Prothèses mammaires: évaluation scientifique et/ou choix politique

 L’affaire des prothèses mammaires s’étoffe. Et se transforme en un exercice inédit de santé publique

C’est décidemment bien une affaire sanitaire d’un nouveau type que celle des prothèses mammaires.  Rarement on aura pu observer comme ici l’intimité des rouages de la fameuse et contemporaine articulation entre l’évaluation scientifique d’un possible risque sanitaire et la gestion politique de ce dernier ; sauf peut-être, mais c’était à un tout autre rythme,  dans l’affaire multiforme dite de la vache folle.

De ce point de vue nous sommes ici  dans un passionnant cas d’école, un exercice de santé publique à la fois hors norme; un exercice qui ne pourra désormais que se poursuivre, faire l’objet d’analyses et de commentaire, d’évaluations et d’enseignements.  

Pour l’heure restons centrés sur le vendredi 23 novembre. Au terme d’une semaine marquée par une bien savante distillation médiatique des décisions à venir les autorités sanitaires ministérielles ont  rendu  officiellement publiques leurs décisions. Cette annonce a été faite précisément  dans le même temps qu’était rendue publique l’évaluation scientifique qui avait été demandée par les responsables politiques. Seule sont restés dans les médias, répétés en boucle, les choix ministériels concernant les femmes concernées ; les femmes porteuses de prothèses pour lesquelles l’explantation est désormais officiellement recommandée et prise en charge par la collectivité (pour une somme prévue, dit-on, d’environ soixante millions d’euros).

Voici le résumé des deux principaux documents disponibles. Leur lecture pourra apparaître ardue. Elle est capitale pour ceux qui entendent comprendre.

L’évaluation du risque.

Elle prend la forme de l’avis du groupe d’experts réunis sous l’égide de l’INCa  et plus précisément celle des « Propositions de conduite à tenir pour les femmes porteuses de prothèses mammaires PIP : avis argumenté du groupe d’experts ». Cet avis est daté du 22 décembre et les experts présents étaient vingt-cinq. Ils représentaient les  disciplines médicales concernées  (anatomopathologistes, chirurgiens plasticiens, radiologues, oncologues, hématologues, médecin de santé publique) et étaient assistés par un représentant de l’Afssaps et un autre de l’InVS.    

Que nous disent-ils ? Il faut ici être exhaustif puisque les auteurs mettent en garde : «  Cet avis doit être diffusé dans sa totalité sans ajout ni modification. »

  « 1. Par rapport au risque de cancer :

Pour les lymphomes anaplasiques à grandes cellules :

 Le lymphome anaplasique à grandes cellules est une pathologie extrêmement rare. Le groupe retient, sur la base des données disponibles, qu’il existerait un sur-risque chez les femmes porteuses d’un implant mammaire quels que soient la marque et le contenu de l’implant (sérum physiologique ou gel de silicone).  Il n’existe pas de donnée à ce jour pour conclure à un sur-risque des lymphomes anaplasiques à grandes cellules spécifique à la prothèse PIP en comparaison aux autres implants.

Pour les cancers du sein (adénocarcinomes) :

Le cancer du sein est une pathologie fréquente. Le groupe retient que les données disponibles aujourd’hui permettent de conclure à l’absence de sur-risque d’adénocarcinome mammaire chez les femmes porteuses d’implants en comparaison avec la population générale. Il n’existe pas de donnée à ce jour pour conclure à un sur-risque d’adénocarcinome mammaire spécifique à la prothèse PIP en comparaison aux autres implants.

2. Avis concernant la décision d’explantation

Le groupe de travail retient que les éléments justifiant une explantation sont la présence de signes cliniques et/ou radiologiques évocateurs d’une altération de l’implant et/ou la demande de la patiente. Il n’existe pas d’argument à ce jour justifiant une explantation en urgence.

Chez une femme asymptomatique (absence de signe clinique et/ou radiologique), les risques liés à la non explantation à visée préventive sont : risque de rupture, risque d’imagerie faussement rassurante (faux négatif), risque d’une réintervention plus compliquée (préjudice esthétique, augmentation du risque de complications post opératoires), et la toxicité potentielle, à ce jour mal connue, de ce gel non conforme des prothèses PIP.

Les risques liés à une explantation sont : risque lié à une réintervention (anesthésique et lié au geste), et risque lié à un résultat morphologique différent. Le groupe rappelle qu’en l’absence de sur-risque démontré de cancer chez les femmes porteuses de prothèses PIP par rapport aux autres implants, l’avis concernant l’explantation est lié au risque de rupture de l’implant et à ceux de la non-conformité du gel.

Devant l’absence d’éléments nouveaux concernant le gel non conforme ou de données cliniques nouvelles sur des complications spécifiques, les experts considèrent ne pas disposer de preuves suffisantes pour proposer le retrait systématique de ces implants à titre préventif. Ils rappellent néanmoins le risque de rupture prématurée et les incertitudes concernant les complications liées au caractère irritant de ce gel. Le groupe d’experts précise qu’il est nécessaire de mettre en place une étude épidémiologique prospective sur les implants rompus avec documentation des données cliniques, radiologiques et histopathologiques.

 3. Surveillance des femmes porteuses d’une prothèse PIP

En l’absence de tout symptôme :

Concernant le risque de cancer du sein, il n’y a pas lieu de modifier chez une femme porteuse d’implants les modalités actuellement recommandées de dépistage et de surveillance de cette pathologie. Du fait du risque accru de rupture des prothèses PIP, le groupe maintient le suivi tel que recommandé par l’Afssaps, à savoir « un examen clinique et une échographie tous les six mois, en ciblant pour chacun de ces examens les seins et les zones ganglionnaires axillaires ». Le groupe retient qu’une IRM mammaire n’est pas indiquée en première intention.

 • En cas de signes cliniques et/ou radiologiques anormaux :

Une consultation spécialisée est préconisée pour une prise en charge.

4. Modalités à suivre en cas d’explantation

Avant toute explantation, quel que soit son motif, un bilan d’imagerie (incluant une mammographie et échographie mammaire et axillaire) récent doit être disponible.

