Cigarette électronique : comment observer son efficacité sans parvenir à la conseiller

Bonjour

Les statistiques décrivent-elles la réalité ? Peuvent-elles peser sur elle ? Le dernier numéro du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) consent à se pencher sur la cigarette électronique 1. Et parvient à ne pas répondre à une question sanitaire essentielle : la e-cigarette est-elle un outil efficace pour l’arrêt du tabac ?

« La réponse à cette question reste à ce jour controversée : d’un côté, les deux essais contrôlés randomisés publiés à ce jour montrent que la e-cigarette peut être efficace pour aider à l’arrêt du tabac, de l’autre, des études de cohorte en population générale sont plus réservées quant à son efficacité, résume Anne Pasquereau (Santé Publique France), première auteure. Dans ce contexte, cette étude est la première à apporter des résultats sur le rôle de la e-cigarette parmi les fumeurs Français. Notre objectif était d’évaluer si l’utilisation régulière d’e-cigarette parmi les fumeurs quotidiens était associée 6 mois plus tard à l’arrêt du tabac. »

L’étude publiée dans le BEH est, modestement, une étude observationnelle (devenir des fumeurs en conditions réelles) et non pas stricto sensu une étude d’efficacité. Les auteurs ont interrogé à six mois d’intervalle (en septembre 2014 et mars 2015) 2 057 fumeurs âgés de 15 à 85 ans, représentatifs des fumeurs français selon la méthode des quotas. Les fumeurs qui vapotaient régulièrement – 252 « vapo-fumeurs » (sic)-  ont été comparés aux 1805 fumeurs exclusifs. Les profils socio-économiques et les caractéristiques de consommation de tabac des fumeurs ont été pris en compte dans les analyses statistiques.

Réduire sans arrêter

Voici les trois principaux constats :

. Les vapo-fumeurs sont plus nombreux que les fumeurs exclusifs à avoir réduit de moitié ou plus leur consommation quotidienne de cigarettes : 26 % versus 11 %.

. Les vapo-fumeurs sont plus nombreux que les fumeurs exclusifs à avoir tenté d’arrêter de fumer au moins 7 jours au cours du dernier mois : 23 % versus 11 %.

. Concernant l’arrêt du tabac d’au moins 7 jours à 6 mois, il n’y avait pas de différence significative entre vapo-fumeurs et fumeurs exclusifs.

Conclusions des auteurs : « Parmi les fumeurs, ceux qui utilisaient régulièrement une e-cigarette ont plus souvent essayé d’arrêter de fumer et réduit leur consommation de cigarettes au suivi à 6 mois. L’efficacité de l’e-cigarette pour arrêter de fumer reste en débat ». Conclusion de 20 minutes : « Le vapotage permet de réduire sa consommation de cigarettes, mais pas d’arrêter de fumer ».

E-cigarette gratuite

Anne Pasquereau est prudente : « Comme toute étude scientifique, celle-ci comporte aussi des limites qu’il convient de rappeler : la durée du suivi est relativement courte, l’échantillon de vapo-fumeurs est de taille modeste. Enfin le fait d’être devenu vapo-fumeur peut refléter une volonté initiale de cesser de fumer qui se traduit in fine par des tentatives d’arrêt plus fréquentes ». Et elle ajoute ceci :

« Cette étude porte sur des fumeurs de la population générale suivis en conditions réelles. Un contexte différent des essais cliniques où les fumeurs sont suivis de près et où la e-cigarette est fournie gratuitement et peut être perçue comme l’outil qui va enfin permettre d’arrêter de fumer, ce qui peut influencer le comportement des fumeurs. »

Qu’attend Santé Publique France pour fournir gratuitement les cigarettes électroniques dans des essais cliniques qui permettraient, enfin, de sortir des insupportables impasses actuelles ? Et d’en finir avec cette antienne qui, une nouvelle fois, signe l’impuissance coupables de nos autorités sanitaires :

« Santé publique France continuera à suivre l’évolution de l’usage d’e-cigarette en France via ses enquêtes Baromètres santé. Ces données et celles du domaine de la recherche permettront d’avancer dans la réflexion sur la place de la e-cigarette dans le sevrage tabagique. »

A demain

1 « CIGARETTES ÉLECTRONIQUES, TENTATIVES D’ARRÊT ET ARRÊT DU TABAC : SUIVI À 6 MOIS »  Anne Pasquereau (anne.pasquereau@santepubliquefrance.fr), Romain Guignard, Raphaël Andler, Viêt Nguyen-Thanh Santé publique France, Saint-Maurice, France

* Adapté de : Pasquereau A, Guignard R, Andler R, Nguyen-Than V. Electronic cigarettes, quit attempts and smoking cessation: a 6-month follow-up. Addiction. 2017;112(9):1620-8.

Alcools en excès: la guerre est déclarée entre l’Elysée et le ministère de la Santé

 

Bonjour

En apparence l’affaire oppose le lobbyiste « Vin & Société » à l’institution « Santé Publique France ». Résumons-là. Le 4 mai dernier, sous l’égide de Santé Publique France et de l’Institut du Cancer, un groupe d’experts présentait un rapport explosif formulant une série de recommandations visant à renouveler radicalement le discours public sur l’alcool en France. Parmi les mesures proposées par ce groupe d’experts figure la mise en place de nouveaux repères de consommation : dix verres d’alcool standards par semaine maximum, soit deux verres par jour maximum (homme et femme confondus), avec des jours sans consommation.

