Les « malades d’Alzheimer » ne sont plus ; mots sur maux

Pathologies, sigles et autres métaphores

Comment les médias, écrits ou pas, gobent-ils leurs sujets ? Comment les digèrent-ils avant, parfois, de les oublier ? On peut poser la question avec la maladie d’Alzheimer; elle qui n’est décidemment plus aujourd’hui ce qu’elle était hier encore. Seul ou presque demeure (pour la désigner) le patronyme d’Aloysius (1864-1915). Il entre en médecine en 1888 et s’oriente vite vers les nerfs et la psyché. Au mi-temps de sa vie il décrit (à partir du cas devenu célèbre d’Auguste D. prise en charge en 1901 à l’âge de 51 ans) une « maladie particulière du cortex cérébral » ; entité qu’il présente publiquement pour la première fois le 4 novembre 1906 à Tübingen lors de la 37ème Conférence des psychiatres allemands.

Auguste D. est morte le 8 avril de la même année. Sept mois entre l’autopsie, les lames histologiques, la corrélation entre l’anatomopathologique et la clinique, la rédaction de la présentation faite aux pairs ; on travaille vite, déjà, outre-Rhin. Et c’’est ainsi que l’entrée dans le XXème siècle voit la neuropsychiatrie allemande triomphante décréter que la démence peut ne plus être une fatalité. Peu auparavant un futur dément avait déjà  annoncé par écrit (Gott ist tot) la mort de Dieu. Les triomphes d’outre-Rhin allaient perdre de leur superbe. Alzheimer demeure.

C’est un signe qui ne trompe guère, pas pathognomonique mais presque. Comme avec Parkinson le nom propre prend à lui seule la place de la pathologie. Il y a  le chirurgien qui ne peut que prendre possession du corps son patient. Il y a le médecin hospitalier qui fait (parfois/souvent) de même en réduisant son malade à sa pathologie (« Il en est où, l’Addison de la 12 ? »). Et il y a la presse d’information générale qui emboîte le pas à la médecine.

Du moins le fait-elle dès lors qu’un seuil est franchi ; le seuil étrange, à la fois invisible mais bien palpable, qui voit le sujet traité tomber dans le domaine public – de la marque déposée au générique en quelque sorte. La chose était bien établie pour les (grandes) affaires criminelles. Vint ainsi un jour où le docteur (Marcel André Henri Felix) Petiot (1897 -1946),  Marie Besnard (1896-1980) et Gaston Dominici (1877-1965) ne s’appartinrent médiatiquement plus. Il en va de même aujourd’hui avec certaines personnalités condamnées à errer à perpétuité en lisière de procédures judiciaires toujours pendantes ou d’assuétudes évoquées, parfois revendiquées.

Alzheimer, donc. Nous gardons, journaliste, encore en mémoire le moment où un relecteur confus et pressé souhaitant (comme presque toujours) faire plus court fit une croix sur « maladie d’» ; c’était dans les toutes premières années de ce siècle. Au total le racourcissement conduisit fort malencontreusement à parler des malades d’Alzheimer ou des malades de Parkinson, l’une ce ces absurdités contemporaines  qui semble ne plus guère choquer. Elle n’est pas seule: le  tri sélectif  se développe durablement, trier ne suffisant plus.

Il y a aussi des exceptions. Pour des raisons qui restent à élucider le phénomène n’eut pas lieu dans le cas de cette mystérieuse encéphalopathie spongiforme décrite au lendemain de la première guerre mondiale par Hans-Gerhard Creutzfeldt (1885-1964) neuropsychiatre allemand et Alfons Maria Jakob (1884-1931), neurologue allemand. Faire court conduisit ici à une pratique plus radicale : l’usage des initiales. Ainsi parla-t-on de la MCJ pour évoquer les nouvelles formes observées  lors de la dramatique affaire dite de l’hormone de croissance contaminée puis  lors de l’émergence de la zoonose connue sous le nom de l’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) mais aussi sous celui, nettement plus parlant, de vache folle (que personne semble-t-il ne transforma jamais en VF).

