Bonjour
Nouvel épisode de la grande série « alimentation, communication et grande confusion ». Dans un article du British Medical Journal,1 des chercheurs français (Inserm, Inra, Université Paris 13, Cnam) « rapportent un risque accru de maladies cardiovasculaires chez les consommateurs d’aliments ultra-transformés ». Vaste travail. Conclusions potentiellement inquiétantes. Mais « cette étude observationnelle ne permet pas à elle seule de conclure à un lien de cause à effet ». Pourquoi dès lors ce long communiqué de presse (de l’Inserm) sinon pour aguicher les médias ?
La série continue : on se souvient de l’épisode précédent avec les aliments « bio » et le cancer. Publication du JAMA 2 qui avait donné lieu à un communiqué de presse criticable (de l’INRA) , une manchette plus que déplacée (« L’alimentation bio réduit significativement les risques de cancer’’ Le Monde), quelques syllogismes journalistiques, une mise au point académique suivie d’une autre, bienvenue, de notre collègue blogueur Hervé Maisonneuve.
Dans les deux cas l’étude NutriNet-Santé et le même contexte sociéto-médical. Durant les dernières décennies, les habitudes alimentaires se sont modifiées dans le sens d’une augmentation de la consommation d’aliments ultra-transformés 3. Ils contribuent aujourd’hui à plus de la moitié des apports énergétiques dans de nombreux pays occidentaux. Ils se caractérisent souvent par une qualité nutritionnelle plus faible, mais aussi par la présence d’additifs alimentaires, de composés néoformés et de composés provenant des emballages et autres matériaux de contact. Et dans le même temps on voit un engouement croissant pour le « bio » qui, souvent, n’en a que le nom (lire sur ce thème la remarquable pétition hébergée par Libération). Argumentaire, aujourd’hui, de l’Inserm :
« Des études récentes ont montré des associations entre la consommation d’aliments ultra-transformés et un risque accru de dyslipidémies, de surpoids, d’obésité, et d’hypertension artérielle. Les chercheurs de l’équipe EREN ont également déjà observé des associations entre la consommation d’aliments ultra-transformés et les risques de cancer, de mortalité, de symptômes dépressifs, et de troubles fonctionnels digestifs mais aucune étude épidémiologique n’avait, à ce jour, investigué les relations entre la consommation de ces aliments et le risque de maladies cardiovasculaires. C’est désormais chose faite grâce à ce travail réalisé dans le cadre de la cohorte NutriNet-Santé, par l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, plus spécifiquement par le Dr Bernard Srour (Epidémiologiste, doctorant), sous la direction du Dr Mathilde Touvier (Directrice de Recherche Inserm, directrice de l’équipe), en collaboration avec l’Université de Sao Paulo au Brésil. »
« Au cours du suivi, la consommation d’aliments ultra-transformés s’est révélée être associée à un risque plus élevé de maladies cardiovasculaires (n = 1 409 cas sur les 105 159 participants), et en particulier de maladies coronariennes (n=665 cas) et de maladies cérébro-vasculaires (n=829 cas). Une augmentation absolue de 10% de la part d’aliments ultra-transformés dans le régime (par exemple, en comparant deux individus consommant respectivement 15% et 25% de leurs aliments sous forme ultra-transformée) était associée à une augmentation de 12% de risque de maladies cardiovasculaires au global (13% pour les maladies coronariennes et 11% pour les maladies cérébro-vasculaires). »
Pour autant, donc, « cette étude observationnelle ne permet pas à elle seule de conclure à un lien de cause à effet ». Qui plus est, « les résultats obtenus montrent également que la moins bonne qualité nutritionnelle globale des aliments ultra-transformés ne serait pas le seul facteur impliqué dans cette relation ». Dès lors verra-t-on titrer « Les aliments ultra-transformés augmentent significativement les risques de souffrir du cœur et des vaisseaux cérébraux» ?
A demain
1 Ultra-processed food intake and risk of cardiovascular disease: a prospective cohort study (NutriNet-Santé). Bernard Srour, Léopold Fezeu, Emmanuelle Kesse-Guyot, Benjamin Allès, Caroline Méjean, Roland Andrianasolo, Eloi Chazelas, Mélanie Deschasaux, Serge Hercberg, Pilar Galan, Carlos Monteiro, Chantal Julia et Mathilde Touvier. British Medical Journal, BMJ : http://dx.doi.org/10.1136/bmj.l1451
2 The frequency of organic food consumption is inversely associated with cancer risk: results from the NutriNet-Santé prospective Cohort. Julia Baudry, Karen E. Assmann, Mathilde Touvier, Benjamin Allès, Louise Seconda, Paule Latino-Martel, Khaled Ezzedine, Pilar Galan, Serge Hercberg, Denis Lairon & Emmanuelle Kesse-Guyot. JAMA Internal Medicine. 22 octobre 2018
3 « Aliments ultra-transformés : de quoi parle-t-on ? » Anthony Fardet (Université Clermont Auvergne) The Conversation, 29 mai 2019.