« Trente-trois ans de télé, il y a une vie après » nous explique le Dr Jean-Daniel Flaysakier

Bonjour

Médecine et journalisme. Gloire, ivresse et chausse-trappes. Une bien vieille affaire depuis notre double confrère Théophraste Renaudot (1586-1643). Quatre siècles plus tard, cet entretien que vient de publier Le Quotidien du Médecin (Stéphane Long) – un entretien avec un double confrère : le Dr Jean-Daniel Flaysakier. Nous nous autorisons, ici, à en rapporter des extraits.

« Pendant 33 ans, le Dr Jean-Daniel Flaysakier s’est évertué à décrypter la médecine pour la rendre intelligible aux Français. Avec talent et humour. Le 31 octobre prochain, le médecin, rédacteur en chef adjoint de France 2, tournera définitivement la page de la télévision. Pour Le Quotidien , il revient sur sa longue carrière médiatique, ses relations avec les médecins et évoque avec enthousiasme et passion son nouveau projet au service des patients.

Passer de la médecine au journalisme ? « Un pur hasard, explique-t-il. Au début des années quatre-vingt, je suis parti étudier l’épidémiologie à l’école de santé publique de l’université de Harvard, à Boston. En rentrant, je devais participer à la création d’un institut d’épidémiologie avec Jacques Drucker, le frère de Michel. Mais ça ne s’est pas fait. À l’époque, je faisais un peu de presse écrite et de radio. Le rédacteur en chef de France 3 dans ma région m’a proposé de faire un magazine santé de treize minutes. J’ai répondu oui, un peu par inconscience, car je ne me rendais pas compte de ce que cela représentait. C’était sans doute assez catastrophique au début et puis mieux par la suite… Martine Allain-Regnault, qui était à l’époque la patronne de l’info médicale sur Antenne 2, avait repéré certains de mes sujets. Et quand Télématin a démarré sur Antenne 2, on m’a proposé de la remplacer occasionnellement… jusqu’au moment où l’on m’a demandé de tenir la chronique santé de l’émission. »

Echine

Tenté de revenir dans le milieu médical ? « J’ai eu des opportunités dans le monde hospitalo-universitaire au cours de ma carrière, confie-t-il. Mais je n’avais plus la souplesse d’échine pour aller faire la cour ! (rires) »

Durant trente-trois ans, à la télévision, plutôt journaliste ou plutôt médecin ? « J’ai fait un travail de journaliste avant tout, au sein d’une rédaction, et avec les règles qui s’appliquent à ce métier, explique le Dr Flaysakier. Le fait d’être médecin, ça permet de décrypter l’actualité médicale un peu plus vite que le collègue, d’avoir un sens critique plus développé par rapport à ce que peuvent dire les experts et puis aussi d’avoir une curiosité à l’égard de sujets moins rebattus. Mais ça n’est pas parce qu’on est médecin qu’il faut étaler sa science. J’ai toujours considéré que j’avais un rôle de médiateur. Ce que j’ai toujours essayé de faire, sur Télématin comme par la suite, c’est de partager la connaissance pour que les gens puissent prendre des décisions un peu plus éclairées. Avec la télé, on a un instrument extraordinaire d’éducation et de vulgarisation, je pense qu’il faut l’utiliser. »

Delirium tremens

Un médecin devenu journaliste a-t-il plus de légitimité, faire des recommandations ? « Ça donne à notre discours un peu plus de poids, mais il ne faut pas en abuser, explique encore l’ancien de Télématin. À la télé, je me suis toujours interdit de prescrire, de donner des conseils médicaux comme le font souvent les chroniqueurs santé. Ce n’est pas mon rôle en tant que journaliste. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas pris position sur certains sujets. Sur les vaccins par exemple, parce que c’est une question de santé publique. Là, j’estime que je dois endosser ma casaque. Dans le cas de Johnny Hallyday et de son fameux coma à Los Angeles, j’ai évoqué le problème de l’alcoolisme. Ce coma, c’était un delirium tremens qu’il a fallu sédater. On m’a reproché d’en avoir parlé en ces termes. Mais j’estime que c’est important de rétablir certaines vérités scientifiques. Quitte à flirter avec les limites du secret médical. »

 Et demain ? Une vie après l’écran ?

