Cancers de la thyroïde et « abus de traitement » Que va-t-il se passer maintenant ?

Bonjour

Dans son édition du 2 septembre Le Parisien (Claudine Proust) revient sur ce qui aurait, cet été, pu faire « scandale ». Cela donne, en Une du quotidien : « Cancer : des milliers d’opérations inutiles ». Et sur le site : « Cancer : le surdiagnostic en questions » (sur abonnement)En France, des milliers de patients atteints d’un cancer de la thyroïde ont été opérés et soumis à des traitements sévères sans que la gravité de leur cas le justifie.

On connaît l’essentiel. Soit la démonstration faite par le Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC) que l’augmentation depuis vingt ans de l’incidence des cancers de la thyroïde est, pour l’essentiel, la conséquence de surdiagnostics massifs. 1

Sans bénéfices prouvés

La dimension du phénomène semble avoir comme déminé, d’emblée, la dimension « scandaleuse » qui aurait pu lui être conférée : le travail du CIRC établit que plus de 470.000 femmes et 90.000 hommes  ont été victimes d’un surdiagnostic de cancer de la thyroïde en l’espace de 20 ans  – et ce dans douze pays développés (Australie, Danemark, Angleterre, Finlande, France, Italie, Japon, Norvège, République de Corée, Ecosse, Suède et Etats-Unis).

« Des pays comme les Etats-Unis, l’Italie et la France ont été les plus touchés par le surdiagnostic du cancer de la thyroïde depuis les années 1980, après l’introduction des échographies, explique le Pr Salvatore Vaccarella, qui a dirigé ce travail. En France, le surdiagnostic est évalué entre 70 et 80%. Or la majorité des cancers surdiagnostiqués ont été traités par des ablations complètes de la thyroïde, souvent associées à d’autres traitements drastiques, par  chirurgie ou radiothérapie – sans bénéfices prouvés en termes d’amélioration de la survie.

Et maintenant ? L’affaire va-t-elle être médiatiquement reprise, exploitée avant de se « judiciariser » ? Pour l’heure Le Parisien n’est pas dans cette veine. « Cancers : et si on en faisait trop ? » demande-t-il. Le quotidien cite le Pr Martin Schhlumberger, spécialiste d’endocrinologie à l’Institut Gustave-Roussy. Il  tire la sonnette d’alarme : « sortir les carcinomes papillaires de la classification des cancers ». « Ne plus aller chercher des problèmes là où il n’existent pas ». Comprendre (et parvenir à faire comprendre) que le mieux peut être l’ennemi du bien.

Initiatives pédagogiques

Déjà en 2013 une publication du British Medical Journal avait posé les termes du problème 2. Les auteurs expliquaient que  la décision de traiter ce type de lésion devait être prise en concertation avec le patient après qu’il ait reçu une « information éclairée ».

« Surdiagnostics » de « cancers » de la thyroïde ? On attend aujourd’hui, sur un sujet à ce point important et sensible,  quelques initiatives pédagogiques émanant des sociétés savantes concernées. Voire, pourquoi pas, des responsables en charge des innombrables institutions de santé publique.

A demain

1 On peut, sur ce thème, se reporter dans la Revue Médicale Suisse à « Surdiagnostic » de cancer de la thyroïde : 560 000 cas en vingt ans » (Rev Med Suisse 2016;1442-1443).

La communication du CIRC est développée  dans The New England Journal of Medicine : “Worldwide Thyroid-Cancer Epidemic? The Increasing Impact of Overdiagnosis”.  Elle est d’autre part résumée dans le document suivant: “Overdiagnosis is a major driver of the thyroid cancer epidemic: up to 50–90% of thyroid cancers in women in high-income countries estimated to be overdiagnoses

2 Brito JP, et coll. “Thyroid cancer: zealous imaging has increased detection and treatment of low risk tumours”. BMJ 2013. Cette publication avait été analysée sur le site Medscape France (Aude Lecrubier) :« Surdiagnostics des cancers de la thyroïde : faut-il s’en inquiéter ? ».

 

 

Révélation : 560 000 cancers de la thyroïde diagnostiqués depuis vingt ans n’en étaient pas

 

Bonjour

L’affaire fera du bruit. Le Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC/IARC) vient de dénoncer une illusion : l’augmentation, ces vingt dernières années dans les pays développés, de l’incidence des cancers de la thyroïde est, pour l’essentiel, la conséquence de surdiagnostics massifs.

