Officiel : abstention de relations sexuelles entre le médecin et les membres de sa patientèle

Bonjour

L’Ordre a une sainte horreur du vide. Aussi le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) a-t-il mis fin à un vide juridique qui n’avait que trop duré dans le vaste champ de la sexualité. Car, comme le dit si bien Le Quotidien du Médecin (Elsa Bellanger), si le serment d’Hippocrate évoque l’interdit sexuel dans la relation médecin-patient, le code de déontologie médicale n’en faisait jusque-là pas spécifiquement mention. Tel n’est plus, enfin, le cas.

Tout avait commencé il y a un ans avec une pétition adressée à la ministre de la Santé Agnès Buzyn lancée sur le blog « Atoute.org ». Objectif : obtenir l’ajout dans le code de déontologie médicale d’un article interdisant explicitement aux médecins toute relation sexuelle avec les patients – ceux dont ils assurent le suivi. Une initiative du Dr Dominique Dupagne, généraliste à Paris, fondateur de « Atoute.org » et chroniqueur sur France Inter. Sollicité par des femmes victimes d’abus, il coordonnait la campagne #OperationHippocrate.

Au vu de nombreux témoignages de patientes se disant victimes de médecins, le CNOM s’est attaché à compléter les commentaires de l’article 2 du code portant sur le respect de la personne et de sa dignité.

« Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité. Le respect dû à la personne ne cesse pas de s’imposer après la mort »

Si nécessaire, dénoncer les confères

Il s’agissait notamment d’y ajouter la jurisprudence de la chambre disciplinaire nationale :

« Le médecin doit s’abstenir de tout comportement ambigu en particulier à connotation sexuelle (relation intime, parole, geste, attitude, familiarité inadaptée) ». « Le médecin doit s’interdire à l’égard de ses patients toutes relations intimes ».  « Dans le cas de patients en état de fragilité psychologique, les relations intimes s’apparentent à un abus de faiblesse ».

« Tous les médecins connaissaient cette limite, assure le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la commission éthique et déontologie du CNOM. Les commentaires du Code énoncent la nécessité de s’abstenir de tous comportements ambigus, mais cela ne suffisait pas. Cet ajout permet de faire de la prévention, de rappeler les règles. Tout comme il est nécessaire de rappeler qu’un problème de cette nature doit donner lieu à une plainte auprès de la police et auprès de l’Ordre. Les médecins fautifs seront sanctionnés ».

Ce n’est pas tout : les médecins ont par ailleurs l’obligation de signaler les faits concernant leurs confrères portés à leur connaissance. Le Quotidien du Médecin précise qu’en 2017, trente-six affaires de relations sexuelles entre médecin et patient (consenties ou non) ont été traitées par les chambres disciplinaires de première instance.

« Ces affaires représentent 3,5 % des griefs », indique pour sa part François-Patrice Battais, greffier en chef de la chambre disciplinaire nationale. Sur ces affaires, dix-sept ont débouché sur un rejet de plainte, deux ont donné lieu à des « avertissements », un « blâme » a été prononcé, treize ont abouti à « des interdictions temporaires d’exercice » (de 3 mois à 3 ans). Et trois radiations ont été prononcées.

On ne dispose pas encore des chiffres de 2018.

A demain

@jynau

Prédateurs ou docteurs : interdire les relations sexuelles entre les médecins et leurs patient.e.s ?

Bonjour

De la sexualité au cabinet. Plusieurs femmes victimes de « prédateurs sexuels » en « blouse blanche » ou « sur divan » viennent de demander à Agnès Buzyn de faire inscrire dans le code de déontologie médicale l’interdiction explicite aux médecins d’avoir des relations sexuelles avec les patients dont ils assurent le suivi. Une « Pétition Hippocrate » déjà signée par plusieurs personnalités relaie cette demande dont fait état Le Monde (François Béguin) 1.

« Ces femmes racontent comment leur thérapeute a profité et abusé de leur état de vulnérabilité et de leur faiblesse pour les manipuler et mettre en place avec elles des relations de nature sexuelle. Un mécanisme de transfert et de contre-transfert amoureux bien identifié, et contre lequel Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, mettait déjà formellement en garde. L’interdit des relations sexuelles avec le patient suivi figure d’ailleurs dans le code d’éthique des psychanalystes. »

La loi serait souvent impuissante à sanctionner les transgressions. « Les plaintes pénales des patients séduits et manipulés par leur médecin sont le plus souvent déclarées irrecevables », font valoir les auteurs de la pétition, dans la mesure où la relation, sans violence, peut être perçue comme une relation entre adultes consentants. « Le nombre de plaintes est infime par rapport à la réalité, les victimes se sentent salies, elles ont le sentiment d’avoir été naïves », estime le docteur Dominique Dupagne, médecin généraliste et, notamment, créateur du site atoute.org

Menaces sur la sexualité librement consentie

Et l’Ordre dira-t-on ? En 2016, on a recensé 35 sanctions prononcées par les chambres disciplinaires de première instance pour des manquements déontologiques liés à des actes à connotation sexuelle – dont six radiations. Au niveau de la chambre disciplinaire nationale, qui traite les appels, 15 sanctions ont été prononcées en 2016 pour ce motif, dont quatre radiations. « Il y a un corporatisme très fort chez les médecins, nous avons plein d’exemples où les conseils départementaux de l’Ordre protègent des notables, souligne le docteur Dupagne, cité par Le Monde. On n’est pas sûrs qu’ajouter un interdit explicite dans le code de déontologie diminuera le nombre de comportements déviants, mais il permettrait au moins de renverser la charge de la preuve. Ce serait alors au médecin de se justifier, pas à la plaignante. »

L’Ordre, ici, n’est pas sourd. Le Conseil national a reçu l’initiateur de la pétition et lui a exposé les raisons pour lesquelles cette initiative lui paraissait « inappropriée ».

« L’Ordre entend bien les propositions qui viseraient à inscrire dans le code de déontologie un article supplémentaire qui interdirait toute relation sexuelle, même librement consentie, entre un médecin et son patient. Il estime cependant qu’une telle disposition, et son inscription dans un texte réglementaire, serait une intrusion dans la vie privée de personnes libres et consentantes. Cela lui parait en outre inutile, dès lors que les textes actuellement applicables et appliqués permettent de réprimer en droit disciplinaire tous les abus de faiblesse sur personne en situation de vulnérabilité, y compris en matière sexuelle. »

On peut le dire autrement : l’interdiction, par voie réglementaire, de relations sexuelles librement consenties entre un médecin et son patient contreviendrait, selon l’Ordre, aux principes de la liberté des personnes. Faut-il rappeler que la Convention européenne des Droits de l’Homme, en son Article 8, établit que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » ?