« Oui, bien sûr. J’ai un projet qui me tient à cœur. Je ne peux pas en parler dans le détail parce que ce n’est pas finalisé. Il y a une dizaine d’années, je me suis remis à la cancérologie. J’ai refait de la consultation. Je suis aussi passionné par la question de la qualité de vie des malades. Donc j’essaye, et j’espère qu’on va y arriver, de monter une consultation de qualité de vie, principalement chez des femmes traitées pour un cancer du sein.

«  Ce serait après le retour à la vraie vie, pour parler de tout, des relations avec le conjoint, des enfants, des douleurs, des séquelles de la chimio, de la reprise du travail, des relations avec les collègues, du retour à la sexualité, si les patientes le souhaitent, bien sûr… Le but est d’écouter et de résoudre, si possible, un certain nombre de problèmes qui altèrent la qualité de vie. Parce qu’il n’y a pas de raison que ces patientes subissent une double, voire une triple peine ! »

A demain

Zika : première démonstration d’une transmission du virus par la sueur et/ou par les larmes

 

Bonjour

La virulence grandit et situation se complique. Pour la première fois depuis la découverte, il y a un demi-siècle, du virus Zika une contamination sans autre contact que celui de la sueur et des larmes humaines vient  été décrite. Tous les détails sont à lire dans une lettre publiée dans le New England Journal of Medicine. Elle est signée par une équipe dirigée par le Dr Sankar Swaminathan (University of Utah School of Medicine, Salt Lake City, Utah) : “Fatal Zika Virus Infection with Secondary Nonsexual Transmission”.

Au départ on trouve une personne âgée de 73 ans. Hypotension et douleurs abdominales, huit jours après son retour d’un voyage au Mexique dont il est originaire ;  cancer prostatique, sous traitement hormonal ; tachycardie, dyspnée,  conjonctivite érythémateuse.  Le virus Zika est identifié, à un taux élevé et le séquençage permet de retrouver un génome équivalent  pour 99.8% à celui d’une souche isolée sur un moustique présent il y a peu au Chiapas (Mexique). Ce malade mourra des conséquences de cette infection cinq jours après son admission.

Ni sang, ni sexe

On trouve ensuite un homme de 38 ans venu visiter le premier patient à l’hôpital. Une semaine après cette visite l’homme commence à souffrir d’une conjonctivite, de douleurs musculaires et d’un rash cutané. La batterie d’examens biologiques confirmera rapidement la présence de virus Zika dans les urines (sans ARN viral dans le sérum mais avec présence d’IgM anti -Zika).

On interroge ce second patient. Il affirme n’avoir eu aucun contact avec le sang du premier. Il l’avait en revanche aidé à se replacer dans le lit – et ce sans utiliser de gants. Et il se souvient lui avoir essuyé des larmes provenant d’un œil. Il n’avait pas voyagé dans un pays touché par l’épidémie. Et il affirme  ne pas avoir eu de relation sexuelle avec une personne ayant séjourné dans une des zones où sévit l’épidémie.

Jean-Marie Le Pen, 1987

La sueur… les larmes… la transpiration… la salive… la lèpre…On s’inquiète. On se souvient de l’utilisation politique qui avait été faite, il y a trente ans en France, par Jean-Marie Le Pen : « L’heure de vérité, Antenne 2, Albert du Roy, 6 mai 1987 ». Les auteurs du New England Journal of Medicine rassurent : « La transmission de flavivirus à travers des muqueuses, ou une peau, intactes, est rare mais a été montrée dans des modèles animaux et dans au moins un cas humain ».

C’était, en septembre 2004, un travail de spécialistes américains (Harvard Medical School, Mount Auburn Hospital, Cambridge, Massachusetts). Ils avaient décrit un cas d’infection du virus de la dengue par voie cutanéomuqueuse : Transmission of dengue virus without a mosquito vector: nosocomial mucocutaneous transmission and other routes of transmission”.

A demain

«Eradication bactérienne», «Contagion hospitalière non européenne», «Afflux migratoire». Savez-vous qui nous parle ?

