Comme avec le baclofène dans l’alcoolisme les expériences « de terrain » poussent les médecins à revoir leur copie. Aujourd’hui le cas exemplaire du Dr Anne Borgne, addictologue, sur Europe 1 Et entrée remarquée des Echos dans le peloton des médias affûtés sur le sujet. Sans oublier un commentaire remarqué et remarquable sur le site d’AIDUCE.
La « Révolution des Volutes »® est aussi une révolution copernicienne. Le médecin n’est définitivement plus le centre du monde des malades. Dernière preuve, médiatique, en date. Dimanche 8 septembre, début d’après-midi. Appareil de radiophonie anormalement branché. Et sur Europe 1 qui plus est. On peut réécouter ici cette « médicale ». Une émission à l’évidence enregistrée : consacrée à la cigarette électronique elle l’impasse sur la publication-dynamite du Lancet de la veille. Un ratage, en somme. Qu’importe.
Deux ans déjà
L’invitée principale est le Dr Anne Borgne. Le Dr Borgne pratique l’addictologie à l’Hôpital René-Miret de Sevran (93). C’est une grande habituée des médias généralistes, souvent aux prises avec les militants en guerre contre les servants de la tabacologie officielle. Ancienne fumeuse (trois tentatives, arrêt il y a 20 ans) elle se souvient. Elle se souvient et elle n’a pas sa langue dans sa poche. Au point d’en dire beaucoup. Elle reconnaît aujourd’hui que la cigarette électronique mobilise l’attention des tabacologues qui « ont alerté les autorités de santé sur le sujet ». Elle reconnaît aussi et surtout avoir changé ? Il y a deux ans elle ne conseillait pas la cigarette électronique à ses patients. Tout simplement parce quelle pratiquait alors la « médecine basée sur les preuves », parce que les autorités de santé, à commencer par la Haute Autorité de Santé (HAS), ne la conseillaient pas.
Deux ans plus tard
Aujourd’hui le Dr Borgne a changé d’avis. Rien n’a pourtant changé du point de vue des autorités sanitaires. Comment comprendre ? Ce sont les utilisateurs, les consommateurs, ses patients qui l’ont convaincue. Deux de ses enfants sont des vapoteurs. « On compte un million d’utilisateurs et cela va continuer » assure-t-elle. Dans les boutiques spécialisées les vendeurs donnent des conseils qui « ne sont pas très inappropriés » (sic). Aucun doute pour cette addictologue pragmatique : la e-cigarette a fait la preuve de son utilité. Et la sortie du potentiellement cancérigène de 60 Millions de Consommateurs est condamnable car de nature à affoler les utilisateurs ou ceux qui envisageaient de le devenir.
Titanic de la santé publique
Il est fort regrettable que l’animateur n’ait pas, alors, relancé son invitée en lui demandant si elle avait le sentiment d’avoir ici abandonné la célèbre « médecine basée sur les preuves ». Car ces preuves n’existent pas du moins pas dans le carcan officiel sans lequel elles n’ont pas droit de cité. Ni l’Agence de sécurité sanitaire du médicament ni la HAS, encore moins la Direction générale de la Santé ou le ministère du même nom n’ont varié. Pas de feu vert et une politique réglementaire fondée sur l’assimilation aux produits du tabac. Et aucune étude en vue visant à faire la lumière sur l’innocuité et l’efficacité. Le brouillard entretenu sur une forme de Titanic de la santé publique.
Quid du Dr Borgne et de son attachement à la médecine basée sur les preuves ? Elle nous le dira sans aucun doute à l’occasion d’une prochaine invitation sur les ondes.
L’entrée en scène du Parlement européen
On ne compte plus les effets paradoxaux induits par la sortie de 60 Millions de Consommateurs. Au lendemain d’Europe 1 ce sont Les Echos (article de Yann Verdo). Rappel du contexte : le débat qui doit s’ouvrir de façon imminente au Parlement européen. « Les députés des Vingt-huit vont s’y prononcer en séance plénière sur des propositions de la Commission de Bruxelles visant à faire passer la cigarette électronique du statut de produit de grande consommation en vente libre à celui de médicament délivré en pharmacie. » Ce serait là un reclassement justifié, selon ses promoteurs, par la volonté de mieux contrôler la composition du liquide dont la vaporisation remplace la combustion du tabac dans les cigarettes traditionnelles. Mais aussi par le souci de ne pas faire des e-cigarettes une porte d’entrée dans le tabagisme pour les jeunes. Un argument qui fait rire les vapoteurs comme les spécialistes de tabacologie.
Pour une diffusion massive de la e-cigarette
La publication du mensuel de l’INC ? Le Pr Antoine Flahault (Université Paris Descartes, Hôtel-Dieu de Paris) estime dans Les Echos qu’elle est typique de « l’absence totale de distanciation scientifique » et de « la complète distorsion du jugement » qui s’emparent des esprits dès lors qu’il est question de santé publique ». Loin de prôner un reclassement en médicament, celui qui fut directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique appelle de ses vœux, dans les colonnes de l’hebdomadaire économique, « une diffusion massive de la cigarette électronique, qui se traduira selon lui par une baisse du nombre d’infarctus du myocarde (le premier tueur au monde avec 7 millions de morts chaque année à son actif, selon l’OMS), des AVC (6,2 millions de morts par an), des bronchites chroniques (3 millions) et, bien entendu, du cancer du poumon (1,5 million). »
C’est le triste constat que fait Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut Gustave-Roussy et spécialiste reconnue du tabac. L’explication en est pour elle bien claire : « Entre janvier 2004 et janvier 2011, toutes les hausses de prix ont été faites à l’initiative des industriels du tabac eux-mêmes. Il s’est chaque fois agi de hausses limitées, calculées avec soin pour rattraper le coût de la vie sans casser la consommation, ni faire perdre des recettes fiscales à l’Etat. Rien à voir avec les augmentations massives intervenues dans le sillage de la loi Evin de 1991, qui, elles, ont fonctionné », analyse-t-elle.
