Bonjour
On le savait depuis la Création d’Adam et Eve. Une côte, une pomme, un serpent. Et puis, avec le temps, on oublia. La quête de l’égalité citoyenne, la somme des bouleversements sociaux, l’avancée triomphante de la science biologique, l’émergence d’une parité mal comprise autant qu’envahissante (et bien d’autres choses encore) nous conduisirent à l’aveuglement actuel : imaginer, postuler, que nous sommes tous également pareils. Que le genre ne renvoie pas à un dimorphisme et que ce dimorphisme va bien au-delà des différences génitales.
Mais voici venu le temps des changements de focales : la recherche et la médecine ne peuvent plus ignorer les différences biologiques entre les sexes. Depuis Paris et son siège niché à gauche, au cœur de la bien vieille rue Bonaparte, c’est le cri que vient de lancer l’Académie nationale de médecine. Et depuis la rue Bonaparte, l’Académie cite le toujours jeune Hippocrate. Ce dernier observait que la femme a la chair moins ferme que celle de l’homme. « Cela étant ainsi, le corps féminin tire du ventre le fluide plus vite et plus que le corps masculin » en concluait-il. Il observait aussi que la femme a le sang plus chaud, « et c’est pourquoi elle est plus chaude que l’homme ». « L’homme, étant de chair plus dense, n’éprouve point de plénitude sanguine telle que, s’il n’évacue mensuellement une certaine quantité de sang, il ressent du malaise ; il puise ce que demande la nourriture du corps, et le corps, n’étant pas mou, n’est sujet à un excès ni de ton ni de chaleur par l’effet de la pléthore comme chez la femme. »
Ignorance et/ou pudeur
Quatre siècles avant Jésus-Christ, Hippocrate se fendit aussi de quelques « réflexions générales » sur les « maladies des femmes ». D’où il ressortait que les femmes « par ignorance ou par pudeur » hésiteraient à parler de leurs maux ; et que, partant, les médecins les méconnaîtraient le plus souvent. « Les maladies des femmes diffèrent beaucoup de celles des hommes, écrivit-il. Tous les accidents arrivent de préférence aux femmes qui n’ont pas eu d’enfant; pourtant ils surviennent souvent aussi chez celles qui en ont eu. Ils sont graves (…) et difficiles à comprendre. Parfois elles ne savent pas elles-mêmes quel est leur mal, avant d’avoir l’expérience des maladies provenant des menstrues et d’être plus avancées en âge. Alors, la nécessité et le temps leur enseignent la cause de leurs maux. » Admirable.
« En outre, les médecins commettent la faute de ne pas s’informer exactement de la cause de la maladie, et de traiter comme s’il s’agissait d’une maladie masculine, ajoutait Hippocrate. Et j’ai vu déjà plus d’une femme succomber ainsi à cette sorte d’affections. Il faut, dès le début, interroger soigneusement sur la cause ; car les maladies des femmes et celles des hommes diffèrent beaucoup pour le traitement. »
Sous prétexte de parité
Que dire de plus, que dire de mieux ? « Les hommes et les femmes ne sont pas égaux devant la maladie et doivent donc êtres traités différemment, réaffirme en cet été 2016 l’Académie nationale française. Plusieurs pays européens ont déjà adapté en conséquence leur recherche scientifique et leurs stratégies thérapeutiques – prenant ainsi au moins dix ans d’avance par rapport à la France ». Pourquoi ce retard ? « Sous prétexte de parité, on évite de reconnaître les différences entre les hommes et les femmes – et ce au mépris des évidences scientifiques et de l’intérêt même de la santé des femmes… et des hommes. La primauté donnée au genre sur les réalités du sexe risque de créer une injustice de plus. Il est du devoir des scientifiques et des médecins de prendre conscience pour alerter et agir.»
En Allemagne, la cardiologue Vera Regitz-Zagrosek a, en 2003, fondé l’Institut du Genre en médecine à l’Hôpital de la Charité, à Berlin – puis la Société allemande et internationale pour l’égalité en médecine. « Méconnaître les différences entre homme et femme conduit à poser des diagnostics inappropriés pour des cardiopathies ischémiques, le syndrome du cœur brisé (tako tsubo), l’infarctus aigu du myocarde, ou encore les insuffisances cardiaques », explique-t-elle.
