Liberté de la presse : pourquoi Nathalie Loiseau ne dit-elle pas quel est le prix de sa peau ?

Bonjour

Parfaitement à l’aise avec les médias le président de la République ne goûte guère les journalistes. Et les relations se tendent, en France, entre la presse et le pouvoir exécutif. L’actualité en témoigne à l’envi avec une liste qui ne cesse de s’allonger : ce sont désormais huit journalistes et le président du directoire du Monde qui ont été ou vont être convoqués par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour des soupçons d’atteintes au secret de la défense nationale, dans le cadre de deux enquêtes distinctes portant, d’une part, sur les armes utilisées au Yémen, de l’autre, sur les ramifications de l’affaire Benalla. Il s’agit:

d’une journaliste de Quotidien,Valentine Oberti, qui a révélé mercredi 22 mai avoir été convoquée en février par les policiers de la sécurité intérieure pour une enquête sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite. L’ingénieur du son et la journaliste reporter d’images qui travaillent avec elle avaient eux aussi été convoqués, les 11 et 15 avril ; 
 

de la journaliste du Monde Ariane Chemin, qui a révélé la funeste affaire Benalla. « Cette enquête vise (…) notamment nos informations sur le profil d’un sous-officier de l’armée de l’air, Chokri Wakrim, compagnon de l’ex-chef de la sécurité de Matignon, Marie-Elodie Poitout », explique le directeur de la rédaction, Luc Bronner, dans un éditorial du quotidien vespéral. Le président du directoire du Monde, Louis Dreyfus, a également été convoqué le 29 mai, dans les mêmes circonstances ;

de trois journalistes ayant enquêté sur l’exportation d’armes françaises utilisées au Yémen – les deux fondateurs du nouveau média en ligne Disclose, Mathias Destal et Geoffrey Livolsi, et un journaliste de Radio France, Benoît Collombat – qui ont été convoqués par les services secrets français, le 14 et 15 mai. Ils ont été entendus sous le régime de l’audition libre – un régime moins contraignant que celui de la garde à vue –, un mois après que le média Disclose a publié une enquête journalistique comportant des informations et documents « confidentiels défense » ;enfin, Michel Despratx, un collaborateur du site Disclose, sera, lui, entendu comme témoin pour ses révélations dans l’affaire de la vente d’armes françaises au Yémen. Ce sera le 28 mai.

Atteinte à la liberté de la presse

Le gouvernement français est désormais accusé de porter atteinte à la liberté de la presse. Dans une tribune, une quarantaine de rédactions ont dénoncé « fermement ces convocations qui ressemblent à de nouvelles tentatives d’intimidation de journalistes qui n’ont fait que leur travail : porter à la connaissance des citoyens des informations d’intérêt public. »

« Nous rappelons une nouvelle fois que la protection des sources a été consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme comme « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et que le secret-défense ne saurait être opposé au droit à l’information, indispensable à un débat public digne de ce nom, ni servir d’épée de Damoclès pour dissuader les journalistes d’enquêter et de publier. »

En écho le Syndicat national des journalistes (SNJ) a estimé qu’« il se passe quelque chose de très malsain dans ce pays. Nous y voyons la volonté d’intimider les journalistes et leurs sources, et c’est totalement scandaleux ». Le SNJ-CGT dénonce un « nouveau coup de canif insupportable contre le journalisme et la liberté d’informer ». La CFDT-Journalistes évoque « une procédure dont le but inavoué est de faire taire les journalistes dans l’exercice de leur mission d’informer. »

Face à ces inquiétudes légitimes et à ses accusations, que dit le pouvoir exécutif ? La réponse est venue jeudi 23 mai sur Europe 1 sur les ondes de laquelle la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye a pris la parole. Pour elle, « les journalistes sont des justiciables 1 comme les autres », et « il est normal qu’un Etat protège un certain nombre de données nécessaires à des activités de défense extérieure et militaires. »

Les sources et leur secret

« Pour le Yémen, il y a eu une note classée secret-défense qui s’est retrouvée dans la nature, ce n’est pas normal, a déclaré Mme Ndiaye. Il est normal que ce gouvernement, que l’Etat français s’interroge sur le fait qu’il puisse y avoir des fuites en son sein ».

« Aujourd’hui, c’est envers des journalistes, mais demain, est-ce que ce n’est pas envers une puissance étrangère ? Il faut qu’on soit capable d’aller chercher les causes. Ça ne remet pas en cause notre attention portée au secret des sources, c’est un droit important pour les journalistes, fondateur de leur activité, mais pour autant, l’Etat, c’est l’Etat. Et il y a des secrets qu’on doit aussi protéger. »

Et puis, pour compléter, Nathalie Loiseau, tête de liste LREM pour les européennes : elle a reconnu que la convocation d’une journaliste du Monde devant la DGSI, « ça fait beaucoup » – tout en se félicitant qu’« en France on a la chance d’être dans un Etat de droit ». « Il faut garder la tête froide, je ne sais pas l’objet de la convocation, a commenté Mme Loiseau sur France Inter. Ma conviction c’est qu’il y a un devoir de vigilance extrême sur la protection de la liberté de la presse, des sources, et ce danger existe aujourd’hui clairement en Europe, en Hongrie, en Pologne, où les extrémistes veulent la peau de la liberté de la presse ».

Mme Loiseau n’a malheureusement pas précisé quel était le prix de cette peau

A demain

@jynau

1 « Justiciable » : [En parlant d’une pers.] Qui est responsable devant la justice, qui a des comptes à rendre à la justice.  « Je ne m’opposerais pas (…) à ce qu’ils [les ambassadeursne devinssent justiciables qu’après une décision préalable d’une réunion des ministres et des hauts dignitaires de l’Empire » (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 812).