Ceci n’empêchera pas l’Ordre de mener une « lutte déterminée contre toutes sortes d’abus à caractère sexuel que des médecins commettraient ». Il lui restera à faire la part, en son sein, entre les quelques prédateurs et toutes celles et ceux qui ne le sont pas. On attend, désormais, la réponse de la Dre Buzyn.

A demain

1 Les personnalités suivantes soutiennent cette pétition : Dr Christophe Andrésite web, psychiatre ; Pénélope Bagieusite web, autrice de bande dessinée ; Marilyn Baldecksite web déléguée générale de l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail ;  Baptiste Beaulieusite web, médecin généraliste et romancier ; Dr Alain Beaupin, Médecin généraliste. Président de l’Union Confédérale des Médecins Salariés ; Dr Dominique Dupagnesite web, médecin généraliste, créateur du site atoute.org ; Sylvie Fainzangsite web, anthropologue, directrice de recherche à l’Inserm ; Dr Irène Frachon, médecin pneumologue à Brest ; Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des Médecins de France (FMF) ; Dr Gilles Lazimisite web, médecin généraliste , maître de conférences associé de la faculté de Médecine Sorbonne Université et membre du Haut Conseil à l’Égalite entre les Femmes et les Hommes ; Dr Gérard Lopezsite web, fondateur et président de l’Institut de Victimologie de Paris ; Pr Anne-Marie Magnier, médecin généraliste, professeur à la faculté de Médecine Sorbonne Université ; Dr Emmanuelle Pietsite web, présidente du Collectif Féministe Contre le Viol ; le Planning Familial de Parissite web ;  Dre Muriel Salmonasite web, psychiatre, fondatrice et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie et Jacques Testartsite web, biologiste, docteur en sciences, directeur de recherche honoraire à l’Inserm.

Levothyrox à volonté : pourquoi ce virage à 180 degrés de Mme Buzyn, ministre de la Santé ?

 

Bonjour

Dans l’histoire des polémiques médicamenteuses c’est du jamais vu. Ou presque. Même habillée avec les mots des communicants, l’annonce ministérielle d’Agnès Buzyn (ce matin sur France Inter)  sonne comme une forme de capitulation face à des revendications qui n’en apparaissent que plus légitimes. Ainsi donc, pour résumer, d’ici 15 jours, des « stocks européens » de l’ancienne formulation du laboratoire Merck-Serono seront mis à disposition « sur prescription médicale » – et ce « pour les patients présentant des effets indésirables persistants ».  Toutefois, à terme, cette formulation du Lévothyrox-lactose ne sera plus disponible et « cette solution est donc temporaire ».

Parallèlement, « de nouvelles spécialités de lévothyroxine arriveront d’ici quatre semaines sur le marché français ». Aucune indication précise n’est donnée. « Cela permet de répondre aux besoins des patients présentant des effets indésirables persistants en lien avec la nouvelle formulation du Levothyrox » souligne Mme Buzyn qui n’avait, jusqu’ici, jamais évoqué cette nécessité.

Une forme de désaveu de l’ANSM

Bouleversements, donc, mais en même temps la ministre « tient à rappeler la qualité de la nouvelle formule de Levothyrox qui convient à la très grande majorité des patients ». On ajoutera ce qui ne manquera pas d’apparaître comme une forme de désaveu de la politique menée jusqu’ici dans ce dossier par la direction de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM).

Cette dernière devra « recevoir les associations de patients et les professionnels de santé » et mettre à leur disposition les informations qu’elle s’était refusée à communiquer : les études de bioéquivalence ; le rapport de l’ANSM sur ces études de bioéquivalence ; l’abstract d’une publication scientifique du Current medical research and opinion qui traite des deux études de bioéquivalence ; les analyses confirmant la qualité de la nouvelle formulation de Levothyrox ; les données disponibles sur les excipients ainsi qu’une liste présentant leur large utilisation dans des médicaments courants. Une demande aussitôt traduite dans les faits.

La polémique soulevée par le Dr Dupagne

Comment comprendre ? Décision politique ? Irritation élyséenne ? Premières ombres judiciaires ? Enrayer coûte que coûte les ravages de l’effet nocebo 1 ? « La ministre souhaite sans doute désamorcer la polémique soulevée, notamment sur les réseaux sociaux, par le Dr Dominique Dupagne à propos de l’étude de bioéquivalence réalisée par le laboratoire » estime Le Quotidien du Médecin. Désamorcer la polémique ? Dans un communiqué  le laboratoire Merck réaffirme que « les modifications apportées n’ont aucune incidence sur l’efficacité ou le profil d’innocuité de la nouvelle formule du Levothyrox et l’ingrédient actif (lévothyroxine sodique) demeure identique ».

Le laboratoire précise par ailleurs que l’ancienne formule « sera disponible uniquement sur prescription médicale, pour les patients présentant des critères précis quant à leur état de santé et leur réponse à la formule de lévothyroxine sodique actuellement disponible ». Quant au délai de mise à disposition, le laboratoire est nettement moins précis : « Dès que possible, sous la marque Euthyrox, après réception d’une licence d’importation par l’ANSM ». La France, où trois millions de personnes sont concernées, sera-t-elle un jour auto-suffisante pour cette spécialité ?

A demain

1 Sur ce thème : « Effet nocebo et défaut d’information: la dérangeante affaire du nouveau Levothyrox » Slate.fr

L’affaire des onze vaccins imposés : Agnès Buzyn persistera-t-elle dans sa «fausse bonne idée» ?  

Bonjour

Des voix montent, le vent se lève qui annonce la tempête. On sait que la nouvelle ministre de la santé « réfléchit » à rendre obligatoires onze vaccinations pédiatriques. Si les anti-vaccinaux (pour l’essentiel) se taisent, les prises de position se multiplient pour, sans remettre en cause l’apport sanitaire de l’immunisation préventive, dénoncer une très mauvaise bonne idée ministérielle.

Il y eut ainsi les arguments développés par notre confrère Dominique Dupagne suivis, aujourd’hui,  de ceux de Luc Perino. Il faut désormais aussi compter avec la prise de position du conseil scientifique du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) qui estime que « l’obligation vaccinale est une réponse simpliste et inadaptée ».