La communication du CIRC renvoie à la publication, ce même jour d’un travail dans The New England Journal of Medicine : “Worldwide Thyroid-Cancer Epidemic? The Increasing Impact of Overdiagnosis”. Elle est d’autre part résumée dans le document suivant: “Overdiagnosis is a major driver of the thyroid cancer epidemic: up to 50–90% of thyroid cancers in women in high-income countries estimated to be overdiagnoses

Douze pays concernés

Ce travail évalue à plus de 470.000 femmes et 90.000 hommes le nombre des personnes qui pourraient avoir fait l’objet d’un surdiagnostic de cancer de la thyroïde en l’espace de 20 ans  – et ce dans douze pays développés (Australie, Danemark, Angleterre, Finlande, France, Italie, Japon, Norvège, République de Corée, Ecosse, Suède et Etats-Unis).

« Des pays comme les Etats-Unis, l’Italie et la France ont été les plus touchées par le surdiagnostic du cancer de la thyroïde depuis les années 1980, après l’introduction des échographies, mais l’exemple le plus récent et le plus frappant est la République de Corée », explique le Pr Salvatore Vaccarella, qui a dirigé l’étude de l’IARC.
Dans des pays comme l’Australie, la France, l’Italie ou les Etats-Unis, le surdiagnostic est évalué entre 70 et 80% par les chercheurs de l’IARC, contre 50% au Japon et dans les pays nordiques.

Thérapeutiques drastiques

La majorité des cancers surdiagnostiqués ont été traités par des ablations complètes de la thyroïde, souvent associées à d’autres traitements drastiques, par  chirurgie ou radiothérapie – sans bénéfices prouvés en terme d’amélioration de la survie.

La question du « surdiagnostic-surtraitement » de ce cancer n’est pas nouvelle mais les chiffres aujourd’hui avancés confèrent une nouvelle dimension à cette affaire.  En 2013 une publication du British Medical Journal avait posé les termes du problème (Brito JP, et coll. Thyroid cancer: zealous imaging has increased detection and treatment of low risk tumours. BMJ 2013). Elel avait alors été analysée sur le site Medscape France (Aude Lecrubier) : « Surdiagnostics des cancers de la thyroïde : faut-il s’en inquiéter ? ». Extraits :

« Les nouvelles performances de l’imagerie médicale alimentent « une épidémie de diagnostics et de traitements de cancers de la thyroïde qui n’auraient pas progressé jusqu’aux symptômes et au décès », indiquent les auteurs du papier, l’endocrinologue Juan Brito et coll. (Mayo Clinic, Rochester, Etats-Unis).

L’échographie, le scanner et l’IRM peuvent détecter des nodules thyroïdiens de moins de 2 mm dont la plupart sont des cancers papillaires, fort peu évolutifs et qui ne nécessitent en général pas de traitement intensif, note le BMJ.

 ‘’Le risque est, en effet, de retirer tous les microcarcinomes, alors qu’ils sont très nombreux et qu’ils ne vont pas forcément évoluer, commente pour Medscape France le Pr Daniele Dehesdin (Médecin cancérologue, chirurgienne maxillo-facial, spécialiste en orl et chirurgie cervico-faciale, CHU Rouen).  Quand on met en parallèle les risques d’une chirurgie thyroïdienne, il faut rester prudent. Lorsqu’il n’y a pas de facteurs de risque qui requièrent d’enlever le nodule immédiatement, il faut réaliser, tous les six mois, une ponction échoguidée à visée cytologique. S’il y a le moindre doute, que le nodule grossi, qu’il a des microcalcifications, ou une vascularisation particulière, il faut l’enlever’’. »

Mesure des conséquences

Pour les auteurs du BMJ la décision de traiter ce type de cancer devait être prise en concertation avec le patient après qu’il ait reçu une information éclairée. Pour aider les patients à choisir le plus sereinement possible entre une surveillance active et un traitement immédiat et intensif certains spécialistes suggèrent d’éviter le terme de « cancer thyroïdien » pour les formes papillaires de diamètre inférieur à 20 millimètres et de les nommer « lésions micropapillaires peu évolutives ».

Reste l’essentiel : les effets délétères de traitements qui n’auraient pas dû être mis en œuvre. On commence seulement à prendre la mesure des conséquences.

A demain

Conflits d’intérêts : le « New England Journal of Medicine » serait-il déjà vendu aux ennemis ?

Bonjour

La chasse au « conflit d’intérêt » restera-t-elle  comme la grande affaire de ce début de siècle ? Une forme de résonance de la Réforme – avec sa redéfinition des péchés sur fond de bûchers et de gibets ? Ce n’est pas impossible. La virulence des guerres de religions, la résurgence de la croyance (1) constituent un terreau favorable à cette quête de transparence, cette recherche sans fin de scientifiques purs, de médecins vaccinés contre l’esprit de lucre.  On sait que la Réforme rencontra quelques résistances. Il en ira de même ici.

