«Mourir d’avoir été vacciné»: Le Monde doit-il ferrailler contre les Prs Joyeux et Montagnier ?

Bonjour

Pierre Desproges est mort et on ne rit plus. Peut-on, sous des cieux démocratiques, débattre de tout avec tout le monde ? « Selon une étude, 79,4 % de tous les enfants décédés du syndrome de mort subite du nourrisson ont reçu un vaccin la même journée », affirme la page Facebook Advitae Santé naturelle, qui ajoute : « Et ce serait juste une coïncidence ? » Voilà une antienne anti-vaccinale amplement chantée sur les deux rives de l’Atlantique. Faire un lien entre la vaccination et la mort subite du nourrisson. Evoquer les deux faits, laisser planer dans le brouillard de l’angoisse, les concepts de causalité et de corrélation. La rumeur peut prospérer.  

Il faut aussi et surtout, en France, y ajouter la voix et l’aura du Pr Luc Montagnier (lauréat du Nobel 2008 pour avoir co-découvert le VIH, en 1983) sans oublier le poids sociétal du Pr Henri Joyeux – deux opposants aux obligations vaccinales en vigueur qui se plaisent à user de cette une rhétorique. On se souvient de la conférence tenue à Paris en 2017. Déclaration du Nobel :

« Nous sommes ici pour lancer une alerte, à tout le pays, au monde. Je voudrais alerter sur la mort subite du nourrisson. C’est quelque chose d’épouvantable, la cause est inconnue, mais il existe des faits scientifiques, montrant qu’un grand nombre de ces morts intervient après une vaccination. On ne peut pas démontrer une causalité, mais il y a une relation temporelle. [Les vaccins avec un adjuvant aluminique] sont responsables d’une tempête immunitaire chez le nourrisson (…) Ce qui est en cause, c’est la vaccination de masse, cela doit disparaître (…). » (Libération)

Wakefield et Pasteur

Nous écrivions alors : « Sur la scène de son théâtre de variétés, poursuivant son voyage vers l’irrationnel, le Pr Luc Montagnier a remis en cause le bien-fondé du retrait du Lancet  de ces travaux plus que controversés du britannique Andrew Wakefield sur le vaccin ROR et l’autisme. Le Quotidien du Médecin : ‘’Et lorsque dans la salle Serge Rader, pharmacien militant anti-vaccin, proche de Michèle Rivasi mais aussi du Nicolas Dupont-Aignan, se lève pour estimer qu’une statue de Wakefield devrait siéger à côté de Pasteur, sa diatribe est applaudie’’ ».

Aujourd’hui « Les Décodeurs » du Monde (Adrien Sénécat) reviennent sur le sujet : « Non, les vaccins ne sont pas responsables de la mort subite du nourrisson ». Où l’on peut redouter, paradoxalement, qu’ils prennent le risque, en « décodant », de légitimer les errances du Pr Montagnier.

On lira leur argumentaire, fondé sur de sérieuses publications. Ils reviennent notamment sur l’affirmation selon laquelle « 79,4 % de tous les enfants décédés du syndrome de mort subite du nourrisson ont reçu un vaccin la même journée », relayée par Advitae Santé naturelle et qu’ils qualifie de « complètement fallacieuse ». Explications :

« Cette page Facebook prétend s’appuyer sur le site américain childrenhealthdefense.org. Ce dernier cite bien le chiffre de 79,4 %, mais dans un tout autre contexte. Il s’agit en réalité de la proportion d’enfants qui ont reçu plus d’un vaccin le même jour parmi les cas de morts d’enfants signalées au programme américain de sécurité vaccinale entre 1997 et 2013. Et le site childrenhealthdefense.org lui-même déforme le sens de cette statistique en y voyant un signe que les vaccins pourraient être responsables de la mort subite du nourrisson.

L’étude scientifique dont vient ce fameux chiffre, publiée en 2015 dans la revue Clinical Infectious Diseases, visait à comparer les causes de mortalité signalées au programme de sécurité vaccinale à celles de la population dans son ensemble. Or, les auteurs n’ont relevé aucune surmortalité liée à la vaccination, y compris en ce qui concerne les morts inattendues des nourrissons.

S’il peut être tentant d’associer des événements à cause d’une coïncidence temporelle, les analyses des chercheurs ont là encore conclu que les vaccins ne sont pas en cause. Au contraire, les auteurs de l’étude notent que les effets secondaires graves des vaccins sont en fin de compte rarissimes puisque, en moyenne, seul un cas de mort est rapporté aux autorités pour un million de vaccins distribués, sans qu’il y ait nécessairement de lien de cause à effet entre l’injection et le décès. »

De la raison et de la déraison

On pourrait ajouter les informations données par  l’OMS : « Vaccination: 10 idées fausses à corriger « .

