Cigarette électronique : l’autre coup de Copernic

Comme avec le baclofène dans l’alcoolisme les expériences « de terrain »  poussent les médecins à revoir leur copie. Aujourd’hui le cas exemplaire du Dr Anne Borgne, addictologue, sur Europe 1  Et entrée remarquée des Echos dans le peloton des médias affûtés sur le sujet. Sans oublier un commentaire remarqué et remarquable sur le site d’AIDUCE.

La « Révolution des Volutes »® est aussi une révolution copernicienne. Le médecin n’est définitivement plus le centre du monde des malades. Dernière preuve, médiatique, en date. Dimanche 8 septembre, début d’après-midi. Appareil de radiophonie anormalement branché. Et sur Europe 1 qui plus est. On peut réécouter ici cette « médicale ». Une émission à l’évidence enregistrée : consacrée à la cigarette électronique elle l’impasse sur la publication-dynamite du Lancet de la veille. Un ratage, en somme. Qu’importe.

Deux ans déjà

L’invitée principale est le Dr Anne Borgne. Le Dr Borgne pratique l’addictologie à l’Hôpital René-Miret de Sevran (93). C’est une grande habituée des médias généralistes, souvent aux prises avec les militants en guerre contre les servants de la tabacologie officielle.  Ancienne fumeuse (trois tentatives, arrêt il y a 20 ans) elle se souvient. Elle se souvient et elle n’a pas sa langue dans sa poche. Au point d’en dire beaucoup. Elle reconnaît aujourd’hui que la cigarette électronique mobilise l’attention des tabacologues qui « ont alerté les autorités de santé sur le sujet ». Elle reconnaît aussi et surtout avoir changé ? Il y a deux ans elle ne conseillait pas la cigarette électronique à ses patients. Tout simplement parce quelle pratiquait alors la « médecine basée sur les preuves », parce que les autorités de santé, à commencer par la Haute Autorité de Santé (HAS), ne la conseillaient pas.

Deux ans plus tard

Aujourd’hui le Dr Borgne a changé d’avis. Rien n’a pourtant changé du point de vue des autorités sanitaires. Comment comprendre ? Ce sont les utilisateurs, les consommateurs, ses patients qui l’ont convaincue. Deux de ses enfants sont des vapoteurs. « On compte un million d’utilisateurs  et cela va continuer » assure-t-elle. Dans les boutiques spécialisées les vendeurs donnent des conseils qui « ne sont pas très inappropriés » (sic). Aucun doute pour cette addictologue pragmatique : la e-cigarette a fait la preuve de son utilité. Et la sortie du potentiellement cancérigène de  60 Millions de Consommateurs  est condamnable car de nature à affoler les utilisateurs ou ceux qui envisageaient de le devenir.

Titanic de la santé publique

Il est fort regrettable que l’animateur n’ait pas, alors, relancé son invitée en lui demandant si elle avait le sentiment d’avoir ici abandonné la célèbre « médecine basée sur les preuves ». Car ces preuves n’existent pas du moins pas dans le carcan officiel sans lequel elles n’ont pas droit de cité. Ni l’Agence de sécurité sanitaire du médicament ni la HAS, encore moins la Direction générale de la Santé ou le ministère du même nom n’ont varié. Pas de feu vert et une politique réglementaire fondée sur l’assimilation aux produits du tabac. Et aucune étude en vue visant à faire la lumière sur l’innocuité et l’efficacité. Le brouillard entretenu sur une forme de Titanic de la santé publique.

Quid du Dr Borgne et de son attachement à la médecine basée sur les preuves ? Elle nous le dira sans aucun doute à l’occasion d’une prochaine invitation sur les ondes.

L’entrée en scène du Parlement européen

On ne compte plus les effets paradoxaux induits par la sortie de 60 Millions de Consommateurs. Au lendemain d’Europe 1 ce sont Les Echos (article de Yann Verdo). Rappel du contexte : le débat qui doit s’ouvrir de façon imminente au Parlement européen. « Les députés des Vingt-huit vont s’y prononcer en séance plénière sur des propositions de la Commission de Bruxelles visant à faire passer la cigarette électronique du statut de produit de grande consommation en vente libre à celui de médicament délivré en pharmacie. » Ce serait là un reclassement justifié, selon ses promoteurs, par la volonté de mieux contrôler la composition du liquide dont la vaporisation remplace la combustion du tabac dans les cigarettes traditionnelles. Mais aussi par le souci de ne pas faire des e-cigarettes une porte d’entrée dans le tabagisme pour les jeunes. Un argument qui fait rire les vapoteurs comme les spécialistes de tabacologie.