Un mois plus tard

Un mois plus tard (comme par hasard)  Vin & Société livre son analyse :

« Vin & Société prend acte des nouveaux repères de consommation à moindre risque proposés par un groupe d’experts. Nous constatons que ces nouveaux repères, déjà affichés sur le site Alcool-info-service, sont parmi les plus bas du monde, en décalage avec la moyenne des autres pays*. Le rapport souligne également l’importance de les faire connaître aux Français (…)

En revanche, pour la première fois de notre histoire, nous constatons une toute nouvelle orientation de santé publique passant de la lutte contre la consommation excessive d’alcool à l’idée que toute consommation est nocive, même en quantité minime. En application du principe de précaution, c’est dorénavant l’ensemble de la population qui est visée, plutôt que les populations à risque ou les consommateurs excessifs. »

Dans cette logique les experts de Santé Publique France proposent un ensemble de mesures visant à remettre en cause toute forme de consommation d’alcool : changement du message sanitaire qui deviendrait « Toute consommation d’alcool comporte des risques pour votre santé », taxation, renforcement du cadre publicitaire sur Internet, etc. Pour Vin & Société ces préconisations sont proposées de façon régulière depuis des années alors qu’elles n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.

Au nom des « 500 000 acteurs de la vigne et du vin » le lobbyiste « prend acte » de ce changement de norme et renouvelle sa proposition : contribuer à la diffusion des repères de consommation comme l’association l’a déjà proposé aux pouvoirs publics à maintes reprises ; et comme elle a financé sur ses fonds propres une première campagne d’information 2 visant à faire connaître les précédents repères de consommation.

Mmes Audrey Bourolleau et Agnès Buzyn

On ne saurait en rester à cette lecture. Pour deux raisons majeures. La première est qu’Audrey Bourolleau, 37 ans, a été nommée, lundi 22 mai, « conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural » d’Emmanuel Macron, président de la République. Or Mme Bourolleau était jusqu’à ces derniers temps la déléguée générale de Vin & Société où elle avait mis en œuvre les campagnes dénoncées par les exeprts officiels.

La seconde raison est qu’Agnès Buzyn a été nommée ministre de la Santé (et des Solidarités) par Emmanuel Macron. Or Mme Buzyn était il y a peu encore à la tête de l’Institut National du Cancer et elle exerce aujourd’hui la tutelle sur Santé Publique France.

On imagine mal comment un consensus pourrait désormais être trouvé, sur le thème alcoolique, entre le Palais de l’Elysée et le ministère de la Santé. Comment concilier le slogan « Toute consommation d’alcool comporte des risques pour votre santé » avec le célèbre « A consommer avec modération » ? Nous sommes là, comme jamais avec le risque alcoolique, au cœur du pouvoir politique. Avec, une nouvelle fois une confusion des risques pratiques et des boissons alcooliques, tout se passant comme si Vin & Société œuvrait, délibérément ou pas, pour les grands alcooliers industriels directement impliqués dans les alcoolisations répétées et précoces ; des comportements incompatibles avec les « repères de consommations ».

L’affaire « zéro alcool » commence. Qui arbitrera et qui l’emportera ?

A demain

1 L’avis d’experts retient un maximum de dix unités d’alcool par semaine pour les hommes comme pour les femmes, soit 100 g d’alcool pur par semaine. Selon Vin & Société dans les autres pays ayant adopté des repères de consommation, ces repères vont de 98 à 140 g pour les femmes, et de 150 à 280 g pour les hommes. Source : « Governmental standard drink definitions and low-risk alcohol consumption guidelines in 37 countries »(Addiction, juillet 2016)

2 Campagne d’information Vin & Société « Le vin, je l’aime je le respecte ». Diffusion des repères 2340. Décembre 2015

 

Cancers et alcools : l’association Vin & Société est accusée de mentir. Se défendra-t-elle ?

 

Bonjour

1er août 2016. La France chauffe. Dans les vignes les raisins gonflent. Dans les villes les publicités incitent à boire des bières fraîches brassées dans d’improbables abbayes, des vodkas glacées à bon marché, des mojitos synthétiques pré-emballés. Alcools industriels comme s’il en pleuvait. La loi Evin est respectée, aucun avocat n’est demandé.

Soudain  une attaque. Elle se fonde sur étude qui vient d’être publiée dans la revue Addiction : “Alcohol consumption as a cause of cancer” – un travail signé Jennie Connor (Department of Preventive and Social Medicine, University of Otago, New Zealand). Résumé :

«  Il confirme de manière incontestable, sur la base d’une méta-analyse de grande ampleur, le lien entre consommation d’alcool et survenue du cancer pour sept localisations : oropharynx, larynx, œsophage, foie, côlon, rectum et sein. Cette étude confirme également que l’augmentation du risque de survenue du cancer est proportionnelle à la quantité consommée et qu’elle s’observe même chez les consommateurs à doses faibles et modérées.

« Par ailleurs, dans la même publication, les auteurs présentent les résultats d’une étude remarquable sur le plan scientifique (1 million de femmes suivies pendant 7 ans) qui indiquent qu’une consommation faible (70 à 140 g d’alcool par semaine, soit 7 à 14 consommations) augmente le risque de cancer du sein de 13 %. »

 Tronquer et tromper

Pour les responsables de l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA) ces données scientifiques sont incontestables. Elles justifient, après d’autres, la nécessité  de mettre en place une « politique de réduction du risque alcool ». Une politique « fondée sur la connaissance et non sur le déni ou des informations tronquées et donc trompeuses ».

Et l’ANPAA de fondre sur lire sur le site de Vin & Société « lobby alcoolier » – site sur lequel elle lit :

« Un consensus existe sur les bénéfices d’une consommation modérée de vin sur la survenue du cancer colorectal et du cancer de l’œsophage », ou encore « des controverses existent sur les cancers…, des voies aéro-digestives supérieures excepté l’œsophage (l’effet serait bénéfique, neutre ou néfaste)…, mais aussi sur le cancer du sein (l’effet serait néfaste ou neutre pour les cancers hormono-dépendant, alors que d’autres publications indiquent un effet néfaste voire bénéfique pour les cancers du sein non-hormono-dépendants) ». »

 Matraquage publicitaire

Pour l’ANPAA « ces allégations totalement fausses sur le plan scientifique n’ont pour objectif que de minorer les dangers de l’alcool pour protéger des intérêts économiques au détriment de la vérité scientifique et de la santé de la population. » Et l’ANPAA de citer un travail international récent étudiant les vertus comparée d’une faible consommation et d’une abstinence quasi-totale :  “Do « Moderate » Drinkers Have Reduced Mortality Risk? A Systematic Review and Meta-Analysis of Alcohol Consumption and All-Cause Mortality.”

