Bonjour
Polémique médicamenteuse sur l’Alzheimer, suite et fin d’un affrontement édifiant. L’information est relayée par Le Quotidien du Médecin (Damien Coulomb) : le recours contentieux déposé devant le Conseil d’État vient d’être rejeté. Il avait été déposé par l’association France Alzheimer et quatre sociétés savantes directement concernées : La Société de neuropsychologie de langue française, la Société francophone de psychogériatrie et de psychiatrie de la personne âgée, l’Association des neurologues libéraux de langue française et la Société française de neurologie.
Le recours avait été déposé en juillet dernier à la suite d’un arrêté publié le 1er juin 2018 actant le déremboursement de l’Aricept (donépézil) de la firme Eisai (commercialisé depuis septembre 1997), l’Exelon (rivastigmine) de Novartis (mai 1998), le Reminyl (galantamine) de Jansen-Cilag (octobre 2000) et l’Exiba (mémantine) de Lundbek (mai 2002). Et fin d’une polémique de plus de dix ans marquée par les hésitations récurrentes des ministres Xavier Bertrand et Marisol Touraine
L’annonce en avait été faite le 29 mai par Agnès Buzyn sur RTL. Avant même cette annonce le Pr Mathieu Ceccaldi, président de la Fédération nationale des centres mémoire de ressources et de recherche (FCMRR) avait confié au Quotidien du Médecin tout le « mal » que cette décision risquait d’occasionner aux patients. « Les praticiens vont se tourner vers les neuroleptiques, autrement plus délétères que les anti-Alzheimer » expliquait-il. A l’opposé, le Pr Olivier Saint-Jean, gériatre à l’hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP), co-auteur d’un ouvrage détonnant et partisan du déremboursement chiffrait l’économie pour la collectivité entre « 100 et 130 millions d’euros par an » pour les 30 000 à 40 000 patients traités.
Interrogée le 1er juin sur Europe 1 Agnès Buzyn expliquait que cette mesure, « purement médicale » n’était absolument pas « un sujet financier ». « Tout l’argent qui va être économisé sera intégralement réorienté vers l’accompagnement des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, soit pour les centres mémoire soit pour le secteur médico-social qui les prend en charge », a-t-elle assuré.
Un an et demi plus tard le Conseil d’Etat a tranché : Agnès Buzyn et son ministère n’ont « pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en jugeant insuffisant le service médical rendu par ces spécialités (…) et en décidant de les radier pour ce motif de la liste des médicaments remboursables ».
L’humour froid du Conseil d’Etat
Certes, mais dans leur saisine de juillet 2018, les requérants avaient fait valoir que le Pr Olivier Saint-Jean rapporteur du dossier de la HAS à l’origine de la décision de non-remboursement (ainsi que deux experts sollicités par la commission de la transparence) avaient publiquement pris position en faveur du déremboursement de ces spécialités… Notamment début mai sur les ondes de France Culture :
« Pr O.S.-J. : Ces médicaments sont totalement inefficaces. La démonstration scientifique en a été apportée [en octobre 2016] par la Haute Autorité de Santé. Et il y a quelques semaines cette même Haute Autorité de Santé a bouclé le dossier médico-administratif de la radiation, ce qui fait qu’aujourd’hui le dossier est prêt à la signature de la ministre.
« France Culture (Florian Delorme) : Mais on se souvient qu’alors la ministre de la Santé Marisol Touraine ne s’était pas rangée à l’avis de la Haute Autorité de Santé. Pensez-vous que l’actuel gouvernement pourrait s’y risquer ? Et je parle bien de risque…
« Pr O.S.-J. : Dès lors qu’Agnès Buzyn ne cesse de parler de la ‘’pertinence des actions de soins’’ comme axe de politique de santé, elle se doit de dérembourser. Car ce qui est démontré par la Haute Autorité de Santé, c’est la non pertinence de ces médicaments. »
Il y avait eu, par la suite, un entretien accordé à Libération. Puis la polémique pris de l’ampleur. Tout cela balayé par le Conseil d’État. Qui explique : « Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que les personnes ainsi mises en cause auraient été mues par un intérêt personnel ou qu’elles auraient eu des liens avec une entreprise intéressée aux résultats de l’examen des spécialités en litige ». On appréciera comme il se doit l’humour froid du Conseil d’Etat.
Et maintenant ?
Cette décision est qualifiée de « très décevante » par le Pr Pierre Krolak-Salmon (Hospices civils de Lyon), aujourd’hui président de la Fédération des centres mémoire. « Ils ne font que valider l’avis de la HAS qui va à l’encontre de toutes les recommandations internationales, de l’avis du NICE britannique et de la revue Chrochrane, déclare-t-il, cité par Le Quotidien du Médecin. Le combat contre le déremboursement est désormais derrière nous. Nous devons maintenant nous concentrer sur l’amélioration du parcours de soins au sein duquel les médicaments n’occupent qu’une petite place. Les patients paient désormais pour leur traitement ou ont changé pour les versions génériques. Les coûts supplémentaires vont de 12 à 100 euros selon les patients. L’actualité de la recherche est très dynamique, il faut permettre aux patients d’entrer dans les essais cliniques ».
Où l’on en revient à cette question, logique autant que dérangeante : s’ils sont inefficaces et potetiellement dangereux pourquoi laisser ces médicaments sur le marché et à la charge de ceux à qui ils ne profitent pas ? Une question à laquelle Agnès Buzyn ne répondra malheureusement pas.
A demain @jynau