Prothèses mammaires: un avocat parisien et des déclinaisons planétaires

L’affaire ne cesse juridiquement d’enfler. Elle offrira bientôt tous les ingrédients pour une leçon sans précédent de « droit sanitaire comparé ». Qui l’écrira ?

Paris, 10 janvier 2011. On vient d’apprendre que des centaines de Sud-Américaines avaient décidé de se porter partie civile dans l’information judiciaire pour homicide et blessures involontaires ouverte à Marseille sur les prothèses mammaires frauduleuses de l’entreprise française Poly Implant Prothèse (PIP). L’annonce a été faite par Me Arié Alimi, avocat parisien au nom des futures plaignantes.

On aimerait incidemment en connaître un peu plus sur les négociations et multiples tractations qui séparent l’émergence médiatique d’une affaire/scandale sanitaire de l’annonce (également médiatique) des poursuites engagées par des personnes qui s’estiment victimes. Avec cet invariant : la présence d’un (ou plusieurs) avocats plus ou moins spécialisés dans le droit médical mais toujours hyperactifs dans leurs cabinets comme devant micros et caméras. Quand ils ne les convoquent pas, précisément, dans leur cabinet. Ainsi Me Alimi  accordant un entretien à l’Agence France Presse pour assurer (pourquoi donc ?) que la lettre notifiant ces parties civiles à la juge d’instruction Annaïck Le Goff du pôle santé de Marseille serait bien envoyée « dans la semaine ». Est-il si important que cette information soit connue de tous avant que la juge Annaïck Le Goff le soit  par voie postale ?

 « Des centaines » ? C’est beaucoup et c’est bien vague. Me Alimi ne peut-il nous en dire plus ? Oui. L’avocat précise que d’autres victimes potentielles (notamment au Brésil et en Colombie) pourraient suivre. Il précise avoir d’ores et déjà été mandaté par un groupement de cinq cents  victimes argentines, menées par l’avocate Virginia Luna, elle-même porteuse d’implants, ainsi que par une association regroupant autant de femmes vénézuéliennes. Ces plaintes s’ajouteront, assure-t-il, aux deux mille cinq cents qui avaient déjà été reçues à Marseille il y a quelques jours.
Selon l’avocat rien qu’en Argentine quinze mille prothèses mammaires PIP auraient été implantées. Au Venezuela environ 40.000 mammoplasties sont réalisées chaque année, mais aucune estimation du nombre de porteuses d’implants PIP n’a été communiquée.

L’Afssaps et TÜV Rheinland en ligne de mire

Attention : outre celles de PIP, les plaignantes sud-américaines s’interrogent sur « les éventuelles responsabilités » de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et du laboratoire allemand TÜV Rheinland, organisme certificateur. Pour préciser tout cela Me Alimi annonce à l’Agence France Presse qu’il donnera aujourd’hui même une conférence de presse (1) en son cabinet du XVIIème arrondissement de Paris, rue de Courcelles (métros Pereire et Courcelles). Il dira sans doute que ses clientes se porteront partie civile à l’audience dans l’autre volet judiciaire de l’affaire, qui devrait donner lieu en 2012 à un procès devant le tribunal correctionnel de Marseille pour tromperie aggravée sur une marchandise.

« De 400.000 à 500.000 femmes seraient porteuses d’implants PIP dans le monde, ce qui a donné un caractère international à ce scandale sanitaire » rappelle l’ Agence France Presse. De fait. Et c’est ce qui confère à cette affaire une dimension sans réel précédent dans l’histoire, récente et bien fournie des crises/scandales sanitaires. Souvent ces dernières se sont caractérisées par leur dimension strictement nationale. Ainsi en France celles – qui demeurent dans bien des mémoires- – du sang contaminé par le VIH. Une caractéristique à dire vrai toute relative quand on sait que d’autres pays industriels furent concernés, à des périodes identiques, par des faits équivalents.

