La France est un pays (encore) bien riche. On s’y entre-déchire sur le mariage pour tous. On s’y passionne pour un procès au long cours centré sur des prothèses mammaires défectueuses. Et la plus haute juridiction administrative relance une vive polémique médicale sur l’épilation des membres inférieurs des femmes.
Le 18 avril 2013 les abonnés à la version électronique du Quotidien du médecin reçurent, dans une aube décidemment bien fraîche, les attendus d’une décision du Conseil d’Etat. Question soulevée : une épilation au laser est-elle un acte médical ? Créé en 1799 par Napoléon Bonaparte le Conseil d’Etat siège depuis 1875 place du Palais Royal. Dans notre Cinquième République le Conseil d’État doit être consulté par le gouvernement pour un certain nombre d’actes, à commencer par les projets de lois. C’est aussi la plus haute des juridictions de l’ordre administratif . Son vice-président (qui est le président de fait du Conseil) est le premier fonctionnaire de l’État. C’est à ce titre notamment qu’il présente chaque année au président de la République les vœux de l’ensemble des corps constitués.
Nous apprenons aujourd’hui que le Conseil d’État vient de confirmer une sanction disciplinaire frappant un médecin au motif que ce dernier avait « délégué » des actes d’épilation laser à ses « assistants ». Cette affaire relance une ancienne controverse sur la médicalisation de cette pratique. « Bien que la tendance soit à la délégation, l’absence d’une formation – et d’une profession – ad hoc laisse les médecins dans l’incertitude juridique » rappelle le Quotidien du médecin.
La pince ou la cire ?
En pratique la plus haute juridiction administrative a rejeté le 28 mars dernier le pourvoi du Dr B., condamné en première instance par la chambre disciplinaire du conseil de l’Ordre des médecins d’Ile-de-France. La condamnation avait été une interdiction d’exercer pendant un an, peine réduite en appel à trois mois avec sursis. Le médecin avait été reconnu coupable de complicité d’exercice illégal de la médecine pour avoir confié à ses assistants des actes d’épilation avec un appareil laser.
Sur le fond l’affaire a le mérite de poser clairement la question de la médicalisation de l’épilation au laser. Une vieille histoire. Car les textes législatifs prêtent le flan à des interprétations divergentes. Un arrêté de 1962 (l’épilation au laser n’existait pas encore) fixe la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins, dont « tout mode d’épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire ». Douze ans plus tard survient un arrêté portant sur les procédures d’homologation des différents appareils laser. On peut y lire que ces appareils doivent être « utilisés par un médecin ou sous sa responsabilité ». On peut y voir une première ouverture vers la délégation de tâches. Ou pas.
Puis vint, comme souvent, la jurisprudence. Elle se superpose aux textes et n’a guère aidé à les interpréter. En 2005, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un médecin accusé d’exercice illégal de la médecine. Elle le rejette non parce qu’il a délégué des actes d’épilation, mais parce qu’il n’exerçait aucune surveillance sur ses assistants. En 2008, la chambre nationale du Conseil de l’Ordre des médecins (s’appuyant sur l’arrêté de 1974) estime que des « actes d’épilation au laser peuvent être réalisés par des non-médecins à condition qu’ils agissent sous la responsabilité d’un médecin et qu’ils aient la compétence suffisante ».
La parole des dermato-vénérologues
« Pour autant la dernière décision du Conseil d’État, qui juge que l’arrêté de 1962 n’est ni abrogé ni modifié par celui de 1974 (parce qu’il se borne à définir les appareils laser pouvant être homologués), semble plus restrictive, écrit Coline Garré dans le Quotidien du médecin. Depuis les travaux du Pr Yvon Berland concrétisés dans la loi Hôpital, patients, santé et territoire , l’intérêt d’une délégation encadrée (c’est-à-dire sous la responsabilité du médecin) de certains actes d’épilation laser fait de plus en plus consensus. » « Nous souhaiterions une délégation à des assistants formés et diplômés, comme celle qui existe avec les manipulateurs radio, les infirmières, ou encore les orthoptistes, sous délégation médicale », affirme pour sa part le Dr Luc Sulimovic, président du syndicat national des dermatologues-vénéréologues qui a été fondé en 1928.
Il n’est plus le seul à avoir voix au chapitre. Le Dr Dominique Debray, président du (tout jeune : il n’a pas de site) syndicat national des centres de laser en dermatologie (SNCLD) enfonce, si l’on peut dire, le clou : « Le seul avenir, c’est la délégation à des professionnels ». « Des opératrices qui répètent ces actes tous les jours sont plus efficaces que des médecins qui les pratiquent peu, et les feront payer beaucoup cher (avec l’augmentation de la TVA, le prix augmenterait de 60 % pour le patient). En outre il n’y a pas besoin de 9 ans d’études pour épiler au laser », estime-t-il. Gâche-t-il le métier ? Privilégie-t-il au contraire l’emploi ? Selon le SNCLD, l’interdiction de toute délégation conduirait à détruire 1 000 emplois d’opératrices laser. Ils seraient certes remplacés par autant de médecins. Mais au détriment de leurs tâches cliniques.
Savoir souffrir pour être belle
Peut-être sommes-nous ici en retard. Car à la différence des manipulateurs en radiologie ou des orthoptistes, il n’existe pas encore de profession spécifique aux actes d’épilation laser. « Généralistes et dermatologues plaident donc en faveur de la mise en place d’une formation, condition sine qua non de toute délégation, précise le Quotidien du médecin. Mais les professionnels ne s’accordent pas sur le détail de cette formation. Le SNDV a proposé un diplôme d’assistants en dermatologie, reconnu par la commission nationale de la certification professionnelle, mais encore en cours de validation au ministère de la Santé. Le Dr Dominique Debray estime de pour sa part nécessaire un niveau de compétence équivalent à trois ans de formation. Au-delà d’un éclaircissement des textes législatifs, son syndicat demande donc un arrêté créant une nouvelle profession de paramédicaux. » Sans oublier un moratoire des poursuites disciplinaires.
Les choses étaient plus simples au temps béni de la pince non stérile et de cire bien chaude. Il est vrai qu’elles étaient plus douloureuses. On disait alors qu’il fallait souffrir pour être belle. Ce fut là l’ultime version du concept de la souffrance rédemptrice. C’était il y a un demi-siècle.