle ne peut pas ne pas avoir un avis argumenté ? Silence total. « Prudence et réserve, tempère de son côté le ministère de la Santé, confie Le Parisien. ‘’Les risques et inconvénients d’un tel élargissement seraient plus grands que les avantages supposés’’, nous confie-t-il, arguant les répercussions immanquables sur ceux qui ont recours aux tests. Cela peut générer par exemple l’angoisse d’une maladie qui ne se déclarera jamais la consommation de soins inutiles ou encore des comportements ou choix de vie que la personne s’imposera à tort ». Ce qui mériterait, face aux Prs Mandel et Pujol, de plus amples explications.  

Pascal Pujol : « Après avoir été en avance, nous nous sommes fait doubler ces cinq dernières années. L’Europe du nord, la Hollande, la Chine ont véritablement mis en place leurs plans gouvernementaux pour une politique de santé avec la génétique. Nous avons le nôtre : France Médecine Génomique 2025, qui doit nous permettre d’étudier le génome dans sa globalité. Un outil formidable… qui a un train de retard à l’allumage. Il a été lancé il y a quatre ans mais n’est pas opérationnel. Pendant ce temps, les Anglais ont passé la barre des 120 000 personnes séquencées.

Les dépistages préconceptionnels consistent à détecter, chez des parents sains, un risque pour leurs enfants de développer des maladies génétiques terribles comme la mucoviscidose ou l’amyotrophie spinale. Mais aujourd’hui, alors que dans neuf cas sur dix il n’y a pas d’antécédents, seuls les couples ayant déjà eu un premier enfant atteint par une pathologie ont le droit d’y avoir accès. Ce n’est ni satisfaisant, ni éthique. Alors qu’en septembre, le Comité d’éthique s’était prononcé pour l’élargissement de ces tests, le projet de loi de bioéthique ne l’a pas retenu 2. Je le regrette car le progrès médical est réel.

Le coût des tests n’est pas comparable au coût de la prise en charge de ces maladies par la société. Certes, des dérives sont possibles mais il y aura toujours des garde-fous et je crois en la raison des hommes. La vraie question est : le patient veut-il savoir ? Cette liberté doit primer. Si tel est le cas, nous devons l’accompagner au mieux. L’enjeu est bien d’améliorer sa santé. »

Jean-Louis Mandel : « Je ne comprends pas pourquoi nous freinons à ce point. Sur le préconceptionnel, il y a, selon moi, une peur d’être taxés d’eugénistes, alors que ce n’est ni plus, ni moins, que le même principe que le dépistage de la trisomie 21. »

Précisément. Où l’on en revient au concept de pente glissante – et à celui d’ « eugénisme mou » développé par un Jacques Testart que personne ne veut entendre dans le champ de l’exécutif et du législatif.

A demain @jynau

1 Pujol P, Peylet B (avec) «Voulez-vous savoir ? Ce que nos gènes disent de notre santé » Humensciences. 184 p. 20 €.

« Nos prédispositions génétiques touchent le cancer comme les maladies cardiaques ou certaines pathologies rares que l’on peut transmettre à ses enfants sans en être atteint soi-même. Les progrès de la génétique permettent aujourd’hui de prédire un nombre croissant de ces maladies afin de mieux les soigner en les dépistant plus tôt, voire de les éviter. En parallèle, l’avènement d’une médecine de précision basée sur la génomique offre des traitements « personnalisés » qui transforment des chances de rémission faibles en guérison pour la plupart des malade : Des chimiothérapies peuvent être évitées.

