Cancer J-2 : Hollande social-démocrate osera-t-il s’en prendre au tabac ?

Bonjour

Y a-t-il une politique social-démocrate de lutte contre le cancer du tabac ? A droite Jacques Chirac avait eu le courage d’engager une action volontariste contre le cancer et donc contre le tabac. Il avait été précédé par les socialiste réunis sous le nom du néo-rocardien Claude Evin. Et François Hollande ? Sa réponse sera connue le mardi 4 février autour de midi – après sa présentation des « objectifs et actions » du 3ème Plan Cancer.

Ostensoirs

Cela commencera à 11 h 30, au Palais de la Mutualité à Paris. Sous l’égide de l’Institut national du Cancer ce sera une grande messe laïque, la rencontre solennisée du politique et du sanitaire. Voici l’essentiel de la cérémonie (attention: on n’entre pas si l’on n’est pas accrédité )

« La cinquième édition des « Rencontres de l’Institut national du cancer » se déroulera le 4 février 2014, à la maison de la Mutualité, à Paris. Ces Rencontres auront lieu en présence de Monsieur François HOLLANDE, président de la République, qui nous fera l’honneur de venir y présenter le nouveau Plan Cancer.

La matinée sera consacrée aux collaborations internationales en matière de recherche et aux politiques de santé publique menées notamment dans le champ de la prévention dans différents pays. La journée se poursuivra autour des grandes problématiques sociétales avec tout d’abord, la question de la démocratie sanitaire puis l’analyse des enjeux économiques, professionnels et éthiques du cancer. »

 Fidèles

On connaît ces cérémonies. On y parle beaucoup, cela rassure les fidèles.  On promet de même. Généralement on n’évalue pas les résultats obtenus. Cela pourrait décourager. Cette fois encore on brûlera l’encens de l’espérance -espérance ici moins nourrie par la transcendance que par le Progrès. Le président parlera-t-il du tabac  (1) ? Prolongera-t-on au contraire le pacte avec le Diable ?

 L’homme politique peut tout dire sur le cancer. Ce sont pour l’essentiel des métaphores guerrières. L’ennemi est là mais l’ennemi recule. Nous nous donnons et nous nous donnerons les moyens de vaincre. Nous progressons et nous progresserons encore. L’homme politique aime traiter du cancer en général, rarement en particulier. C’est ainsi que notre Institut national ne traite que « du cancer ». Il en va de même du Plan. C’est, biologiquement et médicalement, une absurdité – une absurdité qui conforte l’idée également absurde d’une absolue fatalité des maladies cancéreuses.

 Coupables

 On peut comprendre l’homme politique : entrer dans la multiplicité cancéreuse c’est, précisément  commencer à établir la cartographie des responsabilités politiques. Responsabilités passées (l’amiante et le mésothéliome pleural malin). Responsabilités présentes et à venir à la fois multiples et croissantes. De ce point de vue le tabac occupe une place de choix dans l’espace politique de santé publique  – une place qui, on le sait, dépasse le champ des cancers pour camper aussi dans l’appareil cardiovasculaire.

 Une place d’autant plus problématique que l’Etat français autorise la commercialisation des produits dérivés du tabac (fabriqués par des multinationales étrangères), qu’il en a le monopole (via ses fidèles buralistes) et qu’il en perçoit les taxes que lui versent des citoyens devenus esclaves de cette drogue. Esclaves que le même Etat incite à briser leurs chaînes sans, bien évidemment, leur en donner les moyens. Esclaves dont un sur deux mourra prématurément de son esclavage. Il mourra souvent du cancer broncho-pulmonaire. Mais sans auparavant avoir été pris en charge – par notre collectivité et à grands frais. A cette aune, et à la lumière de la métaphore de la servitude peut-on raisonnablement parler de « démocratie sanitaire » ? (2)

Schizo

 On connaît cette chanson dira-t-on. C’est celle de la schizophrénie étatique face au tabac. Certes. Et c’est précisément la chanson que l’homme politique ne veut pas entendre. Du moins l’homme politique  quand il est  (novlangue) en responsabilité. Non que l’homme politique soit par nature méchant criminel ou pervers. Mais parce qu’il est comme dépassé par l’ampleur de la réalité et de la tâche à accomplir pour la modifier. Et ce même quand cette réalité est connue, chiffrée et mortifère. Ici 73 000 morts prématurées chaque année (dont 40 000 par cancers). Plus de 200 morts par jour au front d’une guerre acceptée – guerre contre un ennemi avec lequel on a pactisé.