Les accusations de Catherine Hill dans Les Echos
La stagnation du nombre moyen de cigarettes fumées par adulte et par jour (autour de 3) est d’autant plus alarmante qu’elle masque de profondes inégalités sociales. Si les cadres ne comptent plus dans leurs rangs que 20 % de fumeurs, cette proportion a augmenté dans d’autres catégories socioprofessionnelles moins favorisées. Surtout chez les femmes, qui « n’en sont pas au même stade de l’épidémie que les hommes », souligne Catherine Hill. Ainsi, la proportion de fumeuses parmi les ouvrières a plus que doublé entre les années 1980 et aujourd’hui. Et le nombre de cancers du poumon explose chez les femmes, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. Une tragédie quand on sait que ce cancer particulièrement meurtrier – et difficilement détectable : une simple radio du thorax ne suffit pas – tue 85 % des malades dans les cinq ans qui suivent le diagnostic.
Fiscalistes du tabac et technocrates de Bercy
Le surplace de la France dans la lutte contre le tabagisme aurait-il quelque chose à voir avec les 17 milliards d’euros que le tabac rapporte en taxes à l’Etat chaque année ? Nombre d’observateurs en sont convaincus. « La plupart des Etats ont développé une forte addiction aux taxes sur la nicotine », constate Antoine Flahault. « La fiscalité française sur le tabac est d’une complexité byzantine. Les élus de base n’y comprennent rien, les ministres non plus. Seuls les fiscalistes des cigarettiers et les technocrates de Bercy s’y retrouvent et ils font leur petite cuisine entre eux », lâche Catherine Hill. Spécialiste d’épidémiologie (Institut Gustave-Roussy, Villejuif).
Au premier semestre 2013, les ventes de cigarettes en France sont reparties à la baisse, en recul de 8 % par rapport au premier semestre 2012. Bercy met ce reflux inattendu sur le compte des dernières hausses de prix, mais s’abstient prudemment de décider une nouvelle augmentation pour la fin de l’année. Les observateurs y voient plutôt un effet du déferlement des cigarettes électroniques. « Elles ont commencé à tailler des croupières à l’industrie du tabac et cela va continuer », se réjouit Antoine Flahault. Pour Les Echos il ne faut voir aucun hasard dans le fait que les grands cigarettiers ont commencé à racheter l’un après l’autre les fabricants de cigarettes électroniques.
(1) Le billet de ce blog où figure l’expression (déposée) « Révolution des Volutes » a, ici et là, suscité quelques commentaires sur la Toile. Certains ne manquaient pas de flatter son auteur. Nous ne résistons pas au plaisir de donner ci-dessous quelques extraits de l’un d’entre eux retrouvé sur le site d’Aiduce. Moins pour ses termes laudateurs (« beau texte, très écrit, intelligent, par endroits enthousiasmant, et la proposition du syntagme ‘’révolution des volutes’’ est géniale ») que pour la suite, plus politiquement vinaigrée :
« J’ai la faiblesse de le trouver malgré tout cela discutable, notamment parce qu’il laisse à penser que la rébellion spontanée est une arme suffisante pour lutter contre les intérêts qui sont nos antagonistes, et qui sont puissants. Elle a permis aux vapoteurs de constater qu’ils forment une (encore petite) masse informée, consciente, réactive et qui est capable de se mobiliser très vite. Ce qui est déjà énorme : les pouvoirs publics en tiendront certainement compte dans leurs décisions futures sur la législation de la e-cig.
Maintenant, je persiste à penser que la révolte spontanée, c’est une arme limitée, et qui manque de munitions : la révolte spontanée, cela peut devenir une révolution (qui éventuellement réussit), mais cela peut tourner aussi en jacquerie (qui est toujours écrasée.) Et pour les prochaines attaques que nous aurons à subir, les leçons de cette affaire auront été tirées, et il ne sera plus suffisant d’inonder les articles de presse en ligne de commentaires rageurs et de spammer des pages facebook pour emporter le morceau.
Bref, il ne suffit pas de se mobiliser, il faut aussi s’organiser. Beaucoup d’entre nous l’ont compris, ce que prouve le nombre d’adhésions à l’AIDUCE enregistré depuis le début de la semaine : cette association est en effet l’organisation la plus apte à relayer, à amplifier et à poursuivre le mouvement de défense (certains diront d’auto-défense) de la vape ; elle sera d’autant plus efficace que nous serons nombreux à la soutenir. »
Tout est dit.
Il s’agit bien, en effet, de définir la meilleure des stratégies révolutionnaires. Révolte spontanée, romantique. C’est le petit groupe montant en ligne, la poitrine offerte aux fumées athéromateuses et aux goudrons cancéreux du démon de l’addiction. Ou organisation réfléchie, méthodique pour mieux organiser le succès durable du combat contre les redoutables « Bercy-Reynolds ».
Ce n’est pas le moindre charme de la Révolution des Volutes que de permettre associer les deux volets historiques que constituent (disons depuis Spartacus) la révolte contre celui qui est soudain perçu comme un oppresseur.