« Mais pour les maladies qui restent sans solution pour l’instant, la seule option est celle du diagnostic avant la naissance. Jusqu’où faut-il aller ? Que dire à cette jeune femme porteuse d’un gène héréditaire de cancer du sein ? Et à ce couple de non-voyants qui demande un diagnostic prénatal parce qu’ils veulent « un enfant qui voit » ? Eugénisme ? Faut-il étendre les tests génétiques à la population générale ? Quelle est la pertinence des tests commerciaux ? Et d’ailleurs, à qui appartiennent nos données génétiques ? Pour aider à répondre à ces questions, l’auteur, professeur de médecine, nous amène dans ses consultations et nous fait vivre les situations auxquelles il est quotidiennement confronté. La médecine vit une révolution et cela nous concerne tous »

2 Nous y reviendrons sous peu.

Démontré: le sperme humain congelé peut se rapprocher des frontières de l’éternité. Et après ?

Bonjour

Aux grands froids la PMA éternellement reconnaissante. Ce sont des données qui ont été présentées lors de la 35ème réunion annuelle de l’European Society of Human Reproduction and Embryology organisée à Vienne : « Long duration of sperm freezing makes no difference to live birth rates in large sperm bank study ».  Un travail présenté par le Dr Chuan Huang (Changsa-Hunan Sperm Bank, China). Des données reprise par la rédaction de santelog.com. Des données qui peuvent donner le vertige.

Où il apparaît que la durée du stockage par congélation du sperme humain ne semble pas affecter les taux de succès des FIV ; une conclusion tirée de l’analyse rétrospective de 119.558 échantillons de sperme de donneurs de la banque de sperme de Hunan. Pour cette analyse, les échantillons ont été répartis en trois  groupes : ceux conservés dans un cryostockage de six mois à cinq ans ; de six à dix ans ans ; de onze à quinze ans.

Conclusions : le taux de survie des spermatozoïdes congelés, après la décongélation, diminue au cours de la période d’étude de quinze ans, passant de 85% à 74% ; cette baisse n’a toutefois que peu d’effet sur le taux de grossesse et de natalité chez les femmes qui utilisent ces échantillons, avec des taux cumulés de naissances vivantes de 82,17%, 80,21% et 80,00% respectivement dans les trois groupes.

Précision : ces taux de réussite élevés ont été atteints avec du sperme de « donneur sélectionné », c’est-à-dire des donneurs évalués en bonne santé par examens physiques et psychologiques et exempts d’antécédents familiaux de maladie génétique.

 Ainsi donc le stockage du sperme chinois « à long terme ne semble » pas affecter les taux de natalité. Or de nombreuses autorités sanitaires ont fixé à dix ans le délai de conservation du sperme (et des ovocytes) -exceptions faites de certaines raisons médicales (comme la préservation de la fertilité avant traitement stérilisant). La littérature ne fournit cependant aucune donnée claire pour justifier cette limite de délais ; seule explication :  la crainte que les spermatozoïdes puissent subir des altérations génétiques dont la fréquence serait allée en augmentant avec le temps.

Pourquoi faudrait-il, ici, appliquer aveuglément un principe de précaution qui n’a pas de raison d’être ? A fortiori en situation de pénurie. On observera qu’en Chine il n’existe pas de limite de durée de stockage du sperme. Ce n’est là que l’une des questions soulevée par ces données. D’autres surgissent et surgiront dès lors que, parallèlement au réchauffement climatique, on prendra toute la mesure de ce que peuvent fournir les grands froids dans la conservation des cellules sexuelles de l’espèce humaine.

A demain @jynau

Ovocytes altruistes : 1000 euros pour une Espagnole. Combien, demain, pour une Française ?

Bonjour

Capitalisme et procréation. Commerce, altruisme et empathie. Dans la vieille Europe un traitement de l’infertilité féminine par « don d’ovocytes » sur deux s’effectuerait en Espagne – secteur privé. Pourquoi un tel héliotropisme ? « Ce phénomène s’explique par la culture qui fait notamment de ce pays le premier donneur d’organes à l’échelle européenne et mondiale. Et ce depuis 26 ans » explique la firme IVI 1. Qui ajoute aussitôt qu’une autre explication réside dans « une législation adaptée ».