Dans tous les cas d’explantation :

En présence d’un épanchement périprothétique anormal (sur son aspect ou son abondance), il est nécessaire de réaliser une aspiration du liquide pour analyse cytologique. Il est nécessaire de réaliser une biopsie systématique de la capsule et du tissu périprothétique.

La capsulectomie la plus large doit être réalisée lorsqu’elle est raisonnablement possible, à l’appréciation du chirurgien. Le groupe préconise une analyse histologique systématique des pièces de capsulectomie.  En cas d’anomalie du creux axillaire, une analyse histologique ou cytologique est souhaitable. Le groupe précise qu’un curage axillaire n’est pas indiqué. Les biopsies et les pièces opératoires seront fixées dans le formol pour permettre des investigations complémentaires.

Une congélation des prélèvements doit être réalisée en cas de lésion périprothétique suspecte. En cas de diagnostic ou de suspicion de lymphome après analyse anatomo-cytopathologique, un envoi au réseau LYMPHOPATH est nécessaire. La pose immédiate d’un nouvel implant est envisageable si les conditions locales le permettent. Dans le cas contraire, elle peut alors être proposée à distance de l’explantation. Elle est discutée avec la patiente avant tout geste opératoire.

5. Surveillance après explantation

 En cas d’explantation, il n’y a pas de suivi spécifique préconisé compte tenu de l’absence de sur-risque de cancer lié aux prothèses PIP démontré à ce jour.

Les recommandations habituelles de dépistage du cancer du sein ou de surveillance sont applicables en fonction du niveau de risque de la femme et indépendamment de l’antécédent d’implant. »

 La décision gouvernementale

 Elle prend la forme résumée d’un communiqué de presse daté du 23 décembre et intitulé « Actualisation des recommandations pour les femmes porteuses de prothèses mammaires Poly Implant Prothèse (PIP) ». Reproduisons le ici dans sa totalité sans ajout ni modification : 

 « Xavier BERTRAND, Ministre du travail, de l’emploi et de la santé, et Nora BERRA, Secrétaire d’Etat chargée de la Santé, actualisent les recommandations de prise en charge des femmes porteuses de prothèses PIP.

 A titre préventif et sans caractère d’urgence, ils souhaitent que l’explantation des prothèses, même sans signe clinique de détérioration de l’implant, soit proposée aux femmes concernées.

Cette proposition pourra intervenir lors de la consultation de leur chirurgien, déjà recommandée.

Les ministres chargés de la santé ont saisi le 7 décembre les agences sanitaires (Institut national du cancer, Institut de veille sanitaire, Afssaps), afin de recueillir leur expertise, en lien avec les sociétés savantes, sur les signalements d’effets indésirables chez les femmes porteuses de prothèses PIP.

 L’avis rendu le 22 décembre indique qu’il n y a pas à ce jour de risque accru de cancer chez les femmes porteuses de prothèses de marque PIP en comparaison aux autres prothèses. Néanmoins les risques bien établis liés à ces prothèses sont les ruptures et le pouvoir irritant du gel pouvant conduire à des réactions inflammatoires, rendant difficile l’explantation. Les ministres chargés de la santé ont donc décidé :

 1. de renforcer les recommandations émises par l’Afssaps :

       · Les femmes porteuses d’une prothèse mammaire doivent vérifier la marque de cette prothèse sur la carte qui leur a été remise. En l’absence de carte, elles doivent contacter leur chirurgien, ou à défaut, l’établissement où a été pratiquée l’intervention.

  • · Les patientes porteuses de prothèses PIP doivent consulter leur chirurgien. A cette occasion, une explantation préventive même sans signe clinique de détérioration de l’implant leur sera proposée. Si elles ne souhaitent pas d’explantation, elles doivent bénéficier d’un suivi par échographie mammaire et axillaire tous les 6 mois.
  • · Toute rupture, toute suspicion de rupture ou de suintement d’une prothèse doit conduire à son explantation ainsi qu’à celle de la seconde prothèse
  • · Avant toute explantation, quel que soit son motif, un bilan d’imagerie (incluant une mammographie et échographie mammaire et axillaire) récent doit être disponible.

 2. d’adapter l’organisation qui doit permettre à toute femme qui le souhaite d’avoir recours à une explantation préventive. Ainsi les ministres demandent aux Agences Régionales de Santé (ARS) de mettre en place, dès début janvier, un numéro de téléphone à destination des patientes porteuses d’implants mammaires PIP qui auraient des difficultés d’accès à un professionnel pour leur proposer une liste d’établissements pouvant les recevoir.

 3. de mettre en place une étude épidémiologique prospective sur prothèses rompues. Les établissements de soins et les professionnels de santé concernés sont informés en parallèle de cette décision et des nouvelles recommandations.

 Les frais liés à cette explantation éventuelle, incluant l’hospitalisation, sont pris en charge par l’assurance maladie. S’agissant de femmes relevant d’une chirurgie reconstructrice post cancer du sein, la pose d’une nouvelle prothèse est également remboursée. Les ministres rappellent qu’il est demandé aux chirurgiens plasticiens libéraux de ne pas pratiquer de dépassements d’honoraires pour effectuer ces actes, comme le Conseil de l’Ordre l’a déjà recommandé.

Le comité de suivi, qui se réunira le 5 janvier 2012, au ministère de la santé fera un nouvel état des lieux de la situation et examinera plus en détail les procédures et dispositifs d’application de cette décision afin de répondre au mieux aux préoccupations des femmes concernées et de faciliter l’organisation de toutes les demandes d’explantation.

Pour toutes informations complémentaires, un numéro vert national 0800 636 636 est disponible. Ouverture du lundi au samedi de 9h00/19h00. »

Ainsi donc cette articulation entre évaluation et gestion nous est ainsi ouvertement accessible à l’examen. On découvre de manière précise et détaillée la différence d’appréciation entre le regard des experts  spécialistes et le choix des responsables politiques. Il y a là une bien belle opportunité pour tous ceux, professeur(e)s et élèves,  que la santé publique et ses arcanes passionnent, notamment dans ses croisement avec le journalisme et donc avec la perception que le plus grand nombre peut en avoir.

