Incroyable mais vrai : quand le café décaféiné permet de faire œuvre de sérendipité

Bonjour

C’est l’archétype de l’histoire qui incite à faire un « bon mot ». Même la select Arte n’a pas pu résister en reprenant en boucle l’AFP (Paul Ricard) : «  Deux expressos contre une maladie orpheline, c’est fort de café ». C’est d’abord et surtout un bel exemple de sérendipité. A lire dans Annals of Internal Medicine : « Caffeine and the Dyskinesia Related to Mutations in the ADCY5 Gene ». Une lettre signée de quatre médecins exerçant dans deux hôpitaux parisiens, les Prs Aurélie Méret et Emmanuel Roze et les Drs Eavan McGovern  et Domitille Gras.   

Le cas clinique rapporté est celui d’un enfant de 11 ans, chez lequel est diagnostiqué l’an dernier une dyskinésie liée au gène ADCY5. Aucun traitement n’est scientifiquement validé contre cette maladie très dyskinésie génétique très rare et invalidante. « Les bras, les jambes et le visage se mettent à bouger de manière très importante. Cet enfant ne pouvait pas faire de vélo ni même rentrer à pied de l’école, car une crise pouvait survenir n’importe quand, explique le Pr Emmanuel Flamand-Roze, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) ».

En rester bouche bée

Les spécialistes prescrivent toutefois, depuis quelques années, le recours à la consommation de café – et ce « depuis que d’autres patients ont raconté que c’était très efficace contre les troubles du mouvements. Et c’est ainsi que cet enfant consommait une tasse d’expresso le matin et une autre le soir. « Les parents ne sont pas choqués, étant originaires de Madagascar, cette boisson est souvent utilisée comme remède à différents maux » précise l’AFP.  De fait, en pratique, l’efficacité est là : durant sept heures, les mouvements incontrôlés disparaissent presque totalement.

Puis les parents constatent que le breuvage ne fait plus effet, les mouvements anormaux involontaires sont de retour. Au bout de quatre jours, ils réalisent avoir donné par erreur du décaféiné. Une fois le caféiné réintroduit, les mouvements anormaux disparaissent à nouveau. Ou comment réaliser, involontairement et sur un cas unique, un test « en double aveugle contre placebo ».

Hypothèse : la caféine se fixe sur des récepteurs liés à la protéine ADCY5 anormale, « très présente dans une région profonde du cerveau et responsable des mouvements anormaux ». Elle reste à confirmer, ce à quoi les auteurs des Annals of Internal Medicine vont s’employer. Dans l’attente la prescription d’expresso va faire autorité. Où l’on voit que les mystères de la sérendipité peuvent laisser bouche bée.

A demain @jynau

Combien de temps un interne est-il devant un écran ? Et combien avec ses patients ?

 

Bonjour

C’est une information venue de Suisse, pays où l’on sait compter et le temps et l’argent. Un interne du prestigieux centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) de Lausanne passe trois fois moins au chevet de ses patients que devant un écran d’ordinateur. Les chiffres viennent d’être publiés dans Annals of Internal Medicine » : « Allocation of Internal Medicine Resident Time in a Swiss Hospital: A Time and Motion Study of Day and Evening Shifts »

Entre mai et juillet 2015, le travail de trente-six internes du service de médecine interne du CHUV a été observé, disséqué. Selon les auteurs de ce travail strictement universitaire il s’agit ici de la plus importante étude réalisée sur le terrain et non pas à partir d’interviews.

Conclusion : les internes passent trois fois moins de temps au chevet de leurs huit patients (c’est la règle au CHUV) que devant un écran. « Une bonne partie de l’activité sur ordinateur consiste à consulter et à saisir des données dans le dossier médical informatisé des malades, résume Le Quotidien du Médecin qui a repéré cette publication éclairante.  Plus de la moitié d’une garde est consacrée à des tâches indirectement liées au patient (staffs, revue de littérature, prises de rendez-vous…). La visite auprès des patients, les examens cliniques, la consultation du dossier médical informatisé, les prescriptions occupent plus de 20 % de la durée totale d’une garde. »

L’AP-HP et les généralistes

Se morfondre devant l’évolution des techniques ? Se complaire dans le « c’était mieux avant » ? Pleurer le rituel monarchique de la visite, le temps des mandarins et des dossiers en carton remplis au stylo-bille ? On peut, comme les auteurs, le dire autrement : la part du temps passé auprès des patients n’a pas significativement évolué au cours des dernières années, et ce même depuis la mise en place des dossiers médicaux informatisés. Le travail sur écran est réparti tout au long de la journée mais se concentre plus particulièrement après la garde, lorsque les internes ont une vue globale des situations médicales de la journée, qu’ils sont moins interrompus par leur travail et par les collègues.

