Qui ose transformer les soignants en variables de l’ajustement des budgets hospitaliers ?

Bonjour

C’est une nouvelle tribune publiée dans un média généraliste. Un appel au pouvoir exécutif via à l’opinion publique. Entre bouteille à la mer et proposition de reconstruction d’un immeuble chaque jour un peu plus en péril. Un immeuble qui devient le cadre d’un nombre sans cesse croissant de fictions télévisée ou cinématographiques – dont le remarquable « L’ordre des médecins » de David Roux (l’écouter) – nous y reviendrons.

Aujourd’hui 27 janvier 2019 la tribune est signée de quatre-vingt-cinq praticiens renommés 1 de l’Assistance Publique -Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui appellent à l’aide sur le site du Journal du Dimanche.  Ils racontent leurs célèbres hôpitaux qui vivent une « période critique » confrontée à un mauvais équilibre financier et à un endettement croissant, dont les décisions prises au niveau national sont la première cause.

Charge et richesse

Complexité administrative ubuesque, creusement des déficits, lenteurs et aberrations de fonctionnement ainsi que ce qui, hier encore eût été impensable : une perte d’attractivité.

« Les personnels de l’AP-HP sont la principale richesse de l’institution, mais ils sont depuis quelques années considérés d’abord comme une charge » résument les signataires de cette tribune.

« La politique nationale de santé et les plans d’économies successifs ont entraîné une dégradation des conditions de travail, dans un climat de découragement et de résignation. La qualité des soins s’en ressent parfois, notamment pour les malades âgés. Le manque de personnels indispensables au fonctionnement des services (aides-soignants, infirmiers, manipulateurs radio, kinésithérapeutes, assistants sociaux, psychologues) est de plus en plus sensible. Comme les équipes soignantes, les personnels techniques et les équipes administratives traversent une période difficile. Ils sont soumis à des tensions qui restent en grande partie méconnues du fait de leur devoir de réserve.

« Les organisations syndicales et le corps médical, par la voix de son instance représentative, la commission médicale d’établissement, ont alerté l’opinion et les pouvoirs publics sur cette situation. Pourtant, ces derniers imposent encore plus de restrictions avec l’injonction paradoxale de demander toujours plus d’efforts et de productivité avec de moins en moins de moyens. »

Colères et doléances hospitalières

Et pourtant. Avec Martin Hirsch 2 à sa tête la direction générale de l’AP-HP vient d’annoncer pour les quatre années à venir un plan d’économies devant aboutir à la suppression de 600 à 800 postes par an, soit en moyenne trois à quatre postes par service sur cette période. Comment ne pas voir ici que les personnels de l’AP-HP (principale richesse de l’institution en raison de leur compétence et de leur engagement) sont depuis quelques années considérés d’abord et avant tout comme une charge et qu’ils constituent la principale variable d’ajustement budgétaire.

On lira sur le site du JDD la suite des sujets de colère et de doléances – à commencer par la « faiblesse majeure » que constitue « la distance entre les décideurs et le terrain » (lire ici, de Henry Mintzberg, « Managing The Myths Of Health Care » – voir également ici). Les regroupements en structures de grande dimension et l’éloignement des décideurs sont contre-productifs, à la fois en termes de qualité de vie au travail et de qualité des soins. Or « l’ordinaire de la technocratie et du management public est de regrouper les établissements pour faire des économies d’échelle, sans mesurer les conséquences de telles décisions à long terme sur le service rendu à la population ».

« L’AP-HP doit tout mettre en œuvre pour assurer son prestige et son attractivité. Nous appelons les responsables politiques, les personnels soignants, techniques et administratifs, les médecins hospitaliers et hospitalo-universitaires, les associations de patients, à prendre une juste mesure de la situation actuelle et à agir ensemble pour maintenir une AP-HP et plus généralement un hôpital public dignes de leurs missions et du niveau d’excellence qu’en attendent nos concitoyens. »

C’était la dernier appel au secours en date provenant du monde hospitalier public français. Daté du dimanche 27 janvier 2019.

A demain

@jynau

1 La liste des quatre-vingt cinq praticiens de l’AP-HP ayant signé cet appel : Sophie Abgrall, Nelly Achour Frydman, Catherine Adamsbaum, Homa Adle Biassette, Pierre Amarenco, Élisabeth Aslangul, Hélène Barreteau, Sophie Barthier, Thierry Baubet, Thierry Bégué, Nadia Belmatoug, Alexandra Benachi, Amine Benyamina, Catherine Bernard, Chloé Bertolus, Anne-Laure Boch, Pierre Bonfils, Isabelle Bourgault-Villada, Marina Cavazzana, Christophe Cellier, David Cohen, Sophie Crozier, Luc Cynober, Nicolas Dantchev, Jean-Pascal Devailly, Élisabeth Dion, Hervé Dombret, Didier Dreyfuss, Michel Dru, Jean-Charles Duclos-Vallée, Nicolas Dupin, Jean-Michel Dupont, Philippe Fossati, Bertrand Galichon, Stéphane Gaudry, Brigitte Girard, Pierre-Marie Girard, Christophe Glorion, François Goffinet, François Goldwasser, Patrick Goudot, Bernard Granger, Philippe Grimbert, Emmanuel Houdart, Marc Humbert, Dominique Israël-Biet, Mehdi Karoui, Jean Lacau Saint Guily, Véronique Leblond, Antoine Leenhardt, Christophe Legendre, Philippe Lévy, Emanuel Loeb, Jean-Pierre Lotz, Philippe Manivet, Xavier Mariette, Bruno Millet, Marie-Rose Moro, Isabelle Nègre, Hilario Nunes, Catherine Patrat, Antoine Pelissolo, Marie-Noëlle Peraldi, Charles-Siegfried Peretti, Serge Perrot, Stanislas Pol, Frédéric Prat, François Rannou, Gilberte Robain, Olivier Scatton, Georges Sebbane, Olivier Soubrane, Brigitte Soudrie, Florence Thibaut, Nicolas Thiounn, José Timsit, Philippe Touraine, Jean-Marc Tréluyer, Christophe Trivalle, Laurent Vastel, Jean-Paul Viard, Gilbert Vila, Jean-Philippe Wolf, Alain Yelnik, Rachid Zegdi, praticiens à l’Assistance publique – hôpitaux de Paris.

2 Le JDD annonce dans ses « indiscrets » la sortie (encore assez lointaine) du prochain livre de Martin Hirsch : « Comment j’ai tué son père » Editions Stock. 13 mars 2019, 18 euros :

« Dans ‘’Qui a tué mon père’’ (Seuil) sorti au printemps 2018 le romancier Edouard Louis accusait nommément Martin Hirsch d’avoir causé la mort de son père en créant le revenu de solidarité active en 2008. Il mettait également en cause Hollande et Macron. (…) Dans ‘’Comment j’ai tué son père’’ Martin Hirsch lui répond sans prendre de gants. »

 

Transhumanisme : le smartphone est une « prothèse obligatoire et généralisée » (Jacques Testart)

Bonjour

On n’en sortira donc jamais. En 2018, bientôt un demi-siècle après les faits,  le biologiste Jacques Testart, bientôt 80 ans, demeure l’indépassable « père scientifique du premier bébé-éprouvette français ». Et depuis bientôt un demi-siècle celui qui ne s’est jamais réconcilié avec le « père médical » du même bébé alerte le monde entier – contre les dérives croissantes de la médecine, de la biologie, de la génétique et de ce cocktail mortel baptisé « transhumanisme ».

« Le transhumanisme est une idéologie infantile » explique aujourd’hui  Testart dans Libération (Erwann Cario). Où l’on entend, à nouveau, ce lanceur d’alerte atypique et souvent délicieusement bougon reprendre ses thèmes de prédilection. (« Au péril de l’humain. Les promesses suicidaires des transhumanistes ». Editions du Seuil) :

« Le transhumanisme est une idéologie qui prospère sur les innovations extraordinaires de la technoscience, que ce soit autour de la génétique, du cerveau, de l’intelligence artificielle. Il y a des trucs assez fantastiques qui donnent une prise pour faire croire que tous les mythes anciens, qu’on traîne depuis le début des temps, l’immortalité, l’intelligence supérieure ou le héros imbattable, vont devenir réels. Ce ne sont rien d’autre que des rêves enfantins, une idéologie infantile. »

Eglise catholique

Et  le déjà vieux Libé de revenir, une fois de plus à la charge. « On vous connaît pour être à l’origine du premier bébé-éprouvette, n’est-ce pas contradictoire de s’opposer à ces ‘’progrès’’ » demande-t-il à l’ancien militant d’extrême-gauche. Réponse de celui qui partage, avec José Bové, certaines des positions de l’Eglise catholique :

« Vous pensez bien que je suis habitué à cette question. La fécondation in vitro, c’est une intervention pour les gens qui ne peuvent pas faire d’enfants. Il s’agissait, en 1982, de restituer un état de normalité qui est la possibilité de fonder une famille. Ça ne dépassait pas ce cadre, on ne faisait pas de bébé sur-mesure.