Bonjour

Les mots, on le sait, peuvent tuer. Ils peuvent aussi salir, infecter, envenimer. On connaît des poisons distillés dans l’encre d’imprimerie. L’Agence France Presse nous laisse comprendre, ce soir, que La Voix du Nord  est au cœur d’une affaire symptomatique. Le quotidien régional publie un cahier spécial  pour éclairer le débat citoyen des prochaines élections régionales des 6 et 13 décembre. Et au chapitre de l’amélioration de la santé des Nordistes la candidate Marine Le Pen use des mots qu’elle connaît et maîtrise : « Éradiquer toute immigration bactérienne ». « Les hôpitaux font face à la présence alarmante de maladies contagieuses non européennes, liées à l’afflux migratoire. Nous refusons cette mise en danger de la santé de nos compatriotes. » Comme on peut le voir ici.

Miel électoral

Les premières réactions n’ont évidemment pas tardé. D’autres suivront. Marine Le Pen le sait, en fait déjà son miel électoral. Pour autant comment ne pas réagir ? Comment laisser dire ? Sur Twitter l’ancien ministre François Lamy, l’un des colistiers du candidat socialiste  Pierre de Saintignon estime que « la xénophobie de MLP vire à la folie ». Ancien ministre de la Santé et également tête de liste Xavier Bertrand (Les Républicains) se demande si, avec Marine Le Pen, « le FN n’est pas pire qu’avant ». « Immonde et puant », a commenté sur sa page Facebook Sandrine Rousseau (EELV). Elle ajoute : « vite qu’un autre air souffle sur notre région ! ». Au nom de la Ligue des droits de l’homme, Olivier Spinelli, délégué régional Picardie, a imputé au FN « la volonté d’assumer des positions ouvertement racistes ».

Pseudo-lapsus ?

La ligne de défense du FN surprendra. Sébastien Chenu, « responsable presse » de la campagne et en première position sur la liste FN dans le département de la Somme, a affirmé qu’il s’agissait d’ « un lapsus ». « Le document publié est un mauvais copié-collé, la version officielle sera dans le programme de Marine Le Pen qui sera dévoilé samedi » a ajouté Sébastien Chenu. « Il s’agit simplement de la suite logique de notre demande de fermeture des frontières », a expliqué son équipe de campagne au du Figaro. « De nombreuses déclarations médicales font état d’une recrudescence de maladies autrefois éradiquées de France et d’Europe. Particulièrement à Calais, d’ailleurs, où le personnel hospitalier souffre et est submergé par un afflux migratoire entraînant des maladies qu’ils n’arrivent pas à endiguer », précise l’un des proches de la candidate.

Comme toujours les dés sont plus ou moins pipés. Il ne servira à rien, ici, de nier le risque infectieux qui peut être associé aux personnes les plus démunies – risque d’autant plus élevé que ces personnes sont privées des soins médicaux, préventifs ou curatifs qui doivent leur être apportés dès lors qu’elles sont sur le sol français. De ce point de vue la jungle de Calais est l’exemple parfait à ne pas suivre.

Sidaïques et léproseries

«  En 2013, déjà, Marine Le Pen avait dénoncé des cas de « tuberculose multi-résistante »  concernant des immigrés d’Europe de l’Est », alimentée, selon elle, « par un réseau d’immigration massive et incontrôlée » » rappelle l’AFP. Certains se souviennent de l’usage que Jean-Marie Le Pen avait ou faire de l’émergence de l’épidémie de sida. C’était en 1987 et le leader d’extrême-droite comparait le « sidaïque » au « lépreux », contagieux via sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact, souhaitant qu’on l’enferme. On peut le voir et l’entendre ici. C’était le 6 mai 1987 à l’émission L’Heure de vérité.

Personne, alors, n’avait parlé de lapsus. On terminera en rappelant une vérité souvent oubliée des hommes et des femmes politiques: il existe des mots qui peuvent soigner.

A demain

Attentats de Paris : mais que se passe-t-il donc aujourd’hui à France Télévisions ?

Bonjour

Les enceintes des médias ne sont pas toujours les oasis que l’on croit. C’est vrai pour le papier comme pour l’audiovisuel. A la suite des attentats de Paris quelques événements récents témoignent de la violence qui peut régner dans ces espaces professionnels à vocation communicationnelle.

Manquements

D’abord le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Le lundi 12 janvier dernier (au lendemain du « grand rassemblement ») il diffusait publiquement le message suivant :

« Depuis le début des événements tragiques que vient de subir le pays, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a mis en place un suivi de leur traitement par les médias audiovisuels. Il examine, dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle, contradictoirement, les manquements qu’auraient pu commettre certains de ces médias.