« Une politique de la prévention du cancer et de la réduction du risque lié à la consommation d’alcool doit reposer sur une information honnête du public et non sur des notions floues comme la modération qui n’ont pour autre objectif que de protéger les intérêts d’un lobby » conclut l’ANPAA. « Boire moins, c’est mieux » assure-t-elle. La formule est belle. Elle ne répond guère aux questions de ceux qui boivent plus que de raison. Elle ne dit rien, notamment, de l’impact sanitaire du matraquage publicitaire intensif poussant à la consommation massive de boissons alcooliques de fabrication industrielle. C’est pourtant bien là que la bât blesse.

A demain

Cigarette électronique au zénith : six millions d’Européens ont arrêté de fumer avec elle

 

Bonjour

Brexit ou pas, les bonnes nouvelles peuvent être brèves. Plus de six millions de fumeurs dans l’Union européenne ont arrêté de fumer et plus de 9 millions ont réduit leur consommation de tabac fumé avec la cigarette électronique. Telle est la principale conclusion d’une étude publiée aujourd’hui sur le site de la revue Addiction : “Electronic cigarette use in the European Union: analysis of a representative sample of 27 460 Europeans from 28 countries

C’est là un travail mené par quatre spécialistes  : Farsalinos KE , Voudris V et Poulas K (University of Patras, Greece) associés à Jacques Le Houezec (UK Centre for Tobacco and Alcohol Studies, Division of Epidemiology & Public Health, University of Nottingham ; Addiction research unit, INSERM 1178 (Mental & Public Health), Paris). Ils ont analysé les données de l’Eurobaromètre 2014 sur le tabagisme et l’utilisation de la cigarette électronique. Il ressort de ce travail que 48,5 millions d’Européens ont déjà essayé la cigarette électronique, et que  7,5 millions sont actuellement des utilisateurs. Parmi les utilisateurs actuels, 35,1% ont arrêté de fumer du tabac et 32,2% ont réduit leur consommation.

Sevrage sans précédent

Laissons parler les auteurs. « Ce sont probablement les taux de sevrage et de réduction tabagiques les plus élevés jamais observés sur une population aussi large, souligne Konstantinos Farsalinos. Les données de l’Union européenne montrent que l’utilisation de la cigarette électronique semble avoir un impact positif sur la santé publique pour deux raisons principales. D’une part les taux élevés d’arrêt et de réduction de consommation observés. D’autre part le fait que l’utilisation de la cigarette électronique est largement confinée à la population de fumeurs (actuels et anciens), et qu’elle est minimale chez les non-fumeurs. »

« Chez les non-fumeurs, nous avons observé une certaine expérimentation de la cigarette électronique, mais l’utilisation régulière est faible avec seulement 1,3% des non-fumeurs ayant déclaré utiliser une cigarette électronique contenant de la nicotine, et 0,09% ayant rapporté une utilisation quotidienne, explique Jacques Le Houezec. En pratique il n’y a pas d’utilisation actuelle ou régulière de cigarette électronique avec nicotine par les non-fumeurs ». C’est dire que la préoccupation politique quant à un possible effet passerelle vers le tabagisme ne semble en rien devoir tenir le haut du pavé.

Tabagisme post-Brexit

« Le questionnaire de l’Eurobaromètre est probablement l’un des plus détaillés en termes d’analyse de l’utilisation de la cigarette électronique au niveau de la population, soulignent les auteurs. Il fournit des informations détaillées sur la fréquence d’utilisation, différencie l’expérimentation de l’utilisation régulière et examine l’utilisation de nicotine avec la cigarette électronique. En outre, l’enquête a porté sur un large échantillon d’Européens représentatif de la population totale de l’UE. Ce type de questionnaire devrait être utilisé dans toutes les études en population. »

Eurobaromètre survivra-t-il au Brexit ? En toute hypothèse ne jamais oublier que le Royaume Uni obtient actuellement, et sans l’aide du Vieux Continent, les plus beaux résultats dans la lutte contre la tabagisme. Avec les Etats-Unis et l’Australie. Le fruit de la cigarette électronique et de la volonté politique.

A demain

 

Cigarette électronique et réduction du risque : il faut aider les vapoteurs à mieux vapoter

Bonjour

Qu’est-ce que la santé publique sinon une guerre perpétuelle ? Une guerre pour réduire les risques sanitaires. La métaphore guerrière vaut tout particulièrement pour cette barbarie qu’est le tabac. Avec la percée inattendue, révolutionnaire, des troupes hétérogènes de la cigarette électronique. Vapeurs d’eau contre fumées cancérigènes.

Et cette nouvelle mandée depuis le front de Genève, ville incomparable. Dans une nouvelle étude, un chercheur de l’Université de  la cité de Calvin et de Rousseau s’est penché sur le comportement de vapoteurs utilisant différents types de cigarettes électroniques. 2807 vapoteurs  vivant en France (988), aux Etats-Unis  (579), en Suisse (310), au Royaume-Uni (N=143) et dans d’autres pays (787). Il a alors constaté que ces derniers modifient souvent le type de leurs e-cigarettes et la nature de leurs e-liquides. Pourquoi ? Notamment « pour obtenir un meilleur goût et de meilleures saveurs ».

Briser les chaînes cancérogènes

Et ce chercheur a noté que les modèles récents de cigarettes électroniques (rechargeables, modifiés) sont perçus comme plus satisfaisants et plus efficaces pour s’abstenir de fumer que les anciens modèles. Tout cela vient d’être consigné dans une publication que l’on peut retrouver sur le site de la revue Addiction : « Characteristics of users, and usage of different types of electronic cigarettes: findings from an online survey »

« Cette hétérogénéité des utilisateurs et des modèles doit être reconnue par les chercheurs, les cliniciens et les décideurs politiques. Afin de maximiser les avantages potentiels pour la santé des e-cigarettes, des interventions éducatives spécifiques devraient être conçues pour aider les vapoteurs à sélectionner les meilleurs produits et à surmonter les obstacles techniques à leur utilisation efficace »  souligne le Pr Jean-François Etter. Aider, en somme les esclaves du tabac à briser leurs chaînes cancérogènes. Que n’y avait-on pensé plus tôt ? Et qui songera à en parler à Marisol Touraine, en charge depuis bientôt deux ans d’un Programme national de réduction du tabagisme qui fait l’impasse sur la cigarette électronique ?