 « Quand je me suis aperçu, quatre ans plus tard, que cette technique pouvait permettre à terme de faire des bébés de «meilleure qualité», j’ai écrit L’Œuf transparent. J’expliquais qu’on allait pouvoir trier parmi les embryons pour choisir celui qui convient le mieux. Ça a finalement été inventé par des Anglais et ça s’appelle le diagnostic génétique préimplantatoire. Je me suis battu contre et je continue à me battre. Alors oui, on peut me dire qu’il fallait que les gens restent stériles parce que c’est la nature. Mais à ce titre, on n’aurait pas inventé la médecine, on n’aurait pas de médicaments, de vaccins… Ce n’est pas ma façon de voir. Moi, je veux que les gens puissent vivre une bonne vie, en bonne santé, et que ça vaille le coup, qu’ils puissent être créatifs. »

On lira avec intérêt, dans Libé, les réflexions de cet élève du biologiste-moraliste Jean Rostand (1894-1977) sur l’origine et la portée de idéologie transhumaniste – et sur la marche de notre humanité vers le « post-humain ». Et ses confidences quant à son amour pour les petits félins qualifiés de domestiques :

 « Je parle du monde tel qu’on le conçoit aujourd’hui, avec la nature et ses relations à l’homme. Ce monde qu’on peut admirer tous les jours. Quand on regarde un chat, par exemple. Pour moi, le chat, c’est la perfection. C’est un animal fabuleux. Un animal qui a cette grâce, et en même temps cette distance, cette espèce de mépris… Si on regarde une abeille, c’est la même chose. Je suis émerveillé par la nature.

« La fin du monde, ça veut dire que tout ça disparaît. On le constate déjà. On voit que la moitié des insectes a disparu en vingt ans. On le voit aussi au niveau de l’humanité, avec des comportements induits par la technologie, comment les gens ont changé leurs relations aux autres. On est en train d’infantiliser la population, de la déresponsabiliser, de lui faire perdre son autonomie en la mettant sans arrêt à la merci de ‘’spécialistes’’ qui dictent le bon comportement. »

Entre Orwell et Rostand

 L’Œuf transparent (préface de Michel Serres) a aujourd’hui près de vingt ans. Présentation :

« La séparation établie en son temps par Poincaré entre la science qui dit « ce qui est » et la morale « ce qui doit être » s’est fissurée. La morale désormais accompagne la science dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses avancées. L’évolution rapide des techniques de procréation assistée confère ainsi au scientifique une responsabilité à laquelle il ne saurait se dérober, à moins de se comporter en Faust des temps modernes. C’est en ce sens que Jacques Testart, spécialiste français de la fécondation in vitro, s’interroge ici sur les conséquences éthiques d’un contrôle systématique de l’identité de l’oeuf produit en éprouvette. Voici donc un livre sérieux et grave, frappé du double sceau de la compétence et du scrupule. Pour Testart, en effet, « l’éthique n’est pas cette crème informe qu’on repasse souvent sur le gâteau de la science », mais devrait constituer le moteur même de la science. Un ouvrage exigeant mais sans illusion qui passionne et inquiète à la fois. (Paul Klein) ».

Libé à Testart : «  Vous expliquez qu’on manque d’un récit alternatif pour un futur différent de celui proposé par le transhumanisme, très populaire dans les œuvres de science-fiction. Quel pourrait être ce nouveau récit ? » Réponse du biologiste devenu moraliste :

« Je ne vais pas l’écrire. Mais il est indispensable parce que le récit transhumaniste est tout à fait recevable, surtout par les jeunes. Ils sont très réceptifs. Ça recoupe à la fois leurs relations sociales, leur imagination, leur jouissance, même… Ça me glace de voir ces gamins devant un écran d’ordinateur quinze heures par jour, mais on ne peut rien faire. On ne peut pas interdire ces choses-là.

« Je parle beaucoup du téléphone portable [NDLR : smartphone]. Aujourd’hui, les gens ne pourraient plus s’en débarrasser. C’est une prothèse obligatoire et généralisée. C’est un exemple assez fort de quelque chose qui s’est imposé en quinze ou vingt ans et qui est devenu indispensable dans le monde entier, jour et nuit, pour toutes les activités. Et il y a aussi les montres connectées, les assistants domestiques, tous ces projets de médecine prédictive et personnalisée à partir du génome. On ne peut pas espérer arrêter ça de façon autoritaire. Il faut pouvoir montrer que ce n’est pas comme ça que nous avons envie de vivre. Il faut donner autre chose à rêver. »

Quel gamin glaçant devant son écran d’ordinateur écrira bientôt ce qu’Orwell pressentit et que Testart n’écrira pas ?

A demain

 

Assistance médicale à la procréation : depuis près de 30 ans ils ne se parlent plus. Leurs noms ?

 

Bonjour

Même les Etats Généraux de la Bioéthique ne les réuniront pas. On peut, au choix, voir là une fâcherie enkystée, un conflit d’ego qui a définitivement mal tourné, une vieille opposition politique radicalisée. C’est aussi, pour les plus optimistes, un symptôme éclairant témoignant à sa maière de deux visions de la bioéthique.

L’un est médecin, l’autre pas. Les deux le font savoir régulièrement, dans les médias, depuis près de quarante ans. Le premier a 74 ans et milita un temps au sein de l’Union des étudiants communistes (UEC).Le  second a quatre de plus, a connu Jean Rostand et se pose en ennemi absolu du libéralisme économique. Les deux tirent, pour l’essentiel, leur aura médiatique, après la naissance d’ « Amandine-premier-bébé-éprouvette-français-né-en-1982 », de leurs engagements publics respectifs. Les deux ont tôt compris l’importance d’avoir un accès facilité dans les médias généralistes.

On aura reconnu, à notre droite, René Frydman et, sur l’autre rive, Jacques Testart. Ce dernier a, une nouvelle fois, la parole dans les colonnes du Monde. Pour un entretien-autobiographie militant (Catherine Vincent). L’actualité, s’il en fallait une, est toute trouvée : les Etats généraux de la bioéthique et son dernier ouvrage en date 1 dans lequel il dénonce « les promesses suicidaires des transhumanistes ».

Confidences d’un trappeur

Où l’on retrouve son histoire, ses souvenirs de « trappeur de banlieue » quand, déjà, il « adorait capturer les animaux vivants. C’était dans une zone qui ne s’appelait pas encore le « 9-3 », avec des vaches, des hannetons, des mésanges et des mulots. Et, à 12 ans, l’athée Jean Rostand.

On retrouve le jeune homme en pension dans le Var, à l’Ecole pratique d’agriculture de Hyères ; avec bientôt, un diplôme de jardinier-horticulteur-arboriculteur-apiculteur. 1958. La guerre. L’Ecole supérieure d’agriculture d’Alger. Confidence :

« Dans un pays en guerre, on ne parle pas -politique : on relate les faits divers, les horreurs qui arrivent aux uns et aux autres. Plus de la moitié de ma promotion était constituée de Français d’Algérie. J’entendais donc surtout le son de cloche des pieds-noirs, mais je tombais parfois sur des tracts du FLN et je ne savais pas trop quoi penser… Et puis, au bout d’un an, j’ai rencontré Danièle, une juive pied-noir qui est devenue ma femme. Ses parents étaient commerçants à Alger, ils sont partis comme tout le monde en  1962 et je suis rentré avec eux. Je me suis marié avec Danièle – la première de mes trois épouses. Nous nous sommes inscrits au PCF, que j’ai quitté après Mai  68 pour adhérer à la Ligue communiste. »

Puis la rencontre avec l’extraordinaire Charles Thibault, de l’Institut national de la recherche agronomique ; puis celle avec le non moins remarquable Emile Papiernik de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. La suite est connue qui, dans la foulée de Louis Brown (1978) le verra passer de la physiologie de la reproduction bovine à l’humaine. Et, déjà, les premières tensions avec René Frydman :

« Il essayait de s’approprier le laboratoire comme si j’étais son technicien, ce que je ne supportais pas du tout. Et puis, il y a eu la grossesse d’Amandine. Et l’accouchement, je ne l’ai pas vécu. Je l’ai appris à 3 heures du matin par un coup de fil de Frydman, qui m’annonce que le bébé [Amandine] est sorti, que ça s’est très bien passé et qu’on a une conférence de presse à midi ! ».