Par ailleurs, à la suite de la note qu’il a adressée vendredi dernier aux rédactions pour leur rappeler d’indispensables précautions de comportement, le Conseil a décidé de convier les télévisions et les radios assurant une fonction d’information à une réflexion commune sur les questions et les difficultés qui ont pu être soulevées par l’accomplissement de leur mission. »

La cible visée était pour l’essentiel, les chaînes de télévision « d’information continue » accusées de mille et un maux. Non sans solides arguments. Cette initiative officielle a fait beaucoup parler devant les micros et les caméras des médias assurant une fonction d’information. Trop en faire

On notera tout particulièrement  l’écho rencontré par la tribune (publiée sur L’Obs-Rue 89) par l’ancien présentateur du journal de 20 heures Bruno Masure – tribune sobrement intitulée «  Les télés et Charlie Hebdo : devoir d’informer ? Mon cul ! » . M. Masure présentait le 20 h sur France 2, lors de l’attentat du RER Saint-Michel le 25 juillet 1995 (8 morts, 117 blessés). Extrait :

Remplissage ad nauseam 

« Même si les situations ne sont guère comparables (pas de vidéos ou de photos via les portables, pas de réseaux sociaux chauffés à blanc et surtout, pas de concurrence sauvage entre chaines d’information permanente), j’en demeure encore meurtri car nous avons alors commis les mêmes dérapages.

Par exemple, en interrogeant des « témoins » qui n’avaient rien vu, en faisant inlassablement la tournée de reporters qui, bien que « sur place », n’avaient strictement aucune info fiable à apporter. Un véritable sketch à la Coluche. À pleurer ! Quand on n’a rien à dire, on ferme sa gueule…

Alors, pourquoi ce remplissage ad nauseam ? Tout simplement pour ne surtout pas « rendre l’antenne » avant TF1 et donner ainsi l’impression aux téléspectateurs qu’on est moins « sur le coup » que nos concurrents (et au passage, préserver nos parts de marché). Vingt ans après, j’entends encore mon oreillette :

« Bruno, TF1 continue son édition spéciale. Donc, tu rappelles Machin, à l’Hôtel-Dieu, et ensuite Truc, à la préfecture de police. »

Résultat, un pitoyable bavardage avec tous les risques d’approximations, voire de francs dérapages… Comme l’autre vendredi 9 janvier, où les chaînes ont mouliné dans le vide toute une matinée sur des images fixes d’une station-service en Seine-et-Marne… »

Crash éditorial

Trop en faire, certes. Mais est-ce plus grave que de ne pas en faire assez ? Voici, aujourd’hui, que l’Agence France Presse nous fait part de nouvelles tourmentes au sein de la télévision publique nationale : le rédacteur en chef de l’édition nationale du 12/13 de France 3, Régis Poullain, sera remplacé. Remplacé « suite à un manque de réactivité » de l’édition de la mi-journée, juste après l’attaque contre Charlie Hebdo. On parle déjà de crash éditorial.

Erreurs évaluées

Explications circonstanciées : alors que la nouvelle de l’attentat contre l’hebdomadaire satirique le 7 janvier venait de tomber, le journal n’avait pas modifié ses titres, qui parlaient entre autres de soldes et de baignades en hiver. « Il y a eu une erreur d’évaluation de la part du rédacteur en chef Régis Poullain », a déclaré Pascal Golomer, directeur délégué à l’information en charge des rédactions de France 2 et France 3 (et ancien directeur de la rédaction nationale de France 3).

En pratique Régis Poullain « va quitter son poste et sera amené à occuper d’autres fonctions au sein de la rédaction nationale ».  M. Golomer a précisé qu’il sera remplacé à compter du lundi 26 janvier par Philippe Peaster, actuellement rédacteur en chef adjoint du 19/20.

Pertinence et réactivité

Ce n’est pas tout. La direction de l’information a également décidé de « missionner » la directrice adjointe de la rédaction, Agnès Molinier, « dans un rôle très opérationnel » pour accompagner l’équipe de rédaction en chef du 12/13 depuis la fabrication et jusqu’à la diffusion du journal. Les équipes de rédaction en chef, au 12/13 comme au 19/20, seront à nouveau composées de trois personnes dédiées (auparavant elles se partageaient un adjoint). L’objectif est « d’agir pour qu’à l’avenir, la couverture de l’actualité soit à la fois plus complète, plus réactive et plus pertinente, quelle que soit l’édition », souligne M. Golomer.

