Médiator® : l’Assurance maladie fera partie du puzzle

Bonjour,

Bonne nouvelle démocratique : le puzzle Mediator® se complète. Quand les citoyens le verront-ils reconstitué ?  Notre justice ne s’intéressera-t-elle qu’aux gros morceaux ? Ira-t-elle jusque dans les marges, celles  des prescriptions indélicates, celles des remboursements indus par des agents comptables ignorants ? Remboursements à l’aveugle, mais toujours rubis sur l’ongle ; dans les pharmacies d’officine et avec l’argent de notre collectivité. D’assez grosses sommes. Et pendant assez longtemps. Grosse machinerie dont on imagine qu’elle dépasse ce petit coupe-faim déguisé en gros antidiabétique.

Homicides et tromperies

Pour quand, ce puzzle ? En ce mois de février 2014 nul ne sait répondre. Une certitude : il sera nettement plus vaste que ce que les médias nous avaient annoncé. Le salon n’y suffira pas. Il se résumait jusqu’ici  aux manœuvres d’une firme pharmaceutique (les Laboratoires Servier) facilitées par l’action plus ou moins complices de hauts fonctionnaires. L’affaire dépassera le cadre du bon et des méchants.

Nous savons l’essentiel. Ce médicament-phare et symptomatique  a été commercialisé pendant trente-trois ans (de 1976 à 2009), prescrit dans de nombreux par des dizaines de milliers de médecins à plusieurs millions de personnes. En France on le soupçonne d’être à l’origine d’environ deux mille décès prématurés du fait de lésions de valves cardiaques. Tout cela fut découvert sur le tard. Des procédures d’indemnisations des victimes sont en cours et deux informations judiciaires (homicides et blessures involontaires ; tromperie aggravée) sont ouvertes auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris.

Xavier Bertrand

Après les premières alertes heureusement lancées depuis la Bretagne, après les premiers chiffres rétroactifs, après les premières passions médiatiques vint une première recherche des responsabilités. Elle fut entreprise en 2011 avec l’enquête demandée par Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Applaudi stricto sensu par la presse, ce travail sur ordre ne permit d’éclairer qu’une partie des mécanismes mis en œuvre pour assurer le maintien sur le marché français d’un médicament longtemps comme ayant des vertus antidiabétiques mais qui était le plus souvent prescrit et consommé pour ses propriétés de « coupe-faim ». Pour l’essentiel les principales suspicions visèrent des responsables de la firme et des membres de l’administration en charge du médicament.

Prescripteurs payeurs

Cette lecture avait pour conséquence affichée de n’inquiéter ni les médecins prescripteurs (Xavier Bertrand avait publiquement déclaré qu’ils ne « seraient pas les payeurs ») ni les responsables de l’Assurance maladie. Peut-être était-ce un préalable nécessaire. Aujourd’hui cette construction ne résiste plus aux derniers éléments de l’enquête patiemment menée par le mouvement «Initiative Transparence Santé» (ITS). (1)

Une étape cruciale avait été franchie fin décembre avec une décision de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Cette dernière se déclarait alors favorable à ce qu’ITS puisse avoir connaissance des documents qu’elle réclamait, sans succès jusqu’alors à  Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). ITS souhaitait prendre connaissance de l’ensemble de pièces chiffrées relatives à la prescription et à la commercialisationdu  coupe-faim des Laboratoires Servier.  

Sniiram secret

Il s’agissait de toutes les informations relatives à la consommation entre 1999 et 2009  du Mediator® en France. Ces deux dates correspondaient à deux moments-clefs. L’année 1999 vit la création de la base nationale informatisée des informations inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM). 2009 correspond à l’arrêt de la commercialisation de ce  médicament mis sur le marché en 1976.

Le feu vert de la Cada devait permettre à ITS de disposer ainsi de tous les éléments qui lui permettraient de connaître le nombre d’assurés sociaux ayant réellement consommé  du Mediator®  durant cette période de dix ans mais aussi la durée moyenne des traitements, les taux de prescriptions médicales effectuées en dehors des autorisations de mise sur le marché, le nombre des boîtes remboursées et celles qui ne l’étaient pas.  