C’est ainsi qu’à Lausanne les horaires officiels de la garde (dix heures) s’allongent en moyenne de 96 minutes. Les auteurs notent que ce travail sur ordinateur se fait rarement en présence des patients – et ce même lorsque cela est possible. « La part importante du temps devant un ordinateur et consacré à des activités non axées sur le patient peut susciter de la frustration chez les internes en raison du peu de valeur médicale de ces tâches, écrivent les auteurs. Elle peut aussi augmenter le risque de burn out. » On serait curieux de connaître les chiffres concernant les internes de l’AP-HP comme de l’ensemble des centres hospitalo-universitaires français. Idem pour les généralistes.

A demain

Tabagisme: les vertus de la brutalité britannique. Dernières nouvelles du front électronique.

Bonjour

C’est un papier médical et scientifique. Mais comme il s’agit de l’esclavage du tabac on peut aisément en faire un sujet politique. On le trouve dans Annals of Internal Medicine : “Gradual Versus Abrupt Smoking Cessation: A Randomized, Controlled Noninferiority Trial”. Il est repris, traduit et parfaitement décrypté sur le site Medscape France (Stéphanie Lavaud) « Sevrage tabagique : l’arrêt brutal plus efficace que l’arrêt progressif ».

Briser ou limer ?

 Le profane y apprendra que pour se libérer de l’esclavage du tabacmieux vaut parvenir à briser la chaîne d’un coup que de la limer pendant des mois. Les substituts nicotiniques peuvent aider à supporter la fracture. Telle est la conclusion que l’on peut tirer d’une étude anglaise menée auprès de 697 fumeurs, dans laquelle les chances d’être abstinent à 4 semaines étaient 25% plus importantes en cas d’arrêt définitif un jour donné. Une étude financée par la British Heart Foundation (jeter un œil au site). Medscape :

« Quand il s’agit d’en finir avec une addiction, la rupture radicale avec l’objet du plaisir est-elle plus efficace que la consommation à petites doses ? Dans le cas du tabac, la question est loin d’être tranchée et la littérature peu consensuelle. Classiquement, on conseille aux candidats à l’arrêt de choisir un jour et de stopper définitivement la cigarette, et, en général, les recommandations officielles vont plutôt dans ce sens. Néanmoins, en pratique, les fumeurs rapportent plutôt un sevrage progressif. Une revue Cochrane a, quant à elle, montré peu de différences entre les deux approches. D’où l’idée de chercheurs anglais, spécialistes de la question, de conduire une étude dont le protocole permettrait de s’affranchir des biais et de discriminer entre les deux options afin de déterminer la plus efficace. »

Brutal ou progressif

Nicola Lindson-Hawley (Oxford University, United Kingdom Centre for Tobacco and Alcohol Studies) et ses collègues ont recruté des fumeurs consommant soit au moins 15 cigarettes par jour, soit 12,5 grammes de tabac à rouler quotidiennement ou bien présentant des taux de monoxyde de carbone (NO) expiré supérieur à 15 ppm. Tirage au sort et deux groupes : arrêt brutal de l’intoxication  15 jours après l’entrée dans l’étude ; sevrage progressif (diminution de moitié au cours de la 1èresemaine, puis d’un quart lors de la seconde etc.). Pendant les deux semaines précédant l’arrêt, le groupe « progressif » avait droit à des traitements nicotiniques substitutifs. Le groupe « arrêt brutal » pouvait continuer à fumer jusqu’à la date fixée (timbres proposés juste avant l’arrêt).

