Leucémies et électricité : les troublantes recommandations sur les Lignes à Haute Tension

Bonjour

Alors ? Dangereuses ou pas ? On ne le saura pas. Ou du moins pas de sitôt. Telle est la principale conclusion d’un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) – « avis du 5 avril rendu public vendredi 21 juin » : « Effets sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques basses fréquences ».

Nous sommes ici aux confins des inquiétudes de l’exécutif, de l’invisible et de la réduction des risques. Six ans de travail. L’Anses avait été saisie le 27 février 2013 par les ministères en charge de la santé, du travail, de l’environnement et de l’agriculture. Deux missions. D’abord approfondir l’expertise scientifique relative aux conséquences sur la santé animale et les performances zootechniques de l’exposition aux champs électromagnétiques basses fréquences. Ensuite réaliser une mise à jour de l’expertise scientifique sur les effets sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques basses fréquences, pour la population générale et les travailleurs.

Cœur du sujet, en 2013 : l’étude Géocap (Sermage-Faure et al. 2013), dont l’objectif était d’étudier l’influence de différentes expositions environnementales en France sur le risque de cancer de l’enfant. Elle avait « mis en évidence », chez les enfants âgés de moins de 5 ans, une association statistiquement significative entre le fait d’habiter à moins de 50 m de l’aplomb d’une ligne de transport d’électricité à très haute tension (supérieure à 225 kV) et le risque de développer une leucémie infantile. C’était une nouvelle étude épidémiologique sur un vieux sujet à très haut potentiel polémique.

« Ce n’était pas la première, tant s’en faut, à mettre en évidence une telle association, mais d’autres enquêtes épidémiologiques donnent des résultats contradictoires, se souvient Le Monde (Stéphane Foucart). La co-saisine par le ministère de l’agriculture était justifiée par les suspicions d’effets délétères sur les animaux d’élevage. L’Anses a abordé cet aspect dans un rapport précédent, rendu en 2015, qui ne mettait pas en évidence de liens. »

Où en sommes nous, six ans plus tard ?  « S’agissant des suspicions d’effets sur les humains, nous avons voulu passer en revue l’ensemble de la littérature sur le sujet, des études menées in vitro ou sur l’animal, aux études épidémiologiques disponibles, précise Olivier Merckel, chef de l’unité Agents physiques, nouvelles technologies et grands aménagements à l’Anses. Plusieurs ont été publiées depuis 2010 et trouvent plutôt moins fréquemment de lien entre lignes à haute tension et leucémies infantiles que les études plus anciennes, mais un certain nombre d’entre elles indiquent toutefois une association. »

L’angoisse des « gueules noires » de Moselle

En 2010, l’Anses soulignait « la convergence d’études épidémiologiques » qui montraient une association entre la survenue de leucémie infantile et l’exposition aux champs magnétiques basses fréquences à des niveaux supérieurs à 0,2 µT ou 0,4 µT [microTesla]. Au regard des nouvelles données, l’Agence confirme le niveau de preuve « limité » associé à cet effet à long terme.  Dans le cadre de cette expertise, l’Anses explique avoir  financé une étude afin de quantifier la part de la population française, et plus spécifiquement les enfants, exposée à de tels niveaux de champs émis par une ligne à haute tension. Cette étude a été menée par une équipe de l’Inserm et du CHU de Caen. Elle indique qu’environ 40 000 enfants de moins de 15 ans (0,35 % de la population) sont exposés à leur domicile à un champ magnétique supérieur à 0,4 µT, et environ 8 000 enfants (0,18 %) sont scolarisés dans une école exposée à un champ magnétique supérieur à 0,4 µT.

Mais encore ? Considérant l’ensemble de ces résultats, l’Agence « réitère sa recommandation de limiter, par précaution, le nombre de personnes sensibles exposées autour des lignes à hautes tension ainsi que les expositions ». À ce titre, elle recommande « de ne pas installer ou aménager de nouveaux établissements accueillant des personnes sensibles (hôpitaux, écoles…) à proximité immédiate des lignes à très haute tension, ni d’implanter de nouvelles lignes au-dessus de tels établissements ».

Ce n’est pas tout. A des niveaux d’exposition élevés (pouvant être rencontrés en milieu professionnel) des études expérimentales ont mis en évidence la possibilité de certains « effets biologiques » (« stress oxydant, effets génotoxiques, effets sur la physiologie cellulaire »). S’alarmer ? Pas vraiment : l’Anses indique que les études épidémiologiques « sont trop hétérogènes pour établir un lien entre l’exposition professionnelle et l’apparition de pathologies chroniques, en particulier maladies neurodégénératives et tumeurs du système nerveux ». Que faire ? « Il apparaît nécessaire de poursuivre les recherches concernant le risque éventuel de pathologies associées à l’exposition aux champs magnétiques basses fréquences » répond l’Agence.

Et cette dernière « d’attirer l’attention sur les cas d’exposition de la femme enceinte au travail ». Pourquoi ? Car « il a été montré que dans certains scénarios d’exposition professionnelle, la densité de courant induite chez le fœtus peut être supérieure aux valeurs limites recommandées pour la population générale ». L’Anses recommande donc « de mieux informer et sensibiliser les femmes sur les dispositions réglementaires d’aménagement de leur poste de travail lorsqu’elles sont enceintes, afin de limiter l’exposition du fœtus aux champs électromagnétiques basses fréquences ».

21 juin 2019. Le jour même de la publication de cet avis, Le Monde (Patricia Jolly) nous apprend que la veille, lors d’une audience à la chambre sociale de la Cour de cassation réunie en formation plénière, l’avocate générale, Catherine Courcol-Bouchard, a requis le rejet du pourvoi formé par ces « gueules noires » de Moselle contre une décision de la cour d’appel de Metz de 2017. Plus de 700 mineurs exposés à un cocktail de produits toxiques et cancérogènes durant toute leur carrière professionnelle, vivent dans la peur de tomber malade à tout moment. Ils réclament justice depuis juin 2013.

On ne tirera bien évidemment aucune conclusion de ce qui n’est qu’une coïncidence : l’Anses venait alors d’être saisie par les ministères en charge de la santé, du travail, de l’environnement et de l’agriculture inquiets des possibles effets délétères de l’électricité sur les animaux et sur les jeunes humains.

A demain @jynau