On retrouve un processus voisin à propos d’une affection récente et très répandue qui voit des sigles ou acronymes prendre la place des mots. Au début des années 1980 émerge sur le papier journal (encore) imprimé le Syndrome d’Immunodéficience Acquise. La physiopathologie naissante de cette maladie que l’on commence à pressentir d’origine virale permet d’en finir avec le cancer gay de bien sinistre mémoire. Il est bientôt suivi par le S.I.D.A. ; puis par le SIDA, le Sida et l’actuel sida. Parallèlement la presse d’information générale découvre, en même temps que l’origine virale est confirmée (et les premiers tests de dépistage élaborés), l’existence de la séropositivité et des  séropositifs. On réduira bien vite la première à celle concernant le virus du syndrome de l’immunodéficience acquise ; soit le V.I.H, puis VIH et le plus souvent HIV son symétrique anglophone avec les immanquables et immanquablement irritants virus VIH et virus HIV. C’est ainsi que les personnes concernées et leurs proches inventèrent très tôt le terme identifiant de séropo. Pourquoi ?

Quelques décennies plus tôt –seuls les plus âgés s’en souviennent peut-être encore – on avait assisté à un étonnant ballet de vocabulaire autour de la syphilis, cette innommable grande simulatrice. L’immunologie naissante avait pousse  deux hommes sur la voie d’un diagnostic biologique : August Paul von Wassermann (1866 – 1925) immunologiste et bactériologue allemand et, de l’autre côté de la frontière, Jules Jean-Baptiste Vincent Bordet (1870- 1961) immunologiste et microbiologiste belge, par ailleurs lauréat du prix Nobel de physiologie et médecine de 1919[]. On parla bientôt de la  réaction de Bordet et Wassermann  très largement et systématiquement utilisée pour le diagnostic sérologique de cette maladie sexuellement transmissible due à un tréponème que la pénicilline sut, le moment venu, terrasser. Bordet et Wassermann ? C’était bien long. On réduisit la découverte à BW. Quant aux syphilitiques il ne fut pas rares d’user à leur endroit du terme hérédo, en référence trompeuse non pas à la transmission héréditaire mais à la possible transmission congénitale de la femme infectée à l’enfant qu’elle portait.  On aurait pu parler, et sans doute parla-t-on, d’hérédosyphilis. Puis on préféra abréger.

Dans son édition de 1962 Le Petit Larousse (17, rue du Montparnasse, et boulevard Raspail, 114), celui qui nous accompagne depuis un certain temps, donne cette définition d’hérédo : « (du lat.  heres, -edis, héritier), pref. Indiquant le caractère héréditaire de certaines tares. II – N.m. Celui qui est atteint d’une tare héréditaire, spécialement de la syphilis. » Larousse nous enseigne aussi que tare vient de l’italien déchet est désigne, de manière figurée une défectuosité physique ou morale. Mais il est vrai que l’on enseignait aussi, en 1962, qu’héréditaire désignait ce qui se communiquait des parents aux enfants, et congénital ce que l’on apportait en naissant. Un quart de siècle plus tard quelques uns inventèrent, en France, le terme sidaïque un néologisme qu’ils voulaient rapprocher de lépreux et qui entendait désigner des personnes devant être enfermées et soignées dans des sidatoriums. Il faut, pour saisir les enjeux et le temps qui passe, impérativement regarder cet extrait de  L’Heure de vérité du 6 mai 1987 sur Antenne 2.  La France, alors, allait entrer dans une nouvelle campagne pour son élection présidentielle. C’était il y a un quart de siècle ; ou presque.

Vache folle (2): à propos de l’appétit médiatique pour les catastrophes

Après la mort par les abats, la mort via le sang ? Il y a quinze ans l’opinion découvrait, via la presse d’information générale, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) le prion pathologique et l’angoisse collective de sa transmission par voie alimentaire conduisant à  une nouvelle forme de la maladie, incurable, de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). Ce fut une crise européenne majeure. Quinze ans plus tard certains agitent à nouveau le spectre en soulevant la question de l’innocuité d’un médicament anticoagulant : l’héparine. Une priorité médiatique ou de santé publique ? Comment savoir ?

