C’est officiel : ce médicament n’est plus formellement contre-indiqué. L’Afssaps vient « d’actualiser sa position ». Le feuilleton se poursuit. Combien de temps encore ?
Nous évoquions il y a peu dans ce blog l’ « abcès alcoolique » que constitue, dans le paysage français de la prise en charge des malades de l’alcool, le Baclofène. Ce médicament est commercialisé sous le nom de Lioresal (ou sous son nom générique) par la multinationale pharmaceutique Novartis. Remboursé par la sécurité sociale il est officiellement classé dans la catégorie des myorelaxants. A ce titre il peut être prescrit chez les personnes souffrant des contractures douloureuses qui caractérisent certaines affections neurologiques, parmi lesquelles la sclérose en plaques.
Mais nous savons aussi que le Baclofène est depuis quelques années de plus en plus fréquemment prescrit chez des personnes souffrant des diverses formes de la dépendance à l’alcool. En dehors de ses indications, donc. Et ce à des doses massives pour un traitement a priori destiné à être administré à vie. On estime entre 30 000 et 50 000 le nombre des personnes ainsi prises en charge et suivies, le plus souvent, par des médecins généralistes ou non spécialisés en alcoologie. Il y a là tous les ingrédients de l’un de ces scandales médicamenteux potentiels que la France expérimente à échéance régulière et à grands fracas dans les médias.
Pour l’heure cette dimension potentiellement scandaleuse n’a pas encore été semble-t-il pleinement perçue par les médias, du moins par les rubriques qualifiées de santé de ceux dits d’information générale. C’est que l’abcès n’est pas encore collecté. La justice n’est pas saisie. Aucun avocat n’est entré en scène. Aucun procureur n’a dû s’exprimer et aucun juge n’a eu à se confier à des journalistes de sa connaissance. Médiatiquement l’affaire s’est, pour l’heure, très largement circonscrite à un combat personnel, celui du Dr Olivier Ameisen. On a ainsi amplement pu le lire, l’entendre et le voir vanter les mérites et la portée médicale de son auto-découverte : celle des effets « anti-assuétude alcoolique » de cette molécule. Eu égard aux enjeux majeurs de santé publique le rôle des différentes associations oeuvrant dans ce domaine n’a encore eu que bien peu d’échos dans la sphère médiatique généraliste.
Tout ceci explique sans doute, pour une large part, que les responsables de la communauté médicale spécialisée (et les sociétés savantes ad hoc) restent durablement étrangement peu enclins à en savoir plus dans un domaine qui est précisément le leur. Comment comprendre et justifier que les essais cliniques indispensables tardent (c’est un euphémisme) à être mis en œuvre ? Pourquoi les autorités sanitaires font-elles, pour user d’une image assez juste, le dos rond ?
L’alcoolisme constitue un des problèmes majeurs de santé publique en France. Les boissons alcooliques y sont (comme partout) très lourdement fiscalisées. Leur production et leur vente constituent un secteur économique de grande importance ; étant bien entendu par ailleurs que la consommation d’alcool n’est pas l’alcoolisme et qu’il n’y a –hormis précisément la molécule alcool – aucun point commun entre (pour faire court et français) les vins d’appellations d’origine contrôlée et les boissons alcooliques d’origine industrielle. Rien de commun (tout au contraire) entre la culture œnologique (qui aide à maîtriser l’objet de la passion) et le développement des nouvelles intoxications alcooliques collectives à la fois rapides et massives.
C’est dans ce contexte que survient ce qui marquera une étape dans ce feuilleton : l’annonce faite sous forme de « point d’information » diffusé le mardi 25 avril par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). On en trouvera le texte intégral ici.
Dans les formes il s’agit d’une actualisation du dernier point d’information datant de juin 2011.
Traduisons.
L’Afssaps invoque de « nouvelles données relatives à l’utilisation et à la sécurité d’emploi du baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance ». Elle rappelle ainsi d’emblée que si l’efficacité du baclofène dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance n’est pas encore démontrée à ce jour, de « nouvelles données observationnelles montrent des bénéfices cliniques chez certains patients ». C’est là un évènement.
« Concernant spécifiquement cette utilisation hors du cadre actuel de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), les données de pharmacovigilance sont très limitées mais ne remettent pas en cause la poursuite de ce type de traitement. Cependant, une meilleure connaissance du profil de sécurité d’emploi du baclofène dans ce cadre est absolument nécessaire et justifie de maintenir une surveillance très active de l’Afssaps et des professionnels de santé. » Traduction : la consommation actuelle, à des doses élevées, de Baclofène chez les malades alcooliques ne semble pas avoir pour conséquences des effets secondaires indésirables importants. La surveillance étroite se poursuit.
Dans le même temps l’Afssaps rappelle « que la prise en charge de l’alcoolo-dépendance implique une approche globale par des médecins expérimentés dans le suivi de ce type de patients dépendants ». Le recours au baclofène doit donc « être considéré au cas par cas et avec une adaptation posologique individuelle afin de garantir dans le temps la dose utile pour chaque patient ». Traduction en forme d’interrogation : qu’est-ce, ici, qu’un médecin expérimenté ? Pourquoi l’Afssaps, qui se nourrit de textes et de règles, ne va-t-elle pas plus loin dans la définition de son qualificatif ? En cas de litige, qui tranchera ?
