Séisme éthique : vingt ans après Dolly des singes ont été créés par clonage en Chine

 

Bonjour

C’est un séisme biologique. On peut en lire  (gratuitement) les détails dans Cell : « Cloning of Macaque Monkeys by Somatic Cell Nuclear Transfer . » Et la traduction généraliste sur la BBC : « First monkey clones created in Chinese laboratory ».

C’est un séisme :  vingt ans après la brebis Dolly des scientifiques chinois annoncent être parvenus à créer des primates via le technique du clonage. « La naissance de Dolly, morte le 14 février 2003, avait eu l’effet d’un séisme, tant sur le plan de la percée scientifique que sur celui des débat éthiques qu’elle suscitait, rappelle Le Monde (Paul Benkimoun). Pour la première fois, des chercheurs étaient parvenus à faire naître un animal en bonne santé, réplique génétique à l’identique de sa mère, sans passer par la reproduction sexuée. Depuis, ce sont au total 23 espèces de mammifères différentes qui avaient fait l’objet d’un clonage de ce type, de la souris au chameau en passant par le cheval ou le cochon. » Pour autant on en restait là – loin des primates, humains ou pas.

C’est un séisme éthique. « Qu’on le veuille ou non, ce clonage chez un primate est un grand pas en avant, sur la voie… du clonage d’embryons humains. Car même si la maîtrise de cette technique est loin d’être parfaite, quand on étudie le macaque, c’est bien, en général, pour se rapprocher de l’homme » explique, dans Le Temps,  Hervé Chneiweiss, président du Comité d’éthique de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale.

Et maintenant ?

A demain

 

Renaissance : des biologistes hollandais sont proches de la source de l’eau de Jouvence

Bonjour

Aux antipodes du politique, la biologie peut encore nous faire rêver. C’est le cas aujourd’hui avec une publication signée d’un groupe de chercheurs hollandais dirigés par Peter L. J. de Keiser (Department of Molecular Genetics, Erasmus University Medical Center Rotterdam) et qui ouvre de nouvelles perspectives quant à la maîtrise des mécanismes de sénescence. On trouve cette publication dans la revue Cell : « Targeted Apoptosis of Senescent Cells Restores Tissue Homeostasis in Response to Chemotoxicity and Aging ». Elle vient d’être reprise par la BBC : « Drug ‘reverses’ ageing in animal tests ». Et elle est développée dans Science par Mitch Leslie : « Molecule kills elderly cells, reduces signs of aging in mice ».

Le biologiste Peter de Keizer s’intéresse aux stratégies développées, à l’échelon moléculaire, par les cellules sénescentes pour rester ou non vivantes. C’est dans ce cadre, exploré depuis plusieurs décennies, qu’il explique avoir découvert une nouvelle piste via la protéine FOXO4 dans ses rapports avec celle, bien connue sous le nom de p53. Ils expliquent, schématiquement, avoir conçu une molécule, un peptide, qui en jouant sur ces mécanismes, permettrait de contrer l’évolution depuis toujours irréversible, vers la sénescence. On l’aura compris c’est là une autre manière de parler, à Rotterdam, de l’eau de la fontaine de Jouvence.

Plaisirs de fureter

Le peptide de Rotterdam a été testé sur des souris de laboratoire et les biologistes en décrivent les effets en des termes stupéfiants. Les rongeurs testés vivent environ la moitié du temps que les souris normales. Après quelques mois d’existence leurs poils commencent à tomber, leur fonction rénale se dégrade et ils entrent en léthargie. Or l’administration du peptide amplifie soudain la densité de leur pelage, rétablit la fonction rénale et les voit à nouveau se dépenser dans leurs cages. Et des phénomènes du même type sont, nous dit-on, observés chez des souris normales prenant de l’âge qui semble redécouvrir les plaisirs de fureter.

Rien n’est acquis bien sûr. Science et la BBC interrogent d’autres biologistes, enthousiastes ou réservés. Les biologistes comme les horlogers savent, depuis toujours, que l’on ne touche pas sans risque au grand balancier du temps qui passe. Pour autant, à Rotterdam, dans l’université qui porte le nom d’Erasme, on se souvient de la Renaissance et de la Jouvence : des essais cliniques devraient bientôt être menés sur des humains.

On peut, loin du désenchantement politique, préférer les horizons et les rêves des biologistes.

