L’association Aides vient aujourd’hui de mettre en demeure les responsables de l’Agence du médicament de donner un feu vert pour l’utilisation d’une association médicamenteuse curative en prévention de l’infection par le VIH. Que décideront les autorités sanitaires et la ministre de la Santé? Un dilemme qui emprunte à l’éthique, à la santé publique, à la politique.
Hasard ou fatalité ? C’est au moment où l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) est aux prises avec l’affaire multiforme, embolisante, des pilules contraceptives 1 que l’association Aides s’adresse à elle sur un autre front. Elle vient de formuler une demande pour le moins embarrassante à la direction générale. Cette question concerne un dossier d’une double importance, pratique et conceptuelle. Elle porte sur l’usage qui peut ou non être fait d’un médicament antirétroviral, non pas en traitement curatif mais en prévention de l’infection par le VIH. On lira le communiqué de presse ici même. C’est là une nouvelle étape, importante, dans l’histoire de la lutte collective contre cette épidémie.
Nous sommes ici dans le registre à haut risque dit des « traitements prophylactiques pré-exposition au VIH 2. Aides demande l’ANSM « d’étendre la prescription du Truvada à travers une RTU, afin qu’il soit accessible en traitement préventif pour les publics les plus exposés au VIH ». On trouvera ici ce qu’est une RTU (« Recommandation temporaire d’utilisation thérapeutique »). Nous avions pour notre part déjà abordé en juillet 2012 sur ce blog quelques aspects de cette problématique.
Une décision importante venait alors d’être prise aux Etats-Unis. La Food and Drug Administration (FDA) américaine avait en effet approuvé officiellement, le 16 juillet, la commercialisation de la spécialité pharmaceutique Truvada. Objet: non pas le traitement mais la « prévention médicamenteuse » de l’infection par le VIH des personnes connues pour être à haut risque de contamination. Le Truvada est une association de deux médicaments antirétroviraux fabriqué par la firme américaine Gilead Sciences. C’était la première fois qu’un médicament fabriqué pour traiter l’infection par le VIH était autorisé pour prévenir cette infection. La FDA précisait que cette autorisation était accordée « afin de réduire le risque de transmission du virus du sida à des sujets sains à haut risque d’être contaminés ». C’était aussi la première fois que, dans le champ de l’infectiologie, un traitement curatif basculait vers un usage préventif.
Pratiques sexuelles sûres
« En pratique ce médicament doit être pris quotidiennement en cas de risque important récurrent de transmission par voie sexuelle du VIH, écrivions-nous. Les autorités américaines conseillent d’associer cette prise médicamenteuse « à des pratiques sexuelles sûres comme l’usage de préservatifs et d’autres mesures de prévention –dépistage régulier et traitement d’autres maladies vénériennes ». « Le Truvada ne peut pas se substituer à des pratiques sexuelles sûres » soulignait la FDA. Le coût annuel de ce traitement se situait entre 12.000 et 14.000 dollars. Ce médicament avait initialement été autorisé, à titre curatif, en 2004 par les autorités américaines. Son efficacité préventive avait ensuite été étable lors d’essais cliniques contre placebo menés dans différents pays, dont les Etats-Unis. On avait alors conclu que son efficacité était comprise entre 44 et 75%. Ses effets secondaires les plus fréquents sont des troubles digestifs (diarrhée, nausées, douleurs abdominales), des maux de tête et une perte de poids.
Cette décision, généralement attendue dans les milieux scientifiques et médicaux spécialisés, avait été prise peu avant la Conférence internationale sur le sida qui allait se tenir à Washington du 22 au 27 juillet. Elle suscita quelques controverses. Ainsi Michael Weinstein, le responsable de l’ONG, AIDS Healthcare Foundation avait qualifié d’« irresponsable » la décision de la FDA, d’autoriser le Truvada comme traitement préventif sans notamment réclamer une obligation de test de dépistage de l’infection par le VIH. Selon lui cette décision conduirait à une régression de la politique de prévention.