Protéger les volatiles des poulaillers (ceux de Navarre compris)

 L’affaire de la vache folle eut également une dimension internationale. Mais ses origines étaient géographiquement circonscrite (la perfide Albion au début des années 1980) et les projecteurs furent braqués sur d’autres champs d’investigation. Elle donna toutefois lieu à des comparaisons interrogatives éclairantes. Comme celles concernant les divergences nationales dans les évaluations (scientifiques) et dans les gestions (politique) du risque sanitaire. Pourquoi abattre ou ne pas abattre tout le troupeau ? Pourquoi exclure ou ne pas exclure les ris de veau de l’alimentation humaine ? La menace de la grippe dite aviaire (A/H5N1) donna également lieu à des observations similaires quoique moins directement alimentaire. Fallait-il véritablement, comme le décidèrent les  autorités sanitaires parisiennes, couvrir tous les poulaillers (ceux de Navarre compris) d’un filet séparant les volatiles sauvages de ceux qui ne l’étaient plus ? N’était-il pas discrètement excessif –comme le fit un ministre français de la Santé- de recommander de ne plus, le dimanche, apporter son pain perdu aux gentils canards des jardins publics ?  

L’affaire/scandale des prothèses PIP donnera, elle aussi, matière à des leçons de droit sanitaire comparé. Ceux qui les écriront disposent d’ores et déjà de certains éléments. En Allemagne (où, selon la presse, 7.500 femmes seraient concernées) les autorités sanitaires ont recommandé le 6 janvier le retrait des prothèses mammaires dites défectueuses. Pragmatiques comme toujours (est-ce un trait de l’insularité ?) leurs homologues britanniques ont, pour l’heure, jugée injustifiée une telle recommandation ; et ce en dépit du fait que sur l’île 40.000 femmes sont porteuses de prothèses de ce type.

Spectre étendu

Le spectre étendu de l’activité exportatrice de Poly Implant Prothèse (on estime aujourd’hui que 84% des seins artificiels partaient vers l’étranger, pour l’essentiel en Amérique latine, en Espagne et en Grande-Bretagne) fait que d’autres décisions ou recommandations nationales vont suivre(2). Au Brésil les autorités sanitaires ont annoncé qu’elles allaient dans les prochains jours procéder au recensement des femmes porteuses de prothèses mammaires, une mesure qui devrait permettra d’identifier la marque du silicone et la raison de l’implant ou de son retrait. Une quête rétrospective de traçabilité rétrospective en somme.

Une traçabilité qui semble curieusement comme impossible à organiser en France (3) où le ministre de la Santé Xavier Bertrand vient de faire savoir qu’il fallait accroître le nombre de contrôleurs de matériels médicaux et que leurs inspections devaient s’effectuer « sans prévenir » sur les « lieux d’implantation » (sic). En France où 20 cas de cancers (dont 16 adénocarcinomes du sein) ont été recensés chez des porteuses d’implants PIP, sans qu’un lien de causalité ne soit établi. En France premier pays à recommander, par la voix de son ministre de la Santé, l’explantation des prothèses PIP  aux 30.000 femmes concernées.

(1) Lors de cette conférence l’avocat a pu préciser devant la presse l’action qu’il entend mener.  » Nous demandons au ministère de la Santé et à l’Union européenne la création d’un fonds d’indemnisation des victimes étrangères pour permettre l’explantation de ces prothèses qui peuvent s’avérer dangereuses », a-t-il dit. Toujours par voie de presse il a demandé à être reçu « par le ministère de la Santé ou la Commission européenne. L’avocat a aussi suggéré que ce fonds soit financé par l’industrie pharmaceutique (sic). Il a enfin pointé la responsabilité de l’UE dans cette affaire, en particulier les « carences » du contrôle des dispositifs médicaux, ces produits non soumis à une procédure d’autorisation. « Cette législation est un véritable gruyère et les prothèses ont pu passer dans le monde entier », a-t-il commenté.