A demain

 

 

Transhumanisme en marche : des biologistes annoncent avoir créé des chimères porc-homme

Bonjour

Une première, spectaculaire. Applaudir ou se taire ? Les mythes et leurs chimères 1 commencent à sortir des cornues. Lentement, certes, mais ils sortent. Des embryons de porcs contenant des traces d’humanité biologique ont été créés par une équipe de biologistes américains et espagols. Dirigée par Jun Wu and Juan Carlos Izpisua Belmonte (Salk Institute, La Jolla, Californie) l’équipe signe cette première dans la revue Cell : « Interspecies Chimerism with Mammalian Pluripotent Stem Cells ». C’est un travail d’ores et déjà salué par la communauté scientifique, comme le rapporte la BBC : « Human-pig ‘chimera embryos’ detailed » ; ainsi que The New York Times :  « New Prospects for Growing Human Replacement Organs in Animals ».

Tout est encore balbutiant. Mais on saisit les grandes lignes. Des cellules souches humaines sont injectés dans un embryon de porc. Et l’embryon chimérique est ensuite implanté dans une truie-porteuse. Sur les 2.075 embryons implantés, seuls 186 ont continué à se développer jusqu’au stade de 28 jours. Pour autant des cellules humaines vivaient bien en leur sein. Officiellement les chercheurs hésitent, pour des raisons éthiques, à s’autoriser des gestations allant à leur terme.

Mystère cérébral

« C’est la première fois que l’on voit des cellules humaines croître à l’intérieur d’un grand animal », a déclaré à la BBC le Pr Juan Carlos Izpisua Belmonte. Commentant la faible efficacité il a rappelé que les humains et les porcs sont séparés depuis longtemps sur les branches du grand arbre de l’évolution. On observera aussi que le temps de gestation de la truie n’est que de quatre mois. De ce point de vue, le bovin serait un meilleur incubateur. « C’est comme une autoroute avec une voiture allant beaucoup plus vite que l’autre – vous êtes plus susceptible d’avoir un accident » métaphorise le Pr Belmonte. Il souligne qu’il y a encore un long chemin à parcourir sur l’autoroute avant la station qui offrira des organes humanisés destinés à être transplantés (chez l’homme malade).

Pour le Dr Jun Wu un taux de cellules humaines de 0,1% à 1% devrait suffire en thérapeutique. Pour l’heure les biologistes ne disposent d’aucun élément de preuve pouvant laisser penser que des cellules humaines sont présentes et actives dans les cerveaux embryonnaires porcins. On ne sait pas s’ils l’espèrent. Qu’en dira Donald Trump? Applaudir ou se taire ?

A demain

1 A noter la sortie du remarquable «Que sais-je ? « Lexique des symboles de la mythologie grecque » de Sonia Darthou, maître de conférences en histoire ancienne à l’université Évry-Val-d’Essonne.

« Chimère: elle est enfantée par deux monstres: son père est le gigantesque Typhon cracheur de feu enfermé par Zeus sous l’Etna et sa mère, la dévoreuse vipère Echidna. Corps de lion, queue de serpent, tête de chèvre (…) »

 

ZIKA : l’infection virale est officiellement devenue transmissible par voie sanguine aux Etats-Unis.

 

Bonjour

Le virus Zika peut se transmettre par les voies sanguine et sexuelle. Pour le sang ce qui était vrai via les moustiques l’ait aussi au sein de l’espèce humaine. Pour la transmission sexuelle la recherche fondamentale vient confirmer les premières observations cliniques et biologiques. Les autorités sanitaires se doivent d’en tirer les conséquences.

Pour sa part, décision spectaculaire, la FDA américaine a annoncé le 26 août le dépistage systématique de tous les donneurs de sang vis-à-vis de cette infection par le virale : FDA advises testing for Zika virus in all donated blood and blood components in the US”.  Information reprise dans The New York Times: All Donated Blood in U.S. Will Be Tested for Zika”. « Il y a encore beaucoup d’incertitude en ce qui concerne la nature et l’étendue de la transmission du virus du Zika, explique la FDA.  À ce stade, cette recommandation aidera à s’assurer que du sang non contaminé est disponible pour les gens qui auraient besoin d’une transfusion ».

Antilles et Guyane

Le 17 août la démonstration de la possibilité d’une contamination transfusionnelle avait été publiée dans le New England Journal of Medicine: “Evidence for Transmission of Zika Virus by Platelet Transfusion”.

