Bonjour
« 1,6 million de fumeurs en moins » : on sait que rien ne permet de l’affirmer 1 – mais c’est désormais le chiffre officiel repris en cœur depuis mars dernier par la quasi-totalité de la sphère médiatique nationale. On le retrouve aujourd’hui en tête de l’éditorial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire ; un texte signé de François Bourdillon Directeur Général de Santé Publique France 2.
« 1,6 million de fumeurs en
moins en deux ans, tels sont les résultats issus des Baromètres annuels de
Santé publique France. Il s’agit d’une baisse d’ampleur inédite, de l’ordre de
12% en deux ans. Après plusieurs années de stabilité, la prévalence du
tabagisme, qui avait diminué d’un million entre 2016 et 20171 ,
poursuit sa baisse avec 600 000 fumeurs en moins entre
2017 et 2018. La prévalence du tabagisme quotidien est, en 2018, de
25,4% ; elle a baissé de 4 points en deux ans. Il faut comprendre que
1,6 million de fumeurs en moins traduit non seulement l’arrêt du
tabac par les fumeurs, mais aussi la réduction du nombre de jeunes
qui entrent dans le tabagisme. »
Ce responsable de la politique de santé publique ne craint pas l’auto-satisfecit. Il écrit ainsi concernant la première cause de mortalité prématurée évitable (75 000 par an) :
« Ces bons résultats traduisent
l’impact de la politique publique cohérente, déterminée et de ses nombreuses
mesures parmi lesquelles : l’augmentation régulière des prix du
tabac ; la mise en place au 1er janvier 2017 du paquet
neutre ; le remboursement des substituts nicotiniques ; des temps de
communication récurrents et coordonnés portés par le ministère de la Santé,
Santé publique France, l’INCa et l’Assurance maladie ; et bien sûr
l’opération Mois sans Tabac, qui se déroule depuis 2016 tous les mois
de novembre, événement majeur d’incitation au sevrage tabagique et à la
« dénormalisation » du tabac. »
Mais
il lui faut aussi diminuer les risques auxquels, dans notre espace démocratique,
il s’expose. A commencer par l’absence de corrélation statistique robuste entre
cette victoire affichée sur le tabagisme et les volumes des ventes chez les
buralistes. Car si cette baisse des ventes existe « il convient également
de prendre en considération [sic] les achats transfrontaliers en augmentation,
la contrebande, notamment par internet ou par l’intermédiaire des ventes de
rue, qui se développent en raison des prix élevés du tabac, et le fait que les
fumeurs quotidiens fument moins de cigarettes par jour ».
Les pauvres et ceux qui ne le sont pas
La vérité vraie, au lendemain des élections européennes, c’est aussi que la France « garde un taux de prévalence du tabagisme quotidien très élevé en comparaison d’autres pays de même niveau économique, avec de très fortes inégalités sociales ». On peut le dire ainsi : les pauvres fument plus que ceux qui ne le sont pas. Ou comme cela :
« Deux groupes se différencient significativement : les plus diplômés (>Bac), avec une prévalence du tabagisme quotidien de 19,4%, et le reste de la population, incluant les personnes sans diplômes et celles ayant un diplôme inférieur ou égal au Bac, avec un tabagisme quotidien de 28,2%. »
Après
son auto-satisfecit le directeur général de Santé Publique France évoque aussi
une situation « dramatique » :
« Depuis 15 ans, le nombre de
décès attribuables au tabac chez les femmes augmente de plus de 5% par an
en moyenne. Ils témoignent du tabagisme féminin qui a progressé entre les années
1970 et 1990. Ces données dramatiques sont autant d’éléments de plaidoyer
pour renforcer encore la lutte contre le tabagisme en France. Pour l’année
2015 tous sexes confondus, 75 000 décès sont attribuables au
tabac, soit 13% des décès survenus en France métropolitaine. »
Où
l’on en vient, enfin et après des années de coupable déni officiel, à la
cigarette électronique :
«
Une augmentation de l’usage
de l’e-cigarette Parmi les outils d’aide au sevrage tabagique, la
cigarette électronique est le plus utilisé par les fumeurs pour arrêter de
fumer. Cette utilisation s’inscrit depuis quelques années [re-sic] dans une stratégie de réduction des risques.
Les données du Baromètre de Santé publique France soulignent pour la première
fois l’accroissement de l’usage de l’e-cigarette : 3,8% l’utilisent
quotidiennement versus 2,7% en 2017, soulignant les modifications
de l’usage de cet outil de sevrage tabagique. »
En
conclusion le Directeur Général de Santé Publique France, aujourd’hui
sur le départ, estime, au vu du
contexte actuel qu’il faut « maintenir les politiques publiques ». Et
peut-être même « les accentuer ». Ne serait-ce pas trop demander ?
A
demain
@jynau
1 Les données du « Baromètre de Santé publique France » proviennent d’une simple « enquête aléatoire téléphonique » réalisée entre janvier et juillet 2018 auprès de 9 074 adultes âgés de 18 à 75 ans résidant en France métropolitaine. « Ce ne sont pas 1,6 million de personnes qui ont arrêté le tabac entre 2016 et 2018, comme l’avaient annoncé plusieurs médias en mars, observe justement Le Monde (François Béguin). Pour marquer les esprits, le chiffre mis en avant par l’agence publique prend en compte à la fois ceux qui ont arrêté de fumer et la « réduction du nombre de jeunes qui entrent dans le tabagisme », sans qu’il ne soit possible de les différencier. »
2 Bourdillon F. Éditorial. 1,6 million de fumeurs en moins en deux ans, des résultats inédits. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(15):270-1. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/ 2019/15/2019_14_0.html