 Affaire(s) à suivre sans doute. Dans l’attente les amateurs de rhétorique apprécieront comme il convient, à la loupe, la clef de voûte présente dans ce passage essentiel du communiqué de presse ministériel :

« L’avis rendu le 22 décembre indique qu’il n y a pas à ce jour de risque accru de cancer chez les femmes porteuses de prothèses de marque PIP en comparaison aux autres prothèses. Néanmoins les risques bien établis liés à ces prothèses sont les ruptures et le pouvoir irritant du gel pouvant conduire à des réactions inflammatoires, rendant difficile l’explantation. »

Selon les dictionnaires néanmoins est rangé au rayon des conjonctions ou des adverbes. Le terme vient, clairement, de néant et de moins. Il marque une opposition. Le rédacteur aurait tout aussi bien pu choisir cependantmais, pourtant ou toutefois. Sans doute a-t-on pensé, en haut lieu ministériel, dans les étages de l’avenue de Ségur, que néanmoins sonnait mieux, plus juste, plus chic. Question : en langue anglaise le choix se bornerait-il  à nevertheless , however et  yet ?  

 

 

 

Cancers et prothèses mammaires, une affaire d’un nouveau type

 « Affaire » ou « scandale » ? Les autorités sanitaires françaises sont profondément embarrassées par ce dossier hors du commun. Y aura-t-il des « responsables », sinon des « coupables » ? En toute hypothèse une mesure semble s’imposer : organiser au plus vite la traçabilité de ces implants.  

 A quoi tiennent donc l’activité et la dynamique journalistiques ? Pour une large part, nous venons de le voir, à l’insolite. Et pour une part au moins égale à l’émotion –  celle qui parfois parcourt les foules,  quelque qu’en soit la nature profonde.  De ce point de vue toutes les affaires qui concernent l’intégrité des corps humains (aujourd’hui les crises sanitaires) tiennent régulièrement le haut du pavé. A fortiori –et c’est presque toujours le cas- quand elles se structurent en feuilleton et qu’il faut trouver –avant la justice, si possible- un coupable nommément désigné qui tiendra le rôle –assez peu enviable, dit-on – du bouc émissaire.   

La dernière affaire en date nous fait quitter les univers du médicament (Médiator) et des hypothétiques polluants environnementaux (bisphénols) pour le monde des prothèses et autres dispositifs médicaux implantables, en l’occurence les implants mammaires. Mais à la différence des affaires similaires passées (concernant des pacemakers ou des prothèses de hanches) celle-ci  se complique d’une dimension nouvelle : l’émergence des premiers cas d’affections de nature cancéreuse chez des femmes porteuses de tels dispositifs. On estime (faute, précisément, de pouvoir être affirmatif) à environ 500.000 le nombre de femmes chez lesquelles de tels dispositifs ont été implantés ; toujours pour des raisons esthétiques-  après ou non chirurgie thérapeutique mutilatrice. Et l’on recense huit (ou neuf) cas de cancers dont cinq cas de cancers du sein (de type adénocarcinome) et deux lymphomes. Sur son Blog notre confrère Jean-Daniel Flaysakier (spécialiste des questions médicales à France Télévisions) analyse plusieurs aspects de cette question concernant les lymphomes.

Pour notre part nous venons,  sur Slate.fr, de rapporter les principales données de ce dossier ; un dossier bien embarrassant pour les autorités sanitaires. Ces dernières semblent être dans une impasse paradoxale pour ne pas écrire schizophrénique. D’une part elles sont contraintes de donner en temps et en heure à la presse les informations dont elles disposent ; faute de quoi elles seraient accusées de cacher la vérité. De l’autre elles ne peuvent pas ne pas redire à chaque échéance que rien ne permet d’affirmer que ces cas de cancers trouvent leur origine dans la présence d’une prothèse fabriquée par une firme (Poly Implant Prothese ou PIP) par ailleurs accusée de malfaçon par l’autorité de sécurité sanitaire en charge de sa surveillance (l’Afssaps).  

Dans un tel contexte la raison voudrait que la puissance publique cherche (et trouve) dans le (riche) vivier des épidémiologistes français quelques experts traducteurs de talent capables d’expliquer au plus grand nombre ce qui distingue le simple effet du hasard du lien de causalité. Mais la raison tarde, l’émotion grandit et la presse s’en fait immanquablement l’écho, amplifiant du même coup le phénomène. Prophétie auto-réalisatrice? Les associations revendiquent. Les malades avérées estiment être des victimes et les femmes qui ne sont pas malades redoutent de le devenir.

Le parquet de Marseille (siège de la société PIP) aurait en quelque ssemaines reçu plus de 2.000 plaintes de porteuses de prothèses mammaires; il a ouvert une information judiciaire pour «blessures et homicide involontaire» et les avocats spécialisés travaillent la question. «Nous n’avons pas d’a priori sur le lien de cause à effet. Nous savons que ce sont des prothèses frelatées», a précisé le Pr Dominique Maraninchi, aujourd’hui directeur général de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), ancien responsable de l’Institut national du cancer (Inca). Le Pr Maraninchi a rappelé qu’en France «une femme sur dix a, a eu ou aura un cancer du sein».

Selon l’Afssaps, les implants tenus pour frauduleux auraient, dans 80% des cas, été posés à des fins esthétiques et dans 20% des cas pour reconstruction. Un « comité de suivi » recense actuellement tous les cas de cancers survenus chez les femmes potentiellement concernées et l’Inca émettra dans quelques jours une série de recommandations aux professionnels de santé sur la meilleure conduite à tenir, notamment au plan chirurgical (retrait ou pas). Un numéro vert (0800 636 636) a été mis en place et plus de 5.000 appels auraient été reçus en deux semaines. 

La direction générale de la santé a demandé à tous les chirurgiens et médecins concernés de contacter leurs patientes porteuses qui ont de prothèses PIP, ce qui ne semble pas avoir été toujours effectué. L’association PPP  (de défense des porteuses de prothèses de la marque PIP) et l’association du Mouvement de défense des femmes porteuses d’implants et de prothèses (MDFPIP), réclament  la prise en charge du remplacement des prothèses posées pour raisons esthétiques.

