Bonjour
« Vincent Lambert et le vol noir des certitudes ». C’est le titre d’un papier peu banal – un éditorial
de Marianne signé de la directrice de
la rédaction : Natacha
Polony,journaliste, femme politique
et essayiste. Parcours complexe et pluraliste. Il y a quatre ans a créé le « Comité Orwell », un « laboratoire d’idées » qui
a pour objectif de défendre un « souverainisme
populaire » contre « l’absence
totale de pluralisme sur des sujets comme l’Europe, la globalisation, le
libéralisme » :
« Plus encore que
les autres citoyens, nous avons, en tant que journalistes, la responsabilité de
défendre la liberté d’expression et le pluralisme des idées. Face à une
idéologie dominante « libérale-libertaire », qui fait du libre-échange
mondialisé un horizon indépassable et du primat de l’individu sur tout projet
commun la condition de l’émancipation, l’association entend défendre notre
héritage social et politique fondé sur la souveraineté populaire. »
Entrer dans la complexité
Natacha Polony, aujourd’hui, tente d’entrer dans l’épaisseur de la complexité de l’affaire Vincent Lambert – entreprise encore rarissime dans les médias généralistes 1.Et cite, d’entrée Friedrich Nietzsche : « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou ». Une phrase qui selon elle résonne étrangement pour qui a entendu ces derniers jours s’exprimer les certitudes et la bonne conscience autour de Vincent Lambert, comme des corbeaux en vol circulaire, pour qui a entendu les cris de liesse et les expressions de supporteurs de foot de ces militants catholiques apprenant la suspension du processus d’arrêt des traitements sur décision d’une énième cour d’appel. »
Elle cite
aussi les « on a gagné
» hurlés avec rage, la « remontada » revendiquée par l’un des avocats des
parents de Vincent Lambert qui « donnent une idée non pas seulement de
l’indécence mais surtout de la folie à laquelle peuvent conduire des
convictions quand elles veulent effacer la complexité du réel ». Sans
oublier le camp d’en face et ses mortelles évidences, l’obtention d’un droit au
suicide médicalement assisté ; la
promulgation en France d’une loi belge qui hierarchiserait les personnes ayant
à décider de la vie ou pas d’un proche (« la femme avant les parents ») ;
ou cette autre loi belge qui autorise l’euthanasie – y compris sur des mineurs
ou des majeurs souffrant de dépression et de mélancolie. des personnes.
« L’affaire
Vincent Lambert parle à notre humanité commune. La situation tragique de cet
homme, les déchirements de sa famille, réveillent en nous des angoisses
universelles, écrit encore Natacha Polony. C’est précisément pour cette raison que les
certitudes des uns et des autres nous agressent. Pour cette raison que les
discours politiques nous semblent d’un clientélisme déplacé. Quiconque
s’aventure en ces contrées intimes et incertaines ne peut le faire qu’avec
l’humilité de celui qui ne sait pas. » Or la passion est ici comme
ailleurs, radicalement incompatible avec l’humilité.
« Nous ne savons pas ce que vit,
ressent ou ne ressent pas Vincent Lambert. Aucun médecin, même, ne le sait
véritablement, tant les contours de la conscience nous sont encore flous.
Evitons donc de projeter nos fantasmes sur ce visage dans lequel nous ne
pouvons lire que l’insondable mystère du vivant. Quelles que soient nos
convictions, ce corps nous bouscule, nous déstabilise, nous pousse dans nos
retranchements. La plupart d’entre nous, sans doute, y voient l’image même de
ce qu’ils ne veulent pas vivre, de sorte que, si cette affaire a une
conséquences, elle sera de faire progresser en France l’adhésion à toute idée
de ‘’mort douce’’ et de ‘’droit de mourir dans la dignité’’ sans que toutefois
les concepts ne soient analysés. Mais, justement, ce sont ces concepts qu’il
nous faut expliciter. »
Collèges des jésuites
On sait, depuis des années que rien n’est simple dans l’affaire Vincent Lambert. Et que rien ne pourra jamais l’être 2. La chronologie de la tragédie (et la faute inaugurale de mai 2013) 3 ; les incertitudes sur son niveau exact de conscience ; la confusion, plus ou moins sciemment entretenue, dans les termes utilisés (« soins », « traitements », « nutrition/hydratation ») – ce qui autorise ou pas d’invoquer l’ « acharnement thérapeutique » ou l’ « obstination déraisonnable ». Or, écrivons-le : on observe, depuis des années, un traitement médiatique de cette affaire qui ne parvient guère à faire la part entre, d’un côté, un exposé des faits et des concepts et, de l’autre, l’exposé de la passion qui pourrait trouver sa place dans des éditoriaux et autres commentaires. La passion s’insinue presque partout, pèse le déroulé de la tragédie et cherche à peser sur son issue, à la précipiter.
Un traitement
avec une majorité médiatique soutenant (plus ou moins ouvertement) « l’épouse »
contre « les parents », le camp du « non-acharnement »
contre les « catholiques traditionnalistes »…. Un traitement emprunt
de passion plus ou moins consciente. Un traitement qui, le moment venu, vaudra
d’être décrypté et analysé dans les écoles de journalisme – sinon dans les
collèges des jésuites. Sans parler des facultés de droit puisque c’est bien in fine cette matière qui (du fait des conflits
de ceux qui la servent et des contradictions qui en résultent) est à l’origine de
« l’indignation » que vient de manifester le Syndicat
national des praticiens hospitaliers en anesthésie et réanimation (SNPHARE).
« Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » ? On trouve cette phrase dans Ecce homo, dernier ouvrage original de avant la période de démence des dernières années de Nietzsche, dix dernières années dans un état mental, dit-on, « quasi végétatif ».
A demain
1 Une exception notable : « Le grand face-à-face » (France Inter, samedi 25 mai) et son
invité : Frédéric Worms. « Que
dit de nous l’affaire Vincent Lambert ? Pourquoi est-il si difficile d’avoir un
débat démocratique sur des sujets qui nous concernent tous ? Nous recevons
Frédéric Worms, philosophe, professeur à l’Ecole normale supérieure et membre
du Conseil consultatif national d’éthique. »
2 « Dans l’affaire Vincent
Lambert, la bonne réponse n’existe pas. Le dernier
rebondissement de ce dossier médico-légal sans précédent impose un constat: la
justice ne parviendra pas à parler d’une seule voix et la médecine restera dans
l’impasse. » Slate.fr 22 mai 2019
3 En
mai 2013, un premier arrêt des traitements avait été interrompu au bout de
trente et un jours sur injonction du tribunal administratif, saisi par les
parents de Vincent Lambert, au motif qu’ils n’avaient pas été informés de
cette décision.