Travaillant à  l’Institut de la santé globale de la faculté de médecine de l’Université de Genève le Pr Jean-François Etter est un spécialiste réputé de la lutte contre le fléau du tabagisme. Son travail et ses publications démontrent que l’on peut, depuis Genève et la Suisse, mener de justes et beaux combats.

A demain

Cigarette électronique et cancer : la réponse du berger Addiction à la bergère Nouvelle Angleterre

Bonjour

En janvier dernier les médias s’enflammaient : une nouvelle étude accablait la cigarette électronique accusée d’être « cancéreuse ». Réalisée par des chercheurs de l’Université d’Etat de Portland » elle avait été publiée dans la dernière édition du New England Journal of Medicine (NEJM). A la vérité il s’agissait d’une simple « correspondance » adressée à la prestigieuse revue – un courrier qui n’a pas le rang d’une publication.  Cette lettre était titrée « Hidden Formaldehyde in E-Cigarette Aerosols ». On la trouvera ici. Elle avait aussitôt été médiatisée par l’université où travaillent les auteurs, comme on peut le voir ici.

Petits voltages

Le formaldéhyde, donc – une question aussi vieille que la cigarette électronique. Les six signataires de Portland  avaient été fortement repris dans les médias d’information générale. Ils  expliquaient  que dans certains cas la combustion des e-liquides des e-cigarettes peut produire du formaldéhyde. Ils nous disaient aussi que selon leurs travaux cette substance ne se forme pas lorsque la cigarette électronique fonctionne à faible voltage (3,3 volts). Que le formaldéhyde  apparaît lorsque le e-liquide est chauffé à une puissance plus importante (5 volts). A cette puissance, le taux de formaldéhyde fabriqué est alors largement plus élevé (de cinq à quinze fois) que ceux trouvés avec la combustion des cigarettes conventionnelles.

 Steak carbonisé

« Il semble qu’ils ont testé du dry puffing, des bouffées sans liquides, qu’aucun vapoteur n’inhale, nous avait pour sa part expliqué le Pr Jean-François Etter (université de Genève),expert international du sujet.  Comme dit mon collègue  Konstantinos Farsalinos, c’est comme carboniser un steak et ensuite tester s’il y a des substances cancérigènes. Mais personne ne mangera jamais ce steak. »

Quatre mois plus tard c’est, précisément, à Konstantinos Farsalinos  de reprendre le la scientifique. Il vient de publier ses derniers résultats dans « Addiction ». Et il confirme que les cigarettes électroniques ne produisent des aldéhydes cancérigènes que lors des « dry puff », soit lorsque la quantité restante de liquide est insuffisante pour alimenter l’atomiseur.

Atomiseur

« Ce phénomène peut survenir quand le réservoir est vide, ou lorsqu’un atomiseur trop puissant vaporise plus de liquide que n’en contient la mèche de la cigarette. Faute de liquide, la température de l’atomiseur peut alors monter jusqu’à 300 °C, ce qui augmente le dégagement d’aldéhydes » précise Le Quotidien du Médecin (Damien Coulomb). Les chercheurs ont comparé deux dispositifs, dont l’un était modifié pour rendre impossible l’apparition de bouffées sèches (double mèche évitant la surchauffe). Des « vapoteurs expérimentés », procédaient à des aspirations de quatre secondes avec des atomiseurs de puissances variables (6,5 W, 7,5 W, 9 W et 10 W). Les vapoteurs ont signalé des bouffées sèches à 9 et 10 W avec la cigarette à simple mèche, et n’en ont connu aucune avec le dispositif à double mèche. »

Peu vraisemblable

Le Quotidien ajoute que l’analyse montrait qu’en temps normal, les vapeurs du dispositif à simple mèche (dispositif du commerce) contenaient moins d’aldéhydes que celles du dispositif à double mèche et seulement à des puissances de 6,5 W et 7,5 W (jusqu’à 3,7 µg de formaldéhyde, 0,8 µg d’acétaldéhyde et 1,3 µg d’acroléine toutes les dix aspirations). Dans le dispositif à double mèche, des quantités d’aldéhydes étaient repérables quelle que soit la puissance utilisée : jusqu’à 11,3 µg de formaldéhyde, 4,5 µg d’acétaldéhyde et 1,0 µg d’acroléine toutes les dix aspirations. « Toutes ces quantités sont inférieures à celles relevées dans la fumée de cigarette, précisent les auteurs. Les cigarettes électroniques ne produisent de hauts niveaux d’aldéhydes que lors des bouffées sèches. Lors d’une utilisation normale, les émissions restent minimales, y compris avec les dispositifs de nouvelle génération. »

Les auteurs d’Addiction estiment peu vraisemblable  qu’une exposition à des hauts niveaux d’aldéhyde pendant les courtes périodes de bouffées sèches ait un impact significatif sur la santé.

Que fait l’Inserm ?

Aldéhyde et formaldéhyde… bouffées sèches… simple et double mèches…  concentrations d’acétaldéhyde… acroléine toutes les dix aspirations…  Faut-il vraiment se passionner pour tant et tant de détails techniques ? Bien évidemment. Ce n’est pas le moindre intérêt de cette révolution des volutes que de voir celles et ceux qui cherchent à se libérer du tabac décortiquer l’outil de leur affranchissement. Et l’intérêt est d’autant plus grand que tout ceci se fait dans le plus grand désintérêt des organismes officiels.