Que fait la France ? « Les femmes enceintes résidant aux Antilles et en Guyane ayant besoin d’une transfusion de concentrés de globules rouges reçoivent depuis le 4 janvier des produits en provenance de la métropole, précise l’Etablissement Français du Sang. Les personnes souhaitant donner leur sang en métropole et dans les territoires ultra-marins non touchés par le Zika font l’objet d’une contre-indication temporaire de 28 jours, lorsqu’ils reviennent d’une région où sévit le virus Zika. Tous les dons prélevés aux Antilles à compter du 15 février 2016 feront l’objet d’un dépistage du Zika. Ce dépistage sera réalisé par le laboratoire expert de l’Etablissement français du sang  à Marseille. »

Incubation vaginale

Les Centres fédéraux américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont d’autre part annoncé  qu’un homme contaminé par le virus Zika lors d’un voyage (mais qui n’avait pas développé de symptômes) avait contaminé sa partenaire lors d’une relation sexuelle (non protégée) avec elle. Différentes observations en ce sens ont déjà été faites. A la contamination homme-femme s’ajoute aussi des observations laissant penser que l’inverse est aussi possible.

De nouveaux résultats expérimentaux (sur la souris) laissent penser que ce virus  peut se dupliquer dans le vagin plusieurs jours après l’infection. Ces résultats viennent d’être publiés dans Cell : Vaginal Exposure to Zika Virus during Pregnancy Leads to Fetal Brain Infection”.

Cette nouvelle cartographie génitale et sexuelle d’une infection transmise par les piqûres sanguines de moustiques femelles pousse les autorités sanitaires à rappeler l’importance de l’abstinence et de la protection des rapports sexuels. Elle impose aussi  (compte tenu des risques d’embryofœtoathies) à prendre les mesures de protection qui s’imposent dans le cadre des pratiques de PMA.

A demain

 

Macaques humanisés chinois : trembler ou pas ?

Bonjour

Applaudir ou trembler ? Des biologistes chinois ont réussi à donner naissance à  des macaques sur la voie de l’humanisation. Ils révèlent leur affaire dans la revue spécialisée Cell  Cette première est l’œuvre de vingt-huit chercheurs chinois dirigés par Yuyu Niu (Laboratory of Primate Biomedical Research, Kunming). Il s’agit là d’un tour de force technique : ils sont parvenus à utiliser pour la première fois chez des primates (Cynomolgus monkey) une technique de manipulation génétique nouvelle et considérée comme hautement prometteuse dans le milieu.

Greffes d’ADN

Dénommée Crispr /Cas 9  cette technique d’insertion de gènes étrangers n’avait jusqu’à présent pu être utilisée que chez des rongeurs de laboratoires (rats et souris) ainsi que chez le poisson-zèbre.  Les auteurs de la publication expliquent que leur nouvelle technique permet de cibler précisément le lieu d’insertion du gène modifié à la différence des  techniques antérieures où les greffes d’ADN s’inséraient de façon aléatoire dans le génome.

Ces chercheurs ont travaillé au tout premier stade embryonnaire. Ils ont d’abord créé in vitro des embryons de macaque par fécondation in vitro à partir de la micro-injection d’un spermatozoïde dans un ovocyte. Les gènes étrangers ont ensuite été injectés neuf heures après cette fécondation artificielle. Ils se sont  intégrés au patrimoine génétique inaugural de l’embryon macaque. Ces embryons ont ensuite été placés chez des mères porteuses qui sept mois plus tard ont donné naissance à leurs macaques mutants. Des gestations pour autrui, là aussi.

Créateurs

La technique mise au point a permis de greffer simultanément plusieurs gènes dans le patrimoine héréditaire des macaques. Pour l’heure  les auteurs  disent être sont parvenus à greffer les gènes Ppar-g  et Rag1 . Le premier dirige la synthèse d’une protéine impliquée dans le métabolisme du sucre et des graisses. Le second joue un rôle clef dans l’immunité. On ne vois pas encore les traits humains sous le poil simiesque. Les créateurs estiment que ces nouvelles possibilités permettront de disposer à l’avenir de meilleurs modèles expérimentaux vivants pour analyser les maladies humaines d’origine génétique et les possibilités thérapeutiques les concernant.

Mais on n’en restera pas là. L’autre perspective est celle du transhumanisme : ces néo-singes doivent alors être perçus comme une plate-forme expérimentale d’amélioration des performances génétiques de certains représentants de l’espèce humaine.  Pour l’heure les chercheurs chinois se veulent ici rassurant. Dans un entretien accordé à la MIT Technology Review   Weizhi Ji (qui a dirigé ce travail) explique qu’il faudra encore attendre longtemps avant de pouvoir expérimenter cette nouvelle technique à des embryons humains. Pour des raisons de sécurité explique-t-il.

