Bonjour
C’était au temps noir et blanc où Le Monde était imprimé dans les caves parisiennes du 5-7 rue des Italiens. Le 30 octobre 1979 les fidèles lecteurs de la capitales découvraient ces quelques lignes, sous le titre « Un bristol et une petite boîte bleue » :
« C’est dans l’étang de Rompu, l’une des retenues d’eau qui forme les Étangs de Hollande dans la forêt de Rambouillet (Yvelines), qu’a été découvert le corps de Robert Boulin. Il était aux trois quarts immergé. Non loin se trouvait, dans un sentier, sous les bois, la 305 Peugeot bleu métallisé du ministre.
C’est à 6 heures, mardi 30 octobre, que le groupement de gendarmerie de Versailles a été alerté de la disparition de M. Robert Boulin et chargé de quadriller le secteur des Étangs de Hollande. Cent cinquante hommes ont procédé aux recherches. Le ministre, qui portait un costume bleu sombre, aurait succombé à une forte dose de barbituriques. Les poumons du cadavre étant remplis d’air, la mort par noyade est exclue.
Pour le colonel Charles Chevallereau, commandant le groupement de gendarmerie des Yvelines, le suicide ne fait aucun doute : » Le corps du ministre ne portait aucune trace de coups ou de lutte. » Dans la veste de la victime, les enquêteurs ont retrouvé un bristol sur lequel M. Boulin indiquait où se trouvaient les clefs de sa voiture et, au verso, quelques mots d’affection adressés à sa famille. Dans les poches de la veste, on a également découvert une petite boite bleue ayant vraisemblablement contenu les produits avec lesquels le ministre s’est donné la mort.
La disparition de M. Boulin avait été signalée par sa famille lundi 29 octobre. Le corps a été retrouvé peu après la mort, qui remonte probablement à la nuit de lundi à mardi. Le ministre ne possédait pas de propriété dans la région, mais il venait, semble-t-il, fréquemment y pratiquer l’équitation. »
Médecine légale incapable
Vinrent, dans Le Monde (James Sarazin) et ailleurs, des milliers de papiers, d’accusations, de dénégations-indignations, de rumeurs en cascade, les symptômes récurrents d’une justice aux ordres de l’exécutif, d’une médecine légale incapable de dire la vérité vraie.
Quarante ans, ou presque. 26 octobre 2017, on peut lire ceci, sur un Monde-écran incitant, faute de mieux, à regarder la télévision (France 2) :
« ‘’Robert Boulin a été tué’’. Telle est, sans concession, la conclusion dressée par le journaliste Benoît Collombat au terme de l’enquête qu’il a mené pour « Envoyé Spécial » sur cette affaire qui hante les arcanes du pouvoir politique français depuis près de trente-huit ans. Le 30 octobre 1979, Robert Boulin, alors ministre du travail de Valéry Giscard d’Estaing, est retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet. « Un assassinat », clame dès le lendemain son ami Jacques Chaban-Delmas à la tribune de l’Assemblée Nationale ; « un suicide », selon le rapport officiel.
Ce sujet, Benoît Collombat, le connaît bien. Il y a consacré plusieurs documentaires. Et il continue de le creuser avec cette nouvelle enquête, extrêmement fouillée et minutieuse dans laquelle il revient sur la thèse officielle du suicide avancée à l’époque par tous les organes officiels de pouvoir. Plus précisément, il reconstruit (ou plutôt déconstruit), pièce par pièce, le puzzle de cette histoire politico-judiciaire complexe, pour mieux établir la thèse inverse. A savoir que Robert Boulin a bel et bien été assassiné. Par qui ? la question, elle, demeure en revanche toujours sans réponse (…)
« Bernard Pons » !
Benoît Collombat entend aussi des témoins précieux, restés silencieux pendant plus de trente ans, à l’image de Bernard Pons, ancien secrétaire général du RPR entre 1979 et 1984, qui s’exprime pour la première fois sur le sujet, à 91 ans. En effet, la plupart des protagonistes de l’époque sont soit décédés, soit dans l’incapacité d’en parler.
Robert Boulin était devenu l’homme à abattre – celui qui en savait trop ? – dans un contexte politique tendu. Passé notamment par les ministères stratégiques du budget et des finances, l’homme était au courant des financements plus ou moins licites des partis politiques. « Envoyé Spécial » revient à ce propos sur les affaires de corruption liées à de gros contrats de la Françafrique sur le nucléaire, l’armement ou encore le pétrole. Robert Boulin devait avoir eu connaissance de cet argent sale. Il aurait même, dit-on, conservé des dossiers à propos de ces contrats ; dossiers restés bien évidemment introuvables.
Les circonstances de sa mort et surtout l’identité de ses probables responsables restent, eux, opaques, malgré les nombreux éclairages apportés par le documentaire. En 2015, une nouvelle information judiciaire a été ouverte pour arrestation, enlèvement et séquestration suivie de mort ou d’assassinat (…). »
Bientôt quarante ans.
A demain