Travail de grande ampleur : 23 infirmier/ères répartis sur 31 centres de soins de premier recours, volontaires des deux sexes âgés de 49 ans en moyenne, vingt cigarettes quotidiennes, score de 6 au test de Fagerström,  94% étaient d’origine caucasienne. A 4 semaines le critère primaire d’abstinence a été atteint par 39,2% des volontaires du groupe « arrêt progressif » et 49,0% de ceux du groupe « arrêt brutal ». Le critère secondaire à 6 mois indique lui aussi une supériorité du groupe « arrêt brutal » versus « progressif », avec respectivement, 22,0% versus 15,5% de sevrage.

« Nous avons clairement montré que l’arrêt brutal était supérieur en termes d’efficacité de sevrage tabagique à moyen et court terme. L’adhésion aux instructions sur les modifications de comportements et aux TSN a été bonne et les médicaments bien tolérés » concluent les auteurs. Ils ajoutent que les participants qui préfèrent l’arrêt progressif sont moins susceptibles de réussir leur sevrage, quelle que soit la méthode qui leur a été assignée ». La motivation guiderait-elle le mode d’arrêt ? Et que penser, dans ce paysage enfumé, des vapeurs d’eau de la cigarette électronique ?

Politique shizophrénique

On retrouve cette dernière dans Le Figaro qui vient d’offrir ses colonnes au Pr Gérard Dubois, membre de l’Académie de médecine bien connu de celles et ceux qui ne sont pas indifférents aux questions de santé publique – spécialité dont il est professeur émérite : « La cigarette électronique: où en est-on ? ». On y retrouve une forme de logique que l’on pourrait, si la chose était encore permise aux journalistes, qualifier de schizophrénique – la conclusion (ci-dessous) n’étant pas associée à une action politique d’envergure.

« La cigarette électronique a été mise au point au début par des amateurs talentueux et l’engouement des fumeurs a rendu tout retour en arrière impossible. Elle s’est imposée sur un marché qui s’est rapidement développé. À l’évidence, malgré des remises en cause médiatisées mais mal fondées, la toxicité de l’e-cigarette est bien plus faible que celle de la fumée de tabac.

« Elle ne participe pas à une initiation au tabagisme des enfants et adolescents. Elle est quasiment exclusivement utilisée par des fumeurs ou anciens fumeurs qui craignent de récidiver. Son efficacité dans l’arrêt du tabac semble s’affirmer et elle a contribué, au moins en France et en Angleterre, à une baisse des ventes de tabac. Une législation et une réglementation en cours de mise en place sont cependant nécessaires pour garantir la sécurité d’un produit plébiscité par les fumeurs et moduler son utilisation. La cigarette électronique est donc un outil utile à la réduction de la mortalité et de la morbidité dues au tabac. »

Premier sommet

On retrouvera la politique, la santé publique et la cigarette électronique au « Premier sommet de la vape ». Ce sera le 9 mai à Paris (Conservatoire national des Arts et Métiers).

« Le 1er Sommet de la vape souhaite rassembler l’ensemble des parties prenantes (scientifiques, politiques, associations, autorités de santé, utilisateurs) afin de débattre ensemble du meilleur moyen de favoriser l’essor de l’utilisation de la cigarette électronique en tant qu’alternative au tabac chez les fumeurs et de minimiser les potentiels effets négatifs. »

A demain

 

 

Ebola: le reportage de guerre n’est pas dans un journal comme les autres. Voici pourquoi

Bonjour

Le virus Ebola bouleverse l’ordre des choses. Le reportage qu’il faut lire (en anglais) ne se trouve pas dans les médias habituels, des médias qui d’ailleurs n’en publient guère. Pour ne pas dire pas. Trop risqué. Celui-ci a été publié par l’austère New England Journal of Medicine. Une première ? Il n’est pas signé par un journaliste, mais par une infirmière, Anja Wolz, par ailleurs coordinatrice d’urgence de Médecins Sans Frontières pour la Sierra Leone.

Dans la chaleur, avec PPE

Elle a travaillé dans un centre de 80 lits à proximité des frontières avec la Guinée et le Libéria. Huit nouveaux patients à l’arrivée de la nurse. Neuf pour qui il faut refaire des prélèvements trois jours après l’apparition des premiers symptômes et que l’on espère sur le départ. Une vingtaine de prélèvements de sang à faire. Soixante-quatre personnes sur les lits. Quatre sont des enfants de moins de 5 ans. Deux morts dans la journée.