Enquête interne

Et encore : plusieurs syndicats ont déposé un préavis de grève d’une heure pour lundi 26 janvier afin d’obtenir les résultats de l’« enquête interne » sur le traitement de l’attentat par l’édition nationale du 12/13 le 7 janvier. Ces syndicats ont dénoncé un « crash éditorial ». Selon eux, les informations des journalistes de la rédaction partis sur les lieux de l’attentat et les dépêches de l’AFP « auraient permis de modifier le conducteur et de dérouler le journal à la hauteur de l’événement ».

Actions à mener

La direction de l’information de France Télévisions a entamé un examen détaillé de la couverture par les rédactions de France 2, France 3 et Francetvinfo des événements survenus entre le 7 et le 11 janvier. La direction fera bientôt part aux rédactions des actions à mener.

Trop en faire ou ne pas en faire assez. Y-a-t-il une échelle dans l’ordre des manquements éthiques télévisuels ? Si oui, où est-elle ?

A demain

Michel Houellebecq ou la mise en abyme de la profession journalistique

Bonjour

On célébrait hier, 6 janvier, les obsèques de Jacques Chancel en l’église de Saint-Germain-des-Prés. Devant Le Flore de vieilles célébrités évoquaient ce que fut ce journaliste. Sur le pavé un brin de nostalgie : on entendait encore ce que fut l’âge d’or du journalisme et du spectacle journalistique.

Jacques Chancel (1928-2014) aurait-il invité Michel Houellebecq à Radioscopie  (France Inter ; 1968-1982) ? L’aurait-il convié au Grand Echiquier  (ORTF-Antenne 2 ; 1972-1989) ? La question se serait-elle-même posée ? Michel Houellebecq est né en 1956 et son premier roman (pour l’heure, le meilleur) date de 1994 : « Extension du domaine de la lutte » (Editions Maurice Nadeau). Ecrivain-culte depuis vingt ans déjà. Goncourt il y quatre ans.

François Hollande

Michel Houellebecq aura 59 ans le 26 février prochain (1). Depuis peu Houellebecq est partout. Sur toutes les estrades et au plus haut  niveau. Des roulements de tambour depuis plusieurs semaines, quelques mises en garde, des célébrations anticipées. Saint-Germain-des-Prés se déchirait. Libération célébrait avec quelques pincettes. Le Journal du Dimanche invitait Alain Finkielkraut qui en disait plus que du bien. Flammarion gérait. Jusqu’à un piratage pleinement orchestré.

Invité le 5 janvier sur France Inter François Hollande, président de la République annonça qu’il ne l’avait pas lu mais qu’il le lirait. Le lendemain 6 janvier Michel Houellebecq était l’invité exceptionnel du 20 heures de France 2. A l’aube du mercredi 7 janvier il était l’invité exceptionnel de la Matinale de France Inter. On en oublie peut-être et il y en aura d’autres. Pour sa part il s’était contenté, en amont, d’un premier entretien avec le journaliste Sylvain Bourneau pour The Paris Review. Entretien que l’on peut lire sur le blog de Sylvain Bourneau, hébergé par Mediapart.

Pierre Assouline

Ce  phénomène anticipant la sortie de l’objet faisant polémique a par ailleurs été longuement analysé par Pierre Assouline – sur son blog La République (des  livres) : « Michel Houellebecq, subversif et irresponsable comme jamais ». Extrait :

« Il y en aura pour s’interroger sur sa sincérité [celle de Houellebecq], d’autres pour dénoncer son esprit calculateur et opportuniste. Quant à son désespoir, accentué par une vraie mélancolie et une physique de plus en plus délabré (quand on pense qu’il est né en 1958…), on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon. A croire qu’il cultive une certaine ressemblance avec Antonin Artaud qui, lui, avait l’excuse des électrochocs. Michel Houellebecq se fiche pas mal du style. Traiterait-on le sien de relâché, de familier, ou de digne du cardinal de Retz que cela lui serait équilatéral. On peut compter sur les houellebecquiens canal historique qui ne manquent pas dans les médias, ceux-là même dont l’auteur moque la cécité idéologique, pour trouver du génie à ce qui serait impardonnable sous toute autre plume : « un regard brutalement inquisiteur » etc. A ses yeux, un écrivain n’a qu’un devoir : être présent dans ses livres. Lui l’est bien, et à toutes les pages. Et qu’on ne lui parle pas de sa responsabilité, la sienne propre comme celle de tout écrivain, il revendiquera aussitôt l’irresponsabilité de tout artiste. Qu’y a-t-il de plus irresponsable que de jouer avec le feu sur le fantasme de la guerre civile dans la France d’aujourd’hui ? »