(2) Les autorités sanitaires néerlandaises ont recommandé mercredi 11 janvier le retrait des implants mammaires PIP. « Même lorsqu’aucune fissure n’est détectée, il est conseillé (…) de retirer la prothèse », ont indiqué les autorités sanitaires néerlandaises (IGZ) et l’Association néerlandaise de la chirurgie plastique (NVPC) dans un communiqué commun. Expliquant avoir émis cette recommandation « au vu des incertitudes qui ont surgi en raison des diverses publications dans la presse », l’IGZ et la NVPC rappellent qu’il y a, d’après leur évaluation, 1.000 femmes portant ce genre d’implants aux Pays-Bas. Fabriqués par PIP, les implants étaient commercialisés aux Pays-Bas par la société Rofil sous la marque « M-Implants ». Les Pays-Bas avaient interdit l’usage des prothèses PIP dès 2010 et avait déjà recommandé, en septembre 2010, aux femmes de consulter un médecin.

(3) Dans le quotidien régional La Nouvelle République (du Centre -Ouest) de ce 11 janvier le témoignage d’une femme âgée de 52 ans. Elle porte  d’une prothèse PIP après mammectomie, chimio et radiothérapie effectuées au CHU de Tours (Indre-et-Loire). Pose de la prothèse en novembre 2004 dans une clinique privée du XVIème arrondissement de Paris. Septicémie à staphylocoque. Réintervention en juillet 2005, même endroit, même chirurgien. On passe d’une à deux prothèses pour « rattraper la symétrie ». Facture de 4000 euros. Dépassements substantiesl d’honoraires. Reprise d’une vie normale, pratique de la natation. Aucune information en mars 2010 quand l’Afssaps a recommandé aux chirurgiens une surveillance de leurs patientes. C’est elle qui, après les informations parues fin 2011 dans la presse, découvrira que sa prothèse est de marque PIP. Elle appelle la secrétaire de son chirurgien parisien qui lui conseillera la marche à suivre standard après les recommandations gouvernementales: échographie et à court ou moyen terme, explantation. « C’est un scandale dit-elle. Je voudrais bien savoir comment les chirurgien choisissent leur matériel. » Elle rejoindra sous peu les 2.400 femmes qui ont décidé de porter plainte. « C’est la colère qui me pousse. Mon indignation me donne du courage. »

 

 

 

Fin 2011 : prothèses mammaires et grippe aviaire

Quand l’année 2012 apportera-t-elle une réponse aux deux questions de santé publique sur lesquelles 2011 s’achève ?  

Sur son blog, qui jouxte, celui-ci Antoine Flahault achève l’année 2011 en traitant d’un sujet sanitaire majeur qui n’a pas eu l’heur de séduire durablement les médias français d’information générale : la menace inhérente aux manipulations expérimentales du trop célèbre A/H5N1 dit aviaire. Quelques heures après la publication de ce billet et du premier commentaire qu’il devait susciter l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se déclarait « profondément inquiète » par ces recherches. Rappelons  que laboratoire néerlandais dirigé par Ron Fouchier au centre médical universitaire Erasmus de Rotterdam avait annoncé en septembre être parvenu à obtenir une mutation de cet agent pathogène susceptible de lui permettre de  se transmettre nettement plus facilement entre des mammifères et notamment des humains. Aux Etats-Unis l’Université du Wisconsin  a également produit une communication similaire à propos de ce virus. Les deux recherches ont été financées par les Instituts nationaux américains de la santé (NIH). L’OMS prend note que  » ces annonces « ont suscité des inquiétudes sur les possibles risques et mauvais usages associés à ces recherches », indique aujourd’hui  l’organisation sanitaire onusienne dans un communiqué mis en ligne en anglais sur son site. L’OMS  est « également profondément inquiète des conséquences potentiellement négatives  de tels travaux ». Et dans un subtil balancement jésuite elle considère que les études menées dans des conditions appropriées doivent continuer «  afin d’accroître les connaissances « nécessaires pour réduire les risques posés par le virus H5N1 ».

 Que sait l’OMS que nous ignorons ?