Viré de l’hôpital Béclère

Nous souvenons de l’ambiance triomphaliste bon enfant. Qui, alors, percevait les tensions au sein du jeune duo réuni par Papiernik ? Reste, aujourd’hui, une mémoire vive :

« Le battage médiatique qui a suivi la naissance d’Amandine nous a transformés – abusivement – en -héros. On en rigolait ensemble, on allait dans des congrès à l’autre bout du monde… C’était assez confortable, bien sûr. Mais en même temps, je trouvais que ce n’était pas mérité. Entre Frydman et moi, les choses ont continué de se dégrader. Nous avions monté un vrai laboratoire hospitalier, avec du bon matériel, mais nous étions de moins en moins souvent d’accord. Frydman voulait qu’on congèle les ovules, moi j’étais contre car, à l’époque, cela créait des anomalies chromosomiques… Nous avions beaucoup d’autres sources de conflits. Jusqu’à ce que j’apprenne, en  1990, que j’étais viré de l’hôpital Béclère.

« Où en sont, aujourd’hui, vos relations avec René Frydman ? » lui demande Le Monde.  « On ne s’est pas reparlé depuis 1990 » 2.

On lira la suite qui témoigne pleinement de la prescience de Testart quant aux dérives potentielles à venir, avec l’émergence du diagnostic pré-implantatoire et celle de l’ICSI. Prophétie et militantisme pluriel contre les menaces d’un nouvel eugénisme, démocratique.

Aujourd’hui un nouveau livre et, toujours, un besoin d’espérance qui fait que cet athé est parfois courtisé par des catholiques.  Et toujours, chez Testart, ce sens de la formule :

«  Le transhumanisme, c’est le nouveau nom de l’eugénisme. C’est l’amélioration de l’espèce par d’autres moyens que la génétique. C’est la perspective de fabriquer des humains plus intelligents qui vont vivre trois siècles, quand les autres deviendront des sous-hommes. Et cette perspective, qui créera une humanité à deux vitesses, est en passe d’être acceptée par la société. »

A demain

1 Testart J. Rousseaux A. « Au péril de l’humain » Editions du Seuil

2 On retrouve toutefois leur deux noms parmi les signataires de la tribune « GPA : ‘’Non au marché de la personne humaine’’ » publiée dans Le Monde du 19 janvier dernier

Les scientifiques français sont radicalement opposés à leur suicide politiquement assisté

 

Bonjour

Voici venu le temps des paris assassins. Celui de la Confédération Générale du Travail tout d’abord, engagée dans un bras de fer avec le gouvernement. Une affaire d’hommes. Le pays observe. Qui de Philippe Martinez, 55 ans, et de Manuel Valls, 53 ans, pliera ?

Mais il y a aussi un autre affrontement, moins médiatisé mais pas moins essentiel, pas moins symptomatique : celui qui oppose les chercheurs du domaine public au gouvernement de Manuel Valls et d’Emmanuel Macron, 38 ans. Pas de leader syndical charismatique, côté science, sinon sept prix Nobel et une médaille Fields 1 (on notera l’absence, inexpliquée, de Luc Montagnier). Ils viennent de lancer un cri dans Le Monde : « Coupes budgétaires dans la recherche : huit grands chercheurs dénoncent ‘’un suicide scientifique et industriel’’ ».

Lézardes gouvernementales

Pour financer les différentes mesures nouvelles (plan emploi, agriculture, sécurité, etc.) annoncées depuis janvier, le gouvernement Valls a préparé un projet de décret prévoyant au total 1,1 milliard d’euros d’économies budgétaires supplémentaires en 2016. La Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (Mires) est appelée à fournir un quart de cet effort :  256 millions d’euros d’annulations de crédit, dont 134 millions d’euros concernent les subventions allouées aux organismes de recherche. Le CEA est mis à contribution à hauteur de 64 millions d’euros, le CNRS de 50 millions, l’Inria et l’Inra de 10 millions chacun. Ce décret inattendu a semé la consternation dans la communauté scientifique.

Qui l’emportera ? L’Agence France Presse vient de résumer la situation telle qu’elle se présente au 25 mai. Les lézardes gouvernementales apparaissent considérables. Le mouvement d’indignation des scientifiques a reçu le soutien des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les huit scientifiques médaillés français se disent d’autant plus consternés qu’ils viennent d’apprendre que « les dépenses de recherche et développement (R&D) de l’État fédéral allemand ont augmenté de 75 % en dix ans ». Les conseils scientifiques de cinq organismes de recherche (CNRS, Inra, Inserm, Ined, IRD) « s’indignent » eux aussi du projet de décret. Pour l’heure les directeurs généraux ne semblent pas avoir mis leur démission dans la balance.

Pigeons réabondés

Ces conseils  « demandent au gouvernement de surseoir à ce projet contre-productif ». Certains de ces organismes ne sont pas touchés, mais ils sont solidaires de ceux mis à contribution. « Trop, c’est trop, a expliqué à l’AFP Bruno Chaudret, 62 ans, président du conseil scientifique du CNRS. Nous en avons vraiment assez d’être pris pour des pigeons. Les intérêts privés sont entendus par le gouvernement, mais nous, qui représentons l’intérêt public, nous servons de variable d’ajustement. » Des pigeons publics ? Qu’en pense Emmanuel Macron ?

Najat Vallaud-Belkacem, 38 ans, ministre de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Najat Vallaud-Belkacem a affirmé, lors des questions au gouvernement, que les coupes « n’auront aucun impact sur l’activité des organismes de recherche ». « J’en prends l’engagement ici : si les 134 millions d’euros venaient à manquer aux organismes de recherche dans la conduite de leurs projets, je prendrai les mesures nécessaires pour réabonder leurs crédits », a-t-elle promis. Que ne réabonde-t-elle pas dès aujourd’hui ?

François Hollande et les incohérences

Tout tangue : le rapporteur général du budget, la socialiste Valérie Rabault, 43 ans, a « recommandé » de renoncer à ces annulations de crédits, jugeant que « d’autres solutions peuvent être envisagées pour respecter l’équilibre budgétaire ». De son côté, la commission des Finances du Sénat a émis un avis défavorable sur le projet de décret dans sa totalité, suivant le rapport d’Albéric de Montgolfier, 51 ans (Les Républicains, Eure-et-Loir). Concernant les coupes dans la recherche, elle estime qu’elles « sont incohérentes avec les engagements pris par le président de la République de sanctuariser, voire d’augmenter ces crédits ».

Le cas le plus intéressant est celui de Thierry Mandon, 58 ans, socialiste et secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ses services ont  expliqué que les économies de 134 millions d’euros se feront « en mobilisant les fonds de roulement disponibles et les trésoreries des organismes de recherche » – et ce « sans mettre en cause l’exécution » des budgets annuels prévus par les organismes de recherche. Les « fonds de roulement » ?  « Pour nous, c’est l’oxygène de la recherche ! C’est ce qui permet de mener à bien des recherches libres qui pourront donner lieu plus tard à des projets d’envergure », tonne Bruno Chaudret.

Changer de « machine à décider »

De quel côté se situe Thierry Mandon ? Dans le dernier Journal du Dimanche il déclarait : « Il faut revoir la façon dont on dirige le pays ». Extrait :

« Depuis de nombreuses années, et bien avant ce quinquennat, toute notre « machine à décider »! C’est l’ensemble de notre système de gouvernance qui est obsolète. À tous les niveaux, les mécanismes de prise de décision sont grippés en France. Nous devons mener une réflexion globale pour remettre cette machine en état de marche. Oui, il faut avoir le courage de revoir profondément la façon dont on dirige le pays… »

« En tant que secrétaire d’État en charge de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, je regarde de près la production intellectuelle des sciences sociales sur la question démocratique. Or, je ne peux que constater que cela fait des années que les chercheurs tirent la sonnette d’alarme. Notamment sur l’aspiration d’une société plus éduquée, plus mûre, à participer aux décisions publiques. À cet égard, le dernier livre de Pierre Rosanvallon, « Le Bon Gouvernement »[éditions du Seuil] est très éclairant. »

Un livre éclairant, donc. Et maintenant ?

A demain

1 Françoise Barré-Sinoussi (Prix Nobel de médecine), Claude Cohen-Tannoudji (Prix Nobel de physique), Albert Fert (Prix Nobel de physique), Serge Haroche (Prix Nobel de physique), Jules Hoffmann (Prix Nobel de médecine), Jean Jouzel (vice-président du groupe scientifique du GIEC, au moment où celui-ci reçoit le prix Nobel de la paix), Jean-Marie Lehn (Prix Nobel de chimie) et Cédric Villani (médaille Fields).