Il faudra bien un jour que l’Inserm réponde à la question : qu’aura-t-il fait, in fine, sur ce qui apparaît comme l’un des principaux sujets de santé publique de notre époque. D’ailleurs pourquoi attendre : la question est ici posée. Nous la transférons, ce 22 mai 2015, au service de presse de cet Institut en charge de la santé et de la recherche médicale.  Dossier à surveiller désormais sur ce blog, comme jadis le lait sur le feu.

A demain

L’OMS accusée de ne pas dire la vérité sur les dangers de la cigarette électronique

Bonjour

 Fin août l’OMS rendait public un rapport dans lequel elle prenait une nouvelle fois position contre toute facilitation de l’usage de la e-cigarette. Elle reçut en réponse une volée de bois vert. De la part des associations de « vapoteurs » mais aussi de scientifiques spécialistes de la question. L’affaire fit grand bruit, on en retrouvera les principaux termes ici.

 Voici que cette affaire rebondit aujourd’hui. Pas encore de vague en France mais, déjà, sur la remarquable BBC Health. Le nouveau pavé est de taille. On le trouvera dans la revue Addiction (l’abstract est disponible ici) (1). Il est signé par cinq des meilleurs spécialistes internationaux de cette question majeure de santé publique : Ann McNeill, Jean-Francois Etter, Konstantinos Farsalinos, Peter Hajek, Jacques le Houezec et Hayden McRobbie.

Descente en flammes

Ce groupe éclairé fait une lecture critique des arguments développés par les auteurs du rapport de l’OMS. Et la conclusion est sans pitié. Le Pr Ann McNeill (King’s College London, Institute of Psychiatry, UK Centre for Tobacco and Alcohol Studies) dit sa surprise devant le caractère négatif de l’ensemble et estime qu’il est trompeur, ne reflétant pas les données scientifiques aujourd’hui disponibles.  C’est là une formulation élégante, à l’anglaise, pour ce qui constitue une descente en flammes de ce rapport officiel.

 L’un des points majeurs de discorde est le postulat fait par l’OMS selon lequel la cigarette électronique est une entrée dans l’esclavage de l’addiction au tabac alors même que tous les indicateurs disponibles laissent penser le contraire. Un autre point est le refus (par l’OMS) de reconnaître que les e-cigarettes sont infiniment moins nocives que les cigarettes de tabac et le grossissement à l’extrême du risque hypothétique du vapotage passif.

Départ en fanfare

Pire peut-être le rapport de l’OMS soutient (contre l’évidence estiment les cinq experts)  que la e-cigarette est un obstacle au sevrage tabagique. On en arriverait presque à conclure que strictement mises en œuvre les recommandations de l’OMS conduiraient à une stabilisation du marché du tabac avec les conséquences majeures que l’on connaît en termes de morts prématurées. Ce qui est assez paradoxal pour une institution onusienne qui est partie en guerre contre Big Tobacco (un départ en fanfare qui date, il est vrai d’avant l’émergence de la e-cig).

Le débat est tout particulièrement vif en Grande Bretagne. La publication d’Addiction fait suite à un éditorial publié il y a quelques jours dans le British Journal of General Practice. (2) On y dit que l’affaire est trop grave pour que des décisions de santé publique aussi importantes se fondent sur des préjugés.

Responsabilités françaises

Il est établi  que pour chaque million de fumeurs qui passent du tabac aux e-cigarettes, plus de 6000 morts prématurées seraient évités chaque année nous au Royaume-Uni. Le travail équivalent ne semble pas avoir été fait en France. On peut le regretter. On peut aussi penser qu’il n’est pas trop tard. Et que les auteurs du prochain « Plan national français de lutte contre le tabagisme » prennent bien la mesure des responsabilités qui sont (et seront) les leurs.

A demain

(1) McNeill A et al. ‘A critique of a WHO-commissioned report and associated article on electronic cigarettes’ published inAddiction, doi: 10.1111/add.12730 – Free to download for one month after’ publication:http://onlinelibrary.wiley.com/journal/10.1111/%28ISSN%291360-0443/accepted

(2) Robert West & Jamie Brown, ‘Electronic cigarettes: fact and faction’ published in theBritish Journal of General Practice available here: http://bjgp.org/content/64/626/442.full

 

 

E-Cigarette : continuer à s’y opposer devient politiquement de plus en plus risqué

Bonjour

C’est une publication dans Addiction (l’abstract est ici). Aucun conflit d’intérêt. Et les auteurs sont tout sauf des excités. L’affaire est détaillée sur la BBC (voir ici). Signataires : cinq spécialistes  réputés dans ce domaine (1). Ils expliquent avoir  procédé à un examen scientifique de près d’une centaine d’études consacrées à l’utilisation, au contenu, et la sécurité des e-cigarettes.

Et bien que les effets à long terme de son utilisation ne puissent (par définition) être totalement connus ces auteurs estiment (pour le sire simplement) qu’il n’y a pas photo quant à leur nocivité par rapport aux cigarettes de tabac.

Renoncer au tabac

Ces cinq experts invalident notamment l’argument selon lequel la e-cigarette constituerait, chez les plus jeunes, une voie d’initiation conduisant à la consommation de tabac. D’autre part de multiples  données convergent pour dire que le fait, pour un fumeur, le fait de passer à l’e-cigarette peut l’aider à renoncer au tabac ou à en réduire sa consommation. C’est là un assez beau résultat.

Pour les auteurs de la publication d’Addiction il existe certes encore des lacunes dans les connaissances, lacunes qui nécessitent davantage de recherche. Pour autant les données actuelles sur les e-cigarettes ne justifie pas que ces dernières fassent l’objet de réglementations plus contraignantes (ou même identiques) que les cigarettes classiques.

Bénéfices de santé publique

Selon ces auteurs (et qui les contredirait ?) les décisions réglementaires fournissent le plus grand bénéfice en matière de santé publique quand elles sont proportionnelles, fondées sur des preuves, et qu’elles intègrent une évaluation rationnelle des risques et des avantages probables.