Quelques heures après cette prise de position les dépêches des agences de presse internationales nous apprenaient, depuis Pékin, qu’un chauffeur d’autobus de Shenzen (grande ville du sud de la Chine proche de Hong Kong) venait de mourir des suites d’une infection causée par le A/H5N1). C’est le premier cas mortel officiellement recensé en Chine depuis dix-huit mois.  Point inquiétant : cet homme de 39 ans n’avait apparemment pas eu de contact avec des volatiles avant de tomber malade ; et il n’était pas sorti de la ville avant d’être pris de fièvre  le 21 décembre et de mourir dix jours plus tard d’une pneumonie virale. Il avait testé positif pour le A/H5N1 de la grippe aviaire a indiqué le département de la Santé de Shenzen, (plus de dix millions d’habitants). Aucune des 120 personnes placées en observation avec lesquelles il a été contact n’est tombée malade précise le quotidien officiel de la province du Guangdong. Il y a dix jours, 17.000 poulets ont été abattus dans un élevage de Hongkong. Les autorités locales avaient alors suspendu pour vingt-et-un jours le commerce de poulets vivants ainsi que leur importation en Chine continentale.

Retour en France.

En cette dernière journée de l’année 2011 France on découvre que vingt cas de cancers ont désormais été déclarés à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) chez des femmes porteuses de prothèses mammaires fabriquées par la désormais trop célèbre société PIP.  Selon ce nouveau bilan on dénombre trois cas de lymphome, dont un lymphome rarissime, quinze cas d’adénocarcinome mammaire, un cas d’adénocarcinome du poumon, ainsi qu’une leucémie. « Aucune imputabilité n’a été établie à ce jour entre ces cas de cancer et le port des implants PIP »  précise l’Afssaps qui ajoute que le nombre de cancers du sein rapporté à ce jour chez les femmes porteuses de prothèses PIP « reste inférieur au taux observé dans la population générale ». Ces prothèses seraient-elles protectrices ? A partir de quand les 30 000 femmes potentiellement concernées devraient-elles raisonnablement s’inquiéter ? Quand seront-elles rassurées ? Qui, en 2012, fera le premier l’indispensable cours de pédagogie sur ce qu’est et n’est pas une relation de causalité ? Qui parlera au plus grand nombre du hasard statistique et de la fatalité qui ne l’est pas ?  

Osons écrire ici que ces informations seraient peut-être plus utiles que celle qui, terrible vacuité médiatique des fins d’années, tourne en boucle sur les ondes et les écrans : le fondateur de la société PIP, Jean-Claude Mas (72 ans et visé en France par deux enquêtes judiciaires « pour tromperie aggravée » et « homicide involontaire ») apparaîtrait comme « consultant » dans l’organigramme d’une nouvelle société, France Implant Technologie (FIT), créée par ses enfants en juin 2011.   

 Vérité britannique ?

Faudrait-il attendre la vérité épidémiologique d’outre Manche où environ 42.000 femmes portent des implants PIP ? A quelques heures du réveillon les autorités britanniques ont annoncé l’ouverture d’une enquête sur les « données utilisées pour évaluer les risques des implants mammaires PIP, fabriqués en France » et ce après avoir reçu des informations « incohérentes » sur ces prothèses. « Je suis inquiet et mécontent de la cohérence et de la qualité des informations qui ont été transmises par les fournisseurs  des implants PIP au Royaume-Uni, vient de déclarer le ministre britannique de la Santé, Andrew Lansley. Nous avons reçu hier vendredi 30 décembre  des informations de la part de l’un des grands cabinets privés de chirurgie esthétique, qui n’avaient pas été révélées jusqu’à présent (…) et qui sont incohérentes avec les informations fournies jusqu’alors ». Le ministre a chargé un groupe d’experts d’étudier ces données et de se pencher sur « la réglementation en terme de qualité et de sécurité dans le secteur privé de la chirurgie esthétique. Leur rapport est attendu la semaine prochaine. A 2012, donc.

Avec tous nos vœux.

 

Vache folle (2): à propos de l’appétit médiatique pour les catastrophes

Après la mort par les abats, la mort via le sang ? Il y a quinze ans l’opinion découvrait, via la presse d’information générale, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) le prion pathologique et l’angoisse collective de sa transmission par voie alimentaire conduisant à  une nouvelle forme de la maladie, incurable, de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). Ce fut une crise européenne majeure. Quinze ans plus tard certains agitent à nouveau le spectre en soulevant la question de l’innocuité d’un médicament anticoagulant : l’héparine. Une priorité médiatique ou de santé publique ? Comment savoir ?

