Cannabis : le très cher Sativex® sera-t-il remboursé par notre collectivité ?

Sans doute. Mais à quel prix ? Le feuilleton du  Sativex ® commence dans une certaine confusion. On aimerait savoir qui est ici en charge de la pédagogie.

Il ne faudrait jamais donner la parole aux enfants. Ils sont terribles. Ecoutez ceci, c’est édifiant (une minute et trente-quatre secondes). C’était hier jeudi 9 janvier 2014 sur la station radiophonique RTL au terme d’une journée marquée par l’annonce de Marisol Touraine, ministre de la Santé : le cannabis thérapeutique avait (enfin) droit de cité dans les hôpitaux français (mémoire-blog 1 et mémoire-blog 2).

Une minute « de cours de récréation » aime à dire, sans cesse sous pression, l’animateur de l’émission, 44 ans.  C’est une minute artificielle qui en dit doublement long. D’abord sur les dégâts de la médiatisation des « sujets de société » d’une part. Ensuite sur ce qui ne se passe pas dans les salles de classe qui jouxtent les cours de récréation. On pourrait aussi, cannabis aidant, évoquer ce qui se passe (côté inhalation extérieure) devant les grilles des collèges et lycées français.

Ecrans-plats

Pour l’heure les confusions enfantines nous parlent de ce qui se peut se dire en famille. Sinon devant la table et ses plats, du moins devant les écrans-plats. On pourrait ici très justement parler de mélasse. Ou de confusion des esprits.

Cannabis-plaisir (la doxa médiatique préfère festif ) ? Cannabis-thérapeutique ? Tout l’enjeu (le piège, le plaisir)  est dans ce Janus addictif. On l’avait perçu dans le long feuilleton, plus politique que sanitaire, des salles de shoot ; feuilleton aujourd’hui stricto sensu en déshérence.

De Saint-Denis jusqu’à Paris

Ainsi donc le  Sativex ® est en France. A dire vrai il ne l’est pas encore. Marisol Touraine ne s’est félicitée publiquement que de l’autorisation qui a été donnée à son distributeur de le « mettre sur le marché ». Commence ainsi au grand jour un parcours généralement souterrain : celui qui mène de l’AMM à la possibilité de la prescription médicale. Les canalisations passent ici par Saint-Denis et par Paris. La source semble se situer derrière les murailles de la Haute Autorité de Santé. Elle emprunterait, assure-t-on en haut lieu, les sombres tuyauteries de la Commission de la Transparence. Une certitude topographique : les eaux s’égarent dans les catacombes des services médicaux rendus et dans ceux, plus obscurs et plus profonds encore, des améliorations supposées apportées à ceux susnommés.

Méta-colloque bien singulier

La plomberie officielle conduit ensuite vers le secret plombé : celui d’une Commission dont les membres fixent le prix que la collectivité des assurés remboursera au fabricant-distributeur. C’est la clé de voûte de l’ensemble. Le visiteur-citoyen regrettera qu’elle ne soit ni visible, ni même accessible – en dépit de ce pourrait laisser croire la Toile. Discussions chuchotées, pas de minutes des débats. Aux antipodes de l’Open Data.

Il faut bien comprendre que tout ne peut pas être révélé des tractations entre la puissance publique et Big Pharma. C’est une sorte de « méta-colloque » singulier qui n’a de sens que parce qu’il est protégé par le secret. Voulons-nous d’une société où les confessionnaux seraient équipés de micros ? Où les divans seraient ouverts à tous les vents ?

Ce sera 400 ou 800 euros ?

Dans quelques mois, un an, deux peut-être, le  Sativex ® aura « un prix ». Un prix que l’assurance-maladie (1) prendra en charge. Quel prix ? On ne dispose ici que de quelques indices. « Le prix public devrait être de 700 à 800 euros pour un mois de traitement. Un prix élevé mais que le fabricant justifiera sans doute par le fait que le patient retrouve une certaine autonomie, évitant ainsi la présence d’une assistance souvent coûteuse en auxiliaires de vie » écrivait hier sur son blog notre confrère Jean-Daniel Flaysakier.

Le même jour dans Le Monde, Christophe Vandeputte, le patron pour la France de la firme  Almirall qui commercialise le Sativex® : «  En moyenne en Europe, le traitement coûte entre 400 et 440 euros par an ». Il ajoute  que le médicament est remboursé dans la quasi-totalité des pays où il est autorisé. Ce qui demande à être analysé.

SOS Addictions

Reste aussi à connaître ce que sera le marché. L’Agence nationale de la sécurité du médicament  estime autour de 2 000 le nombre de personnes potentiellement concernées par les futures prescriptions. Almirall en perçoit quant à elle déjà  5 000. Puis viendront les extensions des indications. Du point de vue strictement thérapeutique le Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions, en perçoit plusieurs, à commencer par d’autres maladies neurodégéneratives, le syndrome extrapyramidal résistant aux autres traitements, les nausées-vomissements et anorexie des chimiothérapies ou d’autres traitements lourds (comme ceux des traitements contre l’hépatite virale de type C, le glaucome (s’il existait une forme collyre) ou d’autres syndromes douloureux complexes dès lors qu’un avantage thérapeutique était démontré.

Le feuilleton Sativex® ne fait que commencer. Vous pouvez ouvrir vos portables.

(1) Le Pr Luc Barret vient d’être nommé « Médecin Conseil National de l’Assurance Maladie ». Il prend la suite à ce poste du Pr Hubert Allemand et se trouve de ce fait  placé auprès de Frédéric van Roekeghem, directeur général.

[Luc Barret, professeur des universités et praticien hospitalier, expert près la Cour d’Appel de Grenoble, était auparavant chef de service de médecine légale et d’addictologie du CHU de Grenoble depuis 1988 et Président de la commission médicale d’établissement (CME) depuis 2007. Il était également Secrétaire général du bureau de la Conférence des Présidents de CME de CHU. En tant que Médecin Conseil National, le Pr Barret est responsable d’élaborer la politique de l’Assurance Maladie dans le domaine médical et dans celui de la santé publique. Il contribue de plus à la gestion du service médical de l’Assurance Maladie et conseille la CNAMTS sur l’ensemble des sujets à caractère médical.]