Edwy Plenel

Le traitement médiatique de la sortie de l’ouvrage de Michel Houellebecq a aussi été l’objet d’une petite joute (un clash) sur le plateau de France 5 entre Edwy Plenel fondateur-directeur du site Mediapart et Patrick Cohen, ancien de France Info, RTL et Europe 1 aujourd’hui sur France Inter. Nous étions à la veille de la réception par Patrick Cohen de l’écrivain qui, souvenons-nous,  était, la veille, l’invité de David Pujadas  Cet ancien de TF1 aujourd’hui présentateur du 20 heures de France 2 avait lui-même annoncé que Houellebecq serait le lendemain sur France Inter. Tout ceci avait suscité l’ire récurrente de l’ancien directeur de la rédaction du Monde auteur de « Pour les musulmans » (Editions La Découverte). On peut voir ici cet « échange musclé » (sans muscles) sur le site des Inrocks.

C’est là un document qui, sans doute, figurera dans les futurs MOOC pour étudiants en journalisme. Il y est notamment question du mélange des genres journalistique (un critique littéraire est-il un journaliste ?) et de la différence entre les journalistes qui ont l’honneur de travailler pour le service public et ceux qui travaillent ailleurs. Il y est question plus généralement de l’éthique journalistique – et donc de ce qui est contraire à cette éthique.

David Pujadas

Haute en couleur cette petite joute avait aussi, déjà, quelque chose de terriblement daté. C’est que Houellebecq, mi-chat, mi-loutre, vrai petit démon, grand cabot et maître du jeu a déplacé le centre des débats. Il a inclus, nommément, les journalistes-vedettes dans sa société décadente du spectacle. Puis il consent, au compte-gouttes que ses objets littéraires l’interrogent devant ses acheteurs. C’est, au choix, une revanche ou une mise en abyme collective suicidaire. Et  c’est très précisément ce qu’observe, sur Slate.fr, Jean-Marie Pottier, rédacteur en chef, ancien de Challenges, SoFoot, Télérama et Ouest-France.

« Cher David Pujadas, voici la première question que nous voudrions vous voir poser à Michel Houellebecq » écrivait-il quelques heures avant l’entrée de l’écrivain sous les sunlights de la chaîne publique. Extrait :

« Page 52 de Soumission, on peut en effet lire, dans le même style faussement lyrique avec lequel Houellebecq écrivait dans son précédent roman que «Jean-Pierre Pernaut accomplissait chaque jour cette tâche messianique consistant à guider le téléspectateur[…] vers les régions idylliques d’une campagne préservée»:

«David Pujadas depuis quelques années était devenu une icône, il n’était pas seulement rentré dans le « club très fermé » des journalistes politiques (Cotta, Elkabbach, Duhamel et quelques autres) ayant dans l’histoire des médias été considérés comme d’un niveau suffisant pour arbitrer un débat présidentiel d’entre deux tours, il avait surclassé tous ses prédécesseurs par sa fermeté courtoise, son calme, son aptitude surtout à ignorer les insultes, à recentrer les affrontements qui partaient en vrille, à leur redonner l’apparence d’une confrontation digne et démocratique.»

Manuel Valls

Deuxième question: «D’où tenez-vous que je sois proche de Manuel Valls?»

Se reporter alors à la page 76, sur un plateau de soirée électorale: «L’hypothèse était tellement renversante qu’on sentait que les commentateurs qui se succédaient à toute allure sur le plateau –et jusqu’à David Pujadas, pourtant peu suspect de complaisance envers l’islam, et réputé proche de Manuel Valls– en avaient secrètement envie.»

On ajoutera que dans la matinée « spécial Houllebecq » du 7 janvier, sur France Inter, Houellebecq souligna que rien ne pouvait durer dans un pays où les journalistes sont méprisés. Patrick Cohen ne releva pas.

