Bonjour
La table fait toujours recette. Prenez Libération, vieux journal qui fut rouge : à la veille de la Journée internationale de la femme 2015 il nous poussait à réfléchir à notre rapport au steack : « Treize raisons de manger moins de viande : Steack ou encore ? »
Libération-gloutons
Avec un éditorial paradoxal, contrition et confession, intitulé « Gloutonnerie » et signé David Carzon :
« Autant le dire d’emblée, cet édito ne peut pas être objectif car nous sommes nombreux à Libération à aimer la viande. Et même les abats, c’est dire. Comme bon nombre de nos contemporains viandards, nous préférons oublier qu’il faut tuer pour qu’une entrecôte ou un foie de veau finisse dans notre assiette. Alors, pour ceux qui voudraient continuer d’avoir les crocs du boucher sans se salir le tablier, il faut regarder son assiette en face. Ne pas changer nos habitudes alimentaires ? C’est entretenir la frénésie de production de viande au seul profit d’une gloutonnerie égoïste.
On ne peut en effet rester insensible aux conséquences de cette surconsommation sur la planète, aux conditions d’abattage des bêtes, ou au fait que les deux tiers des terres agricoles servent à nourrir des animaux qui vont finir à l’abattoir. Il n’y a guère d’autre solution que de manger mieux et de privilégier les filières de qualité, bref de changer collectivement nos habitudes alimentaires. Au risque de contribuer à un système de viande de classe où les riches auraient le droit de monter au filet, et où les pauvres se contenteraient d’une bouillie sans goût (…). »
Chair philosophique
Et un petit fil rouge philosophique signée, de Robert Maggiori – qui nous rappelle que « défiant les lois de la cité, Pythagore fut l’un des premiers à arrêter la viande ». Extraits :
« Le nom même d’animal ouvre une curieuse bifurcation : est-il un être animé, qui se déplace, contrairement aux plantes, ou un être qui a, ou non, une âme, anima ? Le premier parcours est tracé depuis toujours : Aristote disait déjà que, comme l’herbe est faite pour l’animal, l’animal est fait pour l’homme, qui peut donc en utiliser la mobilité, la docilité ou la force pour s’aider dans son travail, et Descartes, on le sait, fera des bêtes des machines automatiques. Le second parcours est plus compliqué, et fera tourner la philosophie autour de deux questions : l’animal parle-t-il, pense-t-il ? – avant que Jeremy Bentham (1749-1832) n’établisse une coupure épistémologique décisive, en avançant que l’essentiel est de savoir s’ils peuvent souffrir. Mais dès l’Antiquité la croyance en la métempsychose (la transmigration de l’âme d’un corps à un autre corps, y compris animal) s’est accompagnée de l’interdit moral d’en consommer la chair. Abstinence très minoritaire cependant, dans la mesure où, dans la cité grecque, religiosité, culte, pratiques sacrificielles, consommation des chairs immolées et vie publique étaient étroitement liés : voir de la cruauté dans les sacrifices d’animaux et refuser de manger la viande, s’était se mettre «hors communauté» et s’exposer à l’ostracisme. Pythagore de Samos n’a pas craint, au VIe siècle avant J.-C., de s’opposer aux lois de la cité : il est le premier et plus connu des végétariens, «secte honnie par la foule», comme l’écrira Sénèque, et moquée. (…)
Diogène le Cynique
Pythagore aura des héritiers célèbres : Platon peut-être, Epicure sans doute, que les préjugés ont toujours fait imaginer se bâfrant de victuailles. Ou Lucrèce, Ovide, Sénèque lui-même, Porphyre et Plutarque qui, dans De esu carnium, fustige les carnivores : «Si vous vous obstinez à soutenir que la nature vous a faits pour manger la chair des animaux, égorgez-les donc vous-mêmes, de vos propres mains, sans vous servir de coutelas, de massue ou de hache. Faites comme les loups, les ours et les lions, qui tuent les animaux dont ils se nourrissent. Mordez, déchirez à belles dents ce bœuf, ce pourceau, cet agneau ou ce lièvre ; mettez-les en pièces, et comme ces bêtes féroces, dévorez-les tout vivants.»
On ne peut pas dire cependant que la question végétarienne ait constitué un fil rouge de l’histoire de la philosophie, laquelle s’est orientée plutôt, progressivement, vers la question du respect de la vie animale, des devoirs des hommes envers eux, voire des droits des animaux. Mais nombre de philosophes ou savants furent végétariens (le terme vegetarian apparaît en 1842, dans la revue The Helthian) : de Diogène le Cynique à Cicéron, Saint Augustin, Montaigne, Giordano Bruno, Léonard de Vinci, Erasme, Thomas More, Pascal, Newton, Leibniz, Rousseau, Voltaire, Darwin, Schopenhauer, Emerson, Bertrand Russell, Einstein, Carl Jung, Lévi-Strauss ou Derrida sans doute. Nietzsche le fut en sa jeunesse, quand il fréquentait Richard et Cosima Wagner. Mais, souffrant de troubles digestifs, il se nourrit de lait et de viande rouge – mets, disait-il, qui convient aux passionnés. Sa mère et ses sœurs le fournissaient en jambons et saucisses, qu’il adorait. »
Intermittent fasting
Changeons de fusil d’épaule et parlons de l’homme, de son poids et des tracasseries que son poids lui cause. Le «jeûne intermittent» ou fasting (abréviation de l’anglais intermittent fasting) consiste à alterner des périodes de privation de nourriture et des périodes d’alimentation normale, généralement dans le but de perdre du poids ou de corriger un trouble biologique.