« Il n’y a aucun élément scientifique pour attester que cette mesure aboutisse à une meilleure protection notamment pour les enfants, estime le CNGE. Il est à craindre que son caractère autoritaire renforce la défiance et la suspicion d’une partie croissante de la population. Elle risque d’exposer les médecins généralistes et d’autres professionnels à des demandes nombreuses et non fondées d’exemption, voire de soi-disant contre-indications. »

Climat de méfiance

En revanche, le conseil scientifique du CNGE pense « qu’une large campagne d’incitation portée conjointement par les professionnels de santé et les pouvoirs publics, en impliquant les usagers aurait un impact plus important et plus durable ».  « Cela permettrait aux médecins de proposer aux patients une vaccination dans de meilleures conditions tenant compte des données scientifiques (bénéfice/risque, impact épidémiologique), des caractéristiques, du patient ainsi que de ses facteurs de risques, connaissances, croyances, appréhensions et préférences » souligne-t-il.

Tout comme la ministre, le CNGE regrette le paradoxe de la coexistence de vaccins obligatoires et facultatifs (une exception française). Pour le CNGE, il « entraîne une incompréhension de certains médecins et parents », consolidant « un climat de méfiance et (favorisant) l’hésitation vaccinale ».

On sait qu’Agnès Buzyn fonde pour l’essentiel sa réflexion sur la « concertation citoyenne » qui, fin 2016, a recommandé l’élargissement de l’obligation vaccinale. Pour les généralistes universitaires « l’obligation est contradictoire avec les notions d’approche ou de démarche centrée patient, par ailleurs promue par la Haute Autorité de santé, et avec les principes éthiques d’autonomie » – étant bien entendu que « les vaccins n’ont pas tous la même pertinence clinique, le même intérêt individuel et/ou collectif, ni le même profil de tolérance ».

L’impasse de la ministre

Ils préconisent donc de mettre en place « une campagne de communication négociée avec les médecins et les représentants des usagers »« de s’appuyer sur une approche spécifique énonçant les balances bénéfices/risque vaccin par vaccin », « de promouvoir une organisation cohérente de la politique vaccinale, en s’appuyant sur les professionnels de première ligne » et « de veiller à la disponibilité des différents types de vaccins ».

Où l’on comprend que ces généralistes n’entendent pas devenir des « officiers de santé », des préposés aux vaccinations de masse décidées par Paris. Où l’on comprend, aussi, que l’obligation vaccinale peut être perçue comme une approche mandarinale, à l’opposé de ce qu’entend incarner la nouvelle vague Macron. Où l’on saisit, enfin, qu’Agnès Buzyn est, déjà, dans une situation politique et sanitaire particulièrement inconfortable. Choisira-t-elle, in fine, une fausse bonne idée, une réponse simpliste et inadaptée ? Si oui que se passera-t-il ? Si non comment sortira-t-elle de l’impasse où elle s’est engagée ?

A demain

 

Il est grand temps : les médecins méritent d’être notés comme des hôtels-restaurants

Bonjour

« TripAdvisor ». Qui ne connaît pas n’est jamais sorti de chez lui. Pire : n’a sans doute pas la Wifi. Il s’agit d’un site web américain qui offre gratuitement des avis de consommateurs sur toutes les formes types d’établissements, généralement à orientation gastronomique et touristique. Il y en a pour tous les goûts. Au hasard : « L’Arpège » le célèbre restaurant d’Alain Passard (ici la carte du dîner) l’une des plus belles tables de Paris et de l’Hexagone. Voici ce qu’en disent les contributeurs de TripAdvisor.

Patientèle-clientèle

Le Quotidien du Médecin s’est enfin intéressé au sujet (Adrien Renaud). Il y voit un  « mode d’expression » qui « bouscule la profession médicale» . Pour l’heure c’est surtout vrai pour les praticiens américains et leur patientèle-clientèle. Aux Etats-Unis on a pris l’habitude d’évaluer et de noter ses médecins comme on pointe des hôtels ou des destinations de voyage. Où descendre à Bali ? Quel sont les meilleurs acupuncteurs de Miami ? Des millions de commentaires, parfois sévères, sont accessibles à tous. On peut prendre le pouls du phénomène ici-même : http://www.ratemds.com/ Ce site aurait engrangé plus de deux millions de commentaires depuis sa création en 2004.

Deux misères

En France l’affaire commence à prendre corps. Notamment via Yelp, comme on peut le voir ici pour quelques généralistes exerçant à Paris. Le Quotidien du Médecin note toutefois que les deux pionniers de la notation en ligne des médecins, « note2bib.com » et « demedica.com », ont fermé peu de temps après leur lancement en 2008. Guirec Piriou, fondateur du site http://notetondoc.com/ reconnaît volontiers auprès du Quotidien que son projet n’a pas décollé : 4 000 avis collectés depuis sa fondation en 2012. Une misère qui dépasse toutefois  http://www.les-bons-choix-sante.fr/ – concurrent lancé la même année.

Piédestaux

« Pourquoi cette différence de pratique entre les États-Unis et la France ? Certains évoquent une barrière culturelle face à la notation en ligne des praticiens par les patients. « En France, les médecins sont encore mis sur un piédestal, assure Guirec Piriou, même si les sites de notation de praticiens se défendent d’être des tribunaux de la médecine. Autre raison invoquée, juridique cette fois : la loi Informatique et libertés. D’après Henri Delettre, (les-bons-choix-sante.fr), une interprétation rigoriste de la législation permet à un médecin mal noté d’exiger la suppression des mauvais commentaires. Une perspective qui n’encourage guère les initiatives. » Yelp démontrerait plutôt le contraire

Manipulations

Le Dr Dominique Dupagne, fondateur éclairé du site atoute.org  s’est intéressé l’un des premiers à ce phénomène. (1) Voici ce qu’il publiait il y a six ans  à la veille du lancement de « note2bib.com »  « L’énorme problème est d’éviter la manipulation : comme vérifier que l’internaute qui recommande un chirurgien esthétique n’est pas son assistante, expliquait-il alors. J’ai en tête un projet de ce type depuis plusieurs années et j’avais interrogé le Conseil de l’Ordre des Médecins à ce sujet en 2004. La réponse avait été cinglante : Pas de ça en France… ».

R 4127-71 du CSP

A la suite des interrogations dérangeantes du Dr Dupagne l’Ordre national avait élaboré une réponse un peu moins cavalière. Il parlait alors des sociétés commerciales qui assureraient aux internautes « la possibilité de noter des médecins ». Et rappelait que « l’évaluation des pratiques professionnelles » existait déjà « sous l’autorité technique de la Haute Autorité de Santé ». Cette évaluation, concédait l’instance ordinale, « est nécessaire à la qualité des soins » à condition d’obéir à des critère méthodologiques rigoureux ». Quant à la vérification « de l’adéquation des locaux » et de « l’installation du médecine », ce sont des éléments qui relève de l’Ordre (art. R 4127-71 du CSP.)