Louis Pauwels

Dans sa diatribe éthique Edwy Plenel pose (rapidement) la question de savoir s’il aurait fallu ou non inviter Louis-Ferdinand Céline, l’antisémite,  à la télévision. C’est une question intéressante puisqu’il existe (à l’exception notable du Goncourt) quelques parallèles entre Houellebecq et l’enfant du passage Choiseul. Mais c’est aussi une question qui connaît  sa réponse. On la trouve, pour un prix assez modique, dans « Céline vivant » aux Editions Montparnasse. « Les grands entretiens de Louis-Ferdinand Céline » :

« Lectures pour tous » : entretien audiovisuel avec Pierre Dumayet (1957 -19 min). « Voyons un peu : Céline » : entretien audiovisuel avec Alexandre Tarta (1958 – 18 min). « En français dans le texte » : entretien audiovisuel avec Louis Pauwels (1961 – 19 min).

S’il n’était pas mort en juillet 1961, à Meudon, Jacques Chancel  aurait-il invité Céline à Radioscopie ? Et si oui, Céline aurait-il accepté ?

A demain

Les « malades d’Alzheimer » ne sont plus ; mots sur maux

Pathologies, sigles et autres métaphores

Comment les médias, écrits ou pas, gobent-ils leurs sujets ? Comment les digèrent-ils avant, parfois, de les oublier ? On peut poser la question avec la maladie d’Alzheimer; elle qui n’est décidemment plus aujourd’hui ce qu’elle était hier encore. Seul ou presque demeure (pour la désigner) le patronyme d’Aloysius (1864-1915). Il entre en médecine en 1888 et s’oriente vite vers les nerfs et la psyché. Au mi-temps de sa vie il décrit (à partir du cas devenu célèbre d’Auguste D. prise en charge en 1901 à l’âge de 51 ans) une « maladie particulière du cortex cérébral » ; entité qu’il présente publiquement pour la première fois le 4 novembre 1906 à Tübingen lors de la 37ème Conférence des psychiatres allemands.

Auguste D. est morte le 8 avril de la même année. Sept mois entre l’autopsie, les lames histologiques, la corrélation entre l’anatomopathologique et la clinique, la rédaction de la présentation faite aux pairs ; on travaille vite, déjà, outre-Rhin. Et c’’est ainsi que l’entrée dans le XXème siècle voit la neuropsychiatrie allemande triomphante décréter que la démence peut ne plus être une fatalité. Peu auparavant un futur dément avait déjà  annoncé par écrit (Gott ist tot) la mort de Dieu. Les triomphes d’outre-Rhin allaient perdre de leur superbe. Alzheimer demeure.

C’est un signe qui ne trompe guère, pas pathognomonique mais presque. Comme avec Parkinson le nom propre prend à lui seule la place de la pathologie. Il y a  le chirurgien qui ne peut que prendre possession du corps son patient. Il y a le médecin hospitalier qui fait (parfois/souvent) de même en réduisant son malade à sa pathologie (« Il en est où, l’Addison de la 12 ? »). Et il y a la presse d’information générale qui emboîte le pas à la médecine.

Du moins le fait-elle dès lors qu’un seuil est franchi ; le seuil étrange, à la fois invisible mais bien palpable, qui voit le sujet traité tomber dans le domaine public – de la marque déposée au générique en quelque sorte. La chose était bien établie pour les (grandes) affaires criminelles. Vint ainsi un jour où le docteur (Marcel André Henri Felix) Petiot (1897 -1946),  Marie Besnard (1896-1980) et Gaston Dominici (1877-1965) ne s’appartinrent médiatiquement plus. Il en va de même aujourd’hui avec certaines personnalités condamnées à errer à perpétuité en lisière de procédures judiciaires toujours pendantes ou d’assuétudes évoquées, parfois revendiquées.

Alzheimer, donc. Nous gardons, journaliste, encore en mémoire le moment où un relecteur confus et pressé souhaitant (comme presque toujours) faire plus court fit une croix sur « maladie d’» ; c’était dans les toutes premières années de ce siècle. Au total le racourcissement conduisit fort malencontreusement à parler des malades d’Alzheimer ou des malades de Parkinson, l’une ce ces absurdités contemporaines  qui semble ne plus guère choquer. Elle n’est pas seule: le  tri sélectif  se développe durablement, trier ne suffisant plus.