Rostand (Jean) et Céline (Louis-Ferdinand)

Il y a soixante-dix ans, dans « L’Homme. Introduction à l’étude de la biologie humaine » (Gallimard) Jean Rostand écrivait :

« Il n’est pas impossible que la biologie de l’avenir sache faire profiter notre espèce d’un petit supplément de matière chromosomique. Et l’on pourrait même se demander à cet égard- pour offensante qu’une telle idée doive paraître à notre orgueil- si nous n’aurions pas intérêt à annexer à notre patrimoine héréditaire quelques gènes provenant de telle ou telle espèce animale. Cette annexion pourrait se faire par l’hybridation, elle exigerait l’introduction directe des gènes étrangers dans un ovule de culture.

Enfin sera-t-il permis d’imaginer que l’introduction de ces gènes animaux aurait pour conséquence de rompre l’équilibre génétique de notre espèce, et de faire ainsi repartir son évolution vers on ne sait quelles destinées ?

Ce seraient alors bien d’autres possibilités qui s’ouvriraient à la science. Nous avons simplement voulu noter quelques-unes des visions d’avenir qui se présentent à un biologiste de l’an 1940… »

Cognac

Pour l’heure ce sont des gènes humains qui entrent dans le patrimoine simiesque. Et pas encore l’inverse. De même, contrairement à la prophétie occidentale  terminale de Céline c’est le cognac qui va vers la Chine (et non l’inverse). Combien de temps encore avant le transhumanisme ?  Trembler ou applaudir ?

A demain

Tour de France 2013 : le mythe douteux d’Aicar

« Aujourd’hui deux fois l’Alpe ». Dante est de retour. Faut-il connaître les coulisses pour goûter au spectacle ? Aujourd’hui encore la monopolistique Equipe dit lever le voile sur le cas Chris Froome. L’équipe Sky lui aurait « montré le dossier ». Disons une partie du dossier puisque manque toute la partie biologique. Le voile demeure donc.

Et avec lui les questions lancinantes sur deux molécules mystérieuses, objet de toutes les rumeurs, de tous les fantasmes Aicar et GW1516. On trouvera ici la chronique publiée initialement sur le site Slate.fr. Nous reviendrons un peu plus tard, après l’arrivée, sur le bien dérangeant billet de Philippe Eveillard consacré à l’EPO, billet  heureusement repris par le club des médecins qui, jour après jour, montrent qu’ils ne détestent décidément  pas les blogs.

Aicar ? Il s’agit officiellement (prendre son souffle) d’«aminoimidazolecarboxamideribonucleotide». Cette molécule est apparue dans les coulisses du monde de la performance musculaire il y a précisément cinq ans, en juillet 2008. L’affaire ne fut pas secrète. C’était  dans Cell, une publication scientifique de réputation internationale et  sous cette forme. Ce fut, d’emblée un petit coup  de tonnerre.

Un groupe de treize chercheurs dirigé par Ronald M. Evans (Salk InstituteHoward Hugues Medical Institute, La Jolla, Californie) annonçait avoir pu mettre en évidence les effets spectaculaires de substance capable d’améliorer de manière considérable les performances musculaires des mammifères.

L’affaire avait commencé quatre ans plus tôt, en 2004, lorsque le même Ronald M. Evans avait, par manipulation génétique, créé des modèles expérimentaux de souris capables de réussir le double des performances musculaires des souris normales. Dénommés «souris marathoniennes», ces rongeurs présentaient des modifications notables de la trame de leurs fibres musculaires. Les animaux ne grossissaient pas, et ce quand bien même on les soumettait à une alimentation hypercalorique. De la même manière, leurs différents paramètres biologiques sanguins, en sucres et en lipides, restaient dans les limites de la normale.

Souris marathoniennes

Ces résultats avaient pu être obtenus en modifiant d’emblée l’activité d’un gène dénommé PPARβ/δ qui joue un rôle-clef dans le métabolisme cellulaire. On était déjà sur une piste prometteuse. Restait à savoir si des résultats équivalents pouvaient être obtenus à partir de l’administration par voie orale de la molécule Aicar, mais cette fois chez des animaux dont le patrimoine génétique n’avait pas été modifié. En 2008, c’était chose faite. Après administration quotidienne d’Aicar durant un mois, les souris devenaient capables de se déplacer –dans une cage tournante ou sur tapis roulant– sur des distances de 44% supérieures à celles de leurs congénères non traitées.