Et IVI d’ajouter « qu’elle met en place un véritable protocole afin d’accompagner les donneurs dans leur démarche et pour évaluer également leur capacité psychique ». Ce qui ne va pas sans quelques explications destinées à la clientèle potentielle française (nous surlignons) :

« 1 La loi espagnole sur les Techniques de Procréation Humaine Assistée (LTRHA) définit le don d’ovocytes (et au sens plus large de gamètes) comme un acte altruiste et anonyme. Du fait de la législation et des valeurs d’empathie et de solidarité qu’elles portent, les femmes espagnoles « donnent ainsi plus volontiers leurs ovocytes » (sic).

« 2 Chez IVI, de nombreux contrôles – gynécologiques, génétiques et psychologiques – sont effectués afin de déterminer l’aptitude de ces femmes à donner leurs ovocytes. En pratique un premier rendez-vous pour s’informer et donner son consentement Pour recevoir les donneurs et les donneuses, IVI dispose de cliniques spécialisées où sont reçues les patientes qui viennent suivre leur traitement PMA. Avec ce dispositif, IVI conserve et respecte leur anonymat. Le premier rendez-vous se fait avec une infirmière afin d’éclairer les donneuses sur les modalités et la technique de don. Infirmière et donneuse retracent ensemble les antécédents médicaux et l’historique de la patiente en vue de la suite du processus.

« 3 A l’issue du premier rendez-vous, les donneuses détiennent toutes les informations nécessaires sur le don. Si elles souhaitent poursuivre le traitement – comme 67% de femmes – elles sont orientées vers un médecin gynécologue pour une seconde consultation afin de procéder à un examen médical plus approfondi : analyse gynécologique, analyse cytologique, prise de sang pour un hémogramme et sérologie.

« 4 Chez IVI, les donneuses sont par ailleurs soumises au Test de Compatibilité génétique afin de détecter les facteurs de risque de transmission d’une anomalie génétique à l’enfant. En soumettant l’ensemble des donneurs à cette analyse du caryotype, IVI fait en sorte que les naissances issues du don soient saines (re-sic). Ce test réduit considérablement le risque théorique d’avoir un enfant atteint d’une maladie génétique – de 1 chance sur 100 à 1 chance sur 30 000 environ. Les maladies génétiques ne peuvent pas être guéries mais peuvent être évitées grâce au TCG effectué dans l’ensemble des cliniques IVI. Cette analyse permet de détecter jusqu’à 600 maladies.

« 5 Un entretien avec un psychologue. La Société Espagnole de Fertilité (SEF) a reconnu la nécessité d’une évaluation psychologique des donneurs pour minimiser la transmission de la psychopathologie à la progéniture (re-re-sic) et pour garantir le bon déroulement du protocole de donation. IVI fait appel au Groupe d’Intérêt de Psychologie de la SEF pour évaluer l’équilibre psychique des donneuses. Au cours de la consultation avec le psychologue, l’histoire de vie de la donneuse est analysée afin d’identifier les éventuels troubles mentaux, connaître les motivations du don, la stabilité émotionnelle de la patiente... « Il est important et rassurant pour nos patientes et futurs parents de savoir que l’ensemble des donneurs sont traités avec équité selon un processus de sélection rigoureux et éthique 2. Du point de vue des donneurs, il est fondamental pour eux d’avoir un rendez-vous avec un profesionnel qui les comprend, leur donne toutes les informations sur le traitement et leur parle d’expériences passées » explique le Dr Diana Santa Cruz, psychologue à IVI Madrid. A l’issue de l’examen, si le psychologue déclare la donneuse apte, le traitement peut débuter avec une phase de stimulation des ovaires qui précède le prélèvement des ovocytes, réalisé dans les cliniques IVI dédiées.