Pour une diffusion massive de la e-cigarette

 La publication du mensuel de l’INC ? Le Pr Antoine Flahault (Université Paris Descartes, Hôtel-Dieu de Paris) estime dans Les Echos qu’elle  est typique de « l’absence totale de distanciation scientifique » et de « la complète distorsion du jugement » qui s’emparent des esprits dès lors qu’il est question de santé publique ». Loin de prôner un reclassement en médicament, celui qui fut directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique appelle de ses vœux, dans les colonnes de l’hebdomadaire économique, « une diffusion massive de la cigarette électronique, qui se traduira selon lui par une baisse du nombre d’infarctus du myocarde (le premier tueur au monde avec 7 millions de morts chaque année à son actif, selon l’OMS), des AVC (6,2 millions de morts par an), des bronchites chroniques (3 millions) et, bien entendu, du cancer du poumon (1,5 million). »

C’est le triste constat que fait Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut Gustave-Roussy et spécialiste reconnue du tabac. L’explication en est pour elle bien claire : « Entre janvier 2004 et janvier 2011, toutes les hausses de prix ont été faites à l’initiative des industriels du tabac eux-mêmes. Il s’est chaque fois agi de hausses limitées, calculées avec soin pour rattraper le coût de la vie sans casser la consommation, ni faire perdre des recettes fiscales à l’Etat. Rien à voir avec les augmentations massives intervenues dans le sillage de la loi Evin de 1991, qui, elles, ont fonctionné », analyse-t-elle.

Les accusations de Catherine Hill dans Les Echos

La stagnation du nombre moyen de cigarettes fumées par adulte et par jour (autour de 3) est d’autant plus alarmante qu’elle masque de profondes inégalités sociales. Si les cadres ne comptent plus dans leurs rangs que 20 % de fumeurs, cette proportion a augmenté dans d’autres catégories socioprofessionnelles moins favorisées. Surtout chez les femmes, qui « n’en sont pas au même stade de l’épidémie que les hommes », souligne Catherine Hill. Ainsi, la proportion de fumeuses parmi les ouvrières a plus que doublé entre les années 1980 et aujourd’hui. Et le nombre de cancers du poumon explose chez les femmes, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. Une tragédie quand on sait que ce cancer particulièrement meurtrier – et difficilement détectable : une simple radio du thorax ne suffit pas – tue 85 % des malades dans les cinq ans qui suivent le diagnostic.

Fiscalistes du tabac et technocrates de Bercy

 Le surplace de la France dans la lutte ­contre le tabagisme aurait-il quelque chose à voir avec les 17 milliards d’euros que le tabac rapporte en taxes à l’Etat chaque année ? Nombre d’observateurs en sont convaincus. « La plupart des Etats ont ­développé une forte addiction aux taxes sur la nicotine », constate Antoine Flahault. « La fiscalité française sur le tabac est d’une complexité byzantine. Les élus de base n’y comprennent rien, les ministres non plus. Seuls les fiscalistes des cigarettiers et les technocrates de Bercy s’y retrouvent et ils font leur petite cuisine entre eux », lâche ­Catherine Hill. Spécialiste d’épidémiologie (Institut Gustave-Roussy, Villejuif).

Au premier semestre 2013, les ventes de cigarettes en France sont reparties à la baisse, en recul de 8 % par rapport au premier semestre 2012. Bercy met ce reflux inattendu sur le compte des dernières hausses de prix, mais s’abstient prudemment de décider une nouvelle augmentation pour la fin de l’année. Les observateurs y voient plutôt un effet du déferlement des cigarettes électroniques. « Elles ont commencé à tailler des croupières à l’industrie du tabac et cela va continuer », se réjouit Antoine Flahault. Pour Les Echos il ne faut voir aucun  hasard dans le fait que les grands cigarettiers ont commencé à racheter l’un après l’autre les fabricants de cigarettes électroniques.

