Bonjour
Donner, de sa poche, 300 euros pour avoir un « deuxième avis médical » ? C’était il y a trois ans. A peine né le site « deuxièmeavis.fr » faisait scandale quoique lancé en toute discrétion. Comment mieux dire dire la sécheresse extrême du tissu médical français, prêt à s’embraser pour une étincelle, une menace, une innovation.
Ainsi donc, moyennant 295 euros, un « deuxième avis médical » quand la chose est, pour mille et une raison, devenue nécessaire. C’était déjà là une pratique courante, largement répandue; mais pratiquée sans être affichée. Une pratique presque toujours effectuée sous la couverture de la Sécurité sociale. La nouveauté, fin 2015, tenait dans l’affichage et la facturation – rien n’étant, cette fois, directement demandé à la collectivité.
Les syndicats de médecins libéraux, alors, étaient à l’affût. « C’est une démarche commerciale et dangereuse, qui n’honore pas les médecins qui se sont lancés dedans, condamnait le Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF). « Qui assurera le suivi et les interrogations complémentaires du patient, si ce n’est le médecin traitant court-circuité ?» demandait dans un communiqué la Confédération des syndicats des médecins de France (CSMF), scandalisée par la démarche. Quant au Dr Jean-Paul Ortiz, président de ce premier syndicat de médecins, il ne décolérait pas. « A l’heure où l’on parle d’égalité d’accès aux soins pour tous, proposer sur Internet un pseudo-deuxième avis pour près de 300 € est scandaleux ».
« Sur les 295 € facturés, 120 € vont au médecin, 175 € servent à couvrir les frais du site » nous expliquait Pauline d’Orgeval, co-fondatrice du site avec Catherine Franc et Prune Nercy, diplômées d’HEC. Elle ajoutait que les « experts » (près d’une centaine) sont des spécialistes, volontaires, sélectionnés sur des critères arrêtés par un comité scientifique 1. « En contact direct avec le patient ils sont incités à prendre contact avec son ou ses soignants du patient, notamment en cas de divergences diagnostiques ».
Médecine ubérisée et complémentaires santé
Le Conseil national de l’Ordre des médecins ? « Ce site pose le problème plus général de l’ubérisation de la santé qui passe par une plate-forme Internet sans respecter le vertueux parcours de soins défendu par les pouvoirs publics, déclarait alors au Parisien le Dr Jacques Lucas, chargé du dossier à l’Ordre dont il est le vice-président. J’ai cru comprendre que l’initiative de Deuxiemeavis.fr pourrait être soutenue par des complémentaires santé qui prendraient en charge la consultation. Il y aurait alors deux portes d’accès aux soins, celle qui passe par ces complémentaires et celle des autres patients, ce qui créerait une inégalité. »
Le Dr Lucas avait parfaitement saisi et les deux portes sont bien là. 30 avril 2019 : « J’ai le plaisir de vous adresser le communiqué de presse de Deuxiemeavis.fr qui annonce le chiffre de 13 millions de bénéficiaires avec comme ambition de faire du deuxième avis médical un droit pour tous les patients atteints d’une maladie grave » (nous soulignons) :
« Six mois après avoir levé 2,5 millions d’euros auprès de fonds à impact social, la plateforme deuxiemeavis.fr vient d’annoncer qu’elle est désormais accessible à près d’un Français sur cinq. Ce site permet aux patients confrontés à un problème de santé grave d’obtenir un deuxième avis médical auprès de médecins experts de leur maladie. Un service pris en charge à 100 % par les complémentaires santé ou courtiers partenaires – Malakoff Médéric Humanis, Audiens, Santiane, Ociane, Gras Savoye, Energie Mutuelle, GAN, Mutuelle Les Solidaires – par le réseau Santé Clair et l’assisteur IMA assistance. La startup parisienne permet ainsi au patient et à son équipe médicale traitante de s’appuyer sur un deuxième avis médical – sous la forme d’un compte-rendu écrit et personnalisé – pour éclairer ou faciliter la prise de décision. »
Trois ans plus tard Le discours n’a pas changé. « Avec deuxiemeavis.fr, nous ne faisons qu’organiser de façon transparente une pratique répandue entre médecins, explique Pauline d’Orgeval, présidente et cofondatrice. D’ailleurs, dans 75 % des cas, il y a convergence entre le premier et le deuxième avis ». Et en prime, une interview vidéo du Pr Laurent Degos – président du conseil scientifique 1 – Deuxiemeavis.fr : https://youtu.be/fR3DBOMezzs
Mieux, fort de son succès affiché, la startup entend désormais « démocratiser l’accès à l’expertise médicale et participer au développement spectaculaire de la télémédecine dans notre pays ». Le site, nous affirme-t-on, devrait être accessible à 15 millions de Français à la fin de l’année. Les syndicats médicaux se sont tus. Et l’Ordre des médecins ne dit plus rien. Un symptôme éclairant ? Basée à Paris, l’entreprise est hébergée au sein de la « pépinière » Paris Santé Cochin.
A demain
@jynau
1 Le Conseil scientifique est constitué du Dr Laurent Degos, du Pr Dominique Franco, du Pr Pierre-Louis Druais, du Dr Laurent Mignot, du Dr Claire Bricaire, du Pr Philippe Denormandie, du Pr Charles de Riberolles et de Xavier Briffault, chercheur en sciences sociales et philosophie de la santé mentale au CNRS.