« Idée fausse n°3 : Le vaccin combiné contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche et le vaccin contre la poliomyélite sont responsables du syndrome de mort subite du nourrisson. FAUX

« Il n’existe pas de lien de cause à effet entre l’administration de ces vaccins et la mort subite du nourrisson. Toutefois, ces vaccins sont administrés à un âge où les bébés peuvent être frappés par le syndrome de mort subite du nourrisson (MSN). En d’autres termes, les décès par MSN survenant après la vaccination sont une coïncidence et se seraient produits même si le nourrisson n’avait pas été vacciné. Il est important de ne pas oublier que ces quatre maladies sont potentiellement mortelles et que les nourrissons qui n’ont pas été protégés contre celles-ci par la vaccination courent un risque de décès ou d’incapacité grave. »

Tout ceci sera-il suffisant pour convaincre celles et ceux qui sont persuadés du contraire – ou tentés de l’être ? Faire appel à la raison au risque d’amplifier la déraison ? User de la logique et paradoxalement nourrir le complotisme ? Amplifier ainsi la parole du Pr Luc Montagnier, cette personnalité atypique que nul ne sait plus aujourd’hui présenter : pastorien contrarié, coauteur d’une découverte majeure, prix Nobel renié par l’Institut Pasteur. Des déclarations controversées, l’émergence récurrente de l’étrange, un voyage sans retour vers l’irrationnel. Un mystère à raconter. Une biographie qui reste à faire.

A demain @jynau

Rififi climatique : M. Huet, ex-journaliste de Libé, dit de M. Postel-Vinay que c’est un «menteur»

 

Bonjour

Les lecteurs n’imaginent pas la violence qui peut sévir dans les coulisses du journalisme scientifique. Sur les questions de climat elle peut atteindre d’invraisemblables sommets. Une guerre de tranchées. Des anathèmes comme s’il en pleuvait. Du sang sur les claviers. Un exemple nous en est donné aujourd’hui : c’est un billet de Sylvestre Huet accusant méchamment Olivier Postel-Vinay. Un symptôme éclairant l’arrière-plan.

Sylvestre Huet né en 1958, est un journaliste français spécialisé dans les sujets scientifiques. Journaliste à Libération à partir de 1995, il anime dès 2008 le blog {sciences²} hébergé par ce journal – et ce jusqu’à son départ du quotidien en janvier 2016. En mai de la même année, l’activité du blog reprend sur la plateforme du Monde. C’est un professionnel dont la compétence est amplement reconnue et qui (ce qui n’est guère courant) affiche ses convictions. Il combat notamment ouvertement et avec constance les opinions des scientifiques qualifiés (par leurs ennemis) de « climatosceptiques ».

Négationnisme climatique

Olivier Postel-Vinay né en 1948 est un journaliste et essayiste français fondateur et directeur du célèbre magazine Books. Sa biographie témoigne d’une carrière mouvementée et d’une forte personnalité. Il signe fréquemment des tribunes dans Libération.

Le dernier billet de son blog montre que Sylvestre Huet n’a pas (du tout) goûté la dernière (en date) de ces tribunes « Toujours plus de cyclones ? » (Libération du 18 octobre). Il s’en explique mais, et c’est nouveau, nous fait aussi entrer dans les coulisses :

« Lorsque Olivier Postel-Vinay est entré à Libération comme chroniqueur régulier, il n’a pas tardé à jouer le négationniste climatique. Devant l’impossibilité de discuter avec la direction de la rédaction de ce choix étrange – mais en phase avec d’anciennes positions de Laurent Joffrin lorsqu’il soutenait le livre mensonger et truffé de graphiques truqués de Claude Allègre – je n’avais pu que tweeter ceci, en septembre 2015 :

Huet Sylvestre‏@HuetSylvestre @sfoucart @LiseBarneoud Qui a décidé d’offrir une chronique régulière dans Libération à Postel-Vinay ? Allègre sors de ce corps…

« Dans sa chronique, Olivier Postel-Vinay prétend faire oeuvre de journaliste spécialisé, capable de lire non seulement les rapports du Giec mais aussi les articles de Nature. Bon. En tous cas, s’il lit vraiment les rapports du Giec et les articles des revues scientifiques sur le climat, Postel-Vinay n’est pas un ignorant, c’est donc un menteur. »

Le réplique du bretteur

Sylvestre Huet estime qu’Olivier Postel-Vinay « pour tenter de se fabriquer une crédibilité de journaliste spécialisé en science »  tente de se pencher sur le dossier des cyclones et de leurs relations avec le changement climatique. « Ce n’est pas idiot » dit-il, mais réclame quelques compétences. Il ajoute :

« Cher Olivier, si tu veux renouveler l’exercice consistant à tromper tes lecteurs, voici quelques pistes : l’évolution future de la mousson africaine, celle de la calotte antarctique, celle du niveau marin, celle des puits terrestres et océanique du CO2, la réaction du plancton à l’acidification des océans… sur tous ce sujets tu trouveras facilement des articles et des résultats qui se contredisent permettant ainsi de poursuivre tes efforts en duperie ».

Pour finir il pose cette question : « Pourquoi Libération ouvre t-il ses colonnes à des textes aussi mensongers sur l’état de la science du climat ? C’est une question pour mes anciens collègues auxquels je souhaite bien du courage. »

Ce duel ouvert (fort inhabituel dans la profession journalistique) ne manque pas de panache. On attend la réplique du bretteur. Sans oublier celle de Libé.

A demain