 

 (1) Le billet de ce blog où figure l’expression (déposée) « Révolution des Volutes » a, ici et là, suscité quelques commentaires sur la Toile. Certains ne manquaient pas de flatter son auteur. Nous ne résistons pas au plaisir de donner ci-dessous quelques extraits de l’un d’entre eux retrouvé sur le site d’Aiduce. Moins pour ses termes laudateurs (« beau texte, très écrit, intelligent, par endroits enthousiasmant, et la proposition du syntagme ‘’révolution des volutes’’ est géniale ») que pour la suite, plus politiquement vinaigrée :

« J’ai la faiblesse de le trouver malgré tout cela discutable, notamment parce qu’il laisse à penser que la rébellion spontanée est une arme suffisante pour lutter contre les intérêts qui sont nos antagonistes, et qui sont puissants. Elle a permis aux vapoteurs de constater qu’ils forment une (encore petite) masse informée, consciente, réactive et qui est capable de se mobiliser très vite. Ce qui est déjà énorme : les pouvoirs publics en tiendront certainement compte dans leurs décisions futures sur la législation de la e-cig.

Maintenant, je persiste à penser que la révolte spontanée, c’est une arme limitée, et qui manque de munitions : la révolte spontanée, cela peut devenir une révolution (qui éventuellement réussit), mais cela peut tourner aussi en jacquerie (qui est toujours écrasée.) Et pour les prochaines attaques que nous aurons à subir, les leçons de cette affaire auront été tirées, et il ne sera plus suffisant d’inonder les articles de presse en ligne de commentaires rageurs et de spammer des pages facebook pour emporter le morceau.

Bref, il ne suffit pas de se mobiliser, il faut aussi s’organiser. Beaucoup d’entre nous l’ont compris, ce que prouve le nombre d’adhésions à l’AIDUCE enregistré depuis le début de la semaine : cette association est en effet l’organisation la plus apte à relayer, à amplifier et à poursuivre le mouvement de défense (certains diront d’auto-défense) de la vape ; elle sera d’autant plus efficace que nous serons nombreux à la soutenir. »

Tout est dit.

Il s’agit bien, en effet, de définir la meilleure des stratégies révolutionnaires. Révolte spontanée, romantique. C’est le petit groupe montant en ligne, la poitrine offerte aux fumées athéromateuses et aux goudrons cancéreux du démon de l’addiction. Ou organisation  réfléchie, méthodique pour mieux organiser le succès durable du combat contre les redoutables  « Bercy-Reynolds ».

Ce n’est pas le moindre charme de la Révolution des Volutes que de permettre associer les deux volets historiques que constituent (disons depuis Spartacus) la révolte contre celui qui est soudain perçu comme un oppresseur.

 

 

Tabac : la « Révolution des volutes »® est en marche

La dernière sortie de « 60 Millions de Consommateurs » sur la cigarette électronique « cancérogène » est difficilement  justifiable. Les réactions qu’elle suscite sont remarquables. Il y a là comme un parfum de poudre citoyenne. Les pouvoirs publics en prendront-ils de la graine ? En songeant, par exemple, à l’antique politique de « réduction des risques ».

Feint ou pas l’étonnement est là. Au lendemain de son exploit la rédaction de 60 Millions a rectifié le tir (apporté des précisions, complété son propos, répondu aux questions légitimes des lecteurs, etc.). On verra ici de quoi il retourne. « Les vapoteurs doivent-ils s’inquiéter ? Nos révélations sur la présence de composés indésirables dans les vapeurs de certaines cigarettes électroniques interpellent les utilisateurs. Retour sur les objectifs et les résultats de notre étude. » En clair ce retour montre que l’aller n’était pas très clair.

Nous ne demandons pas l’interdiction

 « Certaines e-cigarettes peuvent émettre des composés potentiellement cancérogènes,  nous redit la revue de l’Institut national de la consommation (INC). Les résultats de notre test sur les cigarettes électroniques, publiés lundi 26 août, ont suscité de nombreuses questions ou critiques de la part des internautes, utilisateurs ou revendeurs de ces appareils. D’emblée, disons-le clairement : nous ne demandons pas l’interdiction de la cigarette électronique. Nos résultats ne le justifient pas. » C’est donc redit. Pourquoi, dès lors cette vendeuse mise en scène ? Pourquoi cette potentielle perversité du « potentiellement cancérigène » ? Pourquoi cet oubli de la bibliographie, cette onction que confère la dramatisation,  ce surf sur la vague créée de l’émotion collective ?