Revue Médicale Suisse

Que serions-nous sans nos confrères suisses ? Signé par Bertrand Kiefer le « Bloc notes » du dernier numéro de la Revue médicale suisse (Rev Med Suisse 2015;1368-1368) est édifiant. Et il peut faire mal. . « Conflits dans les conflits d’intérêts ». Extraits :

« Comment gérer les conflits d’intérêt des auteurs d’articles médicaux ? Jusqu’à récemment, les revues tentaient de régler cette question en exigeant la transparence et en interdisant aux auteurs ayant reçu de l’argent de l’industrie, pharmaceutique entre autres, d’écrire des articles de formation. Mais il y a du nouveau. A la surprise générale, la revue star de la médecine, le New England Journal of Medicine, vient de proposer un réexamen de ces contraintes. Et avec de gros moyens. »

Bertrand Kiefer cite ici plusieurs papiers  (« Reconnecting the Dots – Reinterpreting Industy-Physician Relations ») – (« Understanding Bias — The Case for Careful Study ») suivis d’un éditorial du Dr Jeffrey M. Drazen, l’actuel rédacteur en chef de cette Bible médicale : « Revisiting the Commercial –Academic Interface ». Le tout pour, schématiquement, expliquer aux naïfs et autres illuminés qu’il devient quasi impossible de trouver des experts capables d’écrire des articles de revue ou des éditoriaux et qui n’ont pas au moins un peu mouillé leur indépendance dans le bol de l’industrie. C’est un air connu et rien, malheureusement, ne permet de dire que les auteurs chantent totalement faux.

Il faut toutefois y ajouter, comme le précise le rédacteur en chef de la Revue médicale suisse, les voix de trois anciens rédacteurs en chef du même New England qui viennent de signer dans le BMJ un « papier enflammé », rappelant que le New England a été une revue pionnière dans la déclaration des conflits d’intérêts, d’où la particulière gravité que ce soit elle qui initie un mouvement inverse (Steinbrook R, Kassirer JP, Angell M. “Justifying conflicts of interest in medical journals : A very bad idea”). Et, toujours dans le BMJ, la rédactrice en chef  vient à leur rescousse dans un éditorial bien senti (Loder E, Brizzell C, Godlee F.. “Revisiting the commercial-academic interface in medical journals).

Pragmatiques

Comme toujours les Britanniques ne s’embarrassent pas de morale. Ils sont pratiques. Il ne s’agit pas de désigner les « bons » et les « mauvais ». Il en existe des deux côtés. Et n’en déplaise aux intégristes il existe des aussi experts mus pas l’éthique chez ceux qui se trouvent, d’une manière ou d’une autre, rétribués par l’industrie pharmaceutique en particulier, l’industrie en général. Le seul sujet est de savoir si cette certitude  de ne pas être influencé correspond à la réalité… Et tout laisse penser que c’est hautement vraisemblable, à l’échelon conscient ou pas.

Bertrand Kiefer :

« Les trois papiers du New England rappellent aussi les bienfaits qu’apporte l’industrie, l’importance que de nombreux cliniciens collaborent avec elle et la capacité de ceux-ci de faire la part des choses. Seulement voilà : leur raisonnement ne repose sur aucune donnée et ne cite aucun fait nouveau. Ils vont surtout à l’encontre de quantité d’études montrant le rôle des conflits d’intérêts dans le processus d’établissement du savoir médical. Pourquoi cette initiative étrange ? Intérêt (conflictuel) du New England de se faire bien voir de l’industrie ? »

Critiquer la Bible

Aussi invraisemblable que cela pourra paraître à certains, la question ne peut pas être posée. La Bible n’est plus immaculée.

« Il faut en finir, écrivent les uns et les autres, avec la vision idéalisée que les médecins ne sont pas influençables. Comme n’importe quels autres, leurs esprits sont malléables. L’industrie pharmaceutique dépense des dizaines de milliards de dollars en marketing. Elle invite à des congrès, paie des repas, finance des rapports, organise ou sponsorise des colloques. N’imaginons pas une seconde qu’elle financerait tout cela s’il n’en résultait pas une influence mesurable. »

Raison suisse

Certes les médecins sont des adultes, certes ils savent exercer un esprit critique, certes le fait de recevoir de l’argent ne modifie pas forcément leur jugement. Mais tout cela n’est pas une garantie globale, loin de là, alors que le problème et systémique et que les failles connues ne sont en rien des exceptions.