Igas zélée

Il s’agissait aussi d’identifier les principales catégories de médecins initiateurs de ce traitement médicamenteux, le nombre total des praticiens et celui des plus gros prescripteurs. Il s’agira enfin de préciser le montant des sommes remboursées aux patients consommateurs. C’était en d’autres termes la possibilité de compléter la lecture partielle effectuée par l’Igas à la demande de Xavier Bertrand. Fin décembre Slate.fr avait rapporté les obstacles que l’assurance-maladie avait opposés à cette demande – ainsi que la décision de la Cada  qui ouvrait en France la voie aux entreprises d’Open data dans le champ du médicament. (2)

Le postulat d’ITS était que l’assurance maladie ne pouvait pas ne pas savoir, au vu des montants de remboursements que le Mediator® était largement prescrit hors de ses indications (et donc indument pris en charge par la collectivité. C’est (en partie) chose faite avec la lettre datée du 31 janvier adressée par le directeur général de la Cnam à ITS.

Cnam muette

On apprend ainsi qu’au moment où il a été retiré du marché près de 400 000 personnes étaient des consommateurs réguliers de Mediator®. Entre 2000 et 2009 près de 55 millions de boîtes ont été prescrites et commercialisées pour un montant total, pris en charge par la collectivité de plus de 210 millions d’euros. La Cnam ne répond pas précisément à la question des prescriptions médicales effectuées en dehors de l’autorisation de mise sur le marché (« hors AMM »). Elle fait valoir que le libellé de l’AMM a varié au cours du temps, parfois de façon importante. C’était, on l’a compris depuis, la stratégie adoptée par les Laboratoires Servier pour rester coûte que coûte sur le marché.

Pour ITS les choses sont désormais claires : « en 2008 à l’échelle nationale, le médicament de Servier était prescrit dans environ 80 % des cas hors de ses indications officielles. Soit la Cnam avait connaissance de ce mésusage et n’a rien fait, ce qui nous semble hautement critiquable. Soit elle ne le savait pas mais aurait facilement pu le découvrir.  La réponse que notre collectif est parvenu à obtenir (avec difficulté) en atteste. »

Huit fois sur dix hors AMM. Comment comprendre ? Et pourquoi l’Assurance-maladie ne l’a-t-elle pas compris ?

Succès massif d’un adjuvant

De 1989 à avril 2007  le Mediator®  était indiqué comme «adjuvant du régime adapté chez les hypertriglycéridémies et adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale ». Puis d’avril 2007 à novembre 2009, l’AMM fut réduite à l’extrême. En théorie le Mediator®  ne pouvait plus être prescrit que comme «adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale». Soit, en d’autres termes chez des personnes connues par l’assurance maladie pour être diabétiques.

En réponse aux questions précises d’ITS l’Assurance maladie répond ne pas avoir les moyens de savoir quelle était la proportion des consommations hors AMM avant 2007. Elle fait valoir que « l’hypertriglycéridémie » qui constituait alors une indication majeure du Mediator®  « repose sur un dosage biologique » et il n’existe pas de « traitement spécifique ». « Pour appréhender le respect de l’AMM, il eût été nécessaire de disposer d’une analyse détaillée de la situation médicale nécessitent l’accès au dossier médical du patient » fait valoir le directeur général de la Cnam.

Le mystère bourguignon

Un travail avait toutefois été réalisé en 1997, par l’Union régionale des caisses d’Assurance maladie (Urcam) de Bourgogne. Il concluait qu’« un tiers des prescriptions étaient hors du champ des indications thérapeutiques prévue par l’AMM. » La Cnam fut alertée. Personne ne donna suite à cette observation majeure, ni en Bourgogne ni à Paris. Pourquoi ?

« A la suite du changement d’indications de l’AMM en 2007, le taux de «hors AMM» sur la période des deux dernières années de commercialisation peut être estimé à partir de la consommation concomitante de médicaments antidiabétiques. En 2008, parmi les patients consommant du Mediator®, c’est-à-dire, ayant eu au moins un remboursement de Mediator® dans l’année, 19,6 % étaient des personnes traitées par médicaments antidiabétiques. A ces patients traités par médicament antidiabétique, il faut ajouter les diabétiques traités par régime alimentaire seul. Suivant l’estimation que l’on fait de la prévalence du diabète traité par régime seul le taux de non-respect de l’AMM peut être approché, sans qu’il soit possible d’en connaître la valeur exacte en l’absence de possibilité de reconnaître les diabétiques sous régime diététique seul dans les données de l’Assurance maladie. »

Sérieusement, ne peut-on pas aller plus loin dans l’approche ? On peut raisonnablement en douter. Sauf à évoquer d’autres hypothèses.