Comprendre: Internaute ou pas le patient qui décèle un « manquement en matière de moralité et de comportement » doit en parler à l’Ordre, certainement pas le confier à ceux la Toile.

Euphémisme

Six ans ont passé. L’Ordre national n’a pas changé. Le Dr Jacques Lucas, vice-président chargé de l’e-santé a répondu au Quotidien en maniant l’euphémisme. Il  « ne regrette pas le faible succès, pour l’instant, des sites français de notation ». Il assure que son institution « est opposée à ce type d’évaluation dès lors que le caractère objectif des avis n’est pas garanti ». Or, par définition, les patients commentent et jugent en ligne avec leur « ressenti », leurs « états d’âme », et de façon « souvent invérifiable ».

Pseudos

« On ne peut pas évaluer un médecin sous un pseudo ! » » dit encore le Dr Lucas qui  recommande aux patients mécontents de signaler d’éventuels dysfonctionnements graves ou fautes aux instances ordinales.

Le Dr Lucas tient encore à rassurer ses confrères inquiets du développement de ce genre de sites dans l’Hexagone.  « Il n’y a pas de marché », veut-il croire. Et ce pour une bonne raison : « la relation médecin/patient serait de nature moins commerciale en France que dans les pays anglo-saxons ». Vive la Sécurité sociale ?

Eldorado

On peut ne pas partager l’analyse émolliente de l’Ordre national. Tout pousse au contraire à la progression de la notation sauvage, à la diffusion contagieuse  de cette forme moderne de délation. Il faut ici compter avec les ressorts commerciaux propres au succès considérable de TripAdvisor : revenus « au clic » ;  revenus au « display » (publicité classique qui concernera ici l’industrie pharmaceutique) ; abonnements (les médecins et les cliniques auront la possibilité de payer un abonnement afin de pouvoir afficher leur adresse email, leur site web et d’éventuelles promotions).

C’est là, tout simplement, un possible eldorado numérique : le chiffre d’affaires global de TripAdvisor en 2012 a été 763 millions de dollars en 2012, en hausse de 20 % par rapport à 2011. Le bénéfice avant impôts représentait  37 % du chiffre d’affaires à 282 millions de dollars – et  25 % après impôts à 195 millions de dollars.

Transparence

Mieux encore, le marché sera ici alimenté par des forces dont on pourrait naïvement supposer qu’elles lui sont (pour partie) étrangères sinon hostiles. « Il existe partout une demande croissante des patients pour obtenir des informations sur les offreurs de soins (établissements, services mais aussi praticiens). Au nom de la transparence, le collectif interassociatif sur la santé (CISS, usagers de santé) n’hésite plus à pointer du doigt ceux qui freinent le développement des initiatives en la matière » observe Le Quotidien du médecin.

Le Point

« Evaluation », « promotion », « délation », la notation des médecins via internet a tout pour elle. Elle ne fera que s’inscrire dans le sillage des classements des hôpitaux (inaugurés au siècle dernier par nos confrères de l’hebdomadaire Le Point et qui avaient été poursuivis par d’autres confrères devant l’Ordre des médecins).

Le Rouge

La notation médicale rejoindra la course des étoiles qui ont fait la richesse du guide Michelin. Le célèbre Rouge qui commença sa vertigineuse ascension il y a un siècle. Précisément quand Jouvet commença à incarner Knock de Romains aux Champs-Elysées.

Un guide qui couronne depuis dis ans déjà de tous ses lauriers l’Arpège de Passard. C’est rue de Varenne, à Paris. Face au musée Rodin et à deux pas du ministère de l’Agriculture. Y aller en confiance. Pas de salle d’attente: réservez. Puis tripadvisez. Ou pas.

A demain

(1) Le point de vue (actualisé et résumé) du Dr Dominique Dupagne : « En fait, le patient n’a aucun intérêt à noter son médecin, sauf à régler des comptes. Les bons médecins sont débordés. Donc ça ne peut pas marcher. »

 

Big Sugar nous tient la dragée haute – l’OMS se gratte la tête

Bonjour

Nuages sucrés dans un monde obèse et pré-diabétique. Il y a un mois le site www.lanutrition.fr levait un lièvre. On apprenait que Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale autorisait les sucriers à œuvrer dans l’école laïque, républicaine et sacralisée. Ce lièvre fut nourrit par le Dr Dominique Dupagne dans un billet auquel nous fîmes écho – « Sucre à l’école : les racines du scandale ». Un bien beau lièvre que l’on vit sur les ondes de France Inter.

Mayonnaise

Puis le lièvre passa un après-midi à l’Assemblée nationale. Interrogé sur ce sujet le 12 février par une députée verte  Vincent Peillon parla à son endroit d’ « amalgame honteux », se félicita de l’accord passé entre Marianne et les sucriers, vanta les mérites du « Programme national nutrition santé » – on peut le voir ici. Dans le sillage du lièvre une pétition circula sur la Toile. Le Dr Dupagne réclama une mission enquête parlementaire. Interrogé il nous dit aujourd’hui  ne rien voir venir. Le « scandale » est là mais la mayonnaise ne prend pas. Elle prendra. Du moins si l’huile de coude ne manque pas.

Canne-betterave

Les sucriers avancent masqués et nous tiennent la dragée haute. Comme avec leur célèbre « Semaine du Goût » pilotée par la Collective du sucre. C’est là un rapt commercial doublé d’une trahison idéologique et pédagogique. Le rapt en douceur fondateur des « classes du goût » (voir ici) – initiative développée dans les années 1970 par Jacques Puisais. Des « classes » étalées dans le temps, laïques, citoyennes, pédagogiques, libératrices. Des « classes du goût qui existent toujours au sein de municipalités éclairées mais qui sont comme étouffées par la puissance de la dictature canne-betterave. Une initiative qui, dans un monde de gauche idéal serait soutenue par Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale.

Abeilles chaptalisées

Pour Jacques Puisais, 86 ans, le sucre occupe une place bien à part dans l’éventail de nos émotions sensorielles. Il est monolithique, sans origine et omniprésent. C’est, économiquement et gastronomiquement, une dictature. Il devenu un produit transformé, invisible raffiné et collant. On peut y voir le symbole de la machinerie agro-alimentaire aliénante d’aujourd’hui. Voire, sans même être marxiste, le triomphe du capitalisme : il a l’emprise sur nous. Il nous transforme en abeilles inversées, chaptalisées. Il nous interdit de faire notre propre miel.

