Bonjour
28/06/2020. Se faire désirer. De même que le désir peut loger chez une précieuse, la violence peut ne pas être absente chez les servants de la science. Force est ici de reconnaître que ces dernières semaines le Pr Didier Raoult est parvenu, depuis son Fort Vauban de Marseille, à faire sauter quelques couvercles. Il entrouvre les sombres coulisses d’un spectacle généralement parfaitement rôdé sur scène, impose des réactions violentes, dynamise l’ensemble de la troupe quand il ne la fracture pas.
Dernière représentation en date, 24 juin : Monsieur Loyal face à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Un spectacle de plus de trois heures que l’on peut revoir, gratuitement, à l’envi et grâce à LCP, en cliquant ici. Trois heures … Nous étions passé trop vite sur un passage édifiant, trois minutes seulement avant la fin. Question du généticien reconnu et député Philippe Berta (MoDem, Gard). Quand la plupart des députés minaudent, lui parle d’égal à égal avec l’omniscient directeur général de l’IHU Méditerranée Infections, cette « Rolls Royce » de l’infectiologie obtenue, souligne-t-il, grâce au « grand emprunt ». Question :
« (…) Pourquoi, mais pourquoi n’avez-vous pas mené une étude clinique digne de ce nom, dès le départ, qui aurait pu définitivement répondre, oui ou non, l’hydroxychloroquine a un effet ? (….) Je connais tous vos travaux, votre science bien établie (…) Vous saviez très bien que ces pseudo-essais thérapeutiques, ces pseudos essais-cliniques n’étaient absolument pas recevables par qui que ce soit (…). Pourquoi ne l’avez-vous pas fait cet essai ? Cela nous titille tous dans notre communauté, dès le départ. »
« Je reste un grand scientifique après avoir publié ça ! »
Visiblement surpris, dérangé, agacé par cette froide attaque le Pr Raoult a dit qu’il n’était « pas d’accord avec ça », expliqué que ce qu’il avait fait n’était que de l’ « éthique basale » (résumé : «l’éthique n’a rien à voir avec la méthodologie ; quand on a la preuve que quelque chose marche on arrête l’essai »). Puis, désolé des propos de son confrère, le microbiologiste a dit « aimer beaucoup son essai » (sic), avant d’asséner son coup de marteau : « Contrairement à ce que vous dites « moins il y a de gens dans un essai, plus c’est significatif. (…) Tout essai qui comporte plus de 1 000 personnes est un essai qui essaie de démontrer quelque chose qui n’existe pas. C’est de l’intox…. » Avant de poursuivre sa démonstration et de conclure : « Je suis un très grand méthodologiste ! (…) J’étais, avant, un grand scientifique et, après ça je reste un grand scientifique après avoir publié ça. » Fin des débats parfaitement conduits par Brigitte Bourguignon (LREM, Pas-de-Calais) présidente de la Commission d’enquête
Puis rebondissement : le 25 juin, au lendemain de cet échange éclairant, le Pr Raoult publiait dans Travel Medicine and Infectious Disease (TMAID ; revue très proche de l’lHU Méditerranée) une vaste étude portant sur 3 119 personnes traitées avec le « protocole Raoult » comparées à d’autres patients ayant bénéficié d’un autre traitement. Conclusion :
« Les résultats suggèrent qu’un diagnostic, un isolement et un traitement précoces des patients Covid-19 avec au moins trois jours d’administration d’hydroxychloroquine et d’azithromycine conduisent à des résultats cliniques significativement améliorés et à une baisse de la charge virale plus rapide qu’avec d’autres traitements. »
Cette étude était très attendue, évoquée à plusieurs reprises par Didier Raoult comme une sorte de point d’orgue de ses travaux ; une « étude rétrospective » dont les conclusions sont toujours infiniment plus fragiles que le standard des « essais cliniques prospectifs ». Le Monde (Hervé Morin) a patiemment, méthodiquement, journalistiquement, cherché à en évaluer la valeur. Le bilan laisse plus que songeur. « Nul de chez nul », résume Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université, Inserm) qui énumère les raisons pour lesquelles la comparaison entre les patients traités et les autres n’est en rien valide.
Mathieu Molimard (université de Bordeaux) pharmacologue et pneumologue : « Que peut-on dire ? On compare des choux et des carottes et même en ajustant la taille des feuilles cela reste des choux et des carottes. »
Anton Pottegard, professeur de pharmaco-épidémiologie (University of Southern Denmark) qui a récemment contribué à définir des directives pour bien mener de telles études face à l’urgence liée au Covid-19 – directives approuvées par la Société internationale de pharmacoépidémiologie : « Pour faire court, je n’ai pas confiance dans les résultats de l’étude, indique-t-il. Pourquoi ? Parce qu’elle ne répond pas aux exigences les plus basiques auxquelles elle devrait souscrire. Il y a de nombreux problèmes, chacun étant très préoccupant. Pris ensemble, ils rendent cette étude 100 % inutile pour guider la pratique clinique. »
« Embrasser les patients sur le front pendant trois jours »
Il s’explique : « Ceux qui sont traités sont comparés à ceux qui ne le sont pas. Le principal problème est que ceux qui ne survivent pas au traitement sont classés comme non traités. » Il propose une comparaison : « Je pourrais proposer un nouvel essai clinique : embrasser les patients sur le front pendant trois jours. Je comparerais ceux qui auraient reçu les trois baisers à ceux… qui n’auraient pas survécu pour les recevoir. L’effet du traitement serait formidable : aucun des patients ayant reçu mon traitement ne serait mort. »
Le Monde rapporte encore que Didier Raoult, qui avait espéré faire paraître ses travaux dans The Lancet, nettement plus prestigieux que son TMAID – mais que le journal médical britannique l’avait rejetée d’emblée. Il est vrai, conspirationnisme ou pas que The Lancet, en raison de son tropisme anti-Trump et donc antihydroxychloroquine avait préféré publier une étude défavorable à cette molécule ; étude controversés puis rétractée, qualifiée de «foireuse » par Didier Raoult qui avait ensuite évoqué les « Pieds nickelés » du Lancet et les failles majeures du système de relecture-validation des publications de cette -toujours- prestigieuse revue.
Le dernier clou marseillais est enfoncé depuis le Danemark. « Bien que ça me chagrine, je dois en conclure que sa publication [du Pr Raoult] est un nouvel exemple d’une faillite complète du système de relecture par les pairs » déclare Anton Pottegard. Contactés par Le Monde pour réagir à ces critiques (qui les transforment en arroseurs arrosés) le Pr Didier Raoult et son équipe n’avaient pas répondu au moment du lancement des rotatives numérisées. Cela ne saurait tarder.
A demain @jynau