Rassurons-nous : cela ne peut pas être le fruit d’une confraternelle compétition : « Comme nous, nos confrères de Que Choisir ont analysé, en laboratoire, la teneur en nicotine des liquides pour cigarettes électroniques. Comme nous, ils ont constaté de fréquents écarts avec le taux annoncé, écrit Benjamin Douriez. En revanche, Que Choisir n’a pas analysé les vapeurs issues des cigarettes électroniques. C’est bien dans les vapeurs que nous avons décelé des composés potentiellement cancérogènes. » Cherchez l’erreur, elle est dans la vapeur.

Faire flipper les futurs vapoteurs

 Le plus intéressant aujourd’hui est moins dans les réponses apportées en urgence à des internautes (utilisateurs ou revendeurs) férus de cigarette électronique. Elle est dans le nombre considérable et le contenu des messages suscités par la publication du dossier « potentiellement cancérigène ». Deux exemples « bravo , depuis hier tous le monde me conseille de reprendre la clope , juger bien moins cancérigène que la E cig , bravo pour le travail fait » ; « maintenant que le mal et fait , ben bravo , pourquoi n’allez vous pas sur les chaines info pour dire que vous êtes allez très vite en besogne , et que votre discours à bien fait flipper tout les futur vapoteurs. » Il y a aussi plus violent.

S’étonner  de la réactivité immédiate et de la virulence des commentaires? Sans doute pas. Nous savons que c’est là une caractéristique  essentielle de l’expression sur la Toile. Incidemment on observera que la revue de l’INC n’a visiblement pas « modéré/censuré » les réactions qu’elle a suscitées. Ce qui mérite d’être souligné. On observera aussi le formidable réservoir d’énergies, d’intérêts et de savoirs que sous-tend désormais l’affaire de la cigarette électronique, ce potentiel scandale de santé publique.

La volonté d’en découdre

 Ces remarques valent également pour les commentaires suscités par le billet  (pour partie cité ici) de Dominique Dupagne qui autopsie à vif cette affaire débutante. Mêmes énergies, mêmes intérêts, mêmes savoirs. Et même volonté de témoigner, d’expliquer, de se justifier, de revendiquer, d’accuser. Même volonté d’en découdre. Avec cette réflexion montante concernant la gabelle du tabac, les prébendes de Bercy, la brioche des Douanes. On pressent comme un parfum de poudre. D’autant que les buralistes-distributeurs de la drogue manifestent eux aussi, à leur manière, leur mécontentement ; mécontentement récurrent certes mais aujourd’hui grandissant.

La e-cigarette occupe bel et bien désormais une place inhabituelle dans le paysage des addictions. Un rôle à part  dans les différentes propositions collectives (médicales, sociétales et politiques) de lutter pour une vie meilleure, sans esclavage ni droit de cuissage. En dépit (ou plus précisément à cause) de son succès les pouvoirs publics (les autorités sanitaires) sont vite apparus comme dépassés. Ni « produit de santé » ni « produit dérivé du tabac » la e-cigarette est exclue des pharmacies et des bureaux de tabac. Disponibles dans des échoppes créées à cet effet, achetées par les citoyens sans aide de l’Etat elle échappe pour une large part aux herses réglementaires des autorités de tutelle de la Santé et de l’Economie.

De la gestuelle du fumeur

Ce n’est pas tout. La cigarette électronique échappe aussi au pouvoir médical. Du moins au pouvoir traditionnel réduit à celui du prescripteur. Par définition absente de l’espace médecin-malade elle est ailleurs. Le docteur peut la condamner ou la conseiller. Son patient fera comme il l’entendra. Ce qui est déjà une forme de liberté doublée, comme toujours, d’une responsabilité retrouvée : conserver la fameuse « gestuelle » (contagieuse ?) du fumeur tout en maîtrisant  seul(e) sa décroissance nicotinique ? Faillir et repartir au combat contre soi-même. En parler. Sur la Toile ou au café. C’est là un ensemble assez neuf, une dimension autogestionnaire inédite dans le monde de l’addictologie.

e-Electre

C’est là un cocktail que l’on pourrait qualifier d’explosif si l’expression n’était pas rongée ; ou de Molotov si l’appétit soviétique n’était pas passé de mode. Disons un beau ferment qui laisse songer à une révolte d’un nouveau genre, l’expérience individuelle de la libération des chaînes de l’addiction tabagique. Une expérience qui pourrait préfigurer d’autres libérations;  par exemple vis-à-vis de substances ou d’objets psycho-actifs fiscalisés.