Entremets

On se souvient de celle du salé. Il y a une pathologie autrement plus lourde : celle du sucré. Elle reste à écrire. Il y a aussi une politique du sucré. Elle reste à démonter. Il y a, enfin, un fil rouge médiatique et médical du sucré. On le retrouve ici ou là. Dans les affaires récurrentes des récurrentes des « coupe-faim ». Dans deux épidémies galopantes : celle du surpoids-obésité et celles des urines sucrée. Dans les entrelacs et les entremets de la « fiscalisation comportementale » (« taxer ou pas les sodas » ? – nous y reviendrons). Ou encore via l’émergence du sucré dans le vaste champ des addictions.

Big Sugar

Appelons-le  Big Sugar. Son histoire s’écrit sous nos yeux. L’OMS en témoigne qui vient de communiquer sur le sujet (voir ce document officiel et passionnant) :

« Une grande part des sucres consommés aujourd’hui sont «cachés» dans des aliments transformés qui ne sont habituellement pas considérés comme des sucreries. Par exemple, 1 cuillère à soupe de ketchup contient environ 4 grammes (environ 1 cuiller à thé) de sucres. Une seule canette de soda sucré contient jusqu’à 40 grammes (environ 10 cuillères à thé) de sucre.

 La recommandation actuelle de l’OMS, émise en 2002, est que les sucres doivent représenter moins de 10% de l’apport énergétique total quotidien. Le nouveau projet propose que les apports en sucres soient inférieurs à 10% de l’apport calorique journalier, mais il suggère en outre qu’une réduction de ce pourcentage à moins de 5% par jour apporterait des bénéfices supplémentaires.

Cinq pour cent de l’apport énergétique total représentent approximativement 25 grammes (environ 6 cuillères à thé) de sucre par jour pour un adulte doté d’un indice de masse corporelle  normal.

Les limites proposées au sujet des apports en sucres dans ce projet de lignes directrices s’appliquent aux monosaccharides (tels que le glucose et le fructose) et aux disaccharides (tels que le sucrose ou sucre de table) qui sont ajoutés aux aliments par le fabricant, le cuisinier ou le consommateur, ainsi qu’aux sucres naturellement présents dans le miel, les sirops, les jus de fruit et les concentrés de fruits. »

 Liens d’intérêts

L’OMS vient d’ouvrir une consultation publique sur le sujet. On y peut s’y exprimer ici. Faire vite ce sera terminé le 31 mars. Et c’est en anglais. On n’imagine pas que des liens d’intérêts puissent exister entre l’OMS et les sucriers.

A demain

Tabac : la « Révolution des volutes »® est en marche

La dernière sortie de « 60 Millions de Consommateurs » sur la cigarette électronique « cancérogène » est difficilement  justifiable. Les réactions qu’elle suscite sont remarquables. Il y a là comme un parfum de poudre citoyenne. Les pouvoirs publics en prendront-ils de la graine ? En songeant, par exemple, à l’antique politique de « réduction des risques ».

Feint ou pas l’étonnement est là. Au lendemain de son exploit la rédaction de 60 Millions a rectifié le tir (apporté des précisions, complété son propos, répondu aux questions légitimes des lecteurs, etc.). On verra ici de quoi il retourne. « Les vapoteurs doivent-ils s’inquiéter ? Nos révélations sur la présence de composés indésirables dans les vapeurs de certaines cigarettes électroniques interpellent les utilisateurs. Retour sur les objectifs et les résultats de notre étude. » En clair ce retour montre que l’aller n’était pas très clair.

Nous ne demandons pas l’interdiction

 « Certaines e-cigarettes peuvent émettre des composés potentiellement cancérogènes,  nous redit la revue de l’Institut national de la consommation (INC). Les résultats de notre test sur les cigarettes électroniques, publiés lundi 26 août, ont suscité de nombreuses questions ou critiques de la part des internautes, utilisateurs ou revendeurs de ces appareils. D’emblée, disons-le clairement : nous ne demandons pas l’interdiction de la cigarette électronique. Nos résultats ne le justifient pas. » C’est donc redit. Pourquoi, dès lors cette vendeuse mise en scène ? Pourquoi cette potentielle perversité du « potentiellement cancérigène » ? Pourquoi cet oubli de la bibliographie, cette onction que confère la dramatisation,  ce surf sur la vague créée de l’émotion collective ?

Rassurons-nous : cela ne peut pas être le fruit d’une confraternelle compétition : « Comme nous, nos confrères de Que Choisir ont analysé, en laboratoire, la teneur en nicotine des liquides pour cigarettes électroniques. Comme nous, ils ont constaté de fréquents écarts avec le taux annoncé, écrit Benjamin Douriez. En revanche, Que Choisir n’a pas analysé les vapeurs issues des cigarettes électroniques. C’est bien dans les vapeurs que nous avons décelé des composés potentiellement cancérogènes. » Cherchez l’erreur, elle est dans la vapeur.

Faire flipper les futurs vapoteurs

 Le plus intéressant aujourd’hui est moins dans les réponses apportées en urgence à des internautes (utilisateurs ou revendeurs) férus de cigarette électronique. Elle est dans le nombre considérable et le contenu des messages suscités par la publication du dossier « potentiellement cancérigène ». Deux exemples « bravo , depuis hier tous le monde me conseille de reprendre la clope , juger bien moins cancérigène que la E cig , bravo pour le travail fait » ; « maintenant que le mal et fait , ben bravo , pourquoi n’allez vous pas sur les chaines info pour dire que vous êtes allez très vite en besogne , et que votre discours à bien fait flipper tout les futur vapoteurs. » Il y a aussi plus violent.

S’étonner  de la réactivité immédiate et de la virulence des commentaires? Sans doute pas. Nous savons que c’est là une caractéristique  essentielle de l’expression sur la Toile. Incidemment on observera que la revue de l’INC n’a visiblement pas « modéré/censuré » les réactions qu’elle a suscitées. Ce qui mérite d’être souligné. On observera aussi le formidable réservoir d’énergies, d’intérêts et de savoirs que sous-tend désormais l’affaire de la cigarette électronique, ce potentiel scandale de santé publique.

La volonté d’en découdre

 Ces remarques valent également pour les commentaires suscités par le billet  (pour partie cité ici) de Dominique Dupagne qui autopsie à vif cette affaire débutante. Mêmes énergies, mêmes intérêts, mêmes savoirs. Et même volonté de témoigner, d’expliquer, de se justifier, de revendiquer, d’accuser. Même volonté d’en découdre. Avec cette réflexion montante concernant la gabelle du tabac, les prébendes de Bercy, la brioche des Douanes. On pressent comme un parfum de poudre. D’autant que les buralistes-distributeurs de la drogue manifestent eux aussi, à leur manière, leur mécontentement ; mécontentement récurrent certes mais aujourd’hui grandissant.