Aujourd’hui l’épidémie croissante de surpoids et d’obésité confère aux régimes alimentaires une nouvelle actualité. Certains deviennent ainsi de plus en plus populaires. On voit émerger de nouveaux intérêts pour le «jeûne intermittent», la «restriction calorique intermittente» ou «l’alimentation limitée dans le temps» (sur une période de 4 ou 6 heures dans la journée). Que faut-il penser des effets sur la santé de tels comportements?
Une étude menée par une équipe internationale (Etats-Unis, Belgique, Italie, Royaume-Uni) apporte des éléments inédits de réponse. Ce travail a été dirigé par le Pr Satchidananda Panda (Regulatory Biology Laboratory, Salk Institute for Biological Studies, La Jolla, Californie) et ses conclusions ont été publiées dans les Comptes-Rendus de l’Académie américaine des Sciences (PNAS).
Fin des trois repas quotidiens?
«D’importants efforts de recherche ont été menés sur la manière dont les composants spécifiques des denrées alimentaires pouvaient influer sur la santé, précisent les auteurs. En revanche on sait relativement peu de choses sur un aspect plus fondamental de l’alimentation, la fréquence et le rythme circadien des repas, et sur les avantages potentiels de périodes intermittentes sans –ou avec de très faibles– apports énergétiques.» Les auteurs soulignent aussi que le rythme habituel d’alimentation (trois repas par jour entrecoupés de quelques collations) est une sorte d’aberration du point de vue de l’évolution. Ces trois repas seraient une habitude assez récente, datant du passage de la période de l’homme «chasseur-cueilleur» à celle de l’homme «agriculteur». Soit il y a environ 12000 ans. Ce mode alimentaire serait ainsi en dysharmonie avec les caractéristiques et les besoins physiologiques du corps humain. Certains spécialistes en viennent à suggérer de limiter l’apport énergétique sur des périodes limitées, celles de jeûne pouvant stimuler le recours aux graisses comme source d’énergie et les mécanismes de réparation cellulaire.
Idées reçues
Tout ceci amène à combattre quelques idées reçues. Ainsi, il y a peu un groupe de chercheurs de l’Université de Bath (Royaume Uni) publiait dansThe American Journal of Clinical Nutrition des données laissant entendre quele petit-déjeuner n’est pas «le repas le plus important de la journée». Ce premier repas est, selon eux, sans conséquences véritablement significatives sur le poids, le métabolisme ou les différents indicateurs biologiques témoignant de la santé du système cardiovasculaire.
Une étude internationale récente, publiée dans la revue Cell Stem Cell, avait d’autre part conclu à l’intérêt du jeûne intermittent dans la récupération des défenses immunitaires(2). Dans cette dernière étude les auteurs se sont tout particulièrement intéressés aux travaux concernant la «restriction calorique» (apport calorique quotidien réduit de 20 à 40% avec fréquence des repas inchangée), la «restriction d’énergie intermittente» (éliminer ou réduire fortement son apport calorique de manière fractionnée dans le temps), et la limitation de la consommation quotidienne de nourriture et de boissons à une période de 4 à 6 heures.
Seize heures d’arrêt
Au final les auteurs de l’étude publiée dans les PNAS retiennent une série de données convergentes issues d’études expérimentales faites sur l’animal et de données observées chez l’homme: les périodes de restriction énergétique d’une durée de seize heures (sur vingt-quatre) peuvent améliorer les indicateurs de santé et contrer certains processus physiopathologiques. Ces phénomènes semblent être la conséquence de modifications dans le métabolisme des graisses et dans les réactions de stress cellulaire adaptatif. Dès lors il semble essentiel pour ces auteurs d’élaborer de nouvelles stratégies diététiques visant à intégrer ces modifications des habitudes alimentaires à des fins sanitaires.
En d’autres termes les prescriptions concernant les régimes alimentaires devraient dépasser la seule question de la nature et de la quantité des aliments pour intégrer les horaires et le nombre des repas ainsi que la durée des périodes sans apport calorique. Il s’agit là d’une donnée essentielle en termes de santé publique qui n’ira pas sans bouleverser les rythmes et les modes de vie.
C’est dire, ici, l’importance du travail de pédagogie que nécessite cette nouvelle approche du contrôle de son poids. Sans oublier de lire (et relire) Libération et de réfléchir à son rapport à la viande. Avant de passer à table.
A demain
Une partie de ce texte a initialement été publiée sur le site planetesante.ch