Pour l’heure la cigarette électronique rougeoie. Comme l’aurore dans Electre ; Electre la lumineuse. Jean Giraudoux nous a dit que tout cela pouvait avoir un très beau nom (1). Proposition: la révolution des volutes.

(1)  La Femme Narsès : Que disent-elles ? Elles sont méchantes ! Où en sommes-nous, ma pauvre Électre, où en sommes-nous !

Électre : Où nous en sommes ?

La Femme Narsès : Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu’il se passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

Électre : Demande au mendiant. Il le sait.

Le mendiant : Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.

Jean Giraudoux (29/10/1882-31/01/1944) – Électre (dernières répliques, acte II, sc. 10) (éd. Gallimard, 1937)

 

 

 

Tabac : « 60 Millions de Consommateurs » ou les astuces du balayeur

On le redoutait. Le magazine de l’INC a jeté l’opprobre sur la cigarette électronique. Buzz médiatique : elle est « potentiellement cancérigène ». Le mal est fait. En toute impunité.

L’astuce du balayeur ? Elle réside dans l’aisance avec laquelle on parvient à cacher sous le tapis ce que l’on est rémunéré pour éliminer. Un peu de métier est ici demandé. C’est précisément le cas de l’Institut National de la Consommation (INC). Abandonnant pour un temps l’analyse comparative des aspirateurs, 60 Millions de Consommateurs » nous a démontré qu’il ne manquait pas d’air. Hier la revue de l’INC a pris les habits du contre-révolutionnaire, ce même INC qui a pour objet, sur deniers publics, de suivre l’évolution de la législation française et d’aider les consommateurs dans leur vie quotidienne en les informant. 

 Le pire est parfois toujours sûr

Les dépendants tabagiques entendent se libérer de leur chaînes ? Une  « Révolution des volutes »® serait en marche ? Rétablissons sur le champ l’ordre souverain. Démontrons que le pire est toujours le plus sûr et que l’outil libérateur n’est certainement pas le miracle annoncé. Mais sans prendre de risque inconsidéré : expliquer qu’il ne faut pas interdire, simplement se méfier. Allumer la mèche de la rumeur. Laisser planer le doute.

L’astuce du balayeur ? On plaisante bien sûr. On force plutôt un peu le trait. Pour tenter de se faire mieux entendre. Reste que ce que nous redoutions, ici-même, s’est bien réalisé. Hier objet encore étrange, outil au statut indéterminé la cigarette électronique, cette sans-culotte sanitaire, est devenue sinon une menace du moins un objet suspect. Un objet dont doivent désormais se méfier celles et ceux qui seraient tentés de sortir, grâce à elle, de leur servitude pulmonaire et neurologique quotidienne. Pas aussi dangereuse que le tabac, certes. Mais comme lui potentiellement cancérogène. Et tous ceux qui ont connu les affres indicibles de la dépendance savent qu’il en faut bien peu pour y demeurer quand la conscience et la raison vous pousseraient potentiellement à en sortir.

Le mauvais exemple

Les religions et leurs guerres réclament le binaire. Sur BFM TV M. Joseph Osman (directeur général de l’Office français de prévention du tabagisme) vient de plaider pour que la cigarette électronique soit vendue exclusivement en pharmacie. Ce qui n’est pas possible en l’état. Dans le journal de mi-journée de France 2  deux tabacologues : « pour » la cigarette électronique, Michel Reynaud (Institut Gustave Roussy-Villejuif) et « contre » : Michel Henry Delcroix (centre anti-tabac de Lille). Le premier : « C’est moins dangereux et cela peut aider des fumeurs à freiner ou à arrêter ». Le second : « Cela donne le mauvais exemple de fumer quand même … ». Tout est dit : le pragmatisme versus l’apparence. Et si les volutes de la cigarette électronique étaient, précisément le bon exemple, l’exemple libérateur pour les asservis aux multinationales du tabac et aux taxations étatiques ?