Entre Viagras® et fatalité : la sérendipité

Bonjour

Aujourd’hui, sérendipité. Dans le dernier cahier Livres de Libération Robert Maggiori ne nous dit pas vraiment ce qu’elle est. Mais il écrit qu’elle  n’est pas aussi simple que ce qu’en a dit un jour le célèbre médecin américain Julius H. Comroe :  «Chercher une aiguille dans une botte de foin. Et y trouver la fille du fermier.»

Bucolique et sexuée l’image est heureuse. Sauf pour le fermier. Et encore. La sérendipité ce pourrait aussi être vouloir l’argent avec la motte de beurre et, en prime, toucher la crémière.

Sri Lanka

Maggiori abordait le sujet à l’occasion de la sortie d’un ouvrage signé de Mme Sylvie Catellin et publié aux éditions du Seuil (1). Un bonheur de lecture et l’ouverture de quelques lucarnes cérébrales.

Avec la sérendipité nous sommes en terre inconnue, aux frontières de l’heuristique ( εὑρίσκω, eurisko, « je trouve ») . En réalité l’affaire est moins grecque que persane. Tout commence il y a bien longtemps avec un conte du désert. C’est un conte avec chameau et sans chas d’aiguille. Il est intitulé Les Trois Princes de Serendip. Serendip ou, dit-on, Ceylan/ Sri-Lanka

Strawberry Hill

Serendipity  est alors  forgé par l’Anglais  Horace Walpole (1717–1797) un précieux, propriétaire de Strawberry Hill House et promoteur du roman gothique. Walpole désigne ainsi des « découvertes inattendues, faites par accidents  et sagacité ». La sérendipité n’est ainsi rien d’autre que la « sagacité accidentelle ». Reste à savoir qui est l’auteur de l’accident. Sherlock Holmes et le Dr Gregory House n’existeraient pas sans elle. Par rétroactivité on la trouve  omniprésente dans tous les contes (le coup du chasseur paternel dans le Petit Chaperon en est une assez bonne illustration).

Pénicilline et Lamotte-Beuvron

En langue anglaise l’affaire fait florès. Plus tardivement en  langue française. Elle y est le plus souvent  une découverte scientifique ou technique faite de façon inattendue, fortuite. Non pas par hasard mais comme par un concours heureux de circonstance.  On pense aussitôt à la pénicilline d’Alexandre Flemming et à la  tarte   de  Caroline et Stéphanie  Tatin (impérativement sans chantilly) de Lamotte-Beuvron (Loir-et-Cher). On connaît l’histoire de la solognote étourdie et des quarante chasseurs.

Demoiselles Tatin

Sérendipité encore  lorsque  l’auvergnat Louis Vaudable, propriétaire de Maxim’s  la découvre lors d’un dîner au bord du Beuvron, dans l’auberge des deux sœurs ?  Sérendipité toujours lorsque l’immense angevin Curnonsky présente ce dessert en 1926 à Paris sous le nom de « tarte des demoiselles Tatin » ?

Creuser la question  la sérendipité c’est découvrir l’infini à la portée de tout un chacun. Pourquoi découvrir ceci plutôt que rien ? On commence à percevoir  les abymes sous nos pieds. Ici la liste de ce qui n’existerait pas sans la sérendipité.   

Nutella et Carambar

La poussée d’Archimède, le bleu de Prusse et les rayons X. Et, pour un peu, la découverte du virus du sida (1983, Institut Pasteur de Paris) par le Pr Luc Montagnier et ses douze collaborateurs.  De fait la médecine est à l’honneur,  La découverte des effets thérapeutiques du sel de lithium par John Cade. L’effet psychotrope de la chlorpromazine  par Jean Delay, Pierre Deniker et Henri Laborit (2).

Il en fut de même pour le  Nutella, pâte à tartiner, (1946 – Pietro Ferrero, pâtissier piémontais) et du Carambar , caramel en barre  (1954-  usine française de chocolat Delespaul-Havez ).  Pour écouler des excédents de chocolat, un contremaitre imagine y mêler du caramel. La machine se dérègle. Au lieu de débiter des bonbons carrés, elle produit des petites barres allongées. « Sans blague » ajoute Wikipédia, qui se trompe parfois.

Erectiles

A table et en bouche c’est toujours la sérendipité avec les Bêtises de Cambrai ou les flocons de maïs de J. H. Kellogg.  Et la sérendipité moderne c’est aussi et surtout  le Viagras® de Pfizer . Ou comment les chercheurs  Nicholas Terrett et Peter Ellis (sans oublier les hommes volontaires des premiers essais cliniques) comprennent que la vrai cible du citrate de sildénafil n’était pas directement le cœur. Pfizer repositionna vite fait sa spécialité. Big Pharma récolte, depuis, les fruits croissants du marché florissant des érectiles.

Viagras® ou pas la tentation est là : poser avecla sérendipité la question éternelle de la fatalité (ceux qui croient en Dieu) ou du hasard (ceux qui n’y croient pas). L’action du  divin versus le génie humain.

Dans « Le livre de sable » (Gallimard, folio)  Jorge Luis Borges calme nos angoisses : hasard et fatalité sont, dit-il,  des synonymes. Borges ajoute :

« Je n’écris pas pour une petite élite dont je n’ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu’on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J’écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.»

(A demain)

(1) Cattelin S. Sérendipité. Du conte au concept. Editions du Seuil, Paris, 2014

(2) Sur ce sujet se reporter au remarquable « 24 textes fondateurs de la psychiatrie introduits et commenté par la société médico-psychologique » Editions Armand Colin, 2013. Réalisé sous la direction du Dr Marc Masson cet ouvrage n’a étrangement pas encore bénéficié dans la presse médicale et d’information générale des éloges qu’il mérite.

Pénis : de plus en plus grands – de moins en moins turgescents

Sur la Toile comme sur les ondes le membre viril fait toujours recette. Deux exemples récents : Slate.fr (pour l’anatomie) et France Culture (pour la pathologie). Deux symptômes de notre temps. Deux sujets de réflexions pour filles et garçons.

Notre corps est notre grande affaire. Il ne nous appartient certes pas mais on tente d’en profiter. Un usufruit en somme.  Depuis Adam, au minimum.

On dit que Mauricio Ortiz est né au Mexique en 1954. Docteur en médecine, il aurait décidé de quitter le monde universitaire pour se consacrer à l’écriture. Aux dernières nouvelles il était chroniqueur pour le quotidien mexicain La Jornada. En 2012 il nous avait fait signe avec son Du corps publié au Seuil (1). Une « philosophie du corps », un petit traité tour à tour érudit, ironique, mélancolique, subjectif, scientifique, poétique, diurne, nocturne, nous expliquait alors l’éditeur.

Mauricio Ortiz aurait donc ainsi quitté la médecine pour mieux entrer dans son objet. Et sa plume avait éclairé  le territoire obscur où est produit le sperme. Il avait rendu visite au pénis capricieux. Le gynécologue Ortiz avait aussi sondé l’insondable vagin, étudié les marées des menstrues. L’hépatologue Ortiz  avait inspecté le foie industrieux – ce foie  où montent parfois en ligne les bataillons de gamma glutamyl transférase (et désormais de CDT).  On se moque, bien sûr. On veut dire par là que c’est là, tout bien pesé, un bien grand livre.

Raquel Welch

Attention : très différent du Voyage fantastique (Richard Fleischer, 1966). L’assistante du docteur est Raquel Welch (Jo Raquel Tejada, voix d’Arlette Thomas dans la version française) alors âgée de 26 ans. Mais Raquel a toujours eu deux fois treize ans.

Le corps humain : qu’est-ce que ça veut dire le corps humain ? On peut répondre en demandant jusqu’où il va.Réponse d’Ortiz  : «En bas, jusqu’aux pieds, ça c’est clair ; en haut, jusqu’à la pointe des cheveux. De tous les côtés jusqu’à la peau, et puis jusqu’où les bras peuvent aller et jusqu’où les jambes les portent. Il s’étend également jusqu’où il peut entendre et jusqu’où vont les sons qu’il émet.»

Centimètres péniens

De ce point de vue le pénis compte beaucoup. Jusqu’où peut-il aller ? Au repos on le saura via un texte à succès que l’on peut découvrir sur Slate.fr  – texte de Tom Hickman, traduction de Bérengère Viennot (2). Les plus aguerri(e)s y découvriront bien des choses ignorées du plus grand nombre. A commencer par la valse des centimètres passés au trébuchet de l’évolution. On nous permettra ici de garder temporairement le secret –  sujet à ne pas trop déflorer.