Là encore, la raison vient de Genève :

« Deux phénomènes sont en jeu. D’une part, recevoir un don, un présent, une aide, tisser des relations, c’est se sentir obligé, même inconsciemment. Mauss l’a très bien montré : dans toutes les sociétés, le don entraîne le contre-don. Nous sommes depuis l’origine des temps humains programmés pour cela. D’autre part, autre phénomène, se lier à l’industrie – pharmaceutique ou autre, par exemple celle produisant des outils de chirurgie ou d’imagerie – c’est entrer dans son paradigme. Ici s’organise l’effet le plus insidieux de ces liens : lorsqu’on se trouve dans un monde de pensée, il devient difficile de prendre de la hauteur et de voir qu’il existe d’autres types de réponses, appartenant à des approches différentes. »

« Nous avons besoin d’experts libres, capables de prendre en compte l’ensemble des données à disposition, et de faire les choix en faveur des patients. Nous avons besoin de spécialistes qui pratiquent leur métier et aident l’industrie à faire le sien. Mais ces spécialistes ne sont pas les bonnes personnes pour décider des attitudes pratiques de la communauté. »

Nul ne peut être juge et partie. Même en médecine. C’est ainsi, et cela n’a rien de triste. Sauf, peut-être, pour les vieux et fidèles lecteurs du New England Journal of Medicine.

A demain

Fœtus de fumeuses : l’étude française qui fait presque honte

Bonjour

Plusieurs titres de la presse généraliste viennent d’évoquer les conclusions d’une étude menée en France à l’échelon national. Tous ont titré que ce travail permettait d’affirmer que les substituts nicotiniques actuellement commercialisés chez les femmes enceintes et fumeuses n’étaient pas efficaces. On pouvait titrer nettement mieux : faire œuvre utile tout en déclenchant le geste d’achat.

Pour cela il ne fallait pas  s’intéresser aux conclusions de l’étude. Du moins à ses conclusions officielles. On sait de longue date que les substituts nicotiniques ne sont pas d’une redoutable efficacité. C’est même l’objet d’une controverse récurrente qui renvoie au fondamental de la physiopathologie de l’addiction (à la nicotine et/ou au tabac). Conclusion pratique : ce n’est certes pas très efficace mais, faute de merles on se contente des petits  oiseaux de bas étage qui passent à portée de l’ordonnancier. Question : de quoi se nourrit-on quand l’ordonnancier n’a plus de cartouches. On siffle ?

Equation tragique

Cette étude nationale française vient d’être publiée dans le British Medical Journal (BMJ). Elle a été coordonnée par le Dr Ivan Berlin de l’hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP). On en trouve un résumé dans la salle de presse virtuelle de l’AP-HP, résumé que l’on peut voir ici. La totalité de la publication du BMJ est disponible ici.

L’équation est d’une simplicité tragique : fumer pendant la grossesse constitue un risque pour la santé de la mère et plus encore pour l’enfant à naitre. Le fait que la mère fume est un danger pour l’enfant qu’elle porte bien au-delà de sa naissance. A l’inverse l’arrêt du tabac pendant la grossesse constitue un bénéfice majeur pour la santé de la mère et de son enfant. Les chiffres sont là, indiscutables : augmentation  du poids de naissance, réduction du risque d’accouchement prématuré et des complications périnatales.

Une femme enceinte sur trois fume

D’autres chiffres montrent l’ampleur, généralement ignorée, de ce sujet. En France en 2010, environ 30% des femmes enceintes disaient avoir fumé avant la grossesse, en moyenne dix cigarettes par jour. Environ 17% fumaient au 3ème trimestre de grossesse, ce qui correspond à 137.000 fœtus exposés au tabagisme maternel. Vous pouvez revoir ce nombre : vous avez bien lu.

L’étude SNIPP (Study of Nicotine Patch in Pregnancy) avait pour objectif d’étudier l’efficacité, pendant la grossesse, des patchs utilisés en substituts nicotiniques délivrant la nicotine durant 16 h. Deux critères : le poids du bébé à la naissance et l’abstinence complète de la mère – confirmée par le monoxyde de carbone dans l’air expiré.

Contradictions

Menée dans vingt-trois  maternités françaises, cette étude a été « promue par l’AP-HP » et financée par la « Direction générale de la santé ». Aucun conflit d’intérêt.  Etude en double aveugle, randomisée versus placebo, réalisée sur l’ensemble du territoire français entre 2007 et 2012. Au total 402 femmes enceintes fumeuses de plus de 18 ans, entre 12 et 20 semaines de grossesse et fumant au moins cinq cigarettes par jour y ont participé.