A ce stade on voit mal comment la situation pourrait se débloquer, et retomber l’émotion des femmes (et de leurs proches) estimant être les plus directement concernées. C’est dans ce contexte qu’un site d’information pour les professionnels de santé (www.santelog.com)  précise que des sénateurs américains viennent de déposer au Congrès un nouveau projet de loi pour la Sécurité des patients ; un projet exigeant des fabricants d’implants de communiquer aux pouvoirs publics l’ensemble de leurs données afin d’assurer une traçabilité de toutes les prothèses et donc de pouvoir suivre les éventuels effets indésirables sur le long terme.

 Ce site ajoute que la France et les Etats-Unis font partie des pays qui ne disposent pas encore de tels registres alors que d’autres (la Suède, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Angleterre, l’Allemagne, la Finlande, la Slovaquie, le Danemark et le Canada) s’en sont dotés ce qui est de nature à constituer un outil précieux de veille sanitaire. En l’espèce cet outil permettrait d’avoir des données identificatrices concernant les 30 000 femmes porteuses d’une prothèse PIP. On pourrait aussi imaginer alors croiser ces données avec celles issues des registres des cancers où des données de la Cnam. Et en savoir (et en dire) plus, d’un point de vue statistique et épidémiologique, sur ce dossier.

Sur le fond le sujet avait été abordé en 2003 dans le cadre du Parlement européen. Sans véritable suites concrètes, les décisions en la matière incombant aux Etats membres. Au vu du développement actuel de l’affaire des prothèses mammaires on peut raisonnablement  penser que ce nouvel angle devrait, sous peu, alimenter de nouveaux débats sinon de nouvelles polémiques. Le thème principal en est déjà connu : pourquoi avoir laissé en jachère ce pan essentiel de la veille sanitaire ? Avec son corollaire : la recherche, par des moyens multiples, des principaux responsables.

 

Vache folle (2): à propos de l’appétit médiatique pour les catastrophes

Après la mort par les abats, la mort via le sang ? Il y a quinze ans l’opinion découvrait, via la presse d’information générale, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) le prion pathologique et l’angoisse collective de sa transmission par voie alimentaire conduisant à  une nouvelle forme de la maladie, incurable, de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). Ce fut une crise européenne majeure. Quinze ans plus tard certains agitent à nouveau le spectre en soulevant la question de l’innocuité d’un médicament anticoagulant : l’héparine. Une priorité médiatique ou de santé publique ? Comment savoir ?

La presse ne se repaît pas par plaisir des trains qui déraillent. Si elle se désintéresse ostensiblement de ceux qui arrivent à l’heure c’est pour une autre raison, plus profonde : elle ne se nourrit que d’insolite, d’étrange, de baroques. Il lui faut  des histoires. Mais ce n’est pas tout :  des histoires joliment racontées.

L‘insolite? C’est par exemple ce que range aujourd’hui sous cette étiquette l’Agence France Presse. Extraits:

« Françoise Tenenbaum, adjointe à la santé au maire (PS) de Dijon, propose de faire appel aux vétérinaires dans les déserts médicaux pour faire face à la pénurie de praticiens en France, une proposition prise avec « humour » par les médecins et jugée « irréaliste » par les vétérinaires.
« J’ai réfléchi à la problématique dans laquelle nous sommes, notamment en Bourgogne où il y a des déserts médicaux, et je me suis rendue compte qu’il y avait des vrais médecins dans les territoires, ce sont les vétérinaires, qui peuvent intervenir en urgence », a déclaré l’élue à l’
AFP.
« Je pense qu’il y a un champ de travail, mais il faudrait définir une passerelle de formation et cadrer la mission de ces vétérinaires. Surtout, ce ne serait pas à la place du médecin mais en l’attendant », a ajouté Françoise Tenenbaum, qui a formulé cette proposition dans
Les Echos. (…) « C’est totalement irréaliste et dangereux ! On n’est pas du tout compétents pour faire une médecine humaine », a jugé Gérard Vignault, président du Conseil régional de l’ordre des vétérinaires de Bourgogne.
« Ce serait un recul des soins apportés aux gens. On reviendrait au XIXe siècle, alors que l’on est dans une politique de médecine de pointe: le médecin généraliste est devenu un aiguilleur vers les spécialistes », a-t-il analysé.
Jean-Pierre Mouraux, président du Conseil de l’ordre des médecins de Côte-d’Or, préfère prendre la chose « avec humour ». « C’est un pavé dans la marre et ça fait bouger les canards. On en retiendra les bonnes intentions », a-t-il poursuivi.
Pour Monique Cavalier, directrice de l’Agence régionale de santé de Bourgogne, « aujourd’hui, ce n’est absolument pas pensable ». »

Avec la presse, peu importe la nature – heureuse ou malheureuse – du sujet traité. L’important, l’essentiel, c’est qu’il y ait rupture du quotidien. A cette aune une naissance dans un aéronef vaut les inquiétudes née du comportement a priori menaçant d’un passager. Mais tous les antiques reporters, passés maîtres dans la narration des faits divers, vous confieront (s’ils le veulent bien, plutôt en fin de repas) qu’il est incroyablement plus facile d’écrire (de tenir en haleine) à partir du malheur. Pour eux cela commence localement avec un chien écrasé pour finir, au mieux,  sur un pilier parisien du pont de l’Alma.    

C’est dans ce contexte que s’inscrit une autre forme de rupture, non pas passée mais potentiellement à venir. L’activité journalistique bascule alors du narratif vers le prédictif, domaine hautement plus risqué mais sacrément plus enivrant. On se souvient sans mal  sur ce thème des deux épisodes viraux associés  l’un au A(H5N1), l’autre au A(H1N1). L’ épizootie de la vache folle et son émergence en tant que zoonose furent également à l’origine de nombreuses prédictions médiatiquement transmises. Il y eut ainsi les propos apocalyptiques des premiers prophètes britanniques de malheurs ; vite suivis par les premiers travaux -également britanniques – de modélisation mathématique; des travaux beaucoup trop précoces dont les conclusions laissèrent  redouter des dizaines (voire plus) de milliers de victimes humaines.