Pour le Pr Peter Hajek, premier signataire,  il est clair désormais que les cigarettes électroniques doivent être autorisées à être en concurrence commerciale avec  les cigarettes classiques. Et que les professionnels de la santé peuvent conseiller les fumeurs qui ne veulent pas cesser d’utiliser la nicotine à passer à l’e-cigarette. « Les fumeurs qui n’ont pas réussi à arrêter avec les traitements actuels peuvent également bénéficier du passage aux e-cigarettes » ajoute ce spécialiste renommé.

Un monde rationnel

Cette publication devrait (dans un monde rationnel) constituer un tournant pour les politiques, être décryptée dans les cabinets des ministre de la Santé (2). Et permettre  d’en finir avec les atermoiements des autorités sanitaires qui hésitent à voir la réalité en face. Au point qu’on en viendrait presque à imaginer on ne sait quel conflit d’intérêt avec le monde malsain de l’industrie du tabac.

En finir avec les atermoiements ne signifiant en rien un total laisser-aller en matière de surveillance sanitaire. Bien au contraire.  Mais il y a désormais suffisamment d’éléments chiffrés et objectifs pour penser que continuer (par divers moyens) à contrecarrer leur usage et leur diffusion constitue désormais une politique nocive. Pour ne pas dire coupable en ce qu’elle laisse les esclaves du tabac privé d’une opportunité salutaire. On peut le dire autrement : ceux qui, parmi les autorités sanitaires, s’y opposent devront bientôt rendre des comptes. A commencer par l’Organisation Mondiale de la Santé.

Atermoiements onusiens

« Tant qu’aucun dispositif électronique de délivrance de nicotine n’est considéré comme sûr et de qualité acceptable par les organismes nationaux de réglementation compétents, l’utilisation de ces produits y compris de la cigarette électronique, est vivement déconseillée »  estime l’OMS.

En mai dernier plusieurs spécialistes de santé publique de réputation internationale s’étaient directement adressés par courrier au Dr Margaret Chan, directrice générale de l’OMS pour la mettre devant ses responsabilités (Voir ici). Une initiative pour l’heure sans succès. Mais l’heure tourne.

A demain

 (1) Il s’agit de Peter Hajek et Hayden McRobbie (Centre for Tobacco and Alcohol Studies, Wolfson Institute of Preventive Medicine, Queen Mary University of London, London),  de Jean-François Etter, (Institute of Social and Preventive Medicine, Faculty of Medicine, University of Geneva, Geneva), de Neal Benowitz (Division of Clinical Pharmacology and Experimental Therapeutics, Departments of Medicine and Bioengineering & Therapeutic Sciences, School of Medicine, University of California, San Francisco) et de  Thomas Eissenberg (Center for the Study of Tobacco Products, Department of Psychology, Virginia Commonwealth University, Richmond).

(2) Toujours aucune nouvelle, en France, du « Plan national de réduction du tabagisme » annoncé par le président de la République le 4 février 2014 et qui devait être connu avant l’été.

 

Cigarette électronique, scandale de santé publique ? On s’en rapproche

Les données s’accumulent : la e-cigarette peut aider à faire passer le goût du tabac. Pourtant rien ne bouge. Ou rien ne semble bouger. L’OMS a pris position il y a cinq ans et, depuis, attend. En France on « déconseille » tout en attendant la revue bibliographique  demandée par Marisol Touraine au Pr Bertrand Dautzenberg. Une passivité  étonnante quant on connaît l’inquiétude des responsables politiques et des institutions sanitaires face à tout ce qui  peut/pourra être présenté comme un scandale de santé publique. Qui trace  les frontières de l’assuétude volontaire ? 

 

Rappelons le cadre général. Les autorités sanitaires françaises « déconseillent » la cigarette électronique. D’autres pays l’interdisent (le Canada et l’Australie notamment). En France environ un demi-million de personnes ont recours à ce dispositif et le marché se développe. Rien ne permet de dire que ce procédé de substitution au tabac est dangereux pour la santé.  Rien ne permet d’affirmer le contraire. On ne dispose d’aucune donnée épidémiologique  de pharmaco-surveillance et de risques/bénéfices

 Comment des autorités sanitaires peuvent-elles se borner à déconseiller ce procédé ? Soit il est nocif soit il ne l’est pas. Dans le premier cas il doit être interdit. Dans le second, au vu des dégâts considérables dus au tabagisme il doit être évalué et le cas échéant recommandé voire remboursé. Combien de temps avant de trancher ?  Et que se passerait-il dès lors qu’une action en justice serait engagée par des victimes contre l’Etat ? Soit pour avoir laissé en vente un produit dont il est amplement  établi qu’il est nocif. Soit pour ne pas avoir tout mis en œuvre pour briser le cercle d’une dépendance vis-à-vis d’une substance  hautement toxique dont il a le monopole de la distribution et qui est massivement taxé. L’assuétude est-elle ici véritablement volontaire ?

Un phénomène paradoxal

Nous vivons (peut-être) un tournant dans la –déjà- longue histoire de la lutte contre le tabagisme. Un tournant surprenant et paradoxal puisqu’il il ne trouve pas son origine dans une initiative scientifique ou  dans une volonté médicale. Car l’invention de la  cigarette électronique (il y a dix ans, en Chine)  ne s’inscrivait pas, au départ, dans une démarche thérapeutique.

Aujourd’hui une enquête conclut que la cigarette électronique aiderait près de neuf fumeurs sur dix à réduire leurs envies irrépressibles  de fumer. Elle indique aussi  qu’elle aiderait trois fumeurs sur quatre à cesser de consommer du tabac sur des périodes plus ou moins longues.

Cette première enquête a été menée par des chercheurs de l’University of East London. Ses résultats sont publiés dans la revue scientifique Addiction. Question : la e-cigarette (vaping  pour les anglophones) constitue-t-elle un réelle et crédible solution de substitution ?  On trouvera ici un résumé (en anglais) de ce travail. Cette étude a été faite entre septembre 2011 et mai 2012. En pratique elle a concerné 1.347 personnes vivant dans trente-trois pays européens et âgées en moyenne de 43 ans. Parmi elles  70% d’hommes.