Les participantes étaient réparties en deux groupes (patch nicotinique ou patch placebo). Obligation éthique contradictoire avec l’objectif visé (mais c’est la loi du genre) : toutes les participantes bénéficiaient pendant leur grossesse d’un suivi personnalisé, mensuel, de sevrage tabagique par des professionnels de santé. La  substitution nicotinique était adaptée individuellement  à leurs besoins.

Patches = placebos

Conclusion : « comparativement au placebo, les substituts nicotiniques n’augmentent ni l’abstinence des femmes enceintes, ni le poids de naissance des bébés. » (1)  Dans les deux groupes, le délai moyen de reprise de la cigarette était de 15 jours. Seules 11 femmes ont complètement arrêté de fumer dans le groupe avec patchs nicotiniques (soit 5,5%), et 10 femmes dans le groupe placebo (soit 5,3%). Par ailleurs, les résultats montrent un poids moyen à la naissance de 3065 g dans le groupe avec patchs nicotiniques et de 3015 g dans le groupe placebo.

Les nouveau-nés des 21 femmes qui étaient totalement abstinentes avaient un poids de naissance significativement plus élevé (3364 g) que les nouveau-nés de femmes qui n’étaient pas abstinentes de façon continue (3021 g).

Pression artérielle

Les auteurs ne souhaitent pas en rester là : ils ont observé une pression artérielle « significativement plus élevée » dans le groupe ayant bénéficié de patchs de nicotine que dans le groupe placebo. Ils souhaitent donc que « le contrôle de la pression artérielle chez les fumeuses enceintes soit intégrée dans les études futures comme critère d’évaluation ».

Pour le Dr Berlin, coordonnateur de l’étude, « ces résultats doivent nous encourager à évaluer de nouvelles approches pour aider les femmes enceintes à arrêter de fumer ». Il estime aussi que le soutien comportemental doit être l’intervention à privilégier pour aider les femmes enceintes à arrêter de fumer ».

Boire et fumer

Le Figaro (Damien Mascret) : « « En 2009, une grande étude australienne avait montré que les fumeuses qui parvenaient à s’abstenir dès le premier trimestre de grossesse revenaient à un risque de base, identique aux non-fumeuses, de donner naissance prématurément à leur enfant ou que celui-ci ait un petit poids de naissance. Il persiste cependant des inégalités sociales, puisque les femmes sont d’autant plus enclines à continuer de fumer qu’elles sont moins éduquées ou sans emploi. Les grosses fumeuses et les femmes qui boivent de l’alcool le sont aussi. En France, 36 % des femmes fument au début de leur grossesse et 20 % continuent jusqu’à l’accouchement.»

Contraire à l’éthique

Le Dr Philippe Presles, tabacologue (2) fait une autre lecture, une lecture autrement plus décapante. Il prend en compte la dimension éthique. Et son propos fait mal.

« Tout le monde analyse les résultats,  mais personne ne remet en cause l’étude elle-même, nous explique-t-il  Pourtant, sur les 384 bébés nés au terme de ce protocole, 363 ont subi une souffrance fœtale majeure leur faisant perdre 10 % de leur poids. Est-ce éthique de continuer à mettre en place de telles études ? »

Le Dr Presles observe l’inefficacité des conseils de types comportementaux, qui n’ont pas permis d’améliorer les résultats. Ce spécialiste fait une critique de la méthodologie et de observe des « défauts majeurs qui peuvent nous faire douter des conclusions ». C’est la règle. Le principal défaut est que le traitement (placebo ou pas) ne commence qu’après le 3ème mois. Or chacun sait que la véritable motivation de la femme pour abandonner le tabac se situe au moment de la découverte de leur grossesse. « Le prétexte pris pour justifier ce retard est le risque de fœtopathies avec la nicotine, alors que ces femmes fument et sont donc déjà à leur dose maximale de nicotine (puisqu’elles fument à volonté).

Faire mal

Il faudra que les auteurs s’expliquent sur ce point. Mais ce spécialiste va plus loin.  Et ce spécialiste fait mal :

«  La vraie question est donc selon moi la suivante : cette étude est-elle éthiquement acceptable ?  Sur les 384 bébés nés au terme de cette étude, 363 ont subi une souffrance fœtale majeure leur faisant perdre 10 % de leur poids. Pourquoi les a-t-on laissé souffrir de la sorte ? Parce que l’on craignait d’être responsable de leur souffrance si on avait prescrit de la nicotine à leur mère au cours du premier trimestre ? Parce que l’on craignait de leur prescrire trop de nicotine, même si leurs mères continuaient à les intoxiquer avec du monoxyde de carbone ?