La presse ne se repaît pas par plaisir des trains qui déraillent. Si elle se désintéresse ostensiblement de ceux qui arrivent à l’heure c’est pour une autre raison, plus profonde : elle ne se nourrit que d’insolite, d’étrange, de baroques. Il lui faut  des histoires. Mais ce n’est pas tout :  des histoires joliment racontées.

L‘insolite? C’est par exemple ce que range aujourd’hui sous cette étiquette l’Agence France Presse. Extraits:

« Françoise Tenenbaum, adjointe à la santé au maire (PS) de Dijon, propose de faire appel aux vétérinaires dans les déserts médicaux pour faire face à la pénurie de praticiens en France, une proposition prise avec « humour » par les médecins et jugée « irréaliste » par les vétérinaires.
« J’ai réfléchi à la problématique dans laquelle nous sommes, notamment en Bourgogne où il y a des déserts médicaux, et je me suis rendue compte qu’il y avait des vrais médecins dans les territoires, ce sont les vétérinaires, qui peuvent intervenir en urgence », a déclaré l’élue à l’
AFP.
« Je pense qu’il y a un champ de travail, mais il faudrait définir une passerelle de formation et cadrer la mission de ces vétérinaires. Surtout, ce ne serait pas à la place du médecin mais en l’attendant », a ajouté Françoise Tenenbaum, qui a formulé cette proposition dans
Les Echos. (…) « C’est totalement irréaliste et dangereux ! On n’est pas du tout compétents pour faire une médecine humaine », a jugé Gérard Vignault, président du Conseil régional de l’ordre des vétérinaires de Bourgogne.
« Ce serait un recul des soins apportés aux gens. On reviendrait au XIXe siècle, alors que l’on est dans une politique de médecine de pointe: le médecin généraliste est devenu un aiguilleur vers les spécialistes », a-t-il analysé.
Jean-Pierre Mouraux, président du Conseil de l’ordre des médecins de Côte-d’Or, préfère prendre la chose « avec humour ». « C’est un pavé dans la marre et ça fait bouger les canards. On en retiendra les bonnes intentions », a-t-il poursuivi.
Pour Monique Cavalier, directrice de l’Agence régionale de santé de Bourgogne, « aujourd’hui, ce n’est absolument pas pensable ». »

Avec la presse, peu importe la nature – heureuse ou malheureuse – du sujet traité. L’important, l’essentiel, c’est qu’il y ait rupture du quotidien. A cette aune une naissance dans un aéronef vaut les inquiétudes née du comportement a priori menaçant d’un passager. Mais tous les antiques reporters, passés maîtres dans la narration des faits divers, vous confieront (s’ils le veulent bien, plutôt en fin de repas) qu’il est incroyablement plus facile d’écrire (de tenir en haleine) à partir du malheur. Pour eux cela commence localement avec un chien écrasé pour finir, au mieux,  sur un pilier parisien du pont de l’Alma.    

C’est dans ce contexte que s’inscrit une autre forme de rupture, non pas passée mais potentiellement à venir. L’activité journalistique bascule alors du narratif vers le prédictif, domaine hautement plus risqué mais sacrément plus enivrant. On se souvient sans mal  sur ce thème des deux épisodes viraux associés  l’un au A(H5N1), l’autre au A(H1N1). L’ épizootie de la vache folle et son émergence en tant que zoonose furent également à l’origine de nombreuses prédictions médiatiquement transmises. Il y eut ainsi les propos apocalyptiques des premiers prophètes britanniques de malheurs ; vite suivis par les premiers travaux -également britanniques – de modélisation mathématique; des travaux beaucoup trop précoces dont les conclusions laissèrent  redouter des dizaines (voire plus) de milliers de victimes humaines.

Le temps passa et d’autres travaux prédictifs (français) corrigèrent heureusement le tir. On recense aujourd’hui un peu plus de 200 victimes, la plupart en Grande Bretagne. Faut-il espérer que le plus dramatique de cette affaire sasn précédent est désormais derrière nous ? Doit-on au contraire encore redouter de futures  conséquences mortifères associées à la dissémination de cet agent pathogène  transmissible non conventionnel qu’est le prion pathologique responsable de l’ESB et de la vMCJ ? Au-delà des impondérables liés aux inconnues scientifiques peut-on redouter que des fautes politiques ont été (sont actuellement) commises ?     