La e-cigarette occupe bel et bien désormais une place inhabituelle dans le paysage des addictions. Un rôle à part  dans les différentes propositions collectives (médicales, sociétales et politiques) de lutter pour une vie meilleure, sans esclavage ni droit de cuissage. En dépit (ou plus précisément à cause) de son succès les pouvoirs publics (les autorités sanitaires) sont vite apparus comme dépassés. Ni « produit de santé » ni « produit dérivé du tabac » la e-cigarette est exclue des pharmacies et des bureaux de tabac. Disponibles dans des échoppes créées à cet effet, achetées par les citoyens sans aide de l’Etat elle échappe pour une large part aux herses réglementaires des autorités de tutelle de la Santé et de l’Economie.

De la gestuelle du fumeur

Ce n’est pas tout. La cigarette électronique échappe aussi au pouvoir médical. Du moins au pouvoir traditionnel réduit à celui du prescripteur. Par définition absente de l’espace médecin-malade elle est ailleurs. Le docteur peut la condamner ou la conseiller. Son patient fera comme il l’entendra. Ce qui est déjà une forme de liberté doublée, comme toujours, d’une responsabilité retrouvée : conserver la fameuse « gestuelle » (contagieuse ?) du fumeur tout en maîtrisant  seul(e) sa décroissance nicotinique ? Faillir et repartir au combat contre soi-même. En parler. Sur la Toile ou au café. C’est là un ensemble assez neuf, une dimension autogestionnaire inédite dans le monde de l’addictologie.

e-Electre

C’est là un cocktail que l’on pourrait qualifier d’explosif si l’expression n’était pas rongée ; ou de Molotov si l’appétit soviétique n’était pas passé de mode. Disons un beau ferment qui laisse songer à une révolte d’un nouveau genre, l’expérience individuelle de la libération des chaînes de l’addiction tabagique. Une expérience qui pourrait préfigurer d’autres libérations;  par exemple vis-à-vis de substances ou d’objets psycho-actifs fiscalisés.

Pour l’heure la cigarette électronique rougeoie. Comme l’aurore dans Electre ; Electre la lumineuse. Jean Giraudoux nous a dit que tout cela pouvait avoir un très beau nom (1). Proposition: la révolution des volutes.

(1)  La Femme Narsès : Que disent-elles ? Elles sont méchantes ! Où en sommes-nous, ma pauvre Électre, où en sommes-nous !

Électre : Où nous en sommes ?

La Femme Narsès : Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu’il se passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

Électre : Demande au mendiant. Il le sait.

Le mendiant : Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.

Jean Giraudoux (29/10/1882-31/01/1944) – Électre (dernières répliques, acte II, sc. 10) (éd. Gallimard, 1937)

 

 

 

Cigarette électronique : la vérité sur le complot

Merci à Dominique Dupagne d’avoir le courage sur son blog,  d’énoncer simplement ce que beaucoup ne semblent pas bien concevoir. La cigarette électronique est un évènement majeur de santé publique. Mais les freins paradoxaux qui s’opposent à son développement sont, à notre sens, plus profonds qu’il le croit.

Dominique Dupagne : « La cigarette électronique a fait la preuve de son utilité contre le tabagisme, et rien ne permet de penser qu’elle présente la moindre toxicité. Elle constituera sans doute le plus grand progrès en termes de santé publique du début du XXIe siècle. Les raisons qui freinent son développement sont à rechercher du côté des lobbies qui vivent du tabac ou des médicaments du sevrage tabagique, et de la naïveté coupable des politiques. »

Lobbies et naïveté, donc. Ou lobbies, tout simplement si, ardent défenseur de la théorie du complot, on en vient à penser que la « naïveté » des politiques n’est que le masque de leur compromission. Rien ne permet bien évidemment d’écarter définitivement cette hypothèse de travail. Les lobbies (du tabac et de l’industrie pharmaceutique) sont bel et bien là –même si on ne les entend pas. Quant à l’action des politiques français sur un tel sujet il est aussi difficile de plaider/requérir  la naïveté que la culpabilité. Les cieux français actuels, judiciarisés, ne sont pas toujours les plus favorables à l’action politique en matière de santé publique. Quant au paradoxe sanitaire offert par la cigarette électronique il ne concerne pas que la France, loin s’en faut –certains pays en ayant interdit le commerce et l’usage.

Plasticité du grand capital

On peut d’autre part parier ici sur une forme de plasticité capitalistique des grandes multinationales. Celles du tabac ne cachent pas qu’elles vont entrer sur le marché de la e-cigarette : l’argent du profit et des actionnaires peut ne pas avoir l’odeur du goudron et des produits cancérogènes. La fragrance de la nicotine mentholée peut la remplacer. De même, le marché des substituts nicotiniques n’est pas à ce point considérable qu’il ne puisse être remplacé par d’autres spécialités pharmaceutiques d’une efficacité comparable ou plus grande.

L’obstacle principal, nous semble-t-il est plus profond. Il est dans le refus collectif d’accepter que le fumeur ne souffre pas véritablement pour expier ses péchés. Il est dans la posture (souvent cambrée) dans la gestuelle des vapoteurs que nombre de non-fumeurs perçoivent comme proprement insupportables. Il est dans la reconquête par ces nouveaux évangélisateurs de territoires publics que nous croyions (1) définitivement gagnés.

Le prix du plaisir

Il est dans l’idée  plus catholique que chrétienne (et plus présente que l’on croit) qui veut que celui qui a succombé doit payer. Et si plaisirs il a pris il devra y mettre un plus grand prix.  Comment comprendre, sinon, que l’on ne prenne pas véritablement et collectivement en charge les tentatives que fait le fumeur pour sortir de son esclavage ? Qu’il en sorte, mais seul !

Cette lecture religieuse prévaut pour partie dans les tentatives visant à faire que l’abstinence totale, radicale, définitive ne soit pas la seule issue thérapeutique pour les malades alcooliques. On la retrouve sous un visage laïc dans la fiscalisation-taxation  étatique de toutes les addictions qui ne sont pas illicites.

Si complot il y a, cher Dominique Dupagne, il nous semble être, pour l’essentiel, à ce niveau. On observera aussi qu’il est démocratiquement accepté – et que l’Eglise n’est plus dans le paysage. C’est, ma foi, un assez joli défi, politique, journalistique et de santé publique, à relever.

(1) L’auteur de ces lignes n’a jamais consommé de tabac. Ce qui ne lui interdit pas de s’intéresser à celles et ceux de ses proches qui n’ont pas eu cette chance.