Héliotropisme d’opérette

Autre observation d’ITS : la très forte variabilité du nombre de personnes ayant consommé du Mediator® dans chaque département sur les douze derniers mois ayant précédé l’arrêt de sa commercialisation. C’est ainsi que les quatre départements les moins consommateurs (la Mayenne, l’Ille-et-Vilaine, le Maine-et-Loire et l’Indre-et-Loire) affichent un taux de prescription pour mille habitants compris entre 1,14 et 1,58. Or ce taux  varie de 12,4 à 14,3 dans les quatre départements en France métropolitaine où le Mediator® a été le plus prescrit (Corse-du-Sud, Var, Alpes-Maritimes et Bouches-du-Rhône). Rien, pour l’heure, ne permet encore de comprendre pourquoi a pu exister de telles disparités. Certains on voulu ne voir là un effet héliotrope. On pourrait en sourire si le sujet n’était pas celui-ci.

Lumières sans ombres

Le directeur général de la Cnam se refuse encore à transmettre certaines données (par caisses d’assurance maladie). Il souhaite savoir si les informations judiciaires ouvertes auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris font ou non obstacle à la transmission de ces données. C’est là une décision bien étrange. Pourquoi le travail de la justice s’opposerait-il à celui de ceux qui entendent, aussi, faire la lumière sur cette assez peu banale affaire ?

A demain

1 Rappelons que l’ «Initiative Transparence Santé» (ITS) est un mouvement réunissant de nombreux acteurs du monde de la santé (associations de malades et de consommateurs, chercheurs en santé publique, assureurs, entrepreneurs etc.) qui réclament une «libération des données» relatives aux différents domaines de la santé.

2 Voir aussi, sur ce blog « Mediator® le scandale va rebondir »

 Ce texte reprend pour partie une chronique publiée sur Slate.fr

 

Prothèses mammaires : qui sera le bouc émissaire ?

Présenté comme le « Nimbus du faux sein » Jean-Claude Mas, 72 ans, est recherché par Interpol.  Xavier Bertrand, ministre de la santé, s’exprime : « une sombre affaire de gros sous ». Frédéric Van Roekeghem, directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie, porte plainte pour « tromperie aggravée et escroquerie à la sécurité sociale ». L’affaire pourrait bientôt se révéler un peu plus complexe qu’on aurait pu le penser.

Longtemps les journaux imprimés sur papier vécurent grâce aux feuilletons. Sang, mort, amour. Ceux d’aujourd’hui découpent leurs histoires dans un réel qui dépasse la seule actualité policière et judiciaire. Et nul ne sait plus si l’auteur est celui qui signe. Certains se plaisent à théoriser l’affaire sous le concept, récemment forgé, de storytelling (communication narrative). Au début des années 1980 un journaliste s’exprimait en langue française : « Rien n’est plus beau que la vérité, sinon un fait divers joliment raconté ». Pour ce qui est du «fait divers», voir Pierre Larousse : «Le rédacteur chargé dans chaque journal de ce qu’on est convenu d’appeler la cuisine doit apporter une attention toute particulière à la confection des faits divers, sortes de beurre et radis (qu’on nous passe l’expression) du repas quotidien, parfois un peu fade, servi à des lecteurs passablement blasés. S’il ne sait pas raconter avec précision un assassinat, il est perdu.»

« Nimbus et/ou Crésus du faux sein »

Il en va de même aujourd’hui avec cette autre forme, métaphorique, d’assassinat, que peut être la crise sanitaire. Ainsi aujourd’hui l’affaire des prothèses mammaires. Ce feuilleton naissant vient de s’enrichir de quelques épisodes à la fois disparates et baroques. Objet soudain de toutes les attentions : Jean-Claude Mas, 72 ans auquel Le Journal du Dimanche (daté du 25 décembre) consacre un long portrait.  Sous le titre « La chute du ‘’Nimbus du faux sein’’ » et la signature de Jean-Pierre Vergès cela donne ceci :

«   Avec son crâne dégarni, sa longue barbe poivre et sel et son allure de Schtroumpf, les cadres de Poly Implants Prothèses (PIP) l’avaient surnommé « Nimbus ». Inventeur insatiable, Jean-Claude Mas espérait devenir le Crésus des faux seins et comptait se lancer dans la prothèse du mollet et de la fesse… Las, le fondateur et président du conseil de surveillance de cette entreprise installée à La Seyne-sur-Mer (Var), rachetée en 2003 par une société américaine, sera jugé fin 2012 à Marseille pour « tromperie aggravée ». Un procès auquel la Caisse nationale d’assurance-maladie compte s’associer, son directeur ayant annoncé hier le dépôt prochain d’une plainte au pénal, notamment pour « escroquerie ».