La presse ne se repaît pas par plaisir des trains qui déraillent. Si elle se désintéresse ostensiblement de ceux qui arrivent à l’heure c’est pour une autre raison, plus profonde : elle ne se nourrit que d’insolite, d’étrange, de baroques. Il lui faut  des histoires. Mais ce n’est pas tout :  des histoires joliment racontées.

L‘insolite? C’est par exemple ce que range aujourd’hui sous cette étiquette l’Agence France Presse. Extraits:

« Françoise Tenenbaum, adjointe à la santé au maire (PS) de Dijon, propose de faire appel aux vétérinaires dans les déserts médicaux pour faire face à la pénurie de praticiens en France, une proposition prise avec « humour » par les médecins et jugée « irréaliste » par les vétérinaires.
« J’ai réfléchi à la problématique dans laquelle nous sommes, notamment en Bourgogne où il y a des déserts médicaux, et je me suis rendue compte qu’il y avait des vrais médecins dans les territoires, ce sont les vétérinaires, qui peuvent intervenir en urgence », a déclaré l’élue à l’
AFP.
« Je pense qu’il y a un champ de travail, mais il faudrait définir une passerelle de formation et cadrer la mission de ces vétérinaires. Surtout, ce ne serait pas à la place du médecin mais en l’attendant », a ajouté Françoise Tenenbaum, qui a formulé cette proposition dans
Les Echos. (…) « C’est totalement irréaliste et dangereux ! On n’est pas du tout compétents pour faire une médecine humaine », a jugé Gérard Vignault, président du Conseil régional de l’ordre des vétérinaires de Bourgogne.
« Ce serait un recul des soins apportés aux gens. On reviendrait au XIXe siècle, alors que l’on est dans une politique de médecine de pointe: le médecin généraliste est devenu un aiguilleur vers les spécialistes », a-t-il analysé.
Jean-Pierre Mouraux, président du Conseil de l’ordre des médecins de Côte-d’Or, préfère prendre la chose « avec humour ». « C’est un pavé dans la marre et ça fait bouger les canards. On en retiendra les bonnes intentions », a-t-il poursuivi.
Pour Monique Cavalier, directrice de l’Agence régionale de santé de Bourgogne, « aujourd’hui, ce n’est absolument pas pensable ». »

Avec la presse, peu importe la nature – heureuse ou malheureuse – du sujet traité. L’important, l’essentiel, c’est qu’il y ait rupture du quotidien. A cette aune une naissance dans un aéronef vaut les inquiétudes née du comportement a priori menaçant d’un passager. Mais tous les antiques reporters, passés maîtres dans la narration des faits divers, vous confieront (s’ils le veulent bien, plutôt en fin de repas) qu’il est incroyablement plus facile d’écrire (de tenir en haleine) à partir du malheur. Pour eux cela commence localement avec un chien écrasé pour finir, au mieux,  sur un pilier parisien du pont de l’Alma.    

C’est dans ce contexte que s’inscrit une autre forme de rupture, non pas passée mais potentiellement à venir. L’activité journalistique bascule alors du narratif vers le prédictif, domaine hautement plus risqué mais sacrément plus enivrant. On se souvient sans mal  sur ce thème des deux épisodes viraux associés  l’un au A(H5N1), l’autre au A(H1N1). L’ épizootie de la vache folle et son émergence en tant que zoonose furent également à l’origine de nombreuses prédictions médiatiquement transmises. Il y eut ainsi les propos apocalyptiques des premiers prophètes britanniques de malheurs ; vite suivis par les premiers travaux -également britanniques – de modélisation mathématique; des travaux beaucoup trop précoces dont les conclusions laissèrent  redouter des dizaines (voire plus) de milliers de victimes humaines.