En France le Truvada à titre préventif avait alors commencé à être expérimenté dans le cadre de l’étude Ipergay . Cette dernière visait à établir l’efficacité de ce médicament chez les homosexuels particulièrement exposés. (Ipergay pour «Intervention Préventive de l’Exposition aux Risques avec et pour les Gays») « Cet essai doit-il ou non se poursuivre demandions-nous mi-juillet. Peut-on, éthiquement, continuer à tester contre placebo un médicament chez des homosexuels ayant plusieurs partenaires et continuant à s’exposer au risque de contamination ? »Que se passera-t-il en France si la FDA donne son feu vert dès l’été ? demandions-nous sur Slate.fr fin mai. Poursuivra-t-on (et si oui avec quels arguments) l’actuelle étude contestée contre placebo? » Nous ajoutions que pour répondre à cette question la nouvelle ministre de la Santé Marisol Touraine disposait d’un récent avis du Conseil national du sida (CNS). »
Cet avis faisait lui-même suite à la demande formulée par la Direction générale de la santé en mars 2011 quant à l’intérêt de promouvoir la stratégie «prophylaxie pré-exposition du VIH/sida (PrEP)». Le CNS se montrait alors nettement plus prudent que les experts américains. Un consensus semblait alors avoir été trouvé pour que se poursuive l’étude Ipergay. Une première alerte avait été lancée il y a trois mois par Aides. L’Agence nationale de recherches sur le sida (Anrs) avait alors donné son point de vue dans un communiqué de presse. Elle rappelait notamment que le Truvada® n’était pas autorisé en France (ni en Europe) pour un usage préventif. Elle rappelait aussi que les recommandations en vigueur aux Etats-Unis pour sa prescription en prévention stipulent un encadrement médical et préventif renforcé. « Son utilisation « dans la vraie vie » aux Etats-Unis n’a pas encore été évaluée » ajoutait elle, soulignant « être à l’écoute toutefois de certaines associations qui demandent pour les Gays en France un accès au Truvada® à titre préventif ».
« Il appartiendra aux autorités de santé d’accorder ou non l’autorisation d’étendre l’usage de ce médicament en traitement préventif continue » prévenait encore l’Anrs. L’affaire rebondit aujourd’hui une nouvelle fois avec la demande désormais officiellement formulée par Aides : la mise à disposition « temporaire et encadrée » du Truvada pour les personnes séronégatives fortement exposées au VIH. Soit une RTU. Ce nouveau cadre correspond selon cette association « à un besoin thérapeutique préventif réel, pour des publics très exposés au VIH ». Aides observe que ce besoin n’est pas couvert par l’autorisation de mise sur le marché actuelle du Truvada. Ce qui pousse les personnes les plus exposées à obtenir des prescriptions de Truvada en dehors des conditions d’autorisation de mise sur le marché. Ce qui les prive donc d’un encadrement adapté, seul susceptible de garantir une efficacité optimale du Truvada en usage préventif.
En d’autres termes l’existence d’un marché parallèle de Truvada justifie qu’une autorisation soit donnée pour que sa consommation soit encadrée. Vaste dilemme que l’on retrouve sous différentes formes avec les substances psychotropes illicites. Les dés sont jetés. Que décidera la direction générale l’ANSM ? Une telle décision est-elle de nature uniquement technique ? Renvoie-t-elle au contraire à une nouvelle réflexion éthique ? A une décision politique ?
1 Les journalistes spécialisés ne chômeront pas demain 30 janvier. Marisol Touraine, ministre de la Santé les convie à aller à Romainville participer à la visite qu’elle fera, dès 13 heures, à la plateforme téléphonique du « Numéro vert » dédiée à l’information sur les pilules contraceptives « Ce numéro vert gratuit a été ouvert mercredi 23 janvier par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), à la demande de la Ministre, pour informer les femmes sur les pilules contraceptives » précise le service de presse. 0 800 636 636 (appel gratuit) du lundi au samedi de 9h à 20h Deux heures auparavant, à Saint-Denis, le Pr. Dominique Maraninchi, directeur général de l’ANSM invite les mêmes journalistes à « une conférence de presse sur la décision prise par l’ANSM sur Diane 35 ».
2 – http://www.sfls.aei.fr/ckfinder/userfiles/files/Actus/doc/2013/journee-prep-vf-programme-final.pdf