Confidence ferroviaire de Roland Topor (1938- 1987): la presse « mourra de ne pas s’intéresser à ce qui se passe entre les autoroutes » (1). A Montbéliard un gynécologue s’est pendu. Pourquoi ? La presse, ici accusée, le dira-elle ?
Affaire peu banale. Affaire médicolégale à forte dimension médiatique. Elle se passe à la Clinique de Montbéliard, établissement du Groupe Kapa Santé. Un homme est mort, un homme de 60 ans, un médecin gynécologue-obstétricien qui travaillait dans cet établissement. Cet homme a été retrouvé pendu à son domicile de Dung (Doubs).
Hystérectomie
Il ne s’était pas rendu, le 24 septembre dernier, à une convocation au tribunal de Montbéliard en vue de sa mise en examen pour « blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de plus de trois mois » sur une patiente qu’il avait opérée pour une hystérectomie. Cette information é été donné publiquement par la procureure de Montbéliard Thérèse Brunisso.
Agée de 43 ans cette patiente avait été victime de lésions à l’appareil urinaire durant l’opération menée en octobre 2010 à la Clinique de Montbéliard. Une information judiciaire avait été ouverte en 2011. « L’expertise et la contre expertise avaient conclu à la responsabilité de ce gynécologue et d’un urologue, qui est parti et n’exerce plus à la clinique », a précisé la procureure.
Seconde plainte
Une autre malade avait déposé plainte en septembre. « Le suicide du médecin, retrouvé pendu à son domicile de Dung (Doubs), intervient quelques jours après la publication dans les médias locaux du témoignage d’une autre de ses patientes, Sonia Guyon, 43 ans également, opérée en août 2013 pour une hystérectomie à la Clinique de Montbéliard, peut-on lire sur le site de France 3 France Comté. Elle a également été victime d’importantes lésions à la vessie, ainsi que de la section d’un uretère. Son interruption temporaire de travail (ITT) a été estimée à 90 jours. La victime a déposé plainte au commissariat de Montbéliard en septembre contre le praticien et l’établissement. »
Extinction de l’action pénale
Bien évidemment l’action pénale contre le gynécologue s’éteint avec sa mort. Mais l’enquête se poursuit pour établir la responsabilité éventuelle de la Clinique de Montbéliard (43 médecins et chirurgiens, 151 salariés, 750 accouchements par an, 8413 interventions dont 5268 ambulatoires, 8447 en entrées directes et 5070 en service ambulatoire, 73 lits de chirurgie, 19 lits d’obstétrique).
L’étrange avis de décès
L’affaire se complique avec cet « avis de décès » figurant sur le site du Groupe Kapa Santé, document daté du 1er octobre et signé du Dr Hervé Kadji, président. Le voici (nous soulignons):
« 1 octobre 2013
La Présidence du Groupe Kapa Santé et la direction de la Clinique de Montbéliard ont l’immense regret de vous annoncer le décès d’un de leur confrère et médecin, Dr Sorin Fléancu, Gynécologue Obstétricien.
A la suite de l’acharnement médiatique à son encontre, et de l’irresponsabilité de certains journalistes locaux depuis la semaine dernière, et jusqu’à ce matin encore, Dr Sorin Fléancu a mis fin à ses jours.
Dr Fléancu a eu 60ans le 25 Septembre dernier, date à laquelle les dénonciations de la presse ont débuté sans ménagement.
Ce médecin exerçait à la Clinique de Montbéliard depuis le 17 septembre 2007 ; il avait depuis 30 ans donné naissance à des milliers d’enfants, sans incident.
Nous déplorons avec douleur cette nouvelle, et présentons nos sincères condoléances à sa famille.