À 72 ans, Jean-Claude Mas est accusé d’avoir vendu des prothèses bourrées de silicone industriel à usage non médical. « Elles ont été fabriquées pour faire des économies et rentabiliser l’entreprise », admet
Me Yves Haddad, son avocat varois. 2.172 plaintes ont déjà été déposées par des femmes qui pourraient obtenir entre 3.000 et 5.000 euros de dommages et intérêts. « Il est meurtri par la douleur des victimes et par l’ampleur de cette affaire, assure Me Haddad, mais il reste persuadé que son produit n’est pas dangereux. » Une question qui sera tranchée par la justice dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « homicide involontaire » et qui pourrait valoir au « professeur Nimbus » une mise en examen.

« Mas est un truqueur, un menteur, un escroc, accuse le Dr Patrick Baraf, un chirurgien plasticien de renom qui le croisait dans les salons professionnels. C’est un ex-négociant en vins et en charcuterie qui voulait à tout prix réussir. » Tarbais d’origine, il aurait été délégué médical avant de tomber amoureux, en 1982, de la directrice de Medical Application Plastique, société varoise de fabrication de prothèses mammaires.

Un joueur de poker interdit de casino

Grâce à son procédé de fabrication par trempage et sans soudure apparente, il multiplie rapidement le chiffre d’affaires par vingt, développant notamment ses activités à l’export. Mais ce joueur de poker invétéré, qui s’est fait interdire de casino, prend de plein fouet la mise au ban du silicone dans les années 1990. « Il faisait du dumping en vendant la paire de prothèses 250 euros contre 800 euros, poursuit Patrick Baraf. C’est un agité, malhonnête dans son argumentation, qui prétendait que les produits concurrents donnaient le cancer. »

Quelques semaines après la liquidation de l’entreprise, en 2010, Jean-Claude Mas est interpellé au Costa Rica, le 1er juin, accusé de conduite en état d’ivresse. Absent de son procès, où il risquait trois ans de prison, le septuagénaire est recherché depuis juin par Interpol… Sera-t-il présent au tribunal de Marseille fin 2012? Libre, le prévenu ne fait l’objet d’aucun contrôle judiciaire en raison du cadre procédural choisi pour la tenue d’un procès rapide. « Je l’ai vu mardi, il n’est pas en fuite », assure Me Yves Haddad. « Il a répondu à deux reprises aux convocations alors qu’il était à l’étranger, remarquait samedi le parquet de Marseille. Il n’y a aucune raison de penser qu’il puisse se mettre en cavale. » »

 La veille de Noël Xavier Bertrand, ministre de la Santé Xavier s’intéressait lui aussi à Mr Mas. « Vous pensez bien qu’on est particulièrement intéressé par le fait qu’il soit retrouvé, qu’il réponde de ses actes parce que derrière, il y a une sombre affaire de gros sous, a déclaré M. Bertrand au micro d’Europe 1. Interrogé sur des procédures judiciaires qui pourraient concerner des « cliniques » et des « chirurgiens », le ministre a mis en garde contre la « tentation d’une théorie du complot ». Concernant une demande formulée par la Colombie (où 15 000 femmes seraient porteuses de prothèses PIP) visant à ce que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) se penche sur l’affaire, M. Bertrand a souligné que la France travaillait en toute transparence avec ses homologues européens et en lien  avec l’OMS. Selon lui la décision du gouvernement français va « certainement amener d’autres pays à s’aligner sur les conditions de prise en charge  du retrait des prothèses incriminées ».