« 6 IVI dédommage les donneuses à hauteur de 1 000€ par don. Il s’agit de la moyenne pour l’ensemble des cliniques en Espagne.  Ce dédommagement – prévu dans l’article de la loi sur la reproduction – prend en compte les dérangements physiques (stimulation ovarienne), les dépenses liées aux déplacements à la clinique et la présence à la clinique pour la ponction. »

En France le don d’ovocytes est « anonyme, bénévole et gratuit ». Corollaire ou pas le pays est confronté à une situation de grande pénurie. Un sujet qui sera abordé prochainement au Parlement lors de la révision de la loi de bioéthique. On peut raisonnablement s’attentre à des amendements prônant la nécessité d’un « dédommagement ». Où l’on verra s’entrouvrir la porte de la commercialisation des gamètes suivie, après-demain, de celle de la commercialisation du corps humain.

A demain @jynau

1 IVI  se présente ainsi : fondée en 1990, c’est la première institution médicale en Espagne entièrement dédiée à la reproduction assistée. Depuis cette date, IVI a contribué à la naissance de plus de 160.000 enfants grâce à la mise en œuvre des méthodes de reproduction assistée les plus innovantes. Début 2017, IVI a fusionné avec RMANJ, devenant ainsi le plus grand groupe de reproduction assistée au monde et le leader en médecine reproductive avec plus de 65 cliniques dans 11 pays.

2 IVI précise : « De nombreuses femmes qui font appel à un traitement de reproduction assistée avec don d’ovocytes nous font part de leur anxiété et préoccupation pour que leur bébé leur ressemble. Dans le but d’offrir plus de sécurité et confiance à nos patientes, IVI met à sa disposition la technologie Perfect Match 360°. Ce programme exclusif nous permet de garantir non seulement la compatibilité entre donneuse et patiente, mais aussi d’assurer la plus forte ressemblance physique et biométrique, grâce à l’utilisation de la dernière technologie de reconnaissance faciale. 

« IVI dispose de IVI Biometric Scan, une technologie de pointe permettant mesurer les distances biométriques des donneuses afin d’offrir aux patientes un choix ajusté, non seulement dans les critères cliniques et phénotypiques comme c’est le cas actuel dans la plupart des centres de procréation assistée, mais aussi dans l’étude de la ressemblance faciale. iometric Scan se sert d’un logiciel basé sur un système de ressemblance faciale 3D reposant sur des algorithmes qui transforment une image du visage en une formule mathématique représentée par 100 points faciaux et les distances entre ceux-ci afin de déterminer le degré de ressemblance entre donneuse et patiente. Une fois les résultats obtenus, nous choisissons finalement la donneuse la plus ressemblante.

« Pendant le processus de recherche de la donneuse la plus appropriée, nous prenons en compte des caractéristiques physiques telles que l’ethnie, la couleur des  yeux et des cheveux, la taille et la constitution. IVI dispose d’une des plus larges banques d’ovules au monde, ce qui nous permet de donner réponse à des patients phénotypiquement différents. En plus, nous prenons en considération d’autres facteurs tels que la compatibilité du Rh et le groupe sanguin. »

Transhumanisme: le vrai-faux moratoire contre les futurs humains génétiquement modifiés

Bonjour

C’est une bien étrange tribune à lire dans Nature : « Adopt a moratorium on heritable genome editing » Auteurs : Eric Lander, Françoise Baylis, Feng Zhang, Emmanuelle Charpentier, Paul Berg « and specialists from seven countries call for an international governance framework » – un goupe de dix-huit biologistes et éthiciens de sept pays (Etats-Unis et Chine pour l’essentiel) 1.