E-cigarette : une alternative à la « cigarette non électronique »

 Toutes ont répondu à un questionnaire mis en ligne. Il portait sur leur âge, leur sexe, leur origine ethnique, leur niveau d’éducation ainsi que sur leur pratique tabagique actuelle ou passée. Et encore sur les motifs les incitant à consommer des produits du tabac.  Pour ce qui est de l’e-cigarette, le questionnaire portait sur sa durée d’utilisation, le produit et le type de cartouche, les saveurs préférées, l’importance de l’utilisation (en ml, bouffées et fréquence), les motivations, la dépendance à l’égard de la e-cigarette ainsi que sur les tentatives pour en réduire l’utilisation. Sans oublier  la satisfaction liée à son utilisation.

Il ressort de ce travail que les cigarettes électroniques sont utilisées principalement comme une forme de remplacement de la cigarette. Dans la plupart des cas, leur utilisation permet de réduire et l’envie de fumer et la consommation de tabac. Les auteurs relèvent aussi, point important, l’expression d’un sentiment général : ceux qui y ont recours estiment tous être en meilleure santé. Ce qui constitue, on le sait, la meilleure des publicités.

L’Organisation mondiale de la Santé  (OMS) se refuse quant à elle à considérer les cigarettes électroniques comme des dispositifs inoffensifs permettant d’avancer vers un sevrage tabagique. Elle explique  ne pas disposer de « preuve scientifique » de leur efficacité et de leur innocuité.

« Aucune étude rigoureuse avalisée par de spécialistes »

 « L’OMS n’a connaissance d’aucune preuve scientifique étayant l’affirmation des entreprises qui commercialisent la cigarette électronique, selon laquelle celle-ci pourrait aider les gens à cesser de fumer. En réalité, à notre connaissance, aucune étude rigoureuse avalisée par des spécialistes, n’a été effectuée démontrant que la cigarette électronique est une thérapie sûre et efficace de remplacement de la nicotine, faisait-on savoir au siège genevois de l’Organisation en septembre 2008. L’OMS n’écarte pas la possibilité que la cigarette électronique puisse être utile comme moyen de sevrage. La seule façon de le savoir est de réaliser des tests. »

Et l’OMS de préconiser que ces tests soient effectués et financés par les fabricants. Or ces derniers s’y refusent: pour des raisons financières (coût des essais cliniques) ils  se contentent  du statu quo actuel. Ceci n’est pas une fatalité. Pourquoi la puissance publique ne met-elle pas en place, de sa propre autorité, les essais cliniques qui s’imposent ? Pourquoi l’initiative n’est-elle pas prise – par exemple- à l’échelon d’une Union européenne officiellement en guère contre le tabac et le cancer ?

Rester dans la situation actuelle n’est ni compréhensible, ni acceptable. Cet immobilisme pousse à poser la question des raisons qui pourraient le justifier. Et l’on en vient immanquablement à cette autre question: pourquoi  la même puissance publique  ne se mobilise-t-elle pas pour prendre en charge l’incitation  des fumeurs à en finir avec leur mortifère assuétude. Et pour les soutenir dans une telle démarche.

On n’ose bien sûr imaginer que la fiscalisation massive des produits du tabac puisse être un argument pouvant jouer dans les arbitrages réalisés en haut lieu.

Un milliard de morts prématurées à redouter selon l’OMS

« Première cause de mortalité évitable en France, le tabagisme actif est considéré comme responsable de 90 % des cancers du poumon et de 73 000 décès prématurés chaque année dans notre pays (Catherine Hill. Épidémiologie du tabagisme In La Revue du Praticien, 20 mars 2012). Il tue un adulte sur dix sur la planète où il constitue la deuxième cause de mortalité, explique-t-on de source officielle (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé –Inpes).  En 2011, plus de cinq millions de personnes mourront dans le monde des suites d’un infarctus, d’un accident vasculaire cérébral, d’un cancer, d’une pneumopathie ou d’une autre maladie liée au tabac. Il faut y ajouter les 600 000 personnes qui décéderont – dont plus d’un quart d’enfants – à cause du tabagisme passif. Selon l’OMS, le tabac, qui a fait 100 millions de morts au XXe siècle, pourrait en faire un milliard au XXIe siècle. Le tabagisme est ainsi l’épidémie évitable la plus importante que doit affronter la communauté sanitaire mondiale. »

L’Inpes table sur 73 000 mors prématurées par an en France et l’OMS sur un milliard pour le siècle en cours. Et personne ne s’intéresse à la e-cigarette.

(A suivre, donc).

 

 

Les morts de l’alcool ont été 20 255 (en 2006) et 49 000 (en 2009). Un mystère français.

La radio peut aussi être un formidable outil thérapeutique. France Inter vient une nouvelle fois de le montrer. En abordant publiquement une question qui fait peur et fâche : la fin annoncée du mythe centenaire de l’abstinence alcoolique sans laquelle il n’est point de salut pour les alcooliques.

Mais la radio peut aussi entrer en résonance avec les polémiques. Un exemple d’actualité qui témoigne une nouvelle fois du peu d’appétit de la puissance publique pour de tels sujets.  

Comme les grandes équipes les bonnes émissions ne meurent jamais. Ou alors très lentement. « Le téléphone sonne » de France Inter fête cette année son trente-cinquième anniversaire 1. Lundi 18 mars deux spécialistes sont invités,  les  Prs Michel Reynaud (chef du service addictologie à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif) et Philippe Jaury, médecin généraliste et addictologue à l’Université Paris-Descartes.

On (ré)écoutera ici même, si on le souhaite, cette émission radiophonique. Elle fournit la démonstration que l’on peut, au-delà des poncifs,  aborder à une heure de grande écoute un grand sujet de santé publique : comme l’émergence d’un nouveau concept (paradigme est plus apprécié chez les intellectuels) : le possible retour à une consommation raisonnée de boissons alcooliques chez des personnes devenues malades de l’alcool. Des alcooliques pour lesquels le salut ne passait jusqu’ici que par l’abstinence totale, absolue, définitive et radicale. Tous les alcoologues (et plus encore les malades alcooliques) vous diront que c’est là, sinon un nouveau paradigme, du moins un évènement considérable. Une nouvelle donne assez complexe comme l’expliquait il y a trois ans déjà, sur Slate.fr, le Dr Philippe Batel (hôpital Beaujon, Clichy).