 Soixante millions d’euros

 Toujours la veille de Noël, Frédéric Van Roekeghem, directeur de  la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) a fait savoir à l’Agence France Presse qu’il ne restait pas inactif. « En accord avec le ministre de la Santé Xavier Bertrand l’assurance maladie a décidé de déposer plainte au pénal pour tromperie aggravée et escroquerie à la sécurité sociale dans l’affaire PIP, a-t-il indiqué. Ce sera vraisemblablement une plainte contre X (…) Nous attendons qu’un procès puisse être ouvert très rapidement pour ces deux faits et que les responsabilités des dirigeants de l’entreprise soient clairement mises au jour. Le fondement de notre action est que nous avons d’ores et déjà pris en charge les prothèses PIP pour les femmes souffrant d’un cancer du sein sur la base du respect des conditions de fabrication fixées par l’Afssaps. Or, elles n’ont pas été respectées par la société PIP. Nous enchaînerons bien sûr par une plainte au civil pour que la Sécurité sociale puisse recouvrer les sommes recouvrables et faire valoir ses droits.»

 

Le coût maximal pour la sécurité sociale  des opérations de retrait des prothèses mammaires PIP vient d’être estimé à une soixantaine de millions d’euros ; estimation qui inclut le coût des interventions d’explantation pour les porteuses de ces prothèses, ainsi que celui du remplacement par des nouveaux implants, lorsqu’il s’agit de reconstruction mammaire après cancer.

Les langues se délient (1). Ainsi Eric Mariaccia, ancien délégué CFDT de l’entreprise varoise PIP, qui employait quelque 120 personnes avant sa mise en liquidation en 2010. « Le gel silicone incriminé a été créé et fabriqué chez nous, à PIP. C’était un gel maison », a-t-il déclaré à l’agence de presse Reuters. Il était selon lui difficile de savoir que les prothèses étaient potentiellement dangereuses pour la santé. « Il aurait fallu être chimiste pour s’apercevoir de quelque chose », a dit-il. Mais Reuters ajoute que cet avis n’est pas partagé par un ancien technicien de PIP cité en août par le quotidien Var Matin, selon qui le « faux gel était fabriqué à partir d’une huile de silicone alimentaire et industrielle. Un fût de 200 kg de gel médical coûte 60 dollars, contre 10 dollars pour la même quantité d’huile industrielle. Le gel médical ne coule pas, il reste sur lui-même. Au contraire, le ‘’faux gel’’ était comme de l’eau savonneuse. »

Trois points et trois questions

A ce stade un résumé des liens, corrélations et interrogations peut être fait qui devrait structurer la suite du feuilleton.

1 Le lien entre la « fraude au gel » de l’entreprise PIP et les huit cas de cancers recensés à ce jour en France n’est pas établi. (Sur ce point on retiendra la formule lourde de sens entendue lors d’un bulletin d’information de France Info : « Le lien (…) n’est pas encore établi »)  

2 La décision gouvernementale de recommander l’explantation des prothèses PIP aux 30 000 femmes concernées ne se fonde pas sur un risque plus élevé que la moyenne de survenue de cancer.

3  Jean-Claude Mas est recherché par Interpol mais cette mesure ne concerne pas l’affaire des prothèses PIP.

4  La Caisse nationale aurait-elle portée plainte contre la firme si le gouvernement n’avait pas formulé sa recommandation d’explantation ?

5  Le gouvernement aurait-il formulé sa recommandation si des cas de cancers n’avaient pas été, sinon recensés, du moins médiatisés ?

6 Pour quelles raisons précises l’Afssaps n’a-t-elle pas identifié avant le printemps 2010 la « fraude au gel » de l’entreprise varoise (2) ?  

Achat de crème et réfection de poitrine

Bien connu des médias le professeur Laurent Lantieri est chef du service de chirurgie plastique de l’hôpital Henri-Mondor (Créteil). Il est l’auteur d’un ouvrage destiné au grand public et intitulé « Je leur ai rendu un visage » ; à paraître chez Flammarion. Il  est aussi membre du comité de suivi ministériel sur le dossier des implants mammaires. Après s’être récemment exprimé dans les colonnes de Libération il a accordé un entretien au Journal du Dimanche ; entretien publié sous le portrait du « Nimbus au faux sein ». Le Pr Lantieri y accepte l’idée qu’il s’agit là d’une crise sanitaire mais refuse celle selon laquelle les autorités sanitaires auraient failli à leur mission.