En 2008, certains s’enthousiasmèrent. Comme le pharmacologue David Mangelsdorf (université du Texas) qui estimait que l’on disposait là de la recette miracle qui permettrait de bénéficier des avantages de l’exercice physique sans avoir à le pratiquer. La question était ouvertement soulevée de la possible émergence, dans les pharmacies, d’un nouveau médicament, administrable par voie orale, qui permettrait de bénéficier de toutes les vertus métaboliques d’un exercice physique intensif sans avoir à en supporter les contraintes et les souffrances.

«Nous sommes concrètement aux frontières du dopage génétique, nous expliquait en 2008 le Pr Michel Rieu, alors conseiller scientifique de l’Agence française de lutte contre le dopage. Ces résultats, à la fois très intéressants et problématiques, s’inscrivent dans le vaste champ des recherches visant à agir sur les récepteurs cellulaires et, par leur intermédiaire, sur les gènes impliqués dans la physiologie et le métabolisme des fibres musculaires. Nous savons qu’il est possible d’agir sur la cascade des événements moléculaires à l’origine de ces phénomènes. Il reste à savoir si les chercheurs américains ont trouvé la voie la plus efficace et, si oui, l’usage médical ou non qui pourra en être fait.»

Aicar, cinq ans plus tard, n’est pas un médicament. Pour autant, il est bien consommé par des sportifs qui savent ce que peut être la souffrance et qui voudraient la réduire tout en améliorant leurs performances. Mais Aicar n’est pas la seule molécule sur ce nouveau créneau: la modification moléculaire des capacités du muscle à améliorer ses capacités sans faire appel plus d’oxygène (et donc sans EPO et/ou transfusions).

Des performances améliorées de 68%

Il faut aussi compter avec celle qui a conservé sont non de code: GW1516. En 2008, si Aicar boostait les pelotons de souris jusqu’à 44% de plus que la moyenne, GW 1516 leur permettait, sur tapis ou en cage, d’aller jusqu’à des améliorations de 68%. Et l’association des deux substances potentialisait les effets.

GW1516 ou GW501516,  GW-501,516, GSK-516, Endurobol …  Son histoire officielle est nettement plus riche que celle d’Aicar. Développée par la multinationale pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline(GSK), elle a nourri suffisamment d’espoirs pour être développée jusqu’aux essais cliniques (phase 1 et 2) qui précèdent la mise sur le marché. L’indication recherchée était alors la correction des anomalies sanguines graisseuses, la prévention des affections cardiovasculaires,  le traitement du diabète ou de l’obésité (les effets «stimulateurs» musculaires n’étaient pas alors, directement du moins, recherchés). Puis il fallut déchanter: la toxicité massive observée lors des expérimentations animales rendait contraire à l’éthique la poursuite des essais chez l’homme. Ces derniers furent abandonnés en 2007.

Parallèlement diverses informations circulaient déjà depuis un certains temps sur l’utilisation de ces deux composés à titre de dopage dans différents milieux sportifs. Ni les chercheurs directement impliqués ni GSK ne cherchèrent à faire taire les rumeurs quant à leur efficacité. Les sous-entendus circulèrent de plus belle au moment des Jeux Olympiques de Pékin en 2008. Des tentatives furent entreprises pour mettre des tests de dépistage au point.

En 2009, l’Agence mondiale antidopage (AMA) inscrivit l’Aicar et le GW1516 au tableau des substances interdites. Elles le sont toujours, désormais rangées dans la catégorie «modulateurs hormonaux et métaboliques », substances considérées comme « modifiant le métabolisme cellulaire». L’AMA cite ainsi:

Les agonistes du récepteur activé par les proliférateurs des péroxysmes δ (PPARδ) (par ex., GW 1516) et les agonistes de l’axe PPARδ-protéine kinase activée par l’AMP (AMPK) (par ex., Aicar).

On observera que, pour l’AMA ces deux molécules ne sont que «des exemples» de cette nouvelle catégorie.

