Bonjour
Plusieurs titres de la presse généraliste viennent d’évoquer les conclusions d’une étude menée en France à l’échelon national. Tous ont titré que ce travail permettait d’affirmer que les substituts nicotiniques actuellement commercialisés chez les femmes enceintes et fumeuses n’étaient pas efficaces. On pouvait titrer nettement mieux : faire œuvre utile tout en déclenchant le geste d’achat.
Pour cela il ne fallait pas s’intéresser aux conclusions de l’étude. Du moins à ses conclusions officielles. On sait de longue date que les substituts nicotiniques ne sont pas d’une redoutable efficacité. C’est même l’objet d’une controverse récurrente qui renvoie au fondamental de la physiopathologie de l’addiction (à la nicotine et/ou au tabac). Conclusion pratique : ce n’est certes pas très efficace mais, faute de merles on se contente des petits oiseaux de bas étage qui passent à portée de l’ordonnancier. Question : de quoi se nourrit-on quand l’ordonnancier n’a plus de cartouches. On siffle ?
Equation tragique
Cette étude nationale française vient d’être publiée dans le British Medical Journal (BMJ). Elle a été coordonnée par le Dr Ivan Berlin de l’hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP). On en trouve un résumé dans la salle de presse virtuelle de l’AP-HP, résumé que l’on peut voir ici. La totalité de la publication du BMJ est disponible ici.
L’équation est d’une simplicité tragique : fumer pendant la grossesse constitue un risque pour la santé de la mère et plus encore pour l’enfant à naitre. Le fait que la mère fume est un danger pour l’enfant qu’elle porte bien au-delà de sa naissance. A l’inverse l’arrêt du tabac pendant la grossesse constitue un bénéfice majeur pour la santé de la mère et de son enfant. Les chiffres sont là, indiscutables : augmentation du poids de naissance, réduction du risque d’accouchement prématuré et des complications périnatales.
Une femme enceinte sur trois fume
D’autres chiffres montrent l’ampleur, généralement ignorée, de ce sujet. En France en 2010, environ 30% des femmes enceintes disaient avoir fumé avant la grossesse, en moyenne dix cigarettes par jour. Environ 17% fumaient au 3ème trimestre de grossesse, ce qui correspond à 137.000 fœtus exposés au tabagisme maternel. Vous pouvez revoir ce nombre : vous avez bien lu.
L’étude SNIPP (Study of Nicotine Patch in Pregnancy) avait pour objectif d’étudier l’efficacité, pendant la grossesse, des patchs utilisés en substituts nicotiniques délivrant la nicotine durant 16 h. Deux critères : le poids du bébé à la naissance et l’abstinence complète de la mère – confirmée par le monoxyde de carbone dans l’air expiré.
Contradictions
Menée dans vingt-trois maternités françaises, cette étude a été « promue par l’AP-HP » et financée par la « Direction générale de la santé ». Aucun conflit d’intérêt. Etude en double aveugle, randomisée versus placebo, réalisée sur l’ensemble du territoire français entre 2007 et 2012. Au total 402 femmes enceintes fumeuses de plus de 18 ans, entre 12 et 20 semaines de grossesse et fumant au moins cinq cigarettes par jour y ont participé.
Les participantes étaient réparties en deux groupes (patch nicotinique ou patch placebo). Obligation éthique contradictoire avec l’objectif visé (mais c’est la loi du genre) : toutes les participantes bénéficiaient pendant leur grossesse d’un suivi personnalisé, mensuel, de sevrage tabagique par des professionnels de santé. La substitution nicotinique était adaptée individuellement à leurs besoins.
Patches = placebos
Conclusion : « comparativement au placebo, les substituts nicotiniques n’augmentent ni l’abstinence des femmes enceintes, ni le poids de naissance des bébés. » (1) Dans les deux groupes, le délai moyen de reprise de la cigarette était de 15 jours. Seules 11 femmes ont complètement arrêté de fumer dans le groupe avec patchs nicotiniques (soit 5,5%), et 10 femmes dans le groupe placebo (soit 5,3%). Par ailleurs, les résultats montrent un poids moyen à la naissance de 3065 g dans le groupe avec patchs nicotiniques et de 3015 g dans le groupe placebo.
Les nouveau-nés des 21 femmes qui étaient totalement abstinentes avaient un poids de naissance significativement plus élevé (3364 g) que les nouveau-nés de femmes qui n’étaient pas abstinentes de façon continue (3021 g).
Pression artérielle
Les auteurs ne souhaitent pas en rester là : ils ont observé une pression artérielle « significativement plus élevée » dans le groupe ayant bénéficié de patchs de nicotine que dans le groupe placebo. Ils souhaitent donc que « le contrôle de la pression artérielle chez les fumeuses enceintes soit intégrée dans les études futures comme critère d’évaluation ».