Mais les centimètres sont bien peu de chose quand la mécanique caverneuse n’est pas au rendez-vous. Mille ans plus tard le pont levis a toujours ses vertus. Et on sait mieux que jadis réparer les mécanismes des monuments historiques. On se moque, bien sûr. Par réflexe peut-être. Et sans doute a-t-on tort. C’est là une pathologie. Une pathologie qui connaît heureusement (avec les érectiles notamment) de nouvelles thérapeutiques.

Réveillons à venir

Pathologie(s) ? On en prendra la mesure avec une émission de France Culture (émission diffusée le 31 décembre 2013 mais que l’on peut écouter ici ) Le professeur et producteur René Frydman y reçoit le  Dr Ronald Virag, « chirurgien vasculaire français, membre de l’Académie de chirurgie, pionnier de la recherche dans le domaine de la sexualité masculine et notamment du fonctionnement de l’érection ».

On y entendra enfin parler (sur France Culture) d’éjaculation précoce et de difficultés d’érection. C’est un peu ronronnant, certes. Mais le sujet y conserve son éclat. « Peut-on agrandir, grossir un sexe masculin que l’on juge en deçà des normes, résume le Pr Frydman. Et d’ailleurs existe-t-il des normes ? L’amour et la psyché ne sont pas absents de ce dialogue et je suis sûr qu’en écoutant cette émission un 31 décembre votre réveillon n’en sera que plus enthousiasmant. » Le propos vaut également pour les réveillons de l’année qui s’entrouvre.

 (1)  Ortiz M. Du Corps. Préface d’Antonio Tabucchi. Traduction de Roland Faye. Paris : Editions du Seuil, 2012. http://www.seuil.com/livre-9782021073386.htm

Del cuerpo avait initialement été édité à compte d’auteur, ou presque, par la maison Ortega et Ortiz . En 1999, il avait été découvert par Antonio Tabucchi. Les chapitres qui le composent avaient initialement été publiés dans les pages scientifiques du journal La Jordana. Il existe donc ainsi, sous des longitudes dorées, des journaux d’information générale ne traçant pas de frontières entre leurs pages scientifiques et de possibles expressions littéraires.  «Avec ses cartes géographiques du corps, ce livre est avant tout une boussole pour s’orienter dans ses passages secrets et ses labyrinthes, écrivit Tabucchi dans la préface. C’est curieux : finalement cette boussole pour s’orienter dans notre corps est surtout une boussole pour s’orienter dans les labyrinthes de notre âme. Pour les jeunes qui ne connaissent pas encore bien leur corps, ce sera un précieux bréviaire. Et les personnes de mon âge, pour lesquelles le corps est depuis longtemps un compagnon de voyage, y verront un autoportrait enlacé de vérifications, de remords, de coups de cœur, de résidus d’illusions.»

Antonio Tabucchi est mort en 2012, peu avant la sortie du livre traduit en français. Il avait 68 ans.

(2) Extrait de God’s Doodle: The Life and Times of the Penis de Tom Hickman, publié en français sous le nom Le bidule de Dieu, une histoire du pénis traduit par Philippe Paringaux aux éditions Robert Laffont

Autisme : la sélection sexuelle des embryons autorisée en Australie

Le titre ci-dessus n’est ni faux ni vrai. C’est une forme d’ellipse destinée à attirer l’œil du lecteur sur un sujet technique et éthique.

Le site Gèneéthique ne cache ni ses convictions ni son militantisme. C’est aussi une très bonne source d’informations pour qui s’intéresse aux mouvements des troupes aux frontières de la science génétique et de la réflexion morale . Toutes proportions gardées Gènéthique est un équivalent de Lemondedutabac.com spécialisé, lui,  dans  l’addiction mortifère à la nicotine-goudron-cancer. Le seul reproche qui peut raisonnablement leur être fait est de ne pas vouloir séparer l’information du commentaire.

Sélection

« Autisme: la sélection embryonnaire autorisée dans l’Etat d’Australie occidentale ». C’est l’un des titres du dernier envoi de Gèneéthique. (1) L’information est sourcée : The West Autralian (19/10/2013) – (ABC news 21/10/2013). Elle est reprise et commentée sur le site Forbes. Nos confrères anglophones titrent ‘Baby sex checks for autism’’ et ‘’Embryo Sex Selection To Select Against Autism ?’’ . Est-ce plus proche de la vérité ?

Pratiques

On parle, en pratique, de la technique (parfaitement rodée aujourd’hui) du diagnostic du sexe sur un embryon conçu par fécondation in vitro et parvenu au stade blastocyste. Elle sera désormais autorisée dans l’Etat d’Australie occidentale. Il s’agit là d’une nouvelle étape. Un consensus général a longtemps prévalu à l’échelon international : la technique du diagnostic préimplantatoire (DPI) n’est autorisée que lorsqu’elle est mise en œuvre pour prévenir  un risque de transmission d’une maladie d’origine génétique parfaitement identifiée ; maladie (dispositions françaises) d’une « particulière gravité » et incurable au moment où le diagnostic est pratiqué. On peut aussi parler de « tri embryonnaire », formule généralement perçue comme étant une critique de cette pratique.

Pratique coûteuse encore marginale (voir le dernier rapport de l’Agence de biomédecine) le DPI commence à être mis en œuvre (y compris en France) non plus dans le cadre d’un risque de transmission de maladie monogénique mais lorsqu’il existe de fortes suspicions de facteurs élevés de prédispositions génétiques.

Etapes

La décision australienne marque une nouvelle et double étape. Elle ne concerne pas le DPI au sens où ce terme est généralement utilisé. Il s’agit certes d’un diagnostic effectué avant l’implantation embryonnaire mais d’un simple (et assez banal) diagnostic chromosomique. D’autre part elle ne se fonde nullement sur une certitude (la présence ou l’absence d’une mutation génétique délétère) mais sur une observation doublée d’un faisceau de présomptions : les garçons sont statistiquement plus touchés par les syndromes autistiques et les avancées de la science biologique plaident en faveur d’un substratum génétique. Pour autant il n’existe (toujours) pas de « test génétique de l’autisme » – une réalité qui fut il y a quelques années à l’origine d’un malentendu et d’un ouvrage signé du généticien  Bertrand Jordan  (2).

Conclusion : un Etat d’Australie donne son feu vert à la pratique d’un DPI du sexe pour prévenir (en partie) le risque de naissance d’un enfant souffrant d’un syndrome autistique. La même approche aurait pu être proposée sous la forme d’une interruption thérapeutique de grossesse également fondée sur un simple diagnostic du sexe de l’enfant à naître.

Aldous

On peut ne guère attacher d’importance à une telle information. On peut aussi s’en féliciter. On peut encore s’interroger sur la lecture qu’en feront les couples concernés. Et sur celle des soignants spécialisés dans la prise en charge des enfants souffrant de syndromes autistiques –des soignants qui commencent à traduire dans les faits le décryptage moléculaire de cette entité multiple et complexe. De ce point de vue on peut, surtout, espérer que l’affaire fasse bientôt débat dans nos espaces médiatiques.

Ces mêmes espaces furent longtemps largement ouverts aux violentes (et désespérantes) querelles « biologie versus psychanalyse ». Ils le sont encore parfois et le seront encore. On peut aussi tourner la page pour observer, analyser et commenter ce qui peut être perçu comme l’annonce d’un monde meilleur. Un monde allant, quoi qu’on fasse, vers Gattaca.    

 

(1) Voici le texte : « Les autorités de santé d’Australie Occidental (Australie) viennent d’autoriser l’utilisation du diagnostic préimplantatoire dans le cadre d’un cycle de fécondation in vitro, pour les couples à risques, susceptibles de donner naissance à des enfants autistes. Alors qu’aucun test génétique ne permet de diagnostiquer l’autisme, la sélection sera exclusivement fondée sur le sexe: les garçons auraient quatre fois plus de chance d’être autistes. Mais l’utilisation de cette technique est controversée, de nombreux facteurs, notamment environnementaux, pouvant être à l’origine de l’autisme. »

(2) Sur ce sujet on peut se reporter à l’une de nos chroniques parue en 2012 dans Médecine et Hygiène ainsi qu’à l’ouvrage de Bertrand Jordan :  Jordan B. Autisme, le gène introuvable. De la science au business. Paris : Editions du Seuil, 2012. ISBN : 978-2-02-105411-8.

L’affaire avait commencé le 20 juillet 2005 dans les colonnes du Monde. Nous avions alors signé un article intitulé «Le premier test de diagnostic de l’autisme va être lancé». Il s’agissait d’un article bien court et bien modeste expliquant que les responsables d’une firme française de biotechnologies (la société IntegraGen, basée au Génopole d’Evry) venaient d’annoncer le lancement (prévu pour 2006) du premier test génétique de diagnostic de l’autisme.