Des méthodes de détection pas agréées

«Face à l’Aicar, nous sommes dans une situation difficile, explique le Dr Françoise Lasne, directrice du laboratoire des analyses de l’Agence française de lutte contre le dopageIl faut savoir que cette molécule est naturellement produite par l’organisme et il s’agit donc de détecter la présence d’une  substance équivalente mais d’origine exogène. Le laboratoire spécialisé allemand de Cologne a proposé une méthode élaborée à partir de l’analyse des urines de 499 athlètes. Ce travail a été publié dans une revue spécialisée en 2010. Il est fondé sur des moyennes de concentrations dans les urines. Cette méthode n’a pas été agréée.»

La situation est d’autant plus complexe que cette molécule est aisément disponible pour qui le souhaite. Elle est fabriquée et commercialisée à des fins de recherche en biologie et elle est d’autre part proposée à la vente sur de nombreux sites internet où elle fait aussi l’objet d’échanges d’informations entre consommateurs. Ces derniers consomment ainsi volontairement une substance qui n’a officiellement jamais été testée chez l’homme chez qui elle est par ailleurs produite naturellement.

Pour le Dr Lasne, la solution est du même ordre que celle qui fut trouvée pour la recherche de testostérone, d’hormone de croissance ou encore de l’EPO dont elle est une spécialiste internationale: il faut parvenir à distinguer la production naturelle des apports artificiels.

Des difficultés similaires prévalent pour le GW1516. «Si cette molécule n’a jamais été commercialisée en tant que médicament elle figure dans les catalogues des produits utilisés dans les laboratoires de recherche. On peut également l’obtenir, sans aucune garantie, via des sites internet, explique le Pr Bart Staels, un biologiste réputé (Institut Pasteur de Lille, Inserm) qui vient de publier une découverte de recherche fondamentale dans ce domaine. La situation est ici paradoxale et on ne peut plus inquiétante. Les consommateurs prennent un produit qui n’a jamais démontré chez l’homme les phénomènes observés chez l’animal et ce alors que sa très grande toxicité y a été démontrée. »

Pour Bart Staels, la présence de ces deux substances dans les milieux de la compétition sportives sont la conséquence directe des messages délivrés par certains scientifiques depuis moins d’une dizaine d’années concernant les «souris marathoniennes» ou, plus fort encore, la pilule qui permettrait de «faire du sport sans bouger». «Les allégations sont, comme dans le cas du resvératrol, pour l’essentiel sans fondement. Avec l’Aicar et le GW1516, l’innocuité ne peut être garantie et des doutes très sérieux existent quant à la toxicité.»

On peut même, selon le Pr Staels, aller jusqu’à mettre en doute la réalité de l’effet dopant, les résultats observés pouvant être aussi la résultante d’un effet placebo. Mieux vaudrait, dans ce cas, n’avoir recours qu’à celui-ci qui n’a jamais été —et ne sera jamais— interdit.

 

Tour de France : Froome sous le cagnard, dans l’ombre d’Aicar

Les journalistes ne savent plus comment parler de ce cycliste britannique né au Kenya. Le monstre a « dompté le Ventoux ». Le spectacle continue, toujours un peu plus pimenté de questions médicales, biologiques et éthiques. A venir:  l’Alpe d’Huez. A deux reprises. Le même jour.

Cela s’est passé peu après le défilé. Des armées amies africaines avaient défilé sur les Champs et le président de la République avait, optimiste depuis les jardins du Palais du même nom, affirmé que les Français devaient garder espoir. Coûte que coûte. Le soleil dardait ses rayons sur la France et la France attendait le Tour au Ventoux, mont pelé. Ronronnement des caméras. Attentes programmées sous le cagnard (1) ou sur canapés climatisés. Et puis soudain ce que l’on aurait jadis nommé performance et que l’on hésite aujourd’hui a qualifier.

Un géant en Provence

On en trouvera quelques images ici, offertes par France Télévisions et reprises sur le site Huffington Post. C’est une nouvelle fois la pêche dans la mare au superlatif. L’homme « plane », il a « dompté » le Ventoux. « Un géant en Provence » titre La Nouvelle République du Centre Ouest qui ne sait plus quoi penser. Et comme on ne sait plus quoi penser on ne sait plus quoi dire. Les commentateurs commentent en abyme. A la radio (RTL) on « met des guillemets au mot exploit » (sic). On regarde le grand Froome comme on regarde les monstres en cage, mélange d’effroi et de plaisir. Une part du spectateur – son surmoi – s’indigne. Une autre – plus proche  du ça –  est émoustillée.  Quant au moi il fait, comme toujours, comme il peut.