Pour le Dr Berlin, coordonnateur de l’étude, « ces résultats doivent nous encourager à évaluer de nouvelles approches pour aider les femmes enceintes à arrêter de fumer ». Il estime aussi que le soutien comportemental doit être l’intervention à privilégier pour aider les femmes enceintes à arrêter de fumer ».
Boire et fumer
Le Figaro (Damien Mascret) : « « En 2009, une grande étude australienne avait montré que les fumeuses qui parvenaient à s’abstenir dès le premier trimestre de grossesse revenaient à un risque de base, identique aux non-fumeuses, de donner naissance prématurément à leur enfant ou que celui-ci ait un petit poids de naissance. Il persiste cependant des inégalités sociales, puisque les femmes sont d’autant plus enclines à continuer de fumer qu’elles sont moins éduquées ou sans emploi. Les grosses fumeuses et les femmes qui boivent de l’alcool le sont aussi. En France, 36 % des femmes fument au début de leur grossesse et 20 % continuent jusqu’à l’accouchement.»
Contraire à l’éthique
Le Dr Philippe Presles, tabacologue (2) fait une autre lecture, une lecture autrement plus décapante. Il prend en compte la dimension éthique. Et son propos fait mal.
« Tout le monde analyse les résultats, mais personne ne remet en cause l’étude elle-même, nous explique-t-il Pourtant, sur les 384 bébés nés au terme de ce protocole, 363 ont subi une souffrance fœtale majeure leur faisant perdre 10 % de leur poids. Est-ce éthique de continuer à mettre en place de telles études ? »
Le Dr Presles observe l’inefficacité des conseils de types comportementaux, qui n’ont pas permis d’améliorer les résultats. Ce spécialiste fait une critique de la méthodologie et de observe des « défauts majeurs qui peuvent nous faire douter des conclusions ». C’est la règle. Le principal défaut est que le traitement (placebo ou pas) ne commence qu’après le 3ème mois. Or chacun sait que la véritable motivation de la femme pour abandonner le tabac se situe au moment de la découverte de leur grossesse. « Le prétexte pris pour justifier ce retard est le risque de fœtopathies avec la nicotine, alors que ces femmes fument et sont donc déjà à leur dose maximale de nicotine (puisqu’elles fument à volonté).
Faire mal
Il faudra que les auteurs s’expliquent sur ce point. Mais ce spécialiste va plus loin. Et ce spécialiste fait mal :
« La vraie question est donc selon moi la suivante : cette étude est-elle éthiquement acceptable ? Sur les 384 bébés nés au terme de cette étude, 363 ont subi une souffrance fœtale majeure leur faisant perdre 10 % de leur poids. Pourquoi les a-t-on laissé souffrir de la sorte ? Parce que l’on craignait d’être responsable de leur souffrance si on avait prescrit de la nicotine à leur mère au cours du premier trimestre ? Parce que l’on craignait de leur prescrire trop de nicotine, même si leurs mères continuaient à les intoxiquer avec du monoxyde de carbone ?
A force de réclamer toujours plus d’études pour y voir plus clair, ne finit-on pas par abandonner les patients ? N’est-il pas possible de dire que si des gens vivent dans une décharge, il n’est pas besoin d’études pour connaître les effets de cette vie insalubre et de tout faire pour les sortir de là ? »
De quoi avez-vous peur ?
« Autrement dit, considérons une fois pour toutes que le tabac est une horreur et que toutes les solutions pour aujourd’hui sont bonnes, à condition qu’on les combine pour aboutir au résultat recherché. Au nom de quoi par exemple ne pourrait-on pas conseiller aux femmes enceintes d’essayer la cigarette électronique qui fait tant reculer les ventes de tabac en ce moment ? Et pourquoi ne pourrait-on pas associer des patchs au vapotage si besoin ? De quoi avons-nous peur ? Manifestement pas de la souffrance des bébés, et cela, ce n’est pas éthique. »
Qui répondra au Dr Philippe Presles ? Il y a un an Marisol Touraine, ministre de la Santé fixait le cap de la politique gouvernementale : « la France est le pays d’Europe où les femmes enceintes fument le plus. L’objectif, c’est zéro tabac pendant la grossesse ». Quand, et comment ?
A demain
(1) Cette information peut être mise en parallèle avec cette donnée : l’Assurance Maladie accompagne (relativement) l’arrêt du tabac. Elle rembourse, sur prescription médicale établie par un médecin ou une sage-femme, les traitements par substituts nicotiniques à hauteur de 50 € par année civile et par bénéficiaire. Pour les femmes enceintes, ce montant est porté à 150 € depuis le 1er septembre 2011.
(2) Le Dr Philippe Presles, tabacologue, est le coordinateur de « l’appel des 100 médecins en faveur de la cigarette électronique ». Il est l’auteur de « La cigarette électronique. Enfin la méthode pour arrêter de fumer facilement » (Edition Versilio, 2013)