«Le test devrait être proposé, dans un premier temps, aux Etats-Unis et en Allemagne, en tant que « home-test », c’est-à-dire disponible sans prescription médicale, écrivions-nous alors. En théorie, un tel dépistage pourrait représenter un progrès, un diagnostic précoce permettant une prise en charge thérapeutique plus efficace. Mais il est d’ores et déjà l’objet de critiques. « On ne pourra pas faire l’économie des graves questions, à la fois éthiques et techniques, que soulève une telle annonce, observe le professeur Thomas Bourgeron (Université Paris-VII, Institut Pasteur de Paris), l’un des meilleurs spécialistes de la génétique des syndromes autistiques. La question de la fiabilité est encore bien loin d’être résolue. D’autre part, la plus élémentaire déontologie scientifique et médicale s’oppose, selon moi, au lancement d’entreprises commerciales fondées pour partie sur l’angoisse des parents, voire des futurs parents. » »

 

 

 

 

 

 

 

La formidable et véritable histoire de l’étiopathe qui fait des miracles

Saviez-vous qu’il existait deux mains qui soignent et sauvent  le Tout-Paris ?  Sortie aux Editions du Seuil d’un livre à succès garanti qui nous le dit. Un hebdomadaire dominical nous en avertit.

Le rebouteux est devenu étiopathe. Comptes de fées ou panacée ? Véritables effets placebos à très hautes potentialisations médiatiques ? Mais que font donc la science et la police rhumatologiques ? Où est la Faculté ? (1)

Dédicace un brin provocatrice : « En espérant que Soigner autrement vous ouvre des horizons nouveaux ». Bandeau mauve « Ces mains qui guérissent »? On voit celle de gauche. 194 pages, 17 euros. Petite bibliographie oxymorique (Henri Laborit vs Bernard Debré ; André de Sambucy vs Frédéric Saldmann).  On commence avec Ludwig Wittgenstein et son Tractaus Logica Philosophica : « Quand on peut parler, on parle, ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». Parlons, donc.

 Barrière d’espèce

Jean-Paul Moureau parle beaucoup de lui. Et, magie de l’écriture, plus il en dit et moins on le saisit. M. Moureau est né à Boulbon. Boulbon est un village au pied de la Montagnette. M. Moureau est né en 1949 des mains de sa grand-tante Claudine. C’était en 1948. Un samedi. Au petit matin. La Montagnette ? Ce sont les collines qui bordent le pays d’Arles, terre de Camargue. Le grand-père et le père du nouveau-né exerçaient le métier de forgeron et de maréchal-ferrant ; « comme j’aurais pu l’être si j’avais suivi le désir paternel de pérenniser l’activité familiale en lui succédant. » Mais M. Moureau ne l’a-t-il pas, précisément,  pérennisée ? A sa façon : en franchissant la barrière d’espèce et en élargissant l’éventail des phanères et des articulations.

Loir-et-Cher

La suite c’est le livre qui le dira. Mais pas seulement. Nous étions quelques journalistes à être invités par l’auteur et son éditeur mercredi 16 octobre de 18h à 21h à Hôtel Park Hyatt Vendôme. C’est un palace qui n’est pas situé dans le Loir-et-Cher mais bien 5, rue de la Paix dans le second arrondissement de la capitale. Le cocktail était offert par les champagnes Pommery ainsi que par L’Affectif (le vin par Baumanière) de Jean-André Charial. M. Charial est le propriétaire de l’Oustau de Baumanière.

Les relations presse étaient assurées par la puissante et très politique société de communication Image 7. Extraits de l’invitation : « Jean-Paul Moureau exerce son métier d’étiopathe depuis 35 ans et compte à son actif plus de 100.000 patients. Sa notoriété a dépassé les frontières et son cabinet ne désemplit pas. Parmi ses clients, des personnalités représentatives de tous les secteurs d’activités : monde politique (le grand public l’a découvert pour avoir soigné Nicolas Sarkozy), mais également le monde des affaires, du cinéma ou des arts…, la liste est impressionnante. »

Comprendre avant de traiter

Mais encore : « Au fil du temps, ses patients sont devenus des amis et ne jurent plus que par cette thérapie manuelle, différente des autres méthodes existantes, car elle s’attache à rechercher les causes de la pathologie avant de traiter les symptômes. » (2)

 Outre le cocktail et l’auteur les journalistes ne pouvaient manquer d’être attirés. « Avaient déjà répondu positivement à cette invitation : «Jean Louis Borloo, Jean-Paul Belmondo, Rachida Dati, Dany Briant, Jean Claude Darmon, Thierry et Olivier Dassault, Liane Foly, Jean Michel Goudard, Gérard Jugnot, Denis Olivennes, Franz-Olivier Giesbert, Nicolas Sarkozy, Robert Peugeot, Jean Reno, Florent Zeler et Ophélie Winter. » Etaient-ils tous là ? Sans même invoquer le conflit d’intérêt, nous n’étions pas rue de la Paix.

Etre soigné par le gourou du président Sarkozy

Quel rhumatologue pourrait réunir un tel plateau ? Ou plus précisément quel médecin pourrait faire ainsi parler de lui sans que ses confrères n’en prennent quelque ombrage ? Peut-être même certains en parleraient-ils à l’institution ordinale. Pour mieux huiler les rouages obscurs de  la confraternité.

M. Moureau n’a rien à craindre. Il n’a aucun titre de médecine  et ses collègues étiopathes ne parleront pas. Les médias people parlent d’ailleurs de lui depuis bien longtemps. Et plus encore depuis 2009 quand un journaliste politique (Patrice Machuret, France 3) fit une révélation au grand public : Nicolas Sarkozy consultait, régulièrement et  depuis des années, Jean-Paul Moureau « un spécialiste de l’étiopathie, une médecine parallèle à mi-chemin entre l’ostéopathie et la kinésithérapie, une sorte de ‘’gourou’’ ». C’était dans un livre « L’enfant terrible, la vie à l’Elysée sous Sarkozy » édité (lui aussi)  par Le Seuil. Les bonnes feuilles en furent alors publiées par VSD.

 Notre corps est un iPad

Aujourd’hui c’est le Journal du Dimanche qui consacre une pleine page à l’ouvrage de Jean-Paul Moureau, étiopathe et « rebouteux génial ». Une vie écartelée entre Los Angeles et  la Camargue. Sans oublier Paris : 500 mètres carrés de cabinet-consultation. Consultation le mardi : une vingtaine de patients à 100 euros la séance. Des journalistes, des capitaines d’industrie, des hauts gradés de l’armée, des astronautes se repassent comme un précieux sésame son adresse (ndlr : c’est dans le 16ème arrondissement).

 Quelques confidences : il a tente la faculté de médecine à Marseille. Deux ans seulement. Trop de QCM. On le comprend. Il n’est pas « mage », encore moins « voyant ». Il a une « crinière blanche » et un « regard bleu pénétrant » (un air de Nino Ferrer dans Le Sud). Il a donné des consultations « à  Beaujon » et noué des collaborations « au Val-d’Or ».  Le corps lui apparaît comme « une interface  tactile ». Pour ses mains ce corps humain est un peu comme un iPad. Il ne peut rien en cas de cancer, de maladies dégénératives ou génétiques.

Il a un « don naturel », agit sur « les flux hormonaux du corps » afin de régler ce dernier comme une montre. Il a plus de cinquante ans et nul ne connaît la marque de la sienne.

Le Point et Libération

« Tous les jours je vois des enfants qui vomissent ou qui ont des otites, explique-t-il. En quelques minutes, j’agis sur des centres nerveux, plexus, ganglions etc., et tout se normalise.» On apprend encore qu’il « doit la vie à une rebouteuse » (entendre que sa grand-tante Claudine, celle qui « l’a fait naître » en 1948, « remettait d’aplomb tous les estropiés du coin »). Il a « hérité de ses dons ». FOG  du Point (qui a laissé ses béquilles chez lui) et une journaliste de Libération (souffrant d’une hernie discale) font partie de la liste des « convertis ».

 Rebouteux et secteur II

M. Moureau a aussi sauvé Klaus Kinski qu’il a sorti de son coma. L’acteur avait fait une chute  sur le tournage de Woyzeck.  Dépêché par avion de Californie il a pu, à Paris, rouvrir les yeux, se relever de son brancard et finir son film. On sait que tous n’ont pas cette chance.

Comme le Dr Saldmann, M. Moureau ose un peu de politique. Comme lui c’est dans les dernières pages de l’ouvrage. Avec une infinie douceur il tance les responsables de notre système de santé. Le Dr Saldmann dit que nous sommes propriétaire de notre corps. M. Moureau dit que l’’étiopathie mériterait une meilleure place, une plus grande reconnaissance. Ce qui n’est pas peut-être sans risque pour les étiopathes.

