Bonjour
Il se nomme Eric Morvan, 62 ans. Né à Nevers, haut fonctionnaire, carrière ascendante exemplaire, occupe depuis près de deux ans le poste à haut risque de directeur général de la police nationale (DGPN) Fait sans précédent, il invite dans une lettre envoyée à tous les policiers, vendredi 19 avril, la profession au dialogue et à la libération de la parole face à la vague de suicides dans l’institution, un sujet tabou chez les forces de l’ordre.
Dans sa lettre aux 150 000 fonctionnaires de police français (et dont l’Agence France-Presse a eu copie) Eric Morvan enjoint à parler du suicide – une démarche atypique qui ne va pas nécessairement de soi dans l’institution.
« Plusieurs de nos collègues ont mis fin à leurs jours. Certains penseront peut-être que ce dramatique enchaînement relève d’un facteur mimétique 1 et que, plus on parle du suicide, plus on prend le risque d’en susciter, dans un contexte rendu encore plus difficile par la charge opérationnelle ».
« Il faut en parler. Sans crainte d’être jugé. Il faut se confier, se persuader qu’avouer un mal-être n’est jamais une faiblesse (…) La responsabilité humaine que l’on doit reconnaître à celui ou celle qui prend cette terrible décision ne nous exonère pas de la nôtre »
Le DGPN, qui évoque « un devoir collectif », y compris et surtout des chefs, dont le management est, nous dit l’AFP, « souvent pointé du doigt par les organisations syndicales de gardiens de la paix ».
Intérieur, Solidarités et Santé
Le Monde pascal, qui consacre sa manchette au phénomène : « Suicides dans la police : l’état d’urgence », donne la parole (Louise Couvelaire) à Sebastian Roché, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique et « spécialiste de la police ». Il a notamment publié De la police en démocratie (Grasset, 2016). Pour ce chercheur, le nombre important de suicides de policiers enregistrés depuis le début de l’année est un phénomène alarmant, mais difficile à analyser, faute d’études sur le sujet. Extraits :
« Le taux de sur-suicides des policiers se maintient à un niveau élevé depuis longtemps. Cela fait quarante ans que l’on sait qu’il y a davantage de suicides chez les policiers que dans le reste de la population à structure égale, c’est-à-dire entre 35 ans et 45 ans et majoritairement masculine. En juin 2018, un rapport du Sénat pointait un taux de suicides dans la police supérieur de 36 % à celui de la population générale. Mais ce qui est certain, c’est que l’année 2019 est très mal partie, et c’est alarmant. Si le rythme se maintient, on pourrait atteindre le record de l’année 1996, ‘’ année noire ‘’ qui avait enregistré soixante-dix suicides.
Les causes de ce taux de « sur-suicides » ?
« On ne le sait pas justement. Et c’est bien le problème. Il n’existe aucune étude de fond du ministère de l’intérieur permettant d’analyser le phénomène. Il y a un défaut de volonté de comprendre. C’est une lacune historique et structurelle de Beauvau. Résultat, nous n’avons toujours pas réussi à identifier le problème ni été capables de mesurer l’efficacité des mesures mises en place jusqu’à présent. (…)
« La qualité de la relation avec la population joue probablement un rôle important. En 2016, elle était meilleure que les années précédentes, ce qui peut aider les policiers à donner un sens à leur engagement.
« Sur ce terrain, 2019 est une année conflictuelle et donc difficile. Les policiers sont mis en cause par une partie de la population qui jusque-là les soutenait. Pour répondre à leur détresse, il ne suffit pas d’ouvrir une ligne téléphonique, comme le prévoit le plan antisuicides, il faut multiplier les portes d’entrée pour appeler à l’aide, comme l’a fait la police de Montréal, au Canada, en formant la hiérarchie, les syndicats et des pairs référents. »
« Aucune étude de fond du ministère permettant d’analyser le phénomène … un défaut de volonté de comprendre ». Ce sont là des propos que l’on peut appliquer au ministère des Solidarités et de la Santé confronté aux suicides des soignants hospitaliers. Qui dira pourquoi le pouvoir exécutif se refuse à multiplier les portes d’entrée pour que l’on entende mieux ces agents salariés qui nous appellent à l’aide ?
A demain
@jynau
1 Le DGPN fait ici notamment référence à « l’effet Werther » ,phénomène qui tire son nom d’une spectaculaire vague de suicides s’étant produite en Europe après la parution (1774) du célèbre roman de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, roman centré sur le suicide d’un jeune homme à la suite d’amours déçues