François Hollande osera-t-il ? L’affaire est bien mal partie. Le 4 décembre 2012 il prenait la parole sur le sujet pour annoncer le 3èeme Plan cancer qu’il révèlera le 4 février 2014. Voici ce qu’il déclarait :

 Intimités

« Je m’adresse à vous pour parler d’un sujet où la parole politique est toujours emprunte de gravité et d’humilité lorsqu’elle aborde les aspects les plus intimes, les plus douloureux de la vie de chacun d’entre nous. Le cancer fait partie de ces sujets-là. » (mémoire-blog).

François Hollande oublia alors le tabac. Il y a quelques jours le Pr Bertrand Dautzenberg revenait sur le sujet et accusant les conseillers du président de la République – craintes reprises et amplifiées par le journaliste Jean-Michel Apathie sur RTL (mémoire-blog). Il était question des arbitrages secrets rendus dans les volutes du Palais de l’Elysée par les conseillers du président. Qui l’emporterait de Touraine (Santé) ou de Moscovici (Bercy) ? Quelle aura ici été la marge de manœuvre laissée au Pr Jean-Paul Vernant, spécialiste d’hématologie, officiellement chargé de l’élaboration de ce Plan par le président de la République ?

Croisade solitaire

Le temps passe, les informations manquent. L’Agence France Presse, dans une dépêche de la mi-journée de ce 2 février, annonce que le nouveau Plan, portant sur la période 2014-2018, devrait mettre l’accent sur la lutte contre les inégalités sociales et territoriales face à une maladie qui reste la première cause de décès en France. Et rappelle ses cinq axes : prévention et dépistage ; recherche ; prise en charge du patient ; métiers/formations et pratiques en cancérologie; vie pendant et après le cancer.

« Sur les mesures de lutte contre le tabagisme, la dépêche n’apprend rien, observent les buralistes. Elle laisse la parole à Bertrand Dautzenberg. Très critique sur le 2ème  Plan Cancer (« une catastrophe, en matière de lutte contre le tabac, avec une hausse de 2% du nombre des fumeurs entre 2009 et 2013 »), le président de l’Office français de Prévention du tabagisme continue sa pression.  » Il sera demain matin chez le concurrent de RTL. On observera à quel point il est seul pour mener cette croisade. Pourquoi cette solitude ?

Social-démocratie

Les buralistes eux aussi sont inquiets. « En tout cas, une chose est sûre. La préparation ultime de ce plan se sera faite, pour le moment, dans une absolue discrétion (largement plus efficace que pour la vie privée du Président …), peut-on lire sur www.lemondedutabac.com D’où la multiplication de rumeurs concernant la partie « lutte contre la prévalence tabagique des jeunes ». Toutes aussi invérifiables les unes que les autres. Nouveau choc fiscal ou pas ? Paquets génériques ou pas ? Suppression des linéaires et de la publicité chez les buralistes ou pas ? Prise en compte des réalités du marché parallèle du tabac ou pas … ? »

On peut aller plus loin. Quelle politique française pour la cigarette électronique ? Quels engagements en matière d’augmentation à venir des prix ? Et quid du cannabis ? Remboursement total ou pas des frais inhérents au sevrage tabagique ?

On peut aussi le dire autrement : y a-t-il ou pas une politique française non plus socialiste mais social-démocrate de lutte contre le cancer du tabac ?

 (A demain)

(1) Une lueur d’espérance : l’intervention du président de la République est programmée après la session « La lutte contre le tabagisme dans le monde ». A savoir :

1 Introduction par le Dr Jérôme Viguier, directeur du Pôle Santé publique et Soins à l’Institut national du cancer

2 « Politique britannique de lutte contre le tabac »  Pr Ann McNeill (King’s College, Londres).