Voir le corps comme un écran tactile impose-t-il le tact et la mesure ? Trop d’étiopathie ne nuirait-il pas à l’étiopathie ? Un don s’enseigne-t-il et de quelle façon ? Un « rebouteux »;  même « génial », aurait-il les mêmes résultats en secteur I et en secteur II ? Soigner autrement ne réclame-t-il pas, tout bonnement,  le déconventionnement ? Proposition de titre pour le l’ouvrage suivant: « Etiopathie et tiers payant ».

(1) Il ne s’agit nullement ici de plaisanter mais de traiter  de la question du « don ». Sur ce thème on prendra utilement connaissance d’un remarquable documentaire télévisé daté de 1992 gardé en archive par l’INA. Sans oublier, surtout, ce documentaire où apparaît (1977) le Pr Jean-Paul Escande.

 (2) Cette  phrase est une mine à concours :

« Au fil du temps, ses patients sont devenus des amis et ne jurent plus que par cette thérapie manuelle, différente des autres méthodes existantes, car elle s’attache à rechercher les causes de la pathologie avant de traiter les symptômes. »

Des « patients » peuvent-ils devenir des » amis » ? La thérapie manuelle de M. Moureau est-elle différente des autres thérapies manuelles ou différentes des autre thérapies en général ? Connaissez-vous des méthodes qui « traitent les symptômes » sans « préalablement s’attacher à rechercher les causes de la pathologie » ?

 

 

 

 

Tour de France : les maillots mouillés sont une aubaine pour l’humanité

L’odeur de la sueur est un bonheur : elle incite les êtres humains à plus de générosité, plus d’entraide. La preuve nous vient de Finlande. Explications au moment où se joue la cinquième étape du Tour (Cagnes-sur-mer/Marseille ; 228,5 km) Avec, en prime, un plaisir de lecture (1)

Que serions-nous sans la sueur? Le biologiste dira qu’il s’agit là d’une sécrétion des glandes sudoripares, le résultat du phénomène de la transpiration. Il ajoutera que la transpiration est indispensable à la vie, puisqu’elle participe au contrôle de la température du corps. Le spécialiste de thermodynamique précisera que le corps humain évacue 580 Kcal par litre de sueur évaporée.

Outre des calories, que perdons-nous en perdant notre sueur? Principalement de l’eau et des minéraux; sans oublier le lactate, cette forme ionisée de l’acide lactique et de l’urée. Quoi de plus intime que la sueur? Sa composition minérale varie d’une personne à une autre. Elle est le miroir fidèle de l’accommodation du corps à la chaleur, au type et à l’intensité de l’exercice musculaire, à la durée et à la cause de la transpiration. Elle varie selon la composition minérale du corps mais aussi selon les régions de ce même corps.

On taira ici ce que les odeurs de sueur peuvent représenter pour autrui. Elles peuvent être la source d’infinis plaisirs ou au contraire de répulsions-réflexes. Songeons un instant à nos réactions devant unmaillot de corps qui est mouillé de sueur (étranges expressions); ou encore aux taches laissées par ses propres sueurs sur un linge de corps. Il faut bien ranger ici la sueur au rang des «divers produits que le corps expulse quotidiennement» (excréments, urines, mucosités), dont parle si élégamment Mauricio Ortiz (médecin devenu journaliste) dans son précieux Du corps, publié aux éditions du Seuil en 2012. On peut voir là un équivalent corporel humain de cette part des anges qui fait tant rêver autour des chais de cognac.

La «composition-type» de la sueur? Une sorte de reflet minéral du corps, avec du sodium (0,9 grammes/litre), du potassium (0,2 grammes/litre), du calcium (0,015 grammes/litre) et du magnésium (0,0013 grammes/litre). Sans oublier des traces de zinc, de cuivre, de fer, de chrome, de nickel ou de plomb ainsi que des éléments véhiculés avec la transpiration comme le sébum.

Le vertige des sueurs froides

La fonction principale de la sueur? Refroidir le corps humain de manière à ce que sa température interne demeure relativement constante. D’où les suées en cas de fièvre et la nécessité de ne pas toujours faire retomber cette dernière. Est-ce là l’origine de l’expression «sueurs froides» dont Hitchcock a fait un film d’anthologie, mieux connu des anglophones sous le titre Vertigo (1958)?

Provoquer la sudation par différents moyens a aussi pour but (dans de nombreuses médecines non conventionnelles) de réaliser une forme de «purification» du corps. Suer, c’est éliminer ce qui doit l’être. Une marque française d’eau minérale en a fait un slogan publicitaire en faisant l’économie de la sudation, comme on peut le voir sur ces images datant de 1986.

Il est vrai qu’une autre marque, concurrente, avait trouvé des arguments physiologiques (hépatiques et rénaux) pour inciter à consommer sans modération. On trouvera plus généralement ici un délicieux petit travailde «professionnels de la communication» en amont des processus de la sudation.

Y a-t-il un lien entre cette purification via le sudoripare et la symbolique de la classe ouvrière? On songe ici à la force de travail musculaire et aux conséquences biologiques qui en découlent. L’ouvrier de la révolution industrielle se définissait alors par opposition aux intellectuels. Aux premiers la sueur, aux seconds l’intellect et les mains blanches. Ajoutons que la même sueur est (symboliquement) revendiquée par le mouvement Punk-rock et ses dérivés, ainsi que dans la musique funk (puisque funky signifie qui sent la sueur en argot américain).

On peut aujourd’hui ajouter un nouveau chapitre. Il résulte des travaux menés par Markus Rantala, biologiste à l’université de Turku (Finlande),publiés dans PLoSOne, que les phéromones (ces étranges molécules omniprésentes, dit-on, dans le vivant) semblent jouer des rôles essentiels à la sexualité et à la préservation du soi. Soit à la grande histoire de la perpétuation de l’espèce via le plaisir.

Pour ce qui est de la femme et de l’homme, différentes approches tendent à montrer que les phéromones sont intimement liées aux cycles de l’humeur et de la reproduction. Faut-il voir un hasard dans le fait que les phéromones sont produites par des glandes spécialisées qui sont situées près des aisselles? Et faudrait-il être troublé d’apprendre que ces mêmes phéromones se marient à la sueur?

Fragrances dominantes

Chez l’animal, les phéromones mâles permettent de fixer les rôles dominants-dominés. Dans l’espèce humaine, de premières approches psychométriques ont démontré l’existence d’associations entre l’attirance de certaines femmes pour certains hommes sur la base de fragrances associées à des hormones ou des phéromones. L’inverse n’est pas à exclure. Et l’usage intensif que nous faisons des parfums pourrait constituer un lien nous unissant à nos amies les bêtes, comme en témoignent les possibles liens entre le N°5 de Chanel et un parasite.

Dans le collimateur des biologistes et des éthologues: un cousin de la testostérone connu sous le nom d’androstadiénone qui est vingt fois plus présent dans les sueurs des hommes que dans celles des femmes. A Turku, le biologiste Markus Rantala et son collègue Paavo Huoviala ont mené une expérience riche d’enseignements. Elle a été conduite sur un groupe de quarante hommes qui devaient participer à un jeu vidéo. Dans ce jeu, deux joueurs doivent se partager 10 euros. Un joueur propose un mode de partage, l’autre décide d’accepter ou non.

Générosités mâles

L’expérience consiste à faire inhaler aux participants soit la phéromone mâle, soit un placebo à l’odeur similaire. Les vingt hommes ayant inhalé la phéromone se révèlent aussitôt plus généreux: ils offrent, en moyenne, un demi-euro de plus que le groupe témoin et, mieux encore, acceptent des offres inférieures d’environ un demi-euro. Les deux chercheurs expliquent avoir contrôlé les niveaux d’hormones chez les hommes tout au long de l’expérience. Et ils observent, à leur grande surprise, que les hommes dont les niveaux de testostérone sont naturellement les plus élevés sont aussi les plus généreux après avoir été exposés à la phéromone. Tout se passe comme si cette dernière entrait en interaction avec l’hormone mâle.

Cette découverte pourrait être utile lors de situations critiques, lorsque la coopération et l’altruisme entre les hommes sont des questions de survie. On peut aussi imaginer dès à présent d’autres applications. Les exemples ne manquent pas où des pulvérisations d’androstadiénone pourraient rendre la vie en société nettement plus agréable. L’affaire est résumée et amplement commentée (en anglais) sur le site du magazine américain Science. Pour l’anthropologue Jan Havlíček (Charles University de Prague) il ne faut pas trop rêver, et rappeler que le pouvoir des phéromones dépend beaucoup du contexte. Il serait ainsi selon lui intéressant de voir l’impact qu’auraient des pulvérisations d’androstadiénone lors des compétitions sportives. Serait-ce une forme d’antidopage?