A force de réclamer toujours plus d’études pour y voir plus clair, ne finit-on pas par abandonner les patients ? N’est-il pas possible de dire que si des gens vivent dans une décharge, il n’est pas besoin d’études pour connaître les effets de cette vie insalubre et de tout faire pour les sortir de là ? »

De quoi avez-vous peur ?

« Autrement dit, considérons une fois pour toutes que le tabac est une horreur et que toutes les solutions pour aujourd’hui sont bonnes, à condition qu’on les combine pour aboutir au résultat recherché. Au nom de quoi par exemple ne pourrait-on pas conseiller aux femmes enceintes d’essayer la cigarette électronique qui fait tant reculer les ventes de tabac en ce moment ? Et pourquoi ne pourrait-on pas associer des patchs au vapotage si besoin ? De quoi avons-nous peur ? Manifestement pas de la souffrance des bébés, et cela, ce n’est pas éthique. »

Qui répondra au Dr Philippe Presles ? Il y a un an Marisol Touraine, ministre de la Santé fixait  le cap de la politique gouvernementale : « la France est le pays d’Europe où les femmes enceintes fument le plus. L’objectif, c’est zéro tabac pendant la grossesse ». Quand, et comment ?

A demain

(1) Cette information peut être mise en parallèle avec cette donnée : l’Assurance Maladie accompagne (relativement) l’arrêt du tabac. Elle rembourse, sur prescription médicale établie par un médecin ou une sage-femme, les traitements par substituts nicotiniques à hauteur de 50 € par année civile et par bénéficiaire. Pour les femmes enceintes, ce montant est porté à 150 € depuis le 1er septembre 2011.

(2) Le Dr Philippe Presles, tabacologue, est le coordinateur de « l’appel des 100 médecins en faveur de la cigarette électronique ». Il est l’auteur de « La cigarette électronique. Enfin la méthode pour arrêter de fumer facilement » (Edition Versilio, 2013)

A(H7N9) : une veillée d’arme « exceptionnelle »

Pandémie ou pas ? Les informations en provenance de Chine ne permettent pas encore de trancher. Les médias n’ont pas les éléments pour réagir comme ils le firent lors de l’émergence du H5N1 ou du H1N1. Ou ils en ont trop.

Les organisations internationales (OIE, OMS, FAO, OMC) prennent position sur les tarmacs sanitaires et médiatiques. Une bien drôle de guerre, comme un balcon en forêt. Sans troupes allemandes certes ; mais avec un possible virus pandémique chinois.

Et, chez Gallimard, hasard ou fatalité, un ouvrage majeur de l’historien (EHESP) Patrick Zylberman (1)

 

En ce début d’avril 2013 le citoyen (journaliste ou pas) qui s’intéresse à l’actuel bouillonnement virologique A(H7N) a trois sources d’information (gratuites) à sa disposition. Soit l’OMS, que l’on retrouve ici. Soit l’OIE, ici-même. Et encore la FAO, en cliquant ici.

Trois sources on ne peut plus prolixes mais, au final, bien peu de certitudes en provenance de Chine. Une Chine qui fait pourtant preuve d’une transparence remarquable pour qui se souvient des brouillards du SRAS. Ainsi ce que transmet à Genève la Commission de la santé et de la planification familiale chinoise a notifié à l’OMSdix cas confirmés en laboratoire d’infection humaine par le virus grippal A(H7N9) supplémentaires.

un homme de 70 ans originaire du Jiangsu et tombé malade le 29 mars 2013; un homme de 74 ans originaire du Jiangsu et tombé malade le 2 avril 2013; un homme de 65 ans originaire du Zhejiang et tombé malade le 3 avril 2013; une femme de 76 ans originaire de Shanghai et tombée malade le 1er avril 2013; une femme de 81 ans originaire de Shanghai et tombée malade le 4 avril 2013; un homme de 74 ans originaire de Shanghai et tombé malade le 11 avril 2013; une femme de 83 ans originaire de Shanghai et tombée malade le 2 avril 2013; un homme de 68 ans originaire de Shanghai et tombé malade le 4 avril 2013; un homme de 31 ans originaire du Jiangsu et tombé malade le 31 mars 2013 et un homme de 56 ans originaire du Jiangsu et tombé malade le 3 avril 2013.