Le temps passa et d’autres travaux prédictifs (français) corrigèrent heureusement le tir. On recense aujourd’hui un peu plus de 200 victimes, la plupart en Grande Bretagne. Faut-il espérer que le plus dramatique de cette affaire sasn précédent est désormais derrière nous ? Doit-on au contraire encore redouter de futures  conséquences mortifères associées à la dissémination de cet agent pathogène  transmissible non conventionnel qu’est le prion pathologique responsable de l’ESB et de la vMCJ ? Au-delà des impondérables liés aux inconnues scientifiques peut-on redouter que des fautes politiques ont été (sont actuellement) commises ?     

C’est ce que laisse indirectement penser la revue mensuelle Que Choisir dans un dossier qu’elle vient de consacrer à la sécurité sanitaire de l’héparine, une molécule aux puissantes propriétés anticoagulantes, très largement utilisée à travers le monde à des fins thérapeutiques.    

« Va-t-on vers un nouveau scandale sanitaire ? En 2008 environ quatre-vingt décès et des effets indésirables graves avaient été observés aux Etats-Unis et en Allemagne à la suite de l’administration d’héparine sodique, fabriquée à partir de matière première d’origine chinoise . En France, 34 millions de doses de cet anticoagulant sont administrées chaque année mais quels contrôles réels sur l’héparine importée ? Quelle sécurité sanitaire de l’héparine et du Lovenox, l’héparine leader de Sanofi ? C’est la question posée par l’UFC – Que Choisir qui saisit au 16 novembre le ministre de la Santé, pour demander une évaluation afin de garantir la sécurité des consommateurs français » précise le mensuel de l’association de consommateurs.

Ce mensuel rappelle d’autre part que bien qu’aucun effet grave n’ait été détecté en France, en 2008 l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) avait agi. Elle avait alors notamment demandé par mesure de précaution, le retrait de deux lots d’héparine sodique et avait recommandé aux professionnels de santé de restreindre leur utilisation à la voie d’administration sous-cutanée (pour laquelle aucune augmentation des effets indésirables n’avait été rapportée dans les deux pays touchés). En octobre 2011, l’Afssaps avait également revu ses recommandations de surveillance biologique d’un traitement par l’héparine.

« C’est de Chine que provient aujourd’hui une grande partie de l’héparine. Mais si la législation a été durcie aux Etats-Unis pour l’importation de l’héparine, elle reste plus souple en Europe. La France qui n’accepte que l’héparine de porc, pratique des tests sur l’héparine importée depuis la Chine pour vérifier sa pureté et son origine exclusivement porcine, observe encore l’UFC-Que Choisir.  Le Lovenox, le médicament de Sanofi, représente plus des deux tiers du marché mondial représentant un chiffre d’affaires de près de trois milliards d’euros. Sanofi appliquerait, selon le rapport de l’UFC, des mesures moins strictes de fabrication, pour l’Europe, que pour les Etats-Unis. Si les autorités sanitaires françaises et européennes considèrent ces procédures de contrôles comme suffisantes, ce n’est pas l’avis de certains scientifiques qui pointent l’insuffisance des tests pour garantir l’origine d’espèce de l’héparine consommée en France. »

On en serait là, sur ce fond interrogatif et préventif rationnel pimenté de l’avis de certains scientifiques s’il n’y avait cette chute :  

« Et s’il y avait de l’héparine de bœuf ? Un  mélange d’héparine de bœuf à de l’héparine de porc,  ferait effectivement courir le risque d’une transmission de l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB), aussi appelée maladie de la « vache folle », si l’animal en était atteint. Or les tests actuels, selon l’UFC, pourraient ne pas détecter cette manipulation… » Pourquoi cette extrapolation, cet élargissement du champ des possibles pathogènes ? Sans doute pour mieux attirer l’attention du plus grand nombre. Sans doute aussi pour, corollaire, pousser Xavier Bertrand,  ministre de la Santé (son cabinet et ses services) à prendre des initiatives politiques et des mesures sanitaires.

Des mesures? Faut-il en prendre? Si oui lesquelles ? Si non pourquoi ? Voici un nouvel exercice d’évaluation et de gestion du risque qui est réclamé par voie de presse. Il ne sera pas inintéressant d’observer comment les responsables politiques traiteront (ou pas) de cette question. Et il ne sera pas moins inintéressant de relater de quelle manière les médias d’information générale traiteront (ou pas) de ce traitement.   

 

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La gueule de bois et la mort

 Où comment un peu banal communiqué de presse à visée marchande soulève deux ou trois petits (mais roboratifs) lièvres sanitaires

 Le marronnier, voilà bien l’un des maux du journalisme ; un mal nécessaire. Il est toujours là, fidèle au rendez-vous des jours de fête ; toujours présent quand les journalistes (mais non l’actualité) font un instant relâche. C’est dire si le marronnier est méprisé. On le voit raillé dès les écoles, précisément, de journalisme ; ces écoles  où s’entraînent de brillants jeunes gens au vol souvent bruyant et à la plume encore bien raide. Un marronnier ? La belle affaire que voilà disent-ils en substance aux vieux maîtres. Un marronnier ? Nous ! Devoir traiter à l’ancienne  du devenir des courriers postaux adressés au Père Noël, des fragrances du beaujolais dit primeur ou de la nécessité, les vendanges venues, de se faire vacciner contre la grippe saisonnière…

Ces jeunes gens apprendront bientôt qu’il y a pire, du moins dans le champ du journalisme santé : nous parlons de ces deux monstruosités que sont les papiers se devant d’être consacrés à la crise de foie (spécificité française) et à la gueule de bois (syndrome universel). Entendons-nous bien sur le caractère monstrueux. C’est moins le fait de devoir parler de ces deux intéressants phénomènes que de devoir le faire pour les prévenir ; ou plus précisément pour être tenu de dévoiler les astuces qui permettront  de jouir demain sans retenue de la cause (surcharge calorique et/ou alcoolique) sans être une fois encore la victime des conséquences de ses actes.  Sinon ce serait avec plaisir que l’on exposerait ici les arcanes de la physiopathologie ; ou que l’on réfléchirait à ce diptyque qui veut que le péché de gourmandise ou celui –s’il existe- d’ivresse impose immanquablement le rachat. 