Où l’on voit qu’officiellement  les signataires appellent à un « moratoire » sur l’utilisation clinique des nouvelles méthode d’édition/réédition  du génome sur des cellules germinales ou des embryons humains «pour produire des enfants génétiquement modifiés». On saisit d’emblée que cet appel fait suite à la récente et spectaculaire annonce, en novembre dernier, par le chercheur chinois He Jiankui, de la naissance de jumelles dont pù aurait modifié le génome afin de les rendre « protégées contre le VIH ». « Dans ce document de quatre pages, accompagné d’un éditorial, les experts exposent les raisons de leur demande et le cadre dans lequel CRISPR-cas9 devrait être utilisé, résume la Revue Médicale Suisse. Ils soulignent ne pas exclure pas définitivement l’utilisation de cette technique d’édition de génomes humains mais insistent sur le fait que toute transformation des cellules germinales exige que les conséquences à long terme aient été comprises, tant pour l’individu que pour l’espèce humaine. »

Un moratoire, en somme, pour mieux « ne pas exclure définitivement ». Orwell et sa novlangue rôdent et l’on ne peut pas ne pas songer à la conférence d’Asilomar organisée en 1975, déjà, par Paul Berg.

Il est désormais pleinement établi que le Chinois He Jiankui a transgressé toutes les recommandations en matière de modification du génome humain. «Non seulement il n’était pas en mesure de prouver qu’il pouvait maîtriser les conséquences de ces modifications sur la santé de ces enfants ni que celles-ci ne seront pas délétères par la suite, mais il n’avait en plus aucune autorisation pour le faire, souligne Catherine Bourgain (Cermes 3 – Génétique humaine et statistiques, recherche participative) membre du comité d’éthique de l’Inserm (elle a signé la tribune de Nature). En l’occurrence, la modification qu’il a réalisée n’est pas celle qu’il avait prévue à l’origine, il y a eu beaucoup d’incertitudes. Sans compter que l’intérêt d’un tel acte n’est pas du tout prouvé.»

« A moins que certaines conditions ne soient remplies »

Où l’on voit que si l’intérêt de l’acte devait être prouvé les condamnations de son auteur pourraient être aussitôt effacées. Une trentaine de pays, dont la France, interdisent déjà ce type de pratiques. «Ce n’est pas le cas aux États-Unis et en Chine, explique Catherine Bourgain au Figaro (Cécile Thibert). Par “moratoire mondial”, nous ne voulons pas dire interdiction permanente, précisent les signataires. Cela signifie plutôt que nous demandons la mise en place d’un cadre international dans lequel chaque pays, tout en conservant le droit de prendre ses propres décisions, s’engagerait volontairement à interdire l’utilisation de cellules germinales génétiquement modifiées à moins que certaines conditions ne soient remplies.»

Où l’on voit, enfin, que le moratoire ne vise pas les manipulations génétiques faites dans le cadre de recherches « tant qu’elles n’aboutissent pas à une naissance ». Et loin d’un interdiction définitive des humains génétiquement modifiés les auteurs réclament l’interdiction « temporaire » (cinq ans, par exemple) de ces modifications génétiques – sans oublier la mise en place d’une « institution internationale » dont l’objectif serait de vérifier la pertinence des décisions prises par les pays. «On touche à la création d’êtres humains, à la notion même d’humanité, fait valoir Catherine Bourgain. Cela pose des questions qui concernent tout le monde. Le débat doit avoir lieu de façon large et ouverte, pas seulement au sein de la communauté scientifique.»

« Les conséquences d’un acte sont incluses dans l’acte lui-même ». George Orwell est bel est bien parmi nous.

A demain

@jynau

1 Eric S. Lander is president and founding director of the Broad Institute of MIT and Harvard in Cambridge, Massachusetts, USA. Françoise Baylis is a university research professor, Dalhousie University, Halifax, Canada. Feng Zhang is a core member of the Broad Institute of MIT and Harvard. Emmanuelle Charpentier is founding and acting head of the Max Planck Unit for the Science of Pathogens in Berlin, Germany. Paul Berg is Robert W. and Vivian K. Cahill Emeritus Professor in the biochemistry department at Stanford University, Stanford, California, USA. Catherine Bourgain, Bärbel Friedrich, J. Keith Joung, Jinsong Li, David Liu, Luigi Naldini, Jing-Bao Nie, Renzong Qiu, Bettina Schoene-Seifert, Feng Shao, Sharon Terry,Wensheng Wei, Ernst-Ludwig Winnacker

De l’eugénisme et du transhumanisme: les prophéties auto-réalisatrices de Jacques Testart

Bonjour

Qui aurait pensé lire, un jour, Jacques Testart dans Valeurs actuelles (propos recueillis par Charlotte d’Ornellas) ?