Une nouvelle lecture erronée du principe de précaution

L’astuce du balayeur ? Avec elle nul ne voit plus l’erreur. Plus grave : sur RMC, Yves Bur (UMP, ancien député du Bas-Rhin et président d’Alliance contre le tabac) : « On dit depuis longtemps qu’il faut être prudent … La cigarette électronique est effectivement moins dangereuse, mais cependant,  elle n’est pas inoffensive. Et c’est pourquoi nous avons demandé, au ministère, d’appliquer le principe de précaution : pas de publicité, pas de vente aux mineurs et interdiction d’usage dans les lieux où est interdite la cigarette. Il faut des études complémentaires ». Militant tenace, mais saisissant encore mal la révolution en marche, Yves Bur a été entendu par Marisol Touraine, ministre de la Santé. Mme Touraine avait demandé une expertise sur le sujet à Bertrand Dautzenberg qui préside l’Office français de prévention du tabagisme.

 « Les cigarettes électroniques sont loin d’être des gadgets inoffensifs qu’on nous présente. Ce n’est pas une raison pour les interdire. C’est une raison pour mieux les contrôler » avait expliqué Thomas Laurenceau, rédacteur en chef du magazine de l’Institut national de la Consommation (INC). La belle affaire quand on ajoute que l’on a décelé grâce à une méthode inédite, des « molécules cancérigènes en quantité significative » dans les volutes d’e-cigarettes. Des molécules qui n’auraient jamais été mises en évidence : « dans trois cas sur dix, pour des produits avec ou sans nicotine, les teneurs en formaldéhyde (couramment dénommé formol) relevées flirtent avec celles observées dans certaines cigarettes conventionnelles ». (1)

UFC-Que Choisir battue à l’irrégulière

 L’astuce du balayeur ? Elle permet d’aller nettement plus vite que les aspirateurs. Le concurrent UFC- Que choisir (accès payant) est à la traîne. Après sa « Caméra cachée » sur les méthodes de vente dans les boutiques de cigarettes électroniques il publie dans son édition de septembre son premier dossier complet sur cette « nouvelle tendance de consommation ». C’est le pointilleux site lemondedutabac.com qui nous le dit et qui fait ici la leçon (2)

Et puis il y a toujours un invité qui (pourquoi ?) soulève le tapis. Dominique Dupagne, sur son site atoute.org :

« Avant toute chose, il y a un problème de liens d’intérêts. L’INC qui édite la revue 60 Millions, est subventionné majoritairement par le Ministère des finances qui nomme également ses administrateurs. Le Ministère des finances perçoit les taxes sur les ventes de tabac, en baisse en 2013 pour la première fois. Je n’accuse pas les journalistes d’avoir orienté leur travail, je constate simplement un conflit d’intérêt majeur et inacceptable, surtout pour un dossier qui a engagé des dépenses de recherche conséquentes

Qu’apporte l’INC pour inquiéter ainsi des centaines de milliers d’utilisateurs français et pour contredire la publication scientifique ci-dessus ? Rien. Aucun détail du protocole n’est accessible, pas plus que les résultats bruts de leurs mesures. Tout au plus apprend-on dans l’article que le laboratoire a utilisé un « protocole original ».

Nous sommes donc confrontés à bricolo et bricolette qui jettent le doute sur un progrès de santé publique majeur et qui oublient de signaler que les principaux cancérigènes sont les goudrons et les oxydes de carbone, absents de la cigarette électronique. C’est un peu comme si l’INC tirait à boulets rouges sur la bière sans alcool en expliquant que le sucre peut être « potentiellement » mauvais pour les futurs diabétiques (…)  Cette charge de l’INC contre la e-cigarette est idiote dans sa forme, infondée jusqu’à preuve du contraire et dangereuse pour la santé publique. L’Institut ne rend pas service aux consommateurs et aurait mieux fait de concentrer son travail sur le contrôle des teneurs alléguées dans le liquide des cartouches ou recharges. »

Bières sans alcool

L’astuce du balayeur impose de se méfier de tout. Et peut-être surtout de la bière sans alcool qui est relancée depuis peu sous nos latitudes par Kronenbourg et qui connaît un succès croissant dans les pays musulmans comme le révélait  The Economist (daté du 3 août). (Brewers in the Middle East, Sin-free ale. Non-alcoholic beer is taking off among Muslims consumers). En dépit de Louis Pasteur le diable se cache toujours dans les fermentations. Et les spécialistes religieux débattent encore de savoir s’il n’y aurait pas, ici ou là des traces de la molécule alcool.

