Bonjour
27/04/2020. Les dés sont jetés. Scientifiques et politiques. Demain à 15 heures, le Premier ministre dévoilera aux députés la « stratégie nationale gouvernementale de déconfinement », autour de« six thèmes » : la santé (masques, tests, isolement…), l’école, le travail, les commerces, les transports et les rassemblements. En toile de fond : affrontement désormais public entre l’analyse du risque réalisée par le « Conseil scientifique » et la gestion de ce risque par le pouvoir exécutif.
Nous venons, pour la première fois d’observer une opposition ouverte : sur la question de la réouverture ou pas de l’ensemble des établissements scolaires. Le « Conseil » y était opposé avant septembre, le président de la République a tranché : ce sera la 11 mai. Une opposition qui jette le trouble et conduira nombre de parents à choisir la précaution « scientifiquement » élaborée.
Mais il est un autre affrontement, moins visible. Il faut, pour en prendre la mesure, parcourir les 42 pages de l’Avis n°6 du Conseil scientifique : « COVID-19 20 avril 2020 SORTIE PROGRESSIVE DE CONFINEMENT PREREQUIS ET MESURES PHARES ». Un document dont le gouvernement dispose depuis le 20 avril et qui a pour objectif « d’indiquer les conditions minimales nécessaires pour préparer de façon cohérente et efficace une levée progressive et contrôlée du confinement. » Cet avis liste notamment le « prérequis minimaux de sortie du confinement ».
C’est, à dire vrai, un véritable programme politique On y trouve ainsi par exemple :
Prérequis 1. Mise en place d’une gouvernance en charge de la sortie de confinement (Une gouvernance nationale unifiée et cohérente, y compris en cas de déclinaisons régionales ; une prise en compte impartiale des enjeux éthiques, liés notamment aux outils numériques, qui ne doivent pas freiner la lutte contre l’épidémie ; une gouvernance coordonnée avec les autres stratégies européennes et tenant compte des enjeux de souveraineté nationale ou européenne, notamment en matière de déploiement d’outils numériques ; une gouvernance qui emporte l’adhésion de la population.)
Prérequis 2. Des hôpitaux et des services sanitaires reconstitués (Des services de réanimation et d’hospitalisation soulagés, des équipes soignantes reposées, des stocks de matériel, de traitements et d’équipements de protection reconstitués ; des établissements intermédiaires pour la prise en charge des patients issus des EHPAD ; u médecine de ville repositionnée en première ligne, avec intégration des outils de suivi numérique des patients COVID-19 consolidée)
Prérequis 3. Des capacités d’identification rapide des cas, de leurs contacts, et d’isolement des patients et de tous les porteurs sains contagieux (Une capacité diagnostique des nouveaux cas reposant sur des tests RT-PCR fiables et accessibles sur l’ensemble du territoire, après une prescription médicale ; un système efficace s’appuyant sur la médecine de ville, des plateformes numériques, et des équipes mobiles pour identifier les cas suspects et les orienter vers des structures de test ; des lieux dédiés de diagnostic rapide des cas suspects, avec transmission rapide des résultats des tests aux individus, à leurs médecins et aux systèmes de surveillance pour le suivi de l’épidémie ; des plateformes téléphoniques complétées par des équipes mobiles pour la prise en charge des cas diagnostiqués et de leurs contacts ; des équipes mobiles et des outils numériques pour un traçage efficace des contacts ; des lieux d’hébergement pour les personnes souffrant de formes bénignes de la maladie.)
La « République des savants »
On y trouve surtout le « prérequis 6 » « Des stocks de protection matérielle pour l’ensemble de la population » 1 : des masques FFP2 et/ou chirurgicaux disponibles et accessibles pour les soignants et les personnes à risque de contamination en fonction du contexte ; des gels hydro-alcooliques ; des masques alternatifs de production industrielle ou artisanale anti-projection disponibles pour l’ensemble de la population et distribués en priorité aux personnes en contact régulier avec le public ; une éducation à l’utilisation des masques par la population générale. Et le Conseil scientifique de mettre en garde l’exécutif et d’alerter les citoyens :
« L’ensemble de ces éléments constitue ce prérequis à la sortie de confinement. Il est à noter que nous n’avons pas de données solides actuellement sur l’efficacité des masques alternatifs ; les résultats de l’efficacité des masques alternatifs évaluée par les agences de santé seront disponibles prochainement. Les stocks de matériel, de traitements spécifiques à la réanimation, et d’équipement de protection (masques, etc.) devront avoir été reconstitués de façon suffisante, tant pour les personnes cibles (personnels soignants hospitaliers et non hospitaliers, personnes en situation d’exposition accrue au virus du fait de leur activité professionnelle), que pour l’ensemble de la population, selon leurs besoins.
« L’ensemble de la population doit porter un masque dans les espaces accueillant du public (espaces fermés, et notamment dans les transports, les magasins…). Cela réduit la transmission des gouttelettes et peut-être des aérosols. Dans les régions qui ont été les plus touchées, des lits mais aussi des personnels formés et des matériels dédiés, notamment des respirateurs, doivent être disponibles en nombre suffisant. »
« Cet avis est d’autant plus embarrassant pour les pouvoirs publics qu’il n’est pas contraignant, observe Le Monde (Franck Nouchi). Un jour, peut-être, le gouvernement se verra-t-il reprocher de ne pas avoir respecté de ce qu’avait dit Emmanuel Macron, le 12 mars, lors de sa première allocution télévisée consacrée à l’épidémie : ‘’Un principe nous guide pour définir nos actions, il nous guide depuis le début pour anticiper cette crise puis pour la gérer depuis plusieurs semaines, et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent.’’ »
Emmanuel Macron aurait aussi pu, en même temps, s’interroger sur les risques de l’avènement d’une dictatoriale « République des Savants » : demain le Pr Delfraissy et son Conseil siégeant en permanence au Palais de l’Elysée ? Il nous reste, pour l’heure, à écouter le Premier ministre devant la représentation nationale.
A demain @jynau
1 Position de Jean-Laurent Casanova membre du Conseil (immunologie-pédiatrie) : « les masques FFP2 (ou N-95) doivent être disponibles et accessibles pour l’ensemble des professionnels de santé au contact de patients infectés ou potentiellement infectés, et donc contagieux. Ces soignants sont à haut risque de contamination. Pour la population générale, des masques chirurgicaux ou équivalents sont suffisants ».