Jacques Testart, 80 ans ou presque, phosphorescence intacte et un site où il guerroie contrele libéralisme économique et l’eugénisme, son allié naturel. Jacques Testart héraut solitaire d’une « science citoyenne » et allergique sinon à la « médecine » du moins à presque tous les médecins. Jacques Testart qui voit dans le Diagnostic préimplantatoire (DPI) et les Centres d’études et de conservation du sperme et des œufs humains (CECOS) la source du mal présent et à venir. Jacques Testart qui, si tout va bien, fêtera dans trois ans et avec René Frydman les quarante ans d’Amandine-premier-bébé-éprouvette-français.

Pour l’heure l’ancien chercheur paradoxal ne commente pas l’actualité médiatique et la prochaine révision de la loi de bioéthique qui devrait (si rien ne change) bouleverser la donne français en dépénalisant la pratique de la « PMA pour toutes ». C’est que, pour Testart, « il y a des questions infiniment plus graves et dont personne ne parle. Pas même ceux qui sont censés voter la loi ! Or l’eugénisme s’affirme comme projet de société. C’est ça dont il faudrait parler aujourd’hui. »

« Eugénisme » ?

« La volonté de constituer une espèce humaine de meilleure qualité, plus performante, plus compétitive… C’est le transhumanisme, finalement ! Le but de la médecine serait d’avoir des individus en bonne santé mais elle augmente sans cesse le nombre de ses clients en identifiant des malades qui s’ignoraient et en élevant la barre du « normal ». Si l’on ne fixe pas de limites, cela peut conduire à l’eugénisme. En Europe, on n’ose pas en parler parce que ça rappelle le nazisme. Alors nous évitons le débat. Sauf que, dans la pratique du tri des embryons, il est bien question de mettre en compétition les individus qui vont survivre selon des critères de plus en plus exigeants.

 « Voilà trente ans que j’alerte et que je préviens. Hélas, je suis bien obligé de vous dire que cela n’a absolument rien changé. J’ai parlé devant des députés, des sénateurs, le Conseil d’État… Les décideurs m’interrogent chaque fois que l’on veut changer une loi. Je leur sers toujours la même rengaine : le gros problème, c’est l’eugénisme. J’explique, ils acquiescent. Me disent que j’ai raison. Et tout se poursuit sans embûches. »

Le dernier avis (n°129) du Comité national d’éthique 

« Le CCNE franchit cette fois-ci des pas énormes, sans que rien n’ait été discuté dans les états généraux de la bioéthique. Les députés vont se retrouver avec cet avis qui est le même que celui du comité d’éthique de l’Inserm ou de l’Académie de médecine. Ils sont tous d’accord et ils poussent sans que personne ne réagisse.

 « L’avis préconise de libéraliser encore un peu plus la recherche sur les embryons, en supprimant la nécessité d’une finalité médicale. Maintenant, ce pourrait être pour des enjeux économiques, par exemple ; l’humain devient matière première. On pourrait établir des gestations chez l’animal avec des chimères humain-animal…

 « Mais il y a aussi l’élargissement du recours au diagnostic préimplantatoire, au diagnostic pré-conceptionnel ainsi qu’au diagnostic génétique à généraliser dans la population totale. Il est clairement question de tri d’embryons pour ne garder que les plus performants. Cela mériterait au minimum de longues discussions, or il n’y en a aucune, pas même dans les médias. Nous sommes en train de laisser passer des choses gravissimes. »

 Mais encore ?