A dire le vrai nous avions nous-mêmes péché, et ce à deux reprises ces deux derniers Noëls ; il est vrai à la demande doucereusement insistante du rédacteur en chef  de Slate.fr. L’angle était original puisqu’il s’agissait de relater, publication scientifique  à l’appui, les vertus comparées des deux principaux alcools de grains occidentaux . Puis nous avions oublié ces plaisirs d’écriture. Quand soudain, à l’approche de l’Avent 2011, ce mail-marronnier affirmant que des ingénieux avaient enfin élaboré  « la première solution d’origine naturelle contre la gueule de bois ! ». Ne pas être dupe, bien sûr. Mais tout de même un peu: l’actualité primant tout, la lecture s’imposait.

L’argumentaire commercial ne manque pas de l’indispensable piment branché :

« Soirées entre amis, restaurants, after-works, pots de bureau… les jeunes actifs sortent régulièrement pour se divertir mais aussi pour tisser des liens et agrandir leur cercle de connaissance. L’alcool fait alors souvent partie du jeu. Cependant, les lendemains sont parfois synonymes de baisse de régime et il n’existait jusqu’alors aucune alternative aux médicaments, les AINS  pourtant déconseillés par l’Afssaps en association avec l’alcool. Aujourd’hui pour répondre à cette demande le laboratoire D***  a développé A***- E ***, la première solution d’origine 100% naturelle qui lutte contre les symptômes de la gueule de bois. »

Par AINS il faut entendre « anti-inflammatoires non stéroïdiens » et, selon le fabriquant, aspirine, ibuprofène et paracétamol ; quant à l’Afssaps, il s’agit bien sûr de la désormais célèbre « Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ». Situation intéressante : nous sommes clairement ici dans une démarche commerciale d’un genre bien particulier puisque que le produit proposé est vanté comme une « alternative à l’automédication ».  Affaire de santé publique puisque le fabriquant nous précise « qu’une personne sur quatre s’auto-médique contre la gueule de bois » et « qu’une fois sur trois, selon l’Afssaps  un AINS est utilisé ».

Or, toujours selon le fabriquant citant l’Afssaps « la consommation d’alcool associée à des anti-inflammatoires non stéroïdiens peut être à l’origine de brûlures d’estomac ou de reflux acides ». En d’autres termes : prendre cette substance aidera l’Afssaps et les autorités en charge du médicament à remplir la mission qui est la leur concernant le respect des indications  des AINS

Quelle est cette substance ? Il s’agit, explique-t-on à la presse « d’un complément alimentaire breveté composé d’actifs d’origine naturelle connus pour leur action positive sur l’organisme. On retrouve dans sa composition les nutriments dont la présence a été diminuée par les boissons alcoolisées comme le magnésium et la vitamine B1 ». Message public : « Pour éviter les effets indésirables d’une consommation d’alcool et garder une sensation de bien-être 3 capsules sont à prendre avant la soirée et 2 autres au coucher. » Deuxième message : « Vous avez peur d’oublier les deux dernières capsules ? Il est également possible de prendre 5 capsules d’un coup, avant la soirée, sans altérer l’efficacité ! »

 Mais encore ? « L’huile de graine de bourrache est ainsi une plante reconnue pour ses vertus antivieillissement qui luttent contre la sécheresse. L’huile de poisson favorise la concentration et développe la mémoire ; tandis que le chardon marie – appelé aussi l’artichaut sauvage -favorise le confort du foie. Enfin, les vitamines B1 et B6 agiront sur l’humeur et redonneront de l’énergie pour un bien-être assuré. » On appréciera les équilibres de cocktail huileux vitaminé à la quadruple action : anti-sécheresse, pro-mnésique, énergétique avec bercement des hépatocytes.

L’efficacité ? Elle est « avérée » : « test consommateurs » réalisé « auprès de 103 jeunes actifs » par un laboratoire « indépendant » (T***) qui a révélé les effets positifs constatés d’A***-E *** sur le bien-être au lendemain d’une soirée. Nous n’en saurons guère plus quant à la méthodologie fine de l’essai et notamment sur les critères définissant le caractère actif des jeunes impétrants ou ceux définissant  la soirée. Quant aux résultats ils sont globalement harmonieusement et statistiquement positifs : « réduction de 62% de la sensation globale de gueule de bois ; réduction de 65% de l’inconfort digestif ; réduction de 61% de la difficulté de concentration ».

Plus généralement  « 88% des personnes ont reconnu l’efficacité d’A***-E *** et 84% le conseilleraient à leur entourage ». En savoir plus réclame d’aller sur le site du laboratoire-fabricant, « laboratoire français dédié à la santé des jeunes actifs qui développe et commercialise en pharmacie des produits destinés à améliorer l’énergie et le bien-être au quotidien » ; site où l’on découvre l’organisation commerciale sous-jacente pour une substance préventive disponible via Internet et, nous dit-on dans de très nombreuses pharmacie d’officine.

 Précautions d’usage : A ***-E*** « s’adresse aux consommateurs occasionnels d’alcool qui souhaitent améliorer leur bien-être et leur énergie au lendemain de leurs soirées ! » ; «  A***-E*** est pleinement efficace dans le cadre d’une consommation modérée d’alcool, et ne s’adresse par aux consommateurs excessifs. » ; ; «  A***-E*** permet de se sentir mieux, plus en forme, plus actif et plus performant mais ne  permet en aucun cas de conduire un véhicule après avoir consommé de l’alcool, car il n’agit pas sur l’ébriété ou sur l’alcoolémie. »

On perçoit, à ce stade, toute l’originalité de la situation. La consommation importante de boissons alcooliques dans un laps de temps donné a des effets physiologiques connus d’une large fraction de la population française. Il est de notoriété publique que des médicaments anti-inflammatoires sont détournés de leurs indications pour (tenter de) prévenir ces effets. Un fabricant propose une préparation tenue pour lutter contre l’automédication et ses conséquences. Est-il du rôle des médias d’information générale de faire par voie de presse la promotion de cette préparation autoproclamée comme commercialisée au nom de la santé publique ? Si non, à quel titre ?