« Dire que l’État a laissé passer des prothèses frauduleuses, c’est faux, assure-t-il. Nous avons les lois les plus restrictives au monde. Les autorités ont réagi immédiatement face à une escroquerie pure et simple, on n’est pas dans le cas du Médiator [dans lequel l’Afssaps est également visée]. La fraude aurait pu se produire sur des valves cardiaques ou des pacemakers. Cette histoire aura peut-être le mérite de faire réfléchir celles qui sont prêtes à n’importe quoi en matière d’esthétique. Avoir recours à la chirurgie esthétique n’est pas condamnable, mais aucun geste médical n’est anodin. On ne doit pas se refaire la poitrine comme on achète une crème. »

Le Pr Lantieri refuse aussi l’idée avec force selon laquelle il y aurait urgence. « Les implants ne vont pas exploser entre Noël et le jour de l’an! Ces jours-ci, les chirurgiens sont débordés car on a mis dans la tête des patientes qu’elles risquaient un cancer du sein. C’est faux : le risque est le même que dans la population générale. » Sans nullement succomber à la théorie dite du complot on aimerait savoir qui désigne le pronom indéfini dont il fait, ici, l’usage. On aimerait également savoir si les femmes (du moins les femmes irréfléchies) sont ou non responsables de ce qui leur arrive. Deux questions qui, sait-on jamais, pourraient valoir deux prochains épisodes.

(1) Il faut ici apporter les informations suivantes, fournies le 26 décembre par l’agence de presse Reuters  (Jean-François Rosnoblet et Yves Clarisse, édité par Gérard Bon) :

Ancien visiteur médical, « Jean-Claude Mas n’a jamais été charcutier »

« Jean-Claude Mas, le fondateur de la société PIP qui fabriquait des implants mammaires défectueux, n’a jamais été charcutier, se trouve toujours en France et vient de subir une intervention chirurgicale, a déclaré lundi son avocat. Me Yves Haddah souligne que son client, âgé de 72 ans, a toujours répondu aux convocations de la justice et qu’il a été placé en garde à vue à deux reprises, en novembre 2010 puis le 13 octobre 2011 pour un reliquat de trois heures dans le cadre des enquêtes sur les prothèses en France. « Il s’est expliqué lors de ces auditions et attend sans problème une nouvelle convocation de la justice », du magistrat du pôle santé de Marseille en charge du dossier de Poly Implant Prothèse (PIP). Me Haddah affirme avoir reçu Jean-Paul Mas à son cabinet, lundi matin à Toulon et dit avoir appelé Interpol pour protester contre « l’amalgame » qui a été fait entre l’affaire PIP et l’avis de recherche lancé contre son client par le Costa Rica.  Au Costa Rica, il s’agit « d’un accident de la circulation dans un état d’alcoolémie supérieur à ce que prévoit la législation locale », explique-t-il. « Jean-Claude Mas était au volant et a eu un accident avec un bus comme cela aurait pu arriver à Toulon. Il s’est depuis rendu à deux reprises au Costa Rica, du 1er au 15 juin 2010 et du 8 au 23 octobre 2010, sans être aucunement inquiété », ajoute-t-il. De même, le défenseur récuse les informations présentant le fondateur de PIP comme un ancien charcutier. « Jean-Claude Mas n’a jamais été charcutier. Sa maman a été épicière. Avant la création de PIP, en 1991, Jean-Claude Mas a créé une première société dénommée Sima Plast avec un chirurgien esthétique de Toulon aujourd’hui décédé, puis une seconde société dans les années 1980 dénommée MAP », dit-il.

Auparavant, le fondateur de PIP avait travaillé pendant plus de 15 ans comme délégué médical au sein de la multinationale pharmaceutique Bristol-Myers Squibb. Jean-Claude Mas, qui est né à Tarbes, n’est pas marié mais a deux enfants. « Il est préoccupé par l’importance prise par cette affaire, il en veut à ceux qui rajoutent inutilement à la souffrance des gens », dit son avocat. Interrogé par Reuters, l’un des anciens commerciaux de la société PIP raconte ne plus avoir eu de contact avec Jean-Claude Mas ou d’autres responsables depuis la liquidation de l’entreprise en mars 2010. « Tout le monde s’est barré en courant. Je m’en veux d’avoir travaillé pour eux, cette affaire est terrible », dit-il sous couvert de l’anonymat. Il explique que les commerciaux avaient très peu d’accès au site de fabrication. « Tous les ans ou tous les deux ans on y allait et j’ai rencontré Monsieur Mas. Mais on ne demande pas le CV de son patron quand on est engagé ». « Il y a toujours des ruptures dans tous les implants. Parfois c’est dû au fait qu’un instrument chirurgical endommage le produit. On nous disait que le taux de rupture était conforme à la moyenne. On sait aujourd’hui qu’on ne peut plus leur accorder le moindre crédit », ajoute-t-il. Les responsables de PIP sont soupçonnés d’avoir fabriqué des prothèses mammaires avec du gel frauduleux meilleur marché. Selon l’ancien commercial de PIP, la pression « vient des chirurgiens et des cliniques qui veulent négocier les tarifs, qui veulent toujours grapiller quelques euros pour maximiser leurs profits’’. »