« À la page 64 de l’’’Avis 129’’ du CCNE, il est écrit : ‘’La médecine génomique et les examens génétiques permettent de réduire l’incidence de certaines maladies génétiques graves et ouvrent de nouvelles pistes pour des prises en charge adaptées pour les patients.’’ C’est absolument faux. Cela ne permet pas de réduire l’incidence sauf si l’on interdisait la procréation des couples découverts ‘’ à risque’’, et cela n’ouvre pas de nouvelles pistes puisque, en général, il n’y a pas de traitement. Les embryons sont triés, c’est tout. Ils affirment des choses fausses. Avec l’assurance que leur donne une expertise supposée être la meilleure. »

Désespéré ?

« C’est un peu désespérant, à vrai dire. J’avais essayé de prévenir en 1986, avant même l’invention du diagnostic préimplantatoire (DPI, en 1990). Je pressentais que ça déraperait très rapidement et qu’il n’y avait pas de limites possibles. Si l’on arrive à obtenir – par de nouvelles technologies – de nombreux embryons dans les années à venir, des centaines éventuellement, on pourra alors détecter des centaines ou des milliers de supposées pathologies et c’est un véritable système de tri eugénique qui nous guette, d’autant que les servitudes de la fécondation in vitro seraient alors épargnées aux patientes.

 « J’étais donc contre, mais quand le DPI a été légalisé en 1994, j’ai cherché des limites possibles. Et j’en ai trouvé une qui vaut ce qu’elle vaut : limiter le diagnostic à une pathologie ‘’particulièrement grave et incurable’’ par couple. Ça n’a jamais été repris, ni par mes collègues ni par les politiques, alors que c’était la seule façon d’éviter l’élargissement sans limites du DPI, même s’il demeure intrinsèquement eugénique. »

 Transhumanisme, nouvelle rupture du XXIème siècle ?

 « C’est une rupture définitive. Certains proposent, d’autres acceptent et les gens finissent par s’habituer, voire demander. Regardez le nombre de gens prêts à porter des bracelets pour savoir le nombre de pas, de battements cardiaques, le poids… Les techniques sont encore rudimentaires, mais l’habitude est là et la prise en compte du corps est incroyablement présente. Ils veulent absolument survivre, c’est tout. Comment imaginer un retour en arrière ? Les gadgets vont peu à peu s’introduire dans nos vies puis dans nos corps, sans que personne ne résiste. »

 Plus généralement Testart observe l’avancée à marche forcée vers la « libéralisation ». « Personne ne propose jamais d’interdire ce qui était autorisé, dit-il. Pour compenser, on parle d’encadrer les pratiques, on confie la gestion des limites à des autorités qui seraient par principe non critiquables. Le Comité consultatif national d’éthique ou l’Agence de la biomédecine, par exemple. Mais cette dernière est au service de la science elle aussi, et se laisse donc griser par les ‘’progrès’’ de la médecine ! ». Sans parler de  l’Académie de médecine : « la plupart des médecins qui en font partie ne sont pas compétents sur ces sujets précis, on peut leur raconter ce que l’on veut au nom des progrès de la science et du bien de l’humanité. Qui voudrait s’y opposer ? Personne. Il n’y a donc aucun contre-pouvoir dans ce domaine et quelques rares experts ont les coudées franches. »

Valeurs Actuelles lui demande alors s’il est ou non possible d’imaginer une autre raison de vivre que cette fascination pour tant et tant de dérives.

« Très honnêtement, je pense que c’est perdu tant que ce système attire et fascine. Parce que sa ‘’religion’’ est cohérente : elle est celle de la croissance économique, de l’amélioration des capacités humaines, de la toute-puissance d’Internet, de la compétition généralisée… Puisqu’on ne peut interdire, qu’il semble impossible de limiter en raison de comités cautions, de la pression internationale ou du tourisme médical, il faut donc espérer que les gens n’en veuillent plus. Il faut générer une autre attirance, comme ce que faisait la religion dans la société, avant. »

 Etait-ce « mieux avant », avec le Vatican  ? Sera-ce pire plus tard, sans ?

A demain

@jynau