« Au mois d’avril 2012 l’Afssaps a autorisé le lancement d’un essai clinique contrôlé, chez des patients présentant une consommation d’alcool à haut risque qui seront suivis pendant au minimum un an. Face à l’enjeu de santé publique que représente la lutte contre l’alcoolisme, l’Agence encourage le développement d’autres études que ce soit de la part d’équipes académiques ou d’industriels afin d’optimiser l’emploi de cette molécule. » En clair l’Afssaps vient seulement, en avril 2012, d’autoriser le lancement d’un essai clinique contrôlé qui durera un an (dont on n’aura pas, selon toute vraisemblance, les résultats avant 18 ou 24 mois. Et faute de pouvoir organiser la puissance publique recommande.
L’Afssaps fera sur ce sujet une nouvelle actualisation « dans un délai de 6 mois ». Rine n’interdit de penser que l’on reparlera du Baclofène d’ici là.
PS L’affaire prend de l’ampleur. Ainsi cette dépêche parlante de l’Agence France Presse, signée de Brigitte Castelnau et qui vient d’être mandée de Paris:
« France – PARIS – Le baclofène, un décontractant musculaire, dont l’agence du médicament vient d’admettre prudemment l’utilisation « au cas par cas » dans le sevrage alcoolique sur ordonnance, est déjà pris par des milliers de malades, avec plus ou moins de bonheur.
L’agence du médicament (l’Afssaps) a en tout cas entrouvert la porte au baclofène, qui ne dispose d’aucune autorisation pour traiter la maladie alcoolique, en concédant que ce médicament apporte « des bénéfices cliniques » à certains patients ».
La parution le mois dernier d’une étude préliminaire rétrospective, évoquant un taux de succès de 58%, obtenu avec ce produit vieux de près de quarante ans, a changé la donne.
« Cela marche mieux que ce qu’on a actuellement », avait relevé le Pr Philippe Jaury, auteur principal de ce travail paru dans la revue Alcohol and Alcoholism.
En juin 2011, l’Afssaps se bornait à « une mise en garde » à propos de ce vieux médicament, autorisé depuis 1974 pour soulager des contractures musculaires involontaires d’origine neurologique.
Une position jugée dissuasive qui avait été vivement critiquée par des patients et le Pr Bernard Granger, chef de service de psychiatrie.
« Retarder l’usage d’une molécule indispensable peut être aussi grave que de laisser commercialiser une molécule dangereuse. En nombre de morts, l’affaire baclofène risque d’être bien pire que le scandale du Médiator », s’insurgeait le Pr Granger dans une lettre diffusée par l’association Baclofène.
Un médicament dont la popularité a explosé en 2008 avec la parution du livre « Le dernier verre » d’Olivier Ameisen, cardiologue alcoolique, qui y racontait comment ce médicament, pris à fortes doses, avait supprimé son envie de boire.
Mais l’Afssaps n’a pas délivré de feu vert généralisé car, insiste-t-elle encore maintenant « l’efficacité du baclofène dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance n’est pas encore démontrée à ce jour ».
L’ordonnance doit donc être rédigée, par des médecins « expérimentés », « au cas par cas » et en adaptant la dose utile à chaque patient. Les doses de baclofène nécessaires sont en effet très variables d’un individu à l’autre.
Plus de 30.000 personnes prennent déjà du baclofène en France, pour des problèmes d’alcool, hors indication officielle de l’autorisation de mise sur le marché (AMM).
Le taux de notifications des effets indésirables est « très faible » (moins de 0,5% des cas sont déclarés) et en tout cas très inférieur aux chiffres communément admis, « si on considère qu’il y a entre 20.000 à 50.000 patients traités », note le centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Grenoble dans son rapport national de suivi du baclofène dans le traitement des addictions pour l’année 2011.
Le baclofène reste donc encore à explorer sous bien des coutures, et, ses effets secondaires (somnolence, convulsions, syndrome des jambes sans repos…) doivent être mieux recensés.
Leur « sous-notification est probablement le fait d’une culpabilisation » des médecins amenés à prescrire hors AMM, constate le rapport de Grenoble.
Côté essais cliniques, l’Afssaps souligne avoir autorisé en avril dernier, le lancement d’un essai baptisé « Bacloville » chez des patients présentant une consommation d’alcool à haut risque qui seront suivis pendant au minimum un an.
Le débat se poursuit avec le forum patients/médecins de l’association Audes (www.baclofene.fr) et l’association baclofène.org pour qui « la guerre pour l’AMM est engagée ! ».
Pour sa part, le psychiatre et addictologue Philippe Patel met en garde ceux qui croient à la molécule miracle: « l’extinction complète de l’envie de boire, je n’y crois pas », lance-t-il dans Libération. « Ce que je vois sur mes patients c’est à peu près 25% qui réussissent : ils boivent moins ou pas du tout ».
BC/jca/bw

AFP – 25/04/2012 – 18:25:28