Il y a aussi des exceptions. Pour des raisons qui restent à élucider le phénomène n’eut pas lieu dans le cas de cette mystérieuse encéphalopathie spongiforme décrite au lendemain de la première guerre mondiale par Hans-Gerhard Creutzfeldt (1885-1964) neuropsychiatre allemand et Alfons Maria Jakob (1884-1931), neurologue allemand. Faire court conduisit ici à une pratique plus radicale : l’usage des initiales. Ainsi parla-t-on de la MCJ pour évoquer les nouvelles formes observées  lors de la dramatique affaire dite de l’hormone de croissance contaminée puis  lors de l’émergence de la zoonose connue sous le nom de l’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) mais aussi sous celui, nettement plus parlant, de vache folle (que personne semble-t-il ne transforma jamais en VF).

On retrouve un processus voisin à propos d’une affection récente et très répandue qui voit des sigles ou acronymes prendre la place des mots. Au début des années 1980 émerge sur le papier journal (encore) imprimé le Syndrome d’Immunodéficience Acquise. La physiopathologie naissante de cette maladie que l’on commence à pressentir d’origine virale permet d’en finir avec le cancer gay de bien sinistre mémoire. Il est bientôt suivi par le S.I.D.A. ; puis par le SIDA, le Sida et l’actuel sida. Parallèlement la presse d’information générale découvre, en même temps que l’origine virale est confirmée (et les premiers tests de dépistage élaborés), l’existence de la séropositivité et des  séropositifs. On réduira bien vite la première à celle concernant le virus du syndrome de l’immunodéficience acquise ; soit le V.I.H, puis VIH et le plus souvent HIV son symétrique anglophone avec les immanquables et immanquablement irritants virus VIH et virus HIV. C’est ainsi que les personnes concernées et leurs proches inventèrent très tôt le terme identifiant de séropo. Pourquoi ?

Quelques décennies plus tôt –seuls les plus âgés s’en souviennent peut-être encore – on avait assisté à un étonnant ballet de vocabulaire autour de la syphilis, cette innommable grande simulatrice. L’immunologie naissante avait pousse  deux hommes sur la voie d’un diagnostic biologique : August Paul von Wassermann (1866 – 1925) immunologiste et bactériologue allemand et, de l’autre côté de la frontière, Jules Jean-Baptiste Vincent Bordet (1870- 1961) immunologiste et microbiologiste belge, par ailleurs lauréat du prix Nobel de physiologie et médecine de 1919[]. On parla bientôt de la  réaction de Bordet et Wassermann  très largement et systématiquement utilisée pour le diagnostic sérologique de cette maladie sexuellement transmissible due à un tréponème que la pénicilline sut, le moment venu, terrasser. Bordet et Wassermann ? C’était bien long. On réduisit la découverte à BW. Quant aux syphilitiques il ne fut pas rares d’user à leur endroit du terme hérédo, en référence trompeuse non pas à la transmission héréditaire mais à la possible transmission congénitale de la femme infectée à l’enfant qu’elle portait.  On aurait pu parler, et sans doute parla-t-on, d’hérédosyphilis. Puis on préféra abréger.

Dans son édition de 1962 Le Petit Larousse (17, rue du Montparnasse, et boulevard Raspail, 114), celui qui nous accompagne depuis un certain temps, donne cette définition d’hérédo : « (du lat.  heres, -edis, héritier), pref. Indiquant le caractère héréditaire de certaines tares. II – N.m. Celui qui est atteint d’une tare héréditaire, spécialement de la syphilis. » Larousse nous enseigne aussi que tare vient de l’italien déchet est désigne, de manière figurée une défectuosité physique ou morale. Mais il est vrai que l’on enseignait aussi, en 1962, qu’héréditaire désignait ce qui se communiquait des parents aux enfants, et congénital ce que l’on apportait en naissant. Un quart de siècle plus tard quelques uns inventèrent, en France, le terme sidaïque un néologisme qu’ils voulaient rapprocher de lépreux et qui entendait désigner des personnes devant être enfermées et soignées dans des sidatoriums. Il faut, pour saisir les enjeux et le temps qui passe, impérativement regarder cet extrait de  L’Heure de vérité du 6 mai 1987 sur Antenne 2.  La France, alors, allait entrer dans une nouvelle campagne pour son élection présidentielle. C’était il y a un quart de siècle ; ou presque.