Aucune autre déclaration ne sera faite. »
La dépêche d’agence
Une relecture plus complète de l’affaire est fournie par une dépêche de l’Agence APM. La voici :
« Un gynécologue obstétricien se suicide après sa mise en cause dans deux affaires d’erreurs médicales
MONTBELIARD (Doubs), 2 octobre 2013 (APM) – Un gynécologue obstétricien de la clinique de Montbéliard (groupe Kapa Santé) a mis fin à ses jours mardi, après avoir été mis en cause dans deux affaires d’erreurs médicales, a-t-on appris mercredi auprès de la procureure de Montbéliard, Thérèse Brunisso.
Dans un avis de décès publié mardi sur le site internet du groupe Kapa Santé, la présidence du groupe et la direction de la clinique dénoncent « l’acharnement médiatique » et « l’irresponsabilité de certains journalistes locaux depuis la semaine dernière » qui ont précédé le suicide du Dr Sorin Fléancu.
« [Le] Dr Fléancu a eu 60 ans le 25 septembre dernier, date à laquelle les dénonciations de la presse ont débuté sans ménagement. Ce médecin exerçait à la clinique de Montbéliard depuis le 17 septembre 2007; il avait depuis 30 ans donné naissance à des milliers d’enfants, sans incident », souligne l’établissement.
Contactée par l’APM, la procureure de Montbéliard confirme que le gynécologue obstétricien s’est pendu à son domicile. Elle indique qu’il avait été mis en cause dans deux affaires. La plus récente remonte à août, lorsqu’une patiente de 43 ans est opérée par ses soins pour une hystérectomie par voie basse.
L’intervention se complique et selon le compte rendu opératoire de l’urologue du CH de Belfort-Montbéliard où a été transférée la patiente, un uretère a été sectionné et une importante plaie de la vessie est constatée, entre autres, précise la procureure.
La patiente s’en sort avec une incapacité totale de travail (ITT) fixée temporairement à 90 jours par son médecin généraliste. Elle dépose plainte le 10 septembre, alors que l’affaire était déjà en cours d’enquête au bureau du procureur.
Le Dr Fléancu avait par ailleurs reçu une convocation chez le juge d’instruction le 24 septembre en vue de sa mise en examen « pour blessures involontaires ayant entraîné une ITT de plus de trois mois », dans une autre affaire remontant à octobre 2010. Au cours du même type d’intervention chez une autre patiente, des lésions de l’appareil urinaire avaient été provoquées.
« Nous avons ouvert une information judiciaire en 2011, une expertise a été ordonnée, qui a mis en cause le même médecin » et l’urologue de la clinique qui a participé à l’intervention, indique la procureure. Deux contre-expertises demandées par le médecin ont également conclu à la responsabilité pénale des deux médecins.
La procureure précise que le Dr Fléancu avait déjà fait deux tentatives de suicide, « l’une en 2012 et l’autre en février dernier, avec une intervention de la gendarmerie à chaque fois ».
L’action publique contre le Dr Fléancu est éteinte avec son décès, mais la plainte de la patiente opérée en août visait aussi la clinique, souligne la procureure. « L’enquête se poursuit afin de déterminer s’il y a responsabilité de la clinique », indique-t-elle. Pour l’affaire de 2010, la clinique n’avait pas été mise en cause, précise-t-elle. En revanche elle souhaiterait poursuivre également l’urologue ayant participé à l’intervention à l’époque. Celui-ci est parti de la clinique et serait aujourd’hui à l’étranger, selon la procureure.
Contactée par l’APM mercredi après-midi, la direction de la clinique de Montbéliard n’était pas joignable. Elle précise dans l’avis de décès publié mardi qu' »aucune autre déclaration ne sera faite ». »
Graves accusations
Ainsi donc ni la direction du groupe ni celle de la clinique ne parleront plus de cette affaire. Les accusations sont graves et visent, sans les nommer, « certains journalistes locaux ». On peut imaginer qu’ils se sont reconnus. Se sont-ils expliqués ? S’expliqueront-ils ?
(1) C’était peu avant sa mort, dans un train entre Paris et Saint-Pierre des Corps. Avant la création du TGV Atlantique. Topor pressentait-il l’émergence des autoroutes de l’information ?