Différences génétiques
Rue Bonaparte, à Paris, on rappelle, pour l’heure, quelques évidences modernes trop méconnues. A commencer par le fait que notre sexe (notre genre) est déterminé initialement et uniquement de manière biologique. Dès la conception, les chromosomes XX déterminent le sexe féminin et les chromosomes XY le sexe masculin, puis, plus tard, la différenciation gonadique se produit avec l’apparition des hormones sexuelles. « Les différences génétiques interviennent donc très précocement au cours du développement, avant la différenciation des gonades, ajoute-t-on. Ce n’est que 7 à 8 semaines plus tard que cette différenciation se poursuit, au cours de fenêtres développementales différentes, sous l’influence des hormones sexuelles. Ces différences génétiques puis hormonales aboutissent, par divers mécanismes et des variations d’expression de gènes, à des différences anatomiques (cœur et vaisseaux sanguins), et notamment à des systèmes immunitaires différents. »
Pour le reste, bien des choses s’éclairent d’un jour nouveau si l’on chausse ces nouvelles lunettes. Ainsi, les différences liées au sexe déterminent la prévalence, l’âge d’apparition, la sévérité et l’évolution de nombreuses entités pathologiques, le métabolisme et la réponse aux thérapeutiques – sans oublier certains comportements. Faut-il rappeler que certaines affections touchent majoritairement les femmes : maladie d’Alzheimer, anorexie, dépression, ostéoporose, troubles alimentaires, maladies auto-immunes ou certains cancers ? Inversement, les hommes sont plus fréquemment atteints de syndromes autistiques, de tumeurs du cerveau et du pancréas, d’AVC ischémique ; ils sont aussi plus enclins aux conduites à risque (alcool, drogues) et à la violence. On sait encore que les milliards de bactéries qui constituent notre microbiote sont en proportions différentes, de sorte qu’elles confèrent des susceptibilités différentes à leurs hôtes, masculins ou féminins.
Formatage social et culturel
On peut encore regarder tout ce paysage humain sous un autre angle, rose et bleu : notre genre se constitue, aussi, tout au long de la vie, du fait d’un formatage socioculturel progressif, lié à la perception et aux implications sociales de notre sexe. « Il faut compter avec des stéréotypes difficiles à éradiquer même s’ils sont erronés et avec des occupations différentes au cours des-quelles, pour des raisons socioculturelles, hommes et femmes peuvent être soumis à des expositions spécifiques différentes aux virus, bactéries et polluants » ajoutent les académiciens tricolores.
Mieux encore, et hautement plus dérangeant, ils estiment que la vision actuelle sur la différenciation du sexe est déjà devenue obsolète. Le gène SRY (Sex-determining Region of Y chromosome) n’est plus dominant par rapport au sexe féminin tel qu’il était défini par défaut. En effet, si la ressemblance, en termes de séquence, entre deux hommes ou deux femmes est de 99,9 %, la ressemblance entre un homme et une femme n’est que de 98,5 % – du même ordre de grandeur qu’entre un humain et un chimpanzé de même sexe… De même, les différences liées au sexe dépassent largement désormais celles uniquement liées à la reproduction dans une vision limitée aux gonades et aux hormones. »
Sexe protecteur
Certes, et jusqu’à plus ample informé, le génome dont nous « héritons » de nos parents est stable, définitif, et identique dans chacune de nos 60 000 milliards de cellules. Mais, dans le même temps, nos 23 000 gènes s’expriment différemment dans le foie, le rein ou le cerveau selon le sexe, l’âge et les mille et une touches épigénétiques.
Dès lors, que faire ? Sans doute mieux comprendre les mécanismes de régulation spécifiques du sexe, aussi bien physiologiques que liés à la maladie ; et ce pour mieux faire en termes de prévention, de diagnostic et de thérapeutique. « L’incidence et la progression de nombreuses maladies diffèrent d’un sexe à l’autre, de sorte que le sexe peut à lui seul être un facteur protecteur, parfois plus important que les traitements existants » fait valoir l’Académie de médecine.
« On veut gommer les différences pour parvenir à l’égalité, alors qu’il faudrait en tenir compte dans la pratique médicale comme en matière de prévention, résume la Pr Claudine Junien, généticienne. Il faut sortir de la dichotomie sexe et genre : les deux dimensions sont parfaitement imbriquées. » Hippocrate professait-il le contraire ?
A demain
Ce texte a été initialement publié dans la Revue Médicale Suisse sous le titre : « L’homme n’est plus l’égal biologique et médical de la femme ». Rev Med Suisse 2016;1298-1299