Il faut lire ces lignes  pour saisir un peu de la réalité quotidienne vécue dans le centre de Kailahun. La chaleur et l’angoisse sous le personal protective equipment (PPE), la lourdeur des procédures de stérilisation à respecter à la sortie, la destruction par le feu du matériel qui, en Occident, est considéré comme à usage unique et qui, dans la brousse, ne l’est pas toujours.

Parfois, survivre

Il y a aussi le quotidien et les étroites limites thérapeutiques: l’hydratation des malades, le maintien autant que faire se peut de leur tension artérielle, une alimentation de qualité et le traitement des complications infectieuses par antibiotiques. Cela peut aider les contaminés à vivre plus longtemps. Parfois à survivre, si le système immunitaire prend le pas sur le virus.

La multiplicité des sources de contamination… la pauvreté des moyens… les malades qui disparaissent dans la brousse… Anja Wolz pourrait faire pleurer dans les chaumières. Elle s’en garde bien et n’aura pas le prix du meilleur reporter de guerre. Elle participe à la guerre: les soignants sont en première ligne. Et les soignants ne sont pas des journalistes. Jusqu’à preuve du contraire. Un beau sujet pour les écoles de reporters. (1)

Trois vivants, en Occident
 
Près de 10% des quelque 3.000 cas d’infection par Ebola touchent des soignants qui, pour diverses raisons, n’ont pas su prévenir la contamination. Trois d’entre eux ont été évacués: deux vers les Etats-Unis, un vers l’Angleterre. Les trois sont vivants. En Afrique, plus de 80 sont morts.

L’une des raisons de ces contaminations est la pénurie, sur le terrain, de gants et de masques, mais elle n’est pas la seule, comme vient de l’expliquer, dans la revue Annals of Internal Medicine, un groupe de médecins américains. L’affaire dépasse l’épidémie et engendre un cercle vicieux et pathologique en réduisant un peu plus les effectifs dans des pays où la proportion des médecins est de l’ordre de un à deux pour 100.000 habitants.

Euphémisme adéquat

Dans le témoignage-reportage d’Anja Wolz, le découragement n’a pas sa place. Quant à la colère, elle est rentrée. L’infirmière conclut avec un euphémisme pour caractériser le caractère inadéquat de la réponse internationale:«Il faudrait que nous ayons un coup d’avance sur cette épidémie, mais pour l’instant nous en avons cinq de retard.»

On sait aujourd’hui que le virus est apparu vers la fin 2013 en Guinée et a été isolé en mars par l’équipe de Sylvain Baize, directeur du Centre national français de référence pour les fièvres hémorragiques virales. L’annonce en a été faite à la mi-avril dans The New England Journal of Medicine.

Vingt mille cas sous peu

Quatre mois plus tard, les 3.000 cas vont être officiellement atteints et l’OMS avance maintenant celui de 20 000, dans les prochains mois… Les effets sur l’économie de cette fraction du continent commencent à être observés.

Il y a quelques jours, un porte-parole du ministère de l’Economie de Sierra Leone exhortait les responsables des compagnies aériennes à continuer à desservir Freetown, suivant en cela les recommandations de l’OMS et de l’Organisation de l’aviation civile internationale. «C’est notre dernier espoir», déclarait-il à l’AFP.

Paris oublierait Conakry ?

Son appel n’a pas été entendu. British Airways vient d’annoncer qu’elle prolongeait son embargo jusqu’en 2015. Et Air France, qui expliquait il y a peu encore que rien ne justifiait de suspendre les vols sur Freetown, vient de le faire, à la demande du gouvernement français. Sans expliquer pourquoi, ni dire pour combien de temps. On nous confie, de bonne source, que des négociations sont en cours pour maintenir (ou pas) les vols Air France Paris-Conakry. Pour l’heure nous n’en savons pas plus. La France abandonnerait la Guinée ? Le virus Ebola bouleverse l’ordre des choses. Efface-t-il la mémoire ?

A demain

(1) Sur le thème de l’utilité du reporter de guerre lire ici le papier de Gréroire Fleurot, journaliste à Slate.fr

Une version de ce texte a initialement été publiée sur Slate.fr