 

 

 

L’affaire « Furosémide Téva » : une histoire de confusion, d’émotion, de précaution

L’hypothèse d’une erreur de conditionnement pharmaceutique déclenche une procédure d’urgence nationale hautement médiatisée. Aujourd’hui le médicament électrise, le médicament tétanise et plus de transparence ne change rien à l’affaire. La polémique sur les génériques ne manquera pas de rebondir.  

Tout aurait pu être raconté sans affect particulier. Les faits, jute les faits. En n’oubliant pas de les hiérarchiser.  On aurait alors dit qu’un homme, nonagénaire vivant à Marseille serait décédé samedi 8 juin en étant  victime du mauvais conditionnement d’un lot du générique du diurétique  Furosémide Téva 40 mg. L’homme aurait utilisé pendant une semaine une boite d’un lot mal conditionné contenant un somnifère (Zopiclone Téva) à la place du traitement pour son insuffisance cardiaque grave. L’hypothèse a été évoquée par le Procureur de Marseille puis confirmée le dimanche 9 juin par l’Agence nationale de sécurité du médicament. L’ANSM avait lancé une alerte vendredi après-midi et procédé au retrait immédiat des lots mal conditionnés.

Mais où est donc l’information pratique essentielle ?

 On aurait aussi pu diffuser, par les canaux habilités à cet effet, l’information pragmatique essentielle, comme vient de le faire Dominique Dupagne sur atoute.org .  Dire qu’à ce jour, l’Agence reste prudente sur la relation de cause à effet entre les deux événements: «  Il n’est pas possible d’établir un lien de causalité entre le décès de ce patient et le problème de conditionnement signalé sur la base des éléments dont l’ANSM dispose actuellement. » Seule, l’investigation en cours et les examens toxicologiques réalisés cette semaine pourront orienter l’enquête pour tenter de savoir si la non-prise du diurétique est à l’origine de l’œdème pulmonaire aigu qui a causé la mort de cet homme de 91 ans.

On n’aurait pas, alors, manqué d’observer que la mécanique semblait avoir parfaitement fonctionné. Les lots de Furosémide TEVA 40 mg concernés par le rappel sont le Y175 (date d’expiration : 08/2015) et le Y176 (date d’expiration : 08/2015), 95 000 boites par lots. Leur vente a été bloquée dès vendredi par l’ANSM en collaboration avec le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens.

Le numéro vert est celui du producteur. Et alors ?

Dans son communiqué, l’ANSM indiquait que les patients traités par du Furosémide Téva 40 mg doivent cesser de prendre ce médicament immédiatement et rapporter leurs boites à leur pharmacien qui leur remettra une nouvelle boîte de traitement. Elle précisait : « Si vous avez un membre de votre famille, un voisin, ou un ami traité par Furosémide ou Lasilix, vous devez le contacter le plus rapidement possible afin de : s’assurer de son état de santé ; lui transmettre l’information contenue dans ce communiqué ». Numéro vert : 0800 51 34 11.

Or il n’a pas fallu longtemps pour découvrir que le numéro vert en question était celui du laboratoire TEVA. Appeler c’est tomber  sur un message du type « Si vous appelez concernant votre diurétique suite à info media, tapez 1, si vous appelez pour questions pharmacovigilance : tapez 2… ». Puis un interlocuteur vous répond.  Le Figaro, qui consacre une large place à l’affaire s’interroge sur l’absence d’information claire concernant l’origine du numéro, ni sur le pourquoi de la non mise en place d’une ligne gérée par les autorités sanitaires, comme ces derniers l’avaient fait pour la « crise pilule ». Réponse de l’ANSM rapporté par le quotidien : «C’est au laboratoire de gérer et d’assumer ses responsabilités». On lira ici la petite mais édifiante enquête consacrée par Slate.fr aux numéros verts sanitaires.

Aucune raison industrielle identifiée

Une inspection du site de conditionnement à Sens (Yonne) diligentée par l’ANSM est en cours pour identifier la cause de l’erreur. La procédure de rappel de certaines boîtes de Furosémide Téva 40 mg avait été lancée par la firme après la découverte de comprimés somnifères  produits par le même laboratoire dans certains emballages.  Pour l’heure la filiale française de TEVA ne s’explique pas son erreur et le déclare publiquement sur différents médias dont France Info par la voix de son président Erik Roche : le problème est limité à «quelques boîtes», moins de «quelques centaines» selon lui. «Nous n’excluons aucune piste car ces deux médicaments ont été conditionnés sur des lignes différentes et à plusieurs semaines d’intervalle, nous n’avons à l’heure où je vous parle trouvé aucune raison industrielle à cette erreur » assure-t-il.

Un nouveau décès, un cas grave, d’autres signalements

Mais le temps passe et, comme toujours dans ces situations, l’affaire s’emballe. On apprenait il y a peu que, selon une information de France 3 Picardie, un autre décès pourrait être lié à la prise de Furosémide. Un retraité alerté par l’affaire du nonagénaire marseillais, a fait le parallèle avec le décès de sa mère mi-mai. Le pharmacien du fils aurait confirmé que les comprimés utilisés par sa mère provenaient des lots incriminés. L’homme est mort après avoir absorbé pendant plusieurs jours le Furosémide Teva 40 mg, provenant d’un des lots incriminés.

Et puis nouvelle étape : à l’heure même où ces lignes sont écrites l’ANSM vient de prendre la décision « par mesure de précaution » de demander aux patients de rapporter chez leur pharmacien toutes les boîtes de Furosémide Teva 40 mg qui leur auraient été délivrées, sans distinction de numéro de lots. « Cette nouvelle mesure intervient après que l’ANSM a reçu lundi matin deux nouveaux signalements de pharmacovigilance (un décès et un cas grave). Pour l’un des cas, le patient semble avoir été traité par le produit incriminé retiré de la vente vendredi (lots Y175 ou Y176). Des investigations sont encore en cours concernant le dernier signalement, afin de déterminer le lot administré. D’autres signalements sont actuellement à l’étude. »

Et maintenant ?

L’ANSM ajoute : les patients traités par Furosémide Teva 40 mg doivent se rendre dés que possible à leur pharmacie. Les pharmaciens leur remettront alors un autre médicament à base de furosémide totalement équivalent afin que leur traitement diurétique soit poursuivi. Par ailleurs  l’Ordre des pharmaciens a demandé aux officinaux d’appeler directement tous les patients à qui ils auraient vendu des boîtes de Furosémide Teva dosé à 40 mg.

Quelle seront les prochaines étapes ? A n’en pas douter, confusion et émotion aidant, de nouvelles attaques en règle contre l’innocuité des médicaments génériques. On espère se tromper. Les faits, juste les faits. Sans oublier de les hiérarchiser.