3 « Politiques européennes de lutte contre le tabac » Mme Sigrid Wimmer, responsable de la question du tabac à la Commission européenne.

(2) Cela pourrait être une question pour le groupe SOS Addiction que préside le Dr William Lowenstein.

 

 

   

 

Cigarette électronique, scandale de santé publique ? On s’en rapproche

Les données s’accumulent : la e-cigarette peut aider à faire passer le goût du tabac. Pourtant rien ne bouge. Ou rien ne semble bouger. L’OMS a pris position il y a cinq ans et, depuis, attend. En France on « déconseille » tout en attendant la revue bibliographique  demandée par Marisol Touraine au Pr Bertrand Dautzenberg. Une passivité  étonnante quant on connaît l’inquiétude des responsables politiques et des institutions sanitaires face à tout ce qui  peut/pourra être présenté comme un scandale de santé publique. Qui trace  les frontières de l’assuétude volontaire ? 

 

Rappelons le cadre général. Les autorités sanitaires françaises « déconseillent » la cigarette électronique. D’autres pays l’interdisent (le Canada et l’Australie notamment). En France environ un demi-million de personnes ont recours à ce dispositif et le marché se développe. Rien ne permet de dire que ce procédé de substitution au tabac est dangereux pour la santé.  Rien ne permet d’affirmer le contraire. On ne dispose d’aucune donnée épidémiologique  de pharmaco-surveillance et de risques/bénéfices

 Comment des autorités sanitaires peuvent-elles se borner à déconseiller ce procédé ? Soit il est nocif soit il ne l’est pas. Dans le premier cas il doit être interdit. Dans le second, au vu des dégâts considérables dus au tabagisme il doit être évalué et le cas échéant recommandé voire remboursé. Combien de temps avant de trancher ?  Et que se passerait-il dès lors qu’une action en justice serait engagée par des victimes contre l’Etat ? Soit pour avoir laissé en vente un produit dont il est amplement  établi qu’il est nocif. Soit pour ne pas avoir tout mis en œuvre pour briser le cercle d’une dépendance vis-à-vis d’une substance  hautement toxique dont il a le monopole de la distribution et qui est massivement taxé. L’assuétude est-elle ici véritablement volontaire ?

Un phénomène paradoxal

Nous vivons (peut-être) un tournant dans la –déjà- longue histoire de la lutte contre le tabagisme. Un tournant surprenant et paradoxal puisqu’il il ne trouve pas son origine dans une initiative scientifique ou  dans une volonté médicale. Car l’invention de la  cigarette électronique (il y a dix ans, en Chine)  ne s’inscrivait pas, au départ, dans une démarche thérapeutique.

Aujourd’hui une enquête conclut que la cigarette électronique aiderait près de neuf fumeurs sur dix à réduire leurs envies irrépressibles  de fumer. Elle indique aussi  qu’elle aiderait trois fumeurs sur quatre à cesser de consommer du tabac sur des périodes plus ou moins longues.

Cette première enquête a été menée par des chercheurs de l’University of East London. Ses résultats sont publiés dans la revue scientifique Addiction. Question : la e-cigarette (vaping  pour les anglophones) constitue-t-elle un réelle et crédible solution de substitution ?  On trouvera ici un résumé (en anglais) de ce travail. Cette étude a été faite entre septembre 2011 et mai 2012. En pratique elle a concerné 1.347 personnes vivant dans trente-trois pays européens et âgées en moyenne de 43 ans. Parmi elles  70% d’hommes.

E-cigarette : une alternative à la « cigarette non électronique »

 Toutes ont répondu à un questionnaire mis en ligne. Il portait sur leur âge, leur sexe, leur origine ethnique, leur niveau d’éducation ainsi que sur leur pratique tabagique actuelle ou passée. Et encore sur les motifs les incitant à consommer des produits du tabac.  Pour ce qui est de l’e-cigarette, le questionnaire portait sur sa durée d’utilisation, le produit et le type de cartouche, les saveurs préférées, l’importance de l’utilisation (en ml, bouffées et fréquence), les motivations, la dépendance à l’égard de la e-cigarette ainsi que sur les tentatives pour en réduire l’utilisation. Sans oublier  la satisfaction liée à son utilisation.