(1) Le superbe « Anquetil tout seul » de Paul Fournel aux Editions du Seuil. Collection Points. L’auteur rappelle que Jacques Anquetil  se dopait et le disait publiquement : « Il faut être un imbécile ou un faux jeton pour s’imaginer qu’un cycliste professionnel qui court 235 jours par an peut tenir le coup sans stimulants. » Après avoir juré le contraire le banni Lance Armstrong  parle comme Anquetil. Une question d’actualité : aujourd’hui combien d’imbéciles et combien de jetons  qui ne sont pas vrais ?

Ce billet a initialement été publié sur les sites  www.planetesante.ch et slate.fr

 

 

Genres mâle et femelle, un chef d’oeuvre

Découverte d’un ouvrage hors du commun dont on devrait beaucoup parler dans les prochains mois. Il est centré sur le corps (humain) et son auteur est un docteur en médecine, chroniqueur scientifique dans un grand journal mexicain. Un chef d’œuvre. Qui nous parle (entre mille sujets) de cette parité une nouvelle fois à la mode, en France, au moment de la composition du nouveau gouvernement.

Mauricio Ortiz est né au Mexique en 1954. Docteur en médecine, il a décidé de quitter le monde universitaire pour se consacrer à l’écriture. Il est, nous dit-on, chroniqueur pour le quotidien mexicain La Jornada. Et il nous fait signe aujourd’hui dans l’espace francophone via son Du corps heureusement publié par les éditions du Seuil. « Il s’agit en quelque sorte d’une « philosophie du corps », un petit traité tour à tour érudit, ironique, mélancolique, subjectif, scientifique, poétique, diurne, nocturne, nous dit la quatrième de couv’. Elle nous dit encore que Mauricio Ortiz l’écrivain s’est fait petit, microscopique, qu’il a voyagé à travers les veines, les artères, les terribles cavernes pulmonaires.

Mauricio Ortiz aurait donc ainsi quitté la médecine pour mieux entrer dans son objet. L’urologue qui sommeillait en lui a éclairé de sa plume le territoire obscur où est produit le sperme, rendu visite au pénis capricieux (notez qu’il est rare que le membre viril ne le soit pas, capricieux ; sans doute est-ce là son indicible part de féminité). Le gynécologue Ortiz a aussi, bien évidemment, sondé l’insondable vagin, les marées des menstrues. L’hépatologue s’est fait mal sur la bile, a inspecté le foie industrieux (notez que lorsqu’il ne l’est plus, industrieux, quand montent en ligne les bataillons de gamma glutamyl transférase , le beau voyage tire à sa fin).  On se moque, bien sûr. On veut dire par là que c’est un grand livre signé par quelqu’un qui ne manque pas de souffle ; ce souffle dont il dit que c’est avec lui que l’on nettoie les lunettes. Vivre pour voir mieux et, si possible, un peu plus loin.

Les plus âgés d’entre nous (ou les plus cinéphiles) songeront peut-être au Voyage fantastique (film de Richard Fleischer, 1966), vision sublimée et inversée de la pratique cannibale aux temps rêvés de la guerre froide. Un film qui fit rêver bien des têtes blondes dont certaines portent aujourd’hui un stéthoscope.  Pour résorber un caillot au sein du cerveau de Jan Benes, scientifique travaillant derrière le rideau de fer et possédant l’alchimie de la miniaturisation illimitée le gouvernement des Etats-Unis affrète le vaisseau Proteus. Grant, le capitaine Bill Owens, le Dr Michaels, le Dr Peter Duval et (surtout) son assistante, Cora Peterson, prennent place.  Le « Proteus » est injecté dans la circulation sanguine de Benes. L’odyssée dure 100 minutes. Il y a un traître à bord. La ciclosporine n’a pas été découverte. L’assistante est Raquel Welch (née Jo Raquel Tejada, voix d’Arlette Thomas dans la version française) alors âgée de 26 ans. Nous ne nous souvenons plus de la fin.

Del cuerpo a initialement été édité à compte d’auteur ; ou presque, par la petite maison Ortega et Ortiz. En 1999, il a été découvert dans la péninsule du Yucatan au milieu des ruines de la citadelle de Tulum par celui qui signe aujourd’hui la préface de l’édition française, récemment décédé: Antonio Tabucchi. Une bouteille à la mer peut être contagieuse. Depuis la mer des Caraïbes un fax à El Pais : une tribune vantant les vertus de l’ouvrage. La tribune fut publiée. Et l’ouvrage revoit le jour sous un autre soleil.  On apprend ainsi que les chapitres qui le composent avaient initialement été publiés dans les pages scientifiques du journal La Jordana. Il existe donc ainsi, sous des longitudes dorées, des journaux d’information générale ne traçant pas de frontières entre leurs pages scientifiques et de possibles expressions littéraires. C’est possible ? Et nous ne le savions pas !

« Avec ses cartes géographiques du corps, ce livre est avant tout une boussole pour s’orienter dans ses passages secrets et ses labyrinthes, écrit le préfacier. C’est curieux : finalement cette boussole pour s’orienter dans notre corps est surtout une boussole pour s’orienter dans les labyrinthes de notre âme. Pour les jeunes qui ne connaissent pas encore bien leur corps, ce sera un précieux bréviaire. Et les personnes de mon âge pour lesquelles le corps est depuis longtemps un compagnon de voyage, y verront un autoportrait enlacé de vérifications, de remords, de coups de cœur, de résidus d’illusions. »

Prenons un sujet qui fait florès depuis la composition du nouveau gouvernement et avant la constitution de la nouvelle Assemblée nationale : la parité. La parité avec ce qui lui est consubstantiel : les genres. Laissons ici la place à Mauricio Ortiz (avec l’accord postulé des Editions du Seuil) :

« C’est beau d’être une femme. C’est beau d’être un homme. Elle avec ses seins et son petit cul ; lui avec sa moustache et ses testicules. Elle, avec la voix la plus douce que tu aies  jamais entendue ; lui avec la voix rauque la plus sexy que l’on puisse imaginer. Elle avec ses jupes, ses pantalons courts et ses chaussures rouges ; lui braguette, ceinturon et chaussettes. Tendresse contre fermeté, sexe faible contre sexe fort, maternité opposée au donjuanisme, Sensibilité et froideur, ouverture et pénétration, soumission et pouvoir. Combien d’oppositions peut-on ainsi imaginer enter l’inconstance féminine et la rigueur masculine ? »

On entend déjà les railleries, les cris d’orfraies, les hurlements des chiennes.

« Peut-être existe-t-il encore des exemples chimiquement purs, surtout vus de l’extérieur, néanmoins il est certain que la discussion sur les genres est centrée sur une polarité absolue entre les sexes. Mais, en ce qui concerne l’affection, les émotions, le désir, et, de plus en plus, le comportement, la majorité des exemples occupent des lieux intermédiaires, disons plus tropicaux, qui dépendent de différents facteurs. »

Vous n’avez pas raccroché ?

« D’abord, la biologie, la composition particulière et la morphologie des os et de la chair ; ensuite il faut insister sur l’expérience de l’enfance, et plus particulièrement la relation au père et à la mère, puis le hasard des premières hormones au moment de l’adolescence, la timidité ou l’aisance, les lectures, la chance en amour, les rêves, les visions oubliées.

La fait est que, de manière mystérieuse et selon l’équilibre individuel de chacun nous faisons l’expérience de la femme qu’il y a en chacun de nous, tout comme elles font l’expérience de l’homme qu’il y a en chacune d’elles. En nous, et pas seulement dans le sang, circule une quantité bien déterminée d’hormones du sexe opposé : nous venons, hommes ou femmes, d’un passé embryonnaire commun, et sommes ainsi beaucoup plus semblables que l’on veut bien nous le faire croire. (…)

Il en est qui y trouve le prétexte à une véritable guerre, dont l’issue consiste bien sûr à supprimer l’adversaire. L’homme tellement obsédé pars a virilité mise à mal par la petite femme qui l’habite, se comporte avec un machisme exacerbé et exagère sa vocation de fils de pute. La femme, pas toujours sûre de sa féminité, en raison du macho qui est en elle, se grime comme un clown et pousse sa faiblesse supposée jusqu’au paroxysme de l’hystérie. C’est cette femme-là, et cet homme-là, ces intrus, qu’il faut éliminer (…) La bataille des genres commence à l’intérieur, et chacun la livre ou non, selon son désir et comme il peut. »

On connait, dans les journaux d’information générale, des chroniques scientifiques (ou médicales) d’un intérêt moins soutenu.