Poursuite de l’écrémage 

Dans ces conditions le compte-rendu officiel de la 15ème étape a les délices d’un cocktail soviétique concocté par Moscou et Orwell. Extraits :

« (…) Le Maillot Jaune, inquiété sur la route de Saint-Amand-Montrond, remis en cause par la supposée vulnérabilité de son équipe, a apporté lors de l’ascension finale la preuve de sa supériorité sur tous ses rivaux. L’explication s’est jouée dans la deuxième partie de la montée, et plus particulièrement à 7,5 km de l’arrivée, où le patron de la course a déposé notamment Alberto Contador sur une accélération spectaculaire. (…) L’écrémage continue parmi les favoris, bien qu’à partir des 9,5 derniers kilomètres, le collectif de Sky se transforme en duo, avec Richie Porte et Chris Froome qui maltraitent leurs adversaires. Un kilomètre plus loin, le duo en question n’est plus accompagné que d’Alberto Contador et de Roman Kreuziger. Puis le Maillot Jaune déclenche à 7,5 km de l’arrivée une accélération imparable qui laisse sur place Contador et Kreuziger. Face à cette attaque, les 20 secondes d’avance de Quintana ne pèsent pas lourd. Rejoint puis déposé par Froome, le Colombien revient à sa hauteur et l’accompagne jusqu’à la banderole des 2 kilomètres. Mais le Britannique, qui a légèrement temporisé, a encore une nouvelle attaque à porter, à 1,5 km de la ligne. Quintana n’est pas en mesure d’y répondre. Chris Froome remporte en solitaire sa troisième étape sur le Tour de France, et creuse un écart conséquent sur ses premiers rivaux, qui restent Bauke Mollema et Alberto Contador… tous deux à plus de 4 minutes. » 

Le nouveau poison a deux noms

« Ecrémage » et « déposé » sont signifiants. Immanquablement le serpent du poison ressurgit. Commentant l’une de nos chroniques consacrée à l’EPO cycliste sur Slate.fr un spécialiste nous accuse d’avoir « quelques trains de retard ». Il ne dit pas combien. « De nos jours, vous trouver des peptides qui vont stimuler votre EPO endogène, écrit-il. Plus besoin d’injection de la molécule même. Idem pour l’hormone de croissance. On en injecte plus. On stimule artificiellement la production endogène. Impossible de détecter quoi que ce soit. Par ailleurs, n’oublions pas que dans le cas du maillot jaune du tour actuel, il y a de forte présomption d’utilisation de 5-aminoimidazole-4-carboxamide ribonucléotide plus connu sous le nom d’Aicar qui est réputé pour ces capacités à vous débarrasser du moindre gramme de graisse et de produire du muscle sans effort. Le dopage est entré de plein pied dans l’ère de la manipulation génétique. Pour un médecin de base, c’est devenu du chinois. C’est bien ce qui différencie de nos jours les coureurs. C’est celui qui a sous la main le scientifique le plus pointu qui gagnera, quelques soient ses capacités de départ. »

Le langage d’Aicar

Aicar ? Il y a précisément cinq ans le mot apparaissait dans les colonnes du Monde (édition du 3 août 2008). Extraits

« Verra-ton bientôt dans les pharmacies un nouveau médicament, administrable par voie orale, qui permettra de bénéficier de toutes les vertus métaboliques d’un exercice physique intensif sans avoir à en supporter les contraintes et les souffrances, écrivions-nous alors. Telle est en substance la question soulevée par la publication, jeudi 31 juillet, sur le site Internet de la revue Cell, des spectaculaires résultats obtenus par un groupe de chercheurs américains et sud-coréens dirigé par Ronald M. Evans (Howard Hugues Medical Institute, La Jolla, Californie).

Ils expliquent avoir identifié deux substances qui ont pour effet d’induire la plupart des réactions physiologiques que déclenche l’exercice physique. Au vu d’une série d’expériences menées chez la souris, il apparaît notamment que leur administration permet une augmentation de la consommation cellulaire des graisses et des capacités d’endurance. Les chercheurs ont déjà fait savoir qu’ils avaient, en collaboration avec l’Agence mondiale antidopage, développé un test de dépistage qui pourrait être mis en œuvre lors des Jeux olympiques de Pékin. »

« Aux frontières du dopage génétique »