Il ressort de ce travail que les cigarettes électroniques sont utilisées principalement comme une forme de remplacement de la cigarette. Dans la plupart des cas, leur utilisation permet de réduire et l’envie de fumer et la consommation de tabac. Les auteurs relèvent aussi, point important, l’expression d’un sentiment général : ceux qui y ont recours estiment tous être en meilleure santé. Ce qui constitue, on le sait, la meilleure des publicités.

L’Organisation mondiale de la Santé  (OMS) se refuse quant à elle à considérer les cigarettes électroniques comme des dispositifs inoffensifs permettant d’avancer vers un sevrage tabagique. Elle explique  ne pas disposer de « preuve scientifique » de leur efficacité et de leur innocuité.

« Aucune étude rigoureuse avalisée par de spécialistes »

 « L’OMS n’a connaissance d’aucune preuve scientifique étayant l’affirmation des entreprises qui commercialisent la cigarette électronique, selon laquelle celle-ci pourrait aider les gens à cesser de fumer. En réalité, à notre connaissance, aucune étude rigoureuse avalisée par des spécialistes, n’a été effectuée démontrant que la cigarette électronique est une thérapie sûre et efficace de remplacement de la nicotine, faisait-on savoir au siège genevois de l’Organisation en septembre 2008. L’OMS n’écarte pas la possibilité que la cigarette électronique puisse être utile comme moyen de sevrage. La seule façon de le savoir est de réaliser des tests. »

Et l’OMS de préconiser que ces tests soient effectués et financés par les fabricants. Or ces derniers s’y refusent: pour des raisons financières (coût des essais cliniques) ils  se contentent  du statu quo actuel. Ceci n’est pas une fatalité. Pourquoi la puissance publique ne met-elle pas en place, de sa propre autorité, les essais cliniques qui s’imposent ? Pourquoi l’initiative n’est-elle pas prise – par exemple- à l’échelon d’une Union européenne officiellement en guère contre le tabac et le cancer ?

Rester dans la situation actuelle n’est ni compréhensible, ni acceptable. Cet immobilisme pousse à poser la question des raisons qui pourraient le justifier. Et l’on en vient immanquablement à cette autre question: pourquoi  la même puissance publique  ne se mobilise-t-elle pas pour prendre en charge l’incitation  des fumeurs à en finir avec leur mortifère assuétude. Et pour les soutenir dans une telle démarche.

On n’ose bien sûr imaginer que la fiscalisation massive des produits du tabac puisse être un argument pouvant jouer dans les arbitrages réalisés en haut lieu.

Un milliard de morts prématurées à redouter selon l’OMS

« Première cause de mortalité évitable en France, le tabagisme actif est considéré comme responsable de 90 % des cancers du poumon et de 73 000 décès prématurés chaque année dans notre pays (Catherine Hill. Épidémiologie du tabagisme In La Revue du Praticien, 20 mars 2012). Il tue un adulte sur dix sur la planète où il constitue la deuxième cause de mortalité, explique-t-on de source officielle (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé –Inpes).  En 2011, plus de cinq millions de personnes mourront dans le monde des suites d’un infarctus, d’un accident vasculaire cérébral, d’un cancer, d’une pneumopathie ou d’une autre maladie liée au tabac. Il faut y ajouter les 600 000 personnes qui décéderont – dont plus d’un quart d’enfants – à cause du tabagisme passif. Selon l’OMS, le tabac, qui a fait 100 millions de morts au XXe siècle, pourrait en faire un milliard au XXIe siècle. Le tabagisme est ainsi l’épidémie évitable la plus importante que doit affronter la communauté sanitaire mondiale. »

L’Inpes table sur 73 000 mors prématurées par an en France et l’OMS sur un milliard pour le siècle en cours. Et personne ne s’intéresse à la e-cigarette.

(A suivre, donc).