Soit, à ce jour, un nombre de cas d’infection par le virus grippal A(H7N9) confirmés en laboratoire en Chine de 38 au total, parmi lesquels 10 décès, 19 cas sévères et 9 cas bénins. « Plus de 760 contacts proches des cas confirmés font l’objet d’une surveillance étroite, ajoute Pékin. Le gouvernement chinois enquête activement sur cet événement et a relevé le niveau de surveillance. Des analyses rétrospectives sur des prélèvements provenant de cas récemment signalés d’infection respiratoire sévère pourraient révéler des cas supplémentaires, passés inaperçus précédemment. Un groupe de travail intergouvernemental spécial a été formellement établi et sa coordination a été confiée à la Commission nationale de la santé et de la planification familiale, au Ministère de l’agriculture et à d’autres ministères clés. Le secteur de la santé animale a intensifié ses investigations sur les sources et les réservoirs possibles du virus. » À l’heure actuelle l’OMS assure  ne disposer d’aucune preuve d’une transmission interhumaine en cours.

Tamiflu toujours en question

L’OMS nous rassure autant que faire se peut : le siège suisse est en contact avec les autorités nationales et suit de près cet événement. Il coordonne la réponse internationale et organise la coopération avec les centres collaborateurs OMS de référence et de recherche pour la grippe et d’autres partenaires pour s’assurer de la disponibilité des informations et de la mise au point de matériels destinés au diagnostic et au traitement de la maladie et au développement de vaccins. Mais le fait est là : aucun vaccin n’est actuellement disponible pour ce sous-type de virus grippal. Les résultats d’essais préliminaires fournis par le Centre collaborateur de l’OMS en Chine laissent à penser qu’il est sensible aux inhibiteurs de la neuraminidase (oseltamivir et zanamivir). La multinationale Roche doit être en première ligne pour assurer les précieuses livraisons. Et ce alors même que comme le rappelle le BMJ le dossier du Tamiflu continue à poser question.

FAO n’est pas en reste qui insiste aujourd’hui « sur la nécessité d’adopter des mesures de biosécurité drastiques ». « Contrairement à d’autres souches, y compris celle de la grippe aviaire H5N1, hautement pathogène, ce nouveau virus est difficile à détecter chez les volailles parce que les animaux montrent peu – voire aucun – signe de maladie » souligne-t-on à Rome.  Où l’on n’oublie pas le langage diplomatique indispensable avec une telle puissance : « la FAO félicite la Chine pour avoir fait rapidement état des cas observés chez l’homme et pour avoir informé l’opinion publique en détail sur la nature du virus et avoir pris d’autres mesures de précaution. Grâce à ces informations, la FAO et la communauté scientifique internationale peuvent analyser la séquence virale dans l’espoir de mieux comprendre le comportement du virus et son incidence potentielle chez les êtres humains et chez les animaux. »

Soit, en pratique, six recommandations

1 Tenir toutes les volailles et tous les animaux d’élevage à l’écart des zones d’habitation. Un contact direct avec des animaux infectés peut mettre les personnes en danger. Cette séparation entre animaux et êtres humains est cruciale dans la mesure où la grippe A(H7N9) déclenche peu, voire aucun, signe de maladie chez les volatiles.

2 Tenir les oiseaux sauvages éloignés des volailles et des autres animaux, séparer les différentes espèces de volailles et d’animaux. Pour séparer les espèces et limiter les risques de transmission, il est possible d’utiliser des écrans, des clôtures ou des filets.

3 Signaler tout animal malade ou mort aux autorités vétérinaires (ou de santé publique) locales. Si ce n’est pas possible, informer vos voisins et les représentants de la collectivité. Il est important que tous les signes de maladie ou de morts subites et inexpliquées de volailles, d’oiseaux d’élevage, d’oiseaux sauvages ou d’autres animaux soient rapportés aux autorités pour permettre à ces dernières d’y remédier et de stopper la propagation du virus.

4 Se laver souvent les mains pour tuer le virus. Et se laver systématiquement les mains après avoir été en contact avec des oiseaux, volailles ou autres animaux, après avoir préparé et cuisiné des produits d’origine animale, et avant de manger.

Consommer des produits carnés bien cuits. Ne jamais consommer d’animaux malades ou morts de maladie, et ne jamais les donner ou les vendre. Ces animaux ne doivent pas non plus servir à alimenter d’autres animaux.

6 Demander immédiatement conseil à un médecin si vous avez de la fièvre après avoir été en contact avec des volailles, des oiseaux d’élevage, des oiseaux sauvages ou d’autres animaux.