« Nous sommes concrètement aux frontières du dopage génétique, nous expliquait Michel Rieu, conseiller scientifique de l’Agence française de lutte contre le dopage. Ces résultats, à la fois très intéressants et problématiques, sont issus de recherches qui ont été lancées il y a plusieurs années. Ils s’inscrivent dans le vaste champ des recherches visant à agir sur les récepteurs cellulaires et, par leur intermédiaire, sur les gènes impliqués dans la physiologie et le métabolisme des fibres musculaires. Nous savons qu’il est possible d’agir sur la cascade des événements moléculaires à l’origine de ces phénomènes. Il reste à savoir si les chercheurs américains ont trouvé la voie la plus efficace et, si oui, l’usage médical ou non qui pourra en être fait. »

Marathon mouse

L’affaire avait commencé en 2004 lorsque Ronald M. Evans et ses collaborateurs avaient, par manipulation génétique, créé des modèles expérimentaux de souris capables de réussir le double des performances musculaires des souris normales. Dénommés « souris marathoniennes », ces rongeurs présentaient des modifications notables de la trame de leurs fibres musculaires. Les animaux ne grossissaient pas, même quand ils étaient soumis à une alimentation hypercalorique. De la même manière, leurs différents paramètres biologiques sanguins, en sucres et en lipides, restaient alors dans les limites de la normale.

Ces résultats avaient pu être obtenus en modifiant d’emblée l’activité du gène dénommé PPAR-delta, qui joue un rôle-clef dans le métabolisme cellulaire. Restait à savoir si des résultats équivalents pouvaient être obtenus à partir d’une modulation de l’activité de ce gène, grâce à l’administration d’une molécule chez des animaux dont le patrimoine génétique n’avait pas été modifié. Une réponse positive était donc fournie en 2008 avec la mise au point de deux molécules (dénommées Aicar et GW 1516) qui, données à des souris normales, permettaient d’obtenir des améliorations équivalentes des performances musculaires et des changements métaboliques.

Quand les souris n’étaient pas des hommes

Après administration quotidienne d’Aicar durant un mois, les souris étaient capables de se déplacer – dans une cage tournante ou sur tapis roulant – sur des distances de 44 % supérieures à celles de leurs congénères non traitées. Dans d’autres conditions expérimentales, des performances encore plus spectaculaires (allant jusqu’à 68 % d’améliorations) peuvent être obtenues à partir du composé GW 1516.

Sous le cagnard d’août 2008 le pharmacologue David Mangelsdorf (université du Texas) estimait  que l’on disposait là de la recette miracle qui permettrait de bénéficier des avantages de l’exercice physique sans avoir à le pratiquer ? Michael Rennie, spécialiste de physiologie à l’université de Nottingham, rappelait que  les souris ne n’étaient pas des hommes  ? C’était il y a cinq ans. Cinq ans seulement.

 

(1) « Cagnard » est un terme fort goûté durant l’été en général, pendant le Tour en particulier. Chacun sait qu’il nous vient de l’occitan canhard qui désigne un abri au soleil. Ce qui incidemment rendrait quelque peu ridicule l’expression « sous le cagnard ». Heureusement le provençal est là qui voit là un lieu non ventilé où le soleil donne tout ce qu’il sait durant les plus belles journées d’été. « Ne reste pas en plein cagnard, tu vas t’ensuquer ! » De l’occitan assucar (« assommer »), lui-même de suc (« sommet du crâne »). D’où l’association psychiatrique de ce verbe du premier groupe avec l’usage qui peut être fait des médicaments neuroleptiques (ensuqué pouvait jadis signifier décervelé)

On sait peut-être moins, sauf à ouvrir un dictionnaire étymologique que canhard est moins  lui-même issu de l’ occitan canha ou de son synonyme canhassa  qui est une forme méridionale de la paresse (de la fainéantise) la racine canis laissant entendre que le fainéant se se prélasse comme un chien. Cagnard, version adjectif, qualifie celui qui n’aime pas à bouger ; ce qui correspond assez mal à l’image donnée par Christopher Froome dans l’après-midi du 14 juillet 2013 dans son ascension du mont Ventoux. Vieilli c’est le lâche, le poltron : « C’est un cagnard, un grand cagnard ! »

L’acception provençale s’est élargie : avec les congés payés et la mode du bronzage à tout va le cagnard (hier encore lieu ensoleillé et abrité du vent où se prélassait les chiens) devient le lieu où l’on prend le soleil en somnolant.   « J’allais faire la sieste dans un cagnard ensoleillé, entre les racines d’un pin, au creux d’un rocher, au fond d’une anse secrète ou dans un de ces petits postes de guet toujours nichés dans une situation inattendue…» — (Blaise Cendrars, L’Homme foudroyé, 1945.)