Cette nouvelle approche est sous-tendue de diverses manières par deux spécialités pharmaceutiques aux propriétés radicalement différentes : le baclofène et le nalméfène. Le premier est bien connu du grand public, des médecins et des malades. Le second ne tardera guère à l’être. Une guerre ouverte semble opposer les deux camps Les prescriptions et les ventes du premier continuent à progresser de manière constante alors même qu’il n’a pas toujours pas officiellement d’AMM et que l’ANSM ne semble rien faire pour faire raisonnablement avancer la situation dans un sens positif. Les laboratoires danois Lundbeck  sont en négociation confidentielles avec les autorités compétentes françaises pour obtenir un prix et un remboursement par la collectivité. Peut-on en savoir plus ? Nous y reviendrons.

Pour l’heure Lundbeck fait savoir que son Selincro® (nalméfène) est le « premier traitement autorisé dans la réduction de la consommation d’alcool », et qu’il  vient de recevoir son autorisation de mise sur le marché européen. Elle précise qu’il s’agit là d’une nouvelle option thérapeutique pour les patients adultes dépendants ayant une consommation d’alcool à haut risque : dans les essais cliniques  Selincro® « a réduit de près de 60% la consommation d’alcool après six mois de traitement ». Un marché non négligeable pour la firme qui souligne qu’en Europe, plus de 90% des quatorze millions de patients dépendants à l’alcool ne sont pas traités de manière pharmaceutique.

Nous en étions à nous féliciter de l’apport que pouvait sur ce thème apporter une radio généraliste. A nous demander aussi pourquoi il semble impossible que la télévision (publique ou privée) puisse élaborer (ou faire élaborer) des documentaire ou des débats sur des thèmes aussi « grand public ». Quand nous est parvenu un message de l’Institut de Recherches Scientifiques sur les Boissons (Ireb) contestant, de facto, le titre  de l’émission du 18 mars (« La consommation d’alcool responsable de 49 000 morts par an »). Il faut ici préciser ce qu’est l’Ireb 2.

Communiqué de l’Ireb :

« Suite à la publication par le Service de biostatistique et d’épidémiologie de l’Institut Gustave Roussy d’une étude estimant à 49.000 le nombre de décès imputables à l’alcool en 2009 en France, l’Institut de Recherches Scientifiques sur les Boissons (Ireb) rappelle qu’une étude du même type publiée par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC, INSERM) en 2010 avait abouti à une estimation plus de deux fois inférieure, soit 20.255 décès imputables à l’alcool pour l’année 2006. Une augmentation des décès de plus de 100% en trois ans, alors que la consommation totale d’alcool est en constante diminution, pose le problème des méthodes d’évaluation de la mortalité attribuable à l’alcool en France aujourd’hui. » De fait il y a un problème. Pour ne pas dire un mystère.

De fait il y a un problème. Pour ne pas dire un mystère. Et l’Ireb, diplomate et princier, de faire la proposition suivante : « A la demande de plusieurs membres de son comité scientifique, l’Ireb proposera aux différentes équipes de recherche et institutions scientifiques concernées de se concerter pour définir une méthodologie de calcul consensuelle à même de fournir aux décideurs politiques, aux observateurs et à l’opinion, les données les plus fiables possibles. » Nous suivrons ce qui résultera de cette étrange tentative de médiation.

Les références de deux études ici mentionnées par l’Ireb sont les suivantes :

Etude CépiDC – INSERM 2010 : Rey G., Boniol M., Jougla E.. Estimating the number of alcoholattributable deaths: methodological issues and illustration for French data 2006. Addiction 105 :1018-1029, 2010. Son abstract est disponible ici.

Etude IGR 2013: Guérin S., Laplanche A., Dunant A., Hill C. Alcohol-attributable mortality in France. European Journal of Public Health, Mars 2013. Son abstract est disponible ici.

Un citoyen français pourrait se demander pourquoi c’est une structure financée par les grands alcooliers industriels qui cherche à connaître la vérité sur les dégâts majeurs causés par l’alcool. Et ce à propos de deux études menées par des chercheurs travaillant dans des institutions publiques. Est-ce dire que les autorités sanitaires sont ici aux abonnés absents ? Cela mériterait, qui sait, un nouveau chapitre du « Téléphone sonne ».

1 Cette émission  a été créée en 1978 par Gilbert Denoyan. Elle est diffusée du lundi au vendredi de 19 h 20 à 20 heures. Entre 1984 et 2012 elle a été présentée par Alain Bedouet. Elle l’est désormais par Pierre Weill .

 2 Présentation officielle :

« Fondé en 1971, à l’initiative de sociétés productrices et distributrices de boissons alcoolisées, l’Ireb a pour mission de contribuer à la recherche alcoologique, à la fois par les études que l’Institut conduit pour son nom propre (Observatoire « Les Français et l’Alcool », Enquêtes « Jeunes et Alcool ») et par les travaux qu’il subventionne. A la suite d’un appel d’offres annuel, son comité scientifique, composé d’experts indépendants et bénévoles, attribue de manière autonome des subventions aux travaux en alcoologie d’une trentaine d’équipes de chercheurs du secteur public, en sciences biomédicales et sciences humaines. Plus de 500 programmes de recherches ont été subventionnés à ce jour. Dans le cadre de sa mission, l’Ireb entend être à la fois un organisme de recherche, une source de documentation et un lieu d’information sur l’alcool. »

On peut en savoir plus sur les noms des sociétés productrices qui financent cet Institut en allant sur son site.

Soit : Bacardi Martini France, Brasseries Kronenbourg, Cusenier, Heineken  France, Rémy Cointreau, Pernod, Ricard