 

 

 

 

Pilules : enfer sur ordonnance et bouche cousue sur le tabac

L’affaire est loin d’être close. L’ANSM annonce vouloir modifier les règles de prescription des pilules des dernières générations. « Consternée »  CSMF dénonce une « absurdité » et refuse d’obéir. L’Académie de médecine prend position. Les blogueurs commentent souvent de manière virulente. Pendant la polémique on oublie la menace majeure que constitue le tabagisme. Incompréhensible.

 Face à la montée des inquiétudes, l’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm) va demander aux prescripteurs de notifier sur l’ordonnance de pilules contraceptives de nouvelles générations   qu’ils ont bien indiqué les risques encourus à leur patiente. L’affaire est notamment exposée sur le site http://www.egora.fr/ « Pour tenter de rassurer les utilisatrices de pilules contraceptives, l’Ansm a pris deux décisions. A partir de la fin mars, le médecin prescripteur d’une pilule de nouvelle génération ou la sage-femme, devront obligatoirement notifier de manière manuscrite sur l’ordonnance que leur patiente a été informée des risques potentiels de thrombose qu’elle encourait. C’est à cette condition que le pharmacien pourra délivrer le médicament » peut-o lire sur ce site En juin 2013, toutes les boîtes de pilules de nouvelles générations devront contenir, en plus de la notice, une fiche explicative. »

Multiplier à l’infini les formulaires de consentement

Ces initiatives prises sans exposé des motifs ont aussitôt suscité l’ire de la CSMF qui « a pris connaissance avec consternation des décisions des pouvoirs publics et de l’ANSM ».  Rappelons la mesure : désormais, la délivrance de ces pilules sera conditionnée à la confirmation écrite que le médecin prescripteur a bien vérifié que l’état de santé de sa patiente était bien compatible avec ce type de contraceptifs oraux.

La CSMF s’élève « contre l’absurdité d’une telle mesure, qui rend aujourd’hui plus facile de prescrire des produits opiacés qu’un contraceptif ». Elle « dénonce une mesure qui ajoute des complications administratives inacceptables, au seul motif que l’ANSM ne prend pas ses responsabilités dans ce dossier et se construit des alibis, sans mesurer qu’elle porte gravement atteinte à la relation médecin / patient en institutionnalisant la méfiance ». La CSMF « rappelle à l’ANSM qu’en application des règles les plus élémentaires de prescription, le médecin s’assure des antécédents de son patient, de ses allergies et prescrit ce qui correspond le mieux à l’état de santé de celui-ci. C’est évidemment le cas pour les contraceptifs oraux, comme c’est le cas pour tous les autres produits dont les antibiotiques, les chimiothérapies ou l’aspirine ».

Plus grave : « les confirmations écrites exigées par l’ANSM constituent une remise en cause profonde de la prescription en général. S’engager dans cette voie aujourd’hui, conduira, demain, les médecins, ou leurs assureurs, à demander aux patients de signer des formulaires de consentement éclairé pour chaque prescription, et après-demain un juriste ou un avocat tiendra le stylo de chaque prescripteur ». En pratique la CSMF refuse d’entrer dans ce « cycle infernal » et regrette que les pouvoirs publics et les agences de santé « cèdent à la panique » et cherchent avant tout à se protéger. Et, enfin, demande au gouvernement de ne pas faire supporter aux médecins libéraux le poids de ses « contradictions ».

Inverser la charge de la mention manuscrite

Cette mesure coïncide avec celle annoncée au beau milieu de la crise par Marisol Touraine, ministre de la Santé de ne plus rembourser les pilules de 3ème génération qui l’étaient jusqu’alors. L’ANSM s’engage-t-elle là dans  une politique ouvertement destinée à freiner drastiquement la consommation des contraceptions oestroprogestatives de 3è et 4è générations, jugée excessive en France ? Est-il logique de peser sur les prescriptions via le non remboursement et ce qui sera immanquablement perçu de nouvelles contraintes ? Le Quotidien du médecin précise que ce nouveau format de délivrance est actuellement soumis pour validation aux firmes pharmaceutiques, ce que la réglementation nomme période contradictoire. Comme toujours les firmes font silence.

« Nouvelle mention manuscrite sur les prescriptions de pilules de 3ème et 4ème génération : une mesure intéressante, mais perfectible » fait valoir Dominique Dupagne sur son blog www.atoute.org où il lance une pétition. Objectif : que l’ANSM se rende compte rapidement de son erreur et inverse la charge cette mention manuscrite. « Le principe d’une information de la patiente et de la traçabilité de cette information est bon, mais la méthode est mauvaise, fait-il valoir. En effet, ce n’est pas au médecin d’écrire qu’il a bien informé la patiente, c’est à la patiente d’écrire qu’elle a bien été informée par le médecin. Seule la patiente peut réellement attester de la réalité et de la qualité de cette information. Cette procédure est à la fois bien plus fiable, bien plus impliquante (et donc pédagogique) pour la patiente et bien plus simple pour le médecin. » Le Dr Dupagne recueille aussi les signatures de celles et ceux qui « trouvent aussi idiot de faire écrire le médecin que la patiente ».

Pourquoi oublier le risque majeur du tabac ?

 Dernière voix dans ce chapitre : l’Académie de médecine qui vient de publier un communiqué sur le thème « contraception et risque vasculaire » et signé  de Philippe Bouchard, Alfred Spira, Yves Ville, Jacqueline Conard et Régine Sitruk-Ware. On y retrouve une série de dix recommandations de bon sens, la première étant  « l’éducation des médecins et des autres acteurs de la contraception, et information écrite des femmes vis à vis des risques thrombotiques, et de la façon de les reconnaitre ». Dans l’immédiat, les méthodes contraceptives existantes doivent toutes rester disponibles, en harmonie avec les décisions européennes, sous stricte surveillance, avec un renforcement du dépistage des facteurs de risque, et, une information des femmes. C’est là une des retombées majeures de la crise française. C’est seulement à ce prix que la maitrise de la contraception, et la qualité de vie des femmes resteront satisfaisantes et, permettront de diminuer encore le nombre de grossesses non désirées.

Comment comprendre que dans ce concert on ait une fois encore oublié de saisir cette opportunité pour mettre en lumière le risque majeur que constitue la consommation conjointe de tabac, toutes pilules confondues ? C’est là un gâchis majeur que rien ne justifie et qui ne parvient pas décidemment pas à mobiliser.  Sauf à imaginer que l’arrêt du tabac est –aux yeux es autorités sanitaires de la seule responsabilité de la femme. Que cette dernière  est ici pleinement responsable et qu’elle sera, le cas échéant, la coupable. On connaît de meilleures politiques de santé publique.