C’est ce que laisse indirectement penser la revue mensuelle Que Choisir dans un dossier qu’elle vient de consacrer à la sécurité sanitaire de l’héparine, une molécule aux puissantes propriétés anticoagulantes, très largement utilisée à travers le monde à des fins thérapeutiques.    

« Va-t-on vers un nouveau scandale sanitaire ? En 2008 environ quatre-vingt décès et des effets indésirables graves avaient été observés aux Etats-Unis et en Allemagne à la suite de l’administration d’héparine sodique, fabriquée à partir de matière première d’origine chinoise . En France, 34 millions de doses de cet anticoagulant sont administrées chaque année mais quels contrôles réels sur l’héparine importée ? Quelle sécurité sanitaire de l’héparine et du Lovenox, l’héparine leader de Sanofi ? C’est la question posée par l’UFC – Que Choisir qui saisit au 16 novembre le ministre de la Santé, pour demander une évaluation afin de garantir la sécurité des consommateurs français » précise le mensuel de l’association de consommateurs.

Ce mensuel rappelle d’autre part que bien qu’aucun effet grave n’ait été détecté en France, en 2008 l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) avait agi. Elle avait alors notamment demandé par mesure de précaution, le retrait de deux lots d’héparine sodique et avait recommandé aux professionnels de santé de restreindre leur utilisation à la voie d’administration sous-cutanée (pour laquelle aucune augmentation des effets indésirables n’avait été rapportée dans les deux pays touchés). En octobre 2011, l’Afssaps avait également revu ses recommandations de surveillance biologique d’un traitement par l’héparine.

« C’est de Chine que provient aujourd’hui une grande partie de l’héparine. Mais si la législation a été durcie aux Etats-Unis pour l’importation de l’héparine, elle reste plus souple en Europe. La France qui n’accepte que l’héparine de porc, pratique des tests sur l’héparine importée depuis la Chine pour vérifier sa pureté et son origine exclusivement porcine, observe encore l’UFC-Que Choisir.  Le Lovenox, le médicament de Sanofi, représente plus des deux tiers du marché mondial représentant un chiffre d’affaires de près de trois milliards d’euros. Sanofi appliquerait, selon le rapport de l’UFC, des mesures moins strictes de fabrication, pour l’Europe, que pour les Etats-Unis. Si les autorités sanitaires françaises et européennes considèrent ces procédures de contrôles comme suffisantes, ce n’est pas l’avis de certains scientifiques qui pointent l’insuffisance des tests pour garantir l’origine d’espèce de l’héparine consommée en France. »

On en serait là, sur ce fond interrogatif et préventif rationnel pimenté de l’avis de certains scientifiques s’il n’y avait cette chute :  

« Et s’il y avait de l’héparine de bœuf ? Un  mélange d’héparine de bœuf à de l’héparine de porc,  ferait effectivement courir le risque d’une transmission de l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB), aussi appelée maladie de la « vache folle », si l’animal en était atteint. Or les tests actuels, selon l’UFC, pourraient ne pas détecter cette manipulation… » Pourquoi cette extrapolation, cet élargissement du champ des possibles pathogènes ? Sans doute pour mieux attirer l’attention du plus grand nombre. Sans doute aussi pour, corollaire, pousser Xavier Bertrand,  ministre de la Santé (son cabinet et ses services) à prendre des initiatives politiques et des mesures sanitaires.

Des mesures? Faut-il en prendre? Si oui lesquelles ? Si non pourquoi ? Voici un nouvel exercice d’évaluation et de gestion du risque qui est réclamé par voie de presse. Il ne sera pas inintéressant d’observer comment les responsables politiques traiteront (ou pas) de cette question. Et il ne sera pas moins inintéressant de relater de quelle manière les médias d’information générale traiteront (ou pas) de ce traitement.   

 

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