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1er mai 2015. Le puzzle médicolégal ante mortem se complète. Slate.fr (Vincent Manilève), reprenant des informations révélées par CNN éclaire d’un jour un peu plus sombre l’affaire du crash de l’avion de Germanwings du 24 avril dernier. Il apparaît ainsi que plusieurs documents montrent que la Federal Aviation Administration (FAA) avait soulevé des questions quant à la santé psychique du copilote Andreas Lubitz, et ce dès 2010.
« À l’époque, elle avait refusé dans un premier temps de lui accorder un certificat de pilote pour qu’il continue sa formation dans l’Arizona, avant de se raviser quelques semaines plus tard après l’avis positif d’un spécialiste, écrit Slate.fr. CNN, qui s’est procuré les documents, explique que, «de janvier à octobre 2009, Andreas Lubitz a reçu un traitement psychothérapeutique, qui comprenait deux médicaments contre la dépression. »
Selon CNN il s’agissait d’escitalopram et de mirtazapine. Les deux sont indiqués dans le traitement de la « maladie dépressive ».
Soixante-dix huit présentations
La mirtazapine est commercialisée en France sous ce nom et sous seize formes génériques. L’escitalopram est quant à lui commercialisé sous pas moins de soixante-deux (je dis soixante-deux) formes différentes. La présentation la plus connue est sans conteste le Seroplex® des laboratoires Lundbeck :
« Seroplex® contient de l’escitalopram et est utilisé pour traiter la dépression (épisodes dépressifs majeurs) et les troubles anxieux (tels que le trouble panique avec ou sans agoraphobie, le trouble anxiété sociale, le trouble anxiété généralisée et les troubles obsessionnels compulsifs) chez les adultes de plus de 18 ans.
Environ deux semaines peuvent être nécessaires avant que vous ne commenciez à vous sentir mieux. Continuez à prendre Seroplex® même si vous tardez à ressentir une amélioration. Vous devez vous adresser à votre médecin si vous ne ressentez aucune amélioration ou si vous vous sentez moins bien. »
Gérer son quotidien
« L’usage de deux médicaments suggère qu’un seul médicament n’est pas suffisamment efficace, a expliqué à CNN le Dr Jacqueline Brunetti, spécialisée dans l’examen des pilotes de ligne. Prendre deux médicaments peut signaler une incapacité à “gérer son quotidien et/ou les demandes domestiques”.» On attend avec intérêt l’avis des psychiatres français (1).
« La date précise du début de la dépression d’Andreas Lubitz n’est pas connue. En 2008, quand il entre à l’académie de vol très sélective de la Lufthansa, son bilan de santé est bon et ne signale aucun trouble. Mais, six mois plus tard, on lui diagnostique une »dépression réactionnelle », »un trouble enclenché avec des événements stressants ou traumatiques », explique le New York Times. Problème, note le journal, Andreas Lubitz aurait tenté de mentir dans un questionnaire de la FAA en juin 2010: «Il a d’abord marqué “non” à une question lui demandant s’il avait déjà été traité pour troubles mentaux.»
Dépression réactionnelle
Il faudra qu’un médecin de la Lufthansa modifie sa réponse pour signaler les traitements dont il avait bénéficié.CNN explique encore que, malgré son traitement et sa volonté affichée de reprendre le programme d’entraînement avec la Lufthansa, la division de certification médicale aérospatiale de la FAA a préféré lui refuser son autorisation de pilotage en juillet 2010.
Elle avait mis en avant son passé de «dépression réactionnelle» et demandé un examen supplémentaire. Un médecin ayant traité Andreas Lubitz a alors écrit deux courrier pour souligner que le traitement avait été un succès et que son patient était désormais «mentalement stable». Quelle relecture fait aujourd’hui ce médecin de ce dossier ? Des comptes lui seront-ils demandés ?
Toxicologie en attente
Andreas Lubitz a ensuite reçu une autorisation de voler sur le territoire américain pour poursuivre sa formation. Il sera par la suite engagé par Germanwings, chez qui il deviendra, comme l’on sait, copilote.
Le puzzle médicolégal ante mortem se complète. Reste la dimension post mortem : les résultats de la toxicologie faite après l’identification des restes du corps d’Andreas Lubitz. Ils ne sont, pour l’heure, pas connus.
A demain
(1) Le commentaire du Pr Bernard Granger (Université René Descartes, hôpital Tarnier, AP-HP):
» Il faut souligner le caractère incomplet de ces éléments. Le concept de dépression est trop flou (réactionnelle à quoi ? l’histoire ne le dit pas précisément). La notion d’épisode dépressif majeur est de plus en plus contestée. C’est devenu un diagnostic passe-partout, sans exploration globale de la situation psychique ni des particularités de chaque patient. Il y avait chez ce copilote probablement des failles de la personnalité qui n’ont pas été explorées ou détectées, ou qu’il a masquées voulant obtenir son brevet de pilote – comme il a menti plus tard sur son antécédent de traitement antidépresseur.
Le traitement en lui-même n’a pas de particularité pour un épisode dépressif, encore que l’association de deux antidépresseurs ne se fasse en général qu’en seconde intention, quand le premier antidépresseur prescrit n’a pas été suffisant. Certains auteurs préconisent toutefois une telle association d’emblée pour maximiser les chances de succès du traitement.
L’histoire ne dit pas si le copilote a suivi une psychothérapie. Il est à noter que plus récemment on lui a de nouveau prescrit des psychotropes, sans que l’on sache précisément lesquels ni s’il les a pris. »