Le temps passa et d’autres travaux prédictifs (français) corrigèrent heureusement le tir. On recense aujourd’hui un peu plus de 200 victimes, la plupart en Grande Bretagne. Faut-il espérer que le plus dramatique de cette affaire sasn précédent est désormais derrière nous ? Doit-on au contraire encore redouter de futures  conséquences mortifères associées à la dissémination de cet agent pathogène  transmissible non conventionnel qu’est le prion pathologique responsable de l’ESB et de la vMCJ ? Au-delà des impondérables liés aux inconnues scientifiques peut-on redouter que des fautes politiques ont été (sont actuellement) commises ?     

C’est ce que laisse indirectement penser la revue mensuelle Que Choisir dans un dossier qu’elle vient de consacrer à la sécurité sanitaire de l’héparine, une molécule aux puissantes propriétés anticoagulantes, très largement utilisée à travers le monde à des fins thérapeutiques.    

« Va-t-on vers un nouveau scandale sanitaire ? En 2008 environ quatre-vingt décès et des effets indésirables graves avaient été observés aux Etats-Unis et en Allemagne à la suite de l’administration d’héparine sodique, fabriquée à partir de matière première d’origine chinoise . En France, 34 millions de doses de cet anticoagulant sont administrées chaque année mais quels contrôles réels sur l’héparine importée ? Quelle sécurité sanitaire de l’héparine et du Lovenox, l’héparine leader de Sanofi ? C’est la question posée par l’UFC – Que Choisir qui saisit au 16 novembre le ministre de la Santé, pour demander une évaluation afin de garantir la sécurité des consommateurs français » précise le mensuel de l’association de consommateurs.

Ce mensuel rappelle d’autre part que bien qu’aucun effet grave n’ait été détecté en France, en 2008 l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) avait agi. Elle avait alors notamment demandé par mesure de précaution, le retrait de deux lots d’héparine sodique et avait recommandé aux professionnels de santé de restreindre leur utilisation à la voie d’administration sous-cutanée (pour laquelle aucune augmentation des effets indésirables n’avait été rapportée dans les deux pays touchés). En octobre 2011, l’Afssaps avait également revu ses recommandations de surveillance biologique d’un traitement par l’héparine.

« C’est de Chine que provient aujourd’hui une grande partie de l’héparine. Mais si la législation a été durcie aux Etats-Unis pour l’importation de l’héparine, elle reste plus souple en Europe. La France qui n’accepte que l’héparine de porc, pratique des tests sur l’héparine importée depuis la Chine pour vérifier sa pureté et son origine exclusivement porcine, observe encore l’UFC-Que Choisir.  Le Lovenox, le médicament de Sanofi, représente plus des deux tiers du marché mondial représentant un chiffre d’affaires de près de trois milliards d’euros. Sanofi appliquerait, selon le rapport de l’UFC, des mesures moins strictes de fabrication, pour l’Europe, que pour les Etats-Unis. Si les autorités sanitaires françaises et européennes considèrent ces procédures de contrôles comme suffisantes, ce n’est pas l’avis de certains scientifiques qui pointent l’insuffisance des tests pour garantir l’origine d’espèce de l’héparine consommée en France. »

On en serait là, sur ce fond interrogatif et préventif rationnel pimenté de l’avis de certains scientifiques s’il n’y avait cette chute :  

« Et s’il y avait de l’héparine de bœuf ? Un  mélange d’héparine de bœuf à de l’héparine de porc,  ferait effectivement courir le risque d’une transmission de l’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB), aussi appelée maladie de la « vache folle », si l’animal en était atteint. Or les tests actuels, selon l’UFC, pourraient ne pas détecter cette manipulation… » Pourquoi cette extrapolation, cet élargissement du champ des possibles pathogènes ? Sans doute pour mieux attirer l’attention du plus grand nombre. Sans doute aussi pour, corollaire, pousser Xavier Bertrand,  ministre de la Santé (son cabinet et ses services) à prendre des initiatives politiques et des mesures sanitaires.

