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20/05/2020. Où l’on entre, en dépit du sujet, dans le loufoque transatlantique. C’est que, sur fond de pandémie et de polémique scientifique, de nouveaux propos ahurissants ont été tenus par l’un des hommes les plus puissants du monde – avec résonance de ce côté-ci de l’Atlantique. Et le public rit d’un spectacle à faire peur. En trois actes.
I Donald Trump, président des Etats-Unis. Il continue de défendre le recours à l’hydroxychloroquine contre la Covid-19. Lundi 18 mai, il a d’ailleurs assuré en prendre tous les jours un cachet – et ce « depuis une semaine et demie », avec l’accord de son médecin. « J’ai commencé à en prendre parce que je pense que c’est bon, j’ai entendu beaucoup de bonnes histoires » à ce propos, a-t-il ajouté, précisant qu’il n’était pas, lui, infecté par le nouveau coronavirus. « Vous seriez surpris de découvrir combien de personnes en prennent, en particulier celles qui sont en première ligne » a-t-il ajouté vantant désormais les mérites imaginaires d’une action non plus curative mais préventive.
« Donald Trump s’est entiché très tôt de ce médicament, rappelle notre confrère Gilles Paris dans Le Monde. Il en a vanté les vertus supposées au plus fort de l’épidémie, en mars et en avril, alors que ses experts, à commencer par le directeur de l’Institut national américain des maladies infectieuses, le Pr Anthony Fauci, plaidaient la prudence et insistaient sur la nécessité de tests conduits de manière scientifique. »
Le 28 mars, la Food and Drug Administration (FDA) accordait une autorisation d’urgence pour permettre aux hôpitaux américains d’utiliser de l’hydroxychloroquine issue du stock national pour traiter des patients qui ne seraient pas autrement admissibles à un essai clinique. Un mois plus tard, le 24 avril, marche arrière de la même FDA mettant en garde contre « les sérieux problèmes de rythme cardiaque » dus à ce médicament.
Silence présidentiel puis nouvelle croisade et révélation de l’existence de son traitement – quelques heures après la publication d’un éditorial d’une particulière sévérité dans le Washington Post – éditorial citant les conclusions négatives de travaux conduits dans l’Etat de New York par deux équipes de chercheurs auprès de plus de 2 800 patients, soit un groupe « bien plus grand que la toute petite recherche initiale du professeur franc-tireur Didier Raoult ».
II Pr Didier Raoult, microbiologiste à Marseille. Dans le sillage des remous qui suivirent les déclarations de Donald Trump le directeur également controversé de l’IHU de Marseille s’exprimait sur Radio Classique. Après avoir assuré qu’il venait d’être informé (« Je ne suis pas au courant, je ne suis pas son médecin traitant) le Pr Raoult a une nouvelle fois choisi de croiser le fer avec des ennemis absents:
« Je voudrais qu’on remette les choses en perspective et voir à quel point il y a eu une hallucination collective des médias et de certains dirigeants sur l’hydroxychloroquine, qui est l’un des médicaments les plus prescrits au monde. Tous les médecins en ont déjà prescrit (…). Il y a eu une dramatisation d’un médicament banal, classique, on a inventé de tout, des arrêts cardiaques, etc… ça doit être préventif de la folie, car ceux qui ne veulent pas en prendre deviennent fous. Il y aura un examen à faire de comment les médias se sont emballés. »
III Bruno Lemaître, généticien-psychologue à Lausanne. Ce spécialiste de la réponse immunitaire aux infections chez les insectes a commencé sa carrière auprès du professeur Jules Hoomann, prix Nobel 2011 de médecine vient de donner un passionnant entretien au Monde (Sandrine Cabut). Non pas sur les drosophiles (sa spécialité) mais bien sur les hommes.
« Parallèlement à son métier de chercheur, Bruno Lemaitre s’est lancé avec passion dans l’étude de la psychologie des personnalités, explique Le Monde. Il explore en particulier le narcissisme, et son influence dans les sciences et la société. Après un premier essai sur ce thème en 2016 (An Essay on Science and Narcissism, autoédition, non traduit), il a publié Les Dimensions de l’ego (éditions Quanto, 2019). » Extrait :
« Les crises comme la pandémie de Covid-19 contribuent-elles à propulser sur le devant de la scène des narcissiques ?
–De manière générale, les personnalités narcissiques peuvent aimer les situations de crise, parce que leur forte confiance en eux-mêmes leur procure une forte résistance au stress qui leur permet de prendre des décisions rapides. Ce sont donc des moments d’émergence de nouveaux leaders, en politique notamment. Dans des crises scientifiques qui deviennent des enjeux publics, comme l’épidémie de sida, le réchauffement climatique ou aujourd’hui le Covid-19, des chercheurs à gros ego, que l’on connaît déjà dans la communauté, se révèlent au grand jour.
– Ainsi les propos du microbiologiste Didier Raoult sur la pandémie et l’efficacité de l’hydroxychloroquine peuvent paraître surdimensionnés, mais il exerce une fascination sur certains publics. C’est finalement délétère pour la recherche, car les gens sont très en demande de ce traitement alors qu’on ne sait pas s’il est efficace, et on ne peut plus faire d’essais cliniques dans des conditions apaisées, ce qui retarde le processus. Didier Raoult est un chercheur reconnu, mais c’est aussi un homme de pouvoir. Il est difficile de lutter contre des personnes qui affichent une telle confiance, tout en prenant aussi, parfois, la position de victime de la communauté scientifique. Résultat, on est dans une situation très confuse. »
Notre consœur lui demande s’il existe des antidotes. Réponse : « Il n’y a pas de solution simple au problème de l’ego. Si on en avait une, on aurait évité bien des guerres, des individus comme Kadhafi, Bachar El-Assad ou Donald Trump n’auraient pas accédé au pouvoir. Sans aller jusque-là, nous avons tendance à choisir des leaders sûrs d’eux-mêmes, qui souvent déçoivent ensuite. Les dirigeants laborieux, éthiques, sont moins attractifs. »
Il ajoute que dans un récent article publié dans la revue The Leadership Quartely, des chercheurs suisses et allemands proposent une solution originale : choisir des leaders par tirage au sort. Selon leur étude, ce mode de sélection conduirait à des dirigeants moins enclins à abuser de leur pouvoir et qui prennent de meilleures décisions pour le groupe que les leaders « traditionnels ».
A demain @jynau