(A suivre)

(1) Pourquoi s’asseoir sur cette étude remarquablement documentée et (que nous a fort obligeamment transmise notre confrère Jean-Daniel Flaysakier) ? Une étude publiée en mars dernier dans Tobacco Control et qui aboutit à des conclusions radicalement opposées.

(2) Présentation faite par lemondedutabac.com : « Un horizon encore vaporeux » ne court pas, malgré son titre, après la polémique. Mais le dossier cherche à montrer que les adeptes de ce produit de consommation « atypique » qu’est la cigarette électronique ont besoin d’un « encadrement ». Suivant la méthode d’analyse du magazine et de l’Union Fédérale des Consommateurs (UFC), le phénomène  de la cigarette électronique est « scanné » en quatre parties.

• Le contexte : le boom du phénomène ; « la frilosité des autorités sanitaires à travers le monde » ; la prise en compte du développement d’une communauté (avec une citation de l’Aiduce, l’Association indépendante des Utilisateurs ) ; la prise de conscience de la nécessité d’ un certain encadrement, confirmée par Mickaël Hammoudi, président du CACE (Collectif des Acteurs de la Cigarette électronique).

• Pourquoi réglementer ? Parce que le « Test labo », réalisé par l’association, démontre un certain décalage entre étiquetage, analyse et résultats. Pas forcément trompeur, ni dangereux. Mais pas toujours fiable.
Par exemple , sur 14 e-liquides testés (Alphaliquid, Cigarettec, Cigway, Conceptarôme, D’Ilice, FUU, Tag Replay pour nommer ces exemples )   neuf sont appréciés comme « bon », deux comme « médiocre » et trois comme « très mauvais », concernant le comparatif « taux déclaré/taux mesuré » sur la nicotine.

• Autre source de décryptage : « le faux du vrai » à l’usage du consommateur. Qu’il s’agisse des effets sur la santé des ingrédients, de la présence de substances toxiques, de l’efficacité en terme de sevrage tabagique ou encore de « vapotage passif » … les réponses des experts de la consommation se montrent plutôt ,« réservés » en défendant autant le pour que le contre.

• Enfin, l’avis des experts. Contradictoire, bien sûr. Entre Luc Dussart, consultant en tabagisme, qui défend la liberté de vapoter « parce que plus la cigarette électronique sera visible, plus le tabagisme reculera ». Et le pneumologue Michel Underner (qui a participé au groupe de travail sur le rapport remis à Marisol Touraine le 28 mai dernier) qui craint « le danger de l’imitation auprès des jeunes ».

 NB : Nous traversons des temps qui réclament la transparence absolue. Aussi précisons-nous ne pas être intéressé (autrement que du point de vue des idées et de la santé) par le marché des cigarettes électroniques, celui des produits dérivés du tabac et/ou des substituts nicotiniques.

 

 

 

 

 

Cigarette électronique, scandale de santé publique (suite inattendue)

Nouvelle attaque en piquet [corrigé: piqué] contre les e-cigarettes. Elle émane cette fois de la revue 60 Millions de consommateurs. Reprise de l’antienne : elles pourraient bien être dangereuses. C’est possible. Cancérogènes ? Dans le même temps le tabac tue (prématurément) deux cents consommateurs par jour. Soit environ deux millions depuis que la revue existe. Où se situe la véritable urgence ?   

Scoop à la Une : le vapotage pratique à laquelle s’adonnent entre cinq cent mille et un million de Français(es) « ne serait pas aussi inoffensif qu’on voudrait bien nous le faire croire. « On » ? Entendez les fabricants de cigarettes électroniques. C’est ce que révèle dans sa livraison de septembre la revue 60 Millions de consommateurs

« Peut tuer un enfant »

Ainsi donc les cigarettes électroniques pourraient bien  « émettre des composés potentiellement cancérogènes » écrit la revue, qui a « testé une dizaine de modèles, jetables ou rechargeables ». A savoir l’étiquetage de certains produits ne serait  pas toujours conforme ; la dose de nicotine des recharges liquides (qui comportent toutes un logo-tête de mort) ne correspond pas toujours à ce qui est mentionné (avec des teneurs ….. inférieures dans tous les cas) ; des produits annoncés « sans » propylène glycol en contiendraient ; ou encore des fabricants « oublieraient » de mentionner sa présence.