S’il est confirmé que cette grippe d’origine animale menace la santé humaine, l’élimination des animaux atteints apparaît comme la solution appropriée à condition d’être réalisée de manière humaine et que les éleveurs concernés touchent des compensations appropriées

Le CDC chinois – aidé d’un maillage dense d’un réseau de surveillance des maladies respiratoires – a rapidement procédé à une analyse virale détaillée et a conclu qu’il s’agissait d’une nouvelle forme du virus H7N9, différente de celle connue jusqu’alors. Ce virus avait déjà sévit en effet dans le pays entre 2003 et 2009 – avec un maximum de 6 décès annuels en 2006 – pour un total de 25 morts. En 2008, un virus H7N9 avait été isolé en Mongolie mais n’avait pas été considéré comme très pathogène  Ce virus est doté d’un potentiel pandémique puisque la population humaine n’a pas été exposée massivement par le passé aux virus H7 ou N9 et ne possède donc pas des anticorps dirigés contre ce virus.

Pour sa part le site Medscape rappelle, en France, que  tout a commencé à la mi-mars, avec dans un premier temps la détection de trois cas de décès d’origine inconnue à Shanghai et dans la province de Anhui. Ces personnes jeunes (45 et 48 ans) ou moins jeunes (83 ans) étaient mortes des suites d’une infection respiratoire basse foudroyante. Seule une d’entre elles étaient en contact avec de la volaille.  Ces trois premiers cas viennent de faire font l’objet d’une publication dans The New England Journal of Medicine.

 Editorial de Nature

« Le gène de la protéine N de ce virus est similaire à celui d’une souche H11N9 isolée en Corée en 2011, en Chine en 2010 et en république tchèque en 2005, toutes des souches aviaires, précise Medscape. Celui de la protéine H a déjà été isolé lui aussi dans des souches aviaires. Il semble donc que le virus soit purement aviaire, contrairement au virus H1N1 qui était le fruit d’un réarrangement entre des virus aviaires, porcins et humains. Le séquençage montre aussi que le virus H7N9 a acquis une mutation spécifique qui lui permet de se fixer au niveau des cellules pulmonaires humaines par le biais d’un récepteur. C’est l’absence de contacts précédents chez l’homme – donc d’antigénicité contre ce virus – qui fait tout le potentiel pathogène de ce virus. Reste que pour l’instant il semble peu transmissible d’homme à homme mais c’est une donnée qu’il va falloir particulièrement surveiller dans les jours à venir.

A l’heure actuelle, aucun vaccin pré-pandémique H7N9 n’a été développé. Pour autant six vaccins  spécifiquement dirigés contre H7 (H7N2, H7N7, H7N3, H7N1) sont en cours de développement.Le 2 avril, un éditorial est paru dans la revue Nature (2) soulignant le potentiel pandémique de ce virus.

Quête obsessionnelle médiatique du malheur

L’OIE annonce elle aussi qu’elle est aujourd’hui « pleinement engagée » dans l’effort mondial collectif pour gérer ce nouveau risque. L’OIE rappelle que lors de la crise précédente (et sans précédent) due au virus H5N1 elle a géré des banques régionales de vaccins. Aujourd’hui elle « souhaite faire profiter la communauté mondiale de son expérience dans ce domaine ». En sachant que la  disponibilité d’un vaccin efficace pour protéger les volailles du virus A(H7N9) en quantités appropriées « pourrait prendre quelques temps ». Du maniement international de l’euphémisme en quelque sorte. Une part importante, essentielle, du travail de cette organisation consiste, dans le même temps, à élaborer par les normes indispensables pour se protéger de l’introduction de maladies et d’agents pathogènes par le biais des échanges commerciaux d’animaux et de leurs produits. Le tout « sans pour autant instaurer des barrières sanitaires injustifiées ». Qui fait ici la part de ce qui est juste et de ce qui ne l’est plus ? L’OIE ne nous le dit pas.

« Selon l’information disponible aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation assez exceptionnelle nous a déclaré le Directeur général de l’OIE, Dr Bernard Vallat.  J’entend par  exceptionnel  ce qui n’est pas habituel : un influenza d’origine aviaire qui infecterait l’homme sans symptôme chez les oiseaux. »

Fatalité ou hasard ? « Tout concourt aujourd’hui à exalter la logique du pire sur laquelle s’appuie l’intelligence de la terreur biologique » nous prévient Patrick Zylberman l’historien dans l’avant-propos de ses Tempêtes. Une logique du pire qui n’est pas sans faire songer à cette quête médiatique obsessionnelle du malheur qui caractérise les temps que nous traversons, souvent en compagnie de journalistes, historiens de l’instant.

(1) Zylberman P. Tempêtes microbiennes. Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique, Paris Editions Gallimard, Collection NRF Essais, 2013. Nous y reviendrons

(2) http://www.nature.com/news/novel-bird-flu-kills-2-in-china-1.12728