Sur ce thème on ne peut manquer de rapprocher cette incitation publicitaire de la publication dans le British Journal of Clinical Pharmacology d’une étude sur la nocivité trop méconnue du paracétamol pris à de fortes doses durant de longues périodes. Etablies par une équipe de chercheurs de l’université d’Edinbourg ces données ont été médiatiquement relayées outre- Manche par  The Telegraph. Selon BBC News, le docteur Kenneth Simpson et son équipe ont étudié les dossiers médicaux de 663 patients qui souffraient de lésions hépatiques induites par le paracétamol. Les 161 patients qui avaient fait des surdosages échelonnés, sur une période de 6 ans, pour calmer des douleurs chroniques étaient plus susceptibles de développer des problèmes au foie et au cerveau et d’avoir besoin d’assistance respiratoire. Aussi, ils seraient plus exposés à la mort à la suite de complications.

Traduction : «Si vous prenez plus de paracétamol que la dose recommandée [8  comprimés de 500mg], vous n’amélioreriez pas la maîtrise de la douleur, mais vous endommagerez votre santé.»

L’étude montre également que les patients qui consomment cette spécialité  bien au-delà  de la dose recommandée le font essentiellement pour soulager des lombalgies, des céphalées et des douleurs dentaires. Ils ont en moyenne 39 ans ne regardent pas à la dépense et sont plus susceptibles que d’autres d’abuser de l’alcool. Où l’on renoue le fil avec la prévention de la « gueule de bois ». A ceux (et nous les comprenons) qui seraient choqués que l’on puisse avoir ici recours (même avec les pincettes des guillemets) à cette expression fort peu distinguée nous rappelons que l’autre expression imagée est celle, pas plus légère de «casquette en béton».

Heureusement la médecine est là qui parle quant à elle de «veisalgie», un récent et distingué néologisme formé, dit-on, par des chercheurs américains à partir du mot norvégien kveis (malaise qui suit la débauche) et de la racine grecque algia (douleur). Et pour aider à briller prochainement en société nous conclurons sur une donnée trop méconnue : les symptômes de la veisalgie (maux de tête, nausées, fatigue, tremblements, troubles du rythme cardiaque, chute de la tension artérielle, confusion…) ne sont nullement  la conséquence de la présence d’alcool dans le sang : ils surviennent au contraire plusieurs heures après la consommation lorsque le taux d’alcoolémie s’approche de zéro. Le temps est alors venu, si la chose est encore possible, de la méditation sur, par exemple, cet invariant qui veut que souvent  les mêmes causes produisent des effets qui se ressemblent.   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ginkgo biloba: quelques mystères restent à éclaircir

Où l’on découvre, non sans surprise, le contenu du dernier épisode en date du grand toilettage post-Médiator de la pharmacopée française. Et où l’on s’interroge sur l’opportunité et l’ampleur  d’une future enquête  qui tenterait de faire la part entre la médecine « fondée sur les preuves » et celle qui ne l’est pas.

 A l’heure où nous écrivons ces lignes l’affaire semble en passe d’être réglée. Prudence toutefois. On sait que dans le domaine médicamenteux la commercialisation de la peau de l’ours réclame de très longs délais avant la mort, scientifiquement constatée, de l’animal. Une chose est toutefois acquise. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé  (Afssaps) va très prochainement informer l’ensemble des médecins français d’une décision de taille : tous les médicaments fabriqués à partir du Ginkgo biloba ne devraient plus avoir leur place sur le marché français où ils  sont commercialisés (et partiellement remboursés) depuis 1974.

En termes officiels la chose est évidemment exprimée différemment : la Commission d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) de l’Afssaps estime aujourd’hui que le rapport « bénéfice/risque » de ces spécialités est, tout bien pesé, « défavorable ». L’Afssaps va donc « adresser dans quelques jours une information aux professionnels de santé ». Elle leur fera part des conclusions auxquelles  elle vient d’aboutir. Et elle leur demandera « de revoir de façon individuelle, lors d’une prochaine consultation et sans urgence, le rapport bénéfice/risque de ces médicaments en tenant compte du fait que leur efficacité a été jugée insuffisante dans toutes leurs indications ». Qui ne comprend, ici, ce que nous dit la science ?

Après le très long feuilleton (toujours pendant) du Médiator, l’affaire du Ginkgo biloba va-t-elle susciter un intérêt médiatique, sinon comparable, du moins soutenu ? C’est bien peu vraisemblable et c’est fort regrettable. Car tout laisse penser que l’affaire du Ginkgo biloba est à bien des égards exemplaire. Elle témoigne tout d’abord de ce qui apparaît désormais avec le temps comme une profonde et durable désorganisation, difficilement compréhensible, des technostructures en charge des différentes facettes de la politique du médicament.      

Au-delà des éléments qui la caractérisent (et qui font l’objet de diverses actions en justice) l’affaire du Médiator a joué ici un puissant rôle de révélateur. Elle a aussi précipité les évènements. Le temps semble révolu où on pouvait –pour diverses raisons – laisser sur le marché (et prises en charge par la collectivité) des spécialités pharmaceutiques qui n’avaient jamais fait la preuve de leur efficacité ; ou plus précisément pour lesquelles aucune réévaluation de l’efficacité n’avait été demandée. Et, plus grave, il en allait de même pour la sécurité de leur emploi sur de larges échelles.

L’émoi médiatique, comme auto-entretenu, suscité par l’affaire Médiator, mais aussi le réquisitoire formulé sur ce thème par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)  et la volonté du gouvernement d’élaborer une nouvelle politique du médicament semblent avoir radicalement modifié la donne. Plus question d’approximations coupables désormais, qu’il s’agisse de pharmacovigilance ou de l’association  « efficacité démontrée-remboursement accordé ». Seule la fixation des prix semble encore résister à la volonté affichée de transparence absolue.