Ce n’est pas tout : des problèmes « de sécurité » auraient  également été relevés. La revue qui œuvre au service des consommateurs dénonce ainsi « l’absence de bouchon de sécurité sur certaines recharges » et ce  « alors que la nicotine est particulièrement toxique pour les petits ». On l’oublie, mais « l’ingestion de doses élevées de certains produits de l’étude peut tuer un enfant ».

Acroléine, acétaldéhyde, nickel, chrome et antimoine

« Si jusqu’à alors, les études menées sur les vapeurs d’e-cigarettes n’avaient jamais mis en évidence de molécules cancérogènes en quantité significative, nos analyses démontrent pour la première fois que les vapeurs de certaines marques contiennent des substances très préoccupantes, parfois même en quantité plus importante que dans certaines cigarettes conventionnelles ! » alerte la revue.

Egalement décelée : l’acroléine, une molécule toxique, émise « en quantité très significative par le modèle E-Roll – mieux : « à des teneurs qui dépassent même parfois celles que l’on peut mesurer dans la fumée de certaines cigarettes ». Ceci vraisemblablement en raison d’un dispositif qui chauffe trop vite. Sans oublier l’acétaldéhyde, classé cancérogène possible, dont les teneurs parfois loin d’être négligeables relevées restent toutefois très inférieures à celles observées avec les cigarettes de tabac. Pour finir des traces de métaux « potentiellement toxiques » auraient été détectées dans Cigartex, qui libère autant de nickel et de chrome qu’une vraie cigarette, et dans la Cigway jetable, qui libèrerait plus d’antimoine.

« Ce ne sont pas des raisons pour les interdire »

Et la conclusion ? « Ce n’est pas une raison pour les interdire, assure  Thomas Laurenceau, rédacteur en chef du magazine de l’Institut national de la consommation (INC). C’est une raison pour mieux les contrôler ». Il est vrai que l’on comprendrait assez difficilement que l’on interdise la cigarette électronique et que l’on continue à laisser le tabac en vente libre. Pour sa part la revue «  appelle les autorité de santé à réagir ». « Le code de la consommation pourrait encadrer la véracité de l’étiquetage et imposer un bouchon de sécurité », relève notamment M. Laurenceau. Serait-ce tout ce que propose et réclame ce rédacteur en chef ?

L’affaire ne manquera pas de faire du bruit. Certains évoquent le gadget fumeux (sic) que constituerait la cigarette électronique. Déjà reprise sur les ondes matinales radiophoniques elle est ainsi résumée; la e-cigarette est « potentiellement cancérogène ». N’en doutons pas: cette affaire mettra mal à l’aise nombre de celles et ceux qui tentent le sevrage associé au vapotage. Elle auto-justifiera le comportement des fumeurs et des fumeuses qui n’ont pas le courage de sortir de leur esclavage. De ce point de vue l’initiative de la revue de l’INC reproduira très précisément les effets de la couverture médiatique qui a suivi la remise du « rapport Dautzenberg » à Marisol Touraine, ministre de la Santé. Car faute de hiérarchiser les priorités de santé publique on ajoute à la confusion.

Comment se justifier demain

Incidemment on voit ici l’INC chasser sur les terres de la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF, ministère de l’Economie) tout en en appelant à la responsabilité de la Direction Générale de la Santé (DGS, ministère de la Santé). Où l’on retrouve aussi l’incompréhensible difficulté qu’a la puissance publique française pour prendre raisonnablement en charge l’évaluation d’une affaire qui se situe au cœur même d’une problématique majeure de santé publique. Comment comprendre aujourd’hui (comment justifier demain) que cette puissance publique ne soit pas parvenue en temps et en heure à évaluer en toute indépendance l’innocuité et l’efficacité d’un objet aujourd’hui consommé par plusieurs centaines de milliers de Français ?

Ni « produit de santé » (assimilable à un médicament), ni « produit dérivé du tabac » la cigarette électronique évolue dans un no man’s land français, une terra incognita tricolore. Pendant combien de temps encore ?