(2) Sur ce point l’affaire pourrait être bientôt nettement plus complexe que prévu comme en témoignent ces précieux extraits d’une dépêche de l’Agence France Presse (ved/edm/mla) mandée de New York le 26 décembre :

« Les prothèses PIP ont fait l’objet de nombreuses poursuites aux USA »

Les prothèses PIP ont été commercialisées aux Etats-Unis jusqu’en 2000 indiquent des documents consultés lundi 26 décembre sur le site des autorités boursières américaines. Entre 1996 et 2009, des utilisatrices de ces prothèses, ou encore des partenaires dénonçant des impayés ou des ruptures de contrat, ont déposé plusieurs dizaines de plaintes aux Etats-Unis contre toutes les représentations légales de PIP dans le pays (PIP/USA, PIP America, Heritage Worldwide, etc.). Un document de février 2009 mentionne notamment trois plaintes déposées en Floride (sud) en octobre 1999, juin 2000 et juillet 2003 par cinq membres de la famille Kwartin contre PIP et ses filiales américaines III Acquisition Corp. PIP/USA, mais aussi attaquant personnellement l’ex-patron Jean-Claude Mas « et plusieurs autres personnes, devant le tribunal de Miami-Dade County ». Les plaignants « prétendent être des actionnaires de PIP/USA, Inc., un distributeur de PIP, (…) et cherchent à obtenir des dommages et intérêts pour un montant non spécifié de la part de PIP et des personnes poursuivies pour des comportements fautifs présumés », détaille le document. Ces plaintes ont ensuite été consolidées en plainte en nom collectif en 2005. PIP a aussi été poursuivi par des dizaines d’utilisatrices de prothèses à partir de 2003, notamment dans l’Illinois (nord des Etats-Unis) puis au Texas, mais aucune n’avait fait l’objet de procès début 2009.

Les plaintes faisaient notamment part de marchandise défectueuse, inappropriée pour l’utilisation en ayant été faite, enfreintes aux législations locales de la consommation, etc. La majorité des plaintes ont été déboutées, parfois par des problèmes de formes, les plaignants ayant déposé leurs plaintes dans des Etats où PIP n’avait pas de présence légale, d’autres classées après le dépôt de bilan de PIP, le 28 avril 2009, qui s’est ensuivi par la liquidation en 2010. Fondée en 1991 à la Seyne-sur-Mer (Var), la société de fabrication d’implants mammaires PIP, liquidée depuis mars 2010, s’est enregistrée en 2001 aux Etats-Unis sous le non d’Heritage Worldwide, dans l’Etat du Delaware (est des Etats-Unis) dont la législation fiscale est particulièrement souple. Heritage Worldwide « et ses filiales conçoivent, fabriquent et commercialisent des implants mammaires dans le monde entier », indique le dernier rapport trimestriel publié par l’entreprise, en février 2009. « Nous avons cessé de faire des ventes sur le marché américain en mai 2000, à la suite d’un changement de réglementation de la FDA », l’autorité américaine du médicament, qui a alors lancé un moratoire sur les prothèses en silicone, ajoute le communiqué. En mai 2000, « le marché américain représentait 4 millions de dollars soit 40% de notre chiffre d’affaires », précise le document. La santé financière de la société a alors commencé à décliner et à partir de 2007, les pertes se sont accumulées. Elles atteignaient 1,25 million de dollars pour 2008, dernière année d’exercice normal.

Dans le document de février 2009, l’entreprise avertissait qu’elle allait probablement devoir se mettre en faillite.
« Il n’est pas sûr que l’entreprise ait suffisamment de fonds pour poursuivre son plan d’activité, payer ses dettes en temps voulu et générer des résultats opérationnels positifs », précisait-il. PIP disposait de filiales de distribution aux Etats-Unis, notamment PIP/USA et PIP America, mais gardait toutes ses infrastructures de production à la Seyne-sur-Mer. PIP a occupé pendant un temps le rang de numéro trois mondial du secteur, fournissant quelque 100.000 prothèses par an, essentiellement à l’étranger.