L’affaire Ginkgo biloba marque ainsi, de manière à la fois concrète et symbolique, la fin d’une époque ; et ce même si la question du déremboursement des médicaments  (voire du maintien de la commercialisation) n’est pas encore semble-t-il tranchée. Les spécialités concernées sont les suivantes : Tanakan®, Tramisal®, Vitalogink®, Ginkogink®, Ginkgo Biogaran®, Ginkmongo®. Elles étaient « préconisés » comme « traitement d’appoint » dans différentes  et nombreuses indications concernant  les personnes âgées : déficit pathologique cognitif et neurosensoriel chronique du sujet âgé (officiellement à l’exclusion des démences), certaines artériopathies chroniques des membres inférieurs, baisses d’acuité ou auditives, syndromes vertigineux et/ou acouphènes présumés d’origine vasculaire.

Comme dans le cas du Médiator la question soulevée est celle du délai qu’il aura fallu pour prendre la mesure de l’inefficacité d’un même principe actif dans de très nombreuses indications thérapeutiques. Pourquoi ?  Au bénéfice et au détriment de qui? Mais à la notable différence du Médiator la problématique d’effets secondaires graves, voire mortels, n’a pas été ici été soulevée. Il n’en reste pas moins qu’il y a là une forme de mystère structurel et qu’une enquête (dépassionnée mais néanmoins approfondie) aiderait sans doute à comprendre les véritables raisons qui ont pu conduire à une telle situation. Enquête conduite auprès des différentes structures et agences en charge du médicament et de sa prise en charge ; mais aussi des sociétés savantes médicales concernées et des prescripteurs.  

Enquête d’autant plus intéressante qu’elle n’omettrait pas la dimension phytothérapique de l’affaire. Car, au-delà de la réglementation et des indispensables contraintes pharmaceutiques, c’est bien de Ginkgo biloba qu’il s’agit ; Ginkgo biloba  qui nourrit les espoirs de tous ceux –et ils sont nombreux-  qui sont intimement persuadés que ce végétal possède, entre autres multiples vertus, celle de prévenir l’apparition au fil du temps des troubles de la mémoire. A ce titre l’affaire Ginkgo biloba ne peut que relancer  la controverse récurrente, parfois violente, qui oppose les tenants de la «médecine basée sur les preuves» aux adeptes d’une approche différente – moins rationnelle ou plus «globalisante» –  des maux humains.

 C’est dire si l’enquête devrait aussi embrasser l’histoire et la place de l’arbre aux écus (quarante ou mille). «Quarante écus» parce qu’un botaniste français en aurait acheté cinq plants à un collègue anglais en 1788 pour la somme de quarante  écus d’or; «Mille écus»  à cause de l’aspect de ses feuilles prenant une teinte mordorée à l’automne avant de former un tapis d’or sous les ramures.

Comme dans le cas de l’homéopathie  les raisons ne manquent  pas pour expliquer l’engouement que peut nourrir cet arbre hors du commun. Ses seuls congénères connus, au nombre de sept, ont été retrouvés sous la forme de fossiles. C’est aussi la plus ancienne famille d’arbres ayant existé sur la terre apparue, dit-on, il y a plus de 300 millions d’années soit -environ- quarante millions d’années avant que les dinosaures commencent à établir leur règne avec les conséquences que l’on sait.

A ce titre il peut légitimement nourrir bien des mythes. D’autant plus que cet arbre de taille moyenne (entre 25 et 30 mètres) qui peut parfois vivre plus de 25 siècles est un prespermaphyte. En clair, il ne produit pas de graines; les arbres femelles portent des ovules (souvent confondues avec les graines sous les fruits) qui sont fécondées par le pollen d’un arbre mâle. La rencontre fécondante conduit à une germination immédiate donnant naissance à un jeune pousse, au pied du plant mère. Comment pourrait-on ne pas ici être ému? Reste les conclusions fournies par la science et la médecine officielles auxquelles nous nous étions déjà intéressés, sur le site Slate.fr et en décembre 2009, à l’occasion d’une publication du JAMA.

Une première alerte avait été lancée  en 2008, avec la publication (dans le JAMA, déjà) d’une étude financée par le National Center for Complementary and Alternative Medicine et le National Institute on Aging: Ginkgo biloba for prevention of dementia, a randomized controlled trial. Ce travail portait sur 3 069 personnes et avait duré six ans (à raison, soit de 120 mg deux fois par jour, soit d’un placebo). Conclusion, déjà: une absence totale d’effet sur l’évolution de la maladie d’Alzheimer et de la démence en général.

Domestiqué dans le sud-est de la Chine le Ginkgo biloba semble arriver en Corée et au Japon vers le XIIème siècle. Un demi-millénaire plus tard un médecin et botaniste allemand le découvre, le décrit le classe et l’importe. Les premiers plants européens grandissent au jardin botanique d’Utrecht vers le milieu du XVIIIème siècle. On en verra plus tard au jardin botanique de Montpellier puis au Jardin des plantes de Paris où, dit-on, ils sont toujours vivants. Et puis, pour parfaire le mythe on rapporte que cet arbre fut le premier  à avoir repoussé dans la zone radioactive créé par l’explosion de la bombe nucléaire américaine sur Hiroshima; une forme sacralisation moderne, le double symbole de la longévité et de la résistance à la folie humaine.

Est-ce la raison pour laquelle le Ginkgo biloba devait au fil du temps trouver des applications médicales dans de très nombreux domaines –  des applications d’ailleurs plus ou moins justifiées ces dernières décennies par une série de résultats scientifiques ? On a ainsi découvert que ses feuilles étaient particulièrement riches en flavonoïdes, substances aux intéressantes propriétés anti-oxydantes. On a proposé l’utilisation pharmaceutique d’extraits à des fins préventives ou thérapeutiques dans le domaine dermatologique, vasculaire (varices, hémorroïdes, «jambes lourdes», syndrome de Raynaud) ou neurologique (sénilité, démences, maladie d’Alzheimer, troubles cognitifs). Et  ces extraits continuent aujourd’hui l’objet d’un commerce important dans de très nombreux pays.

En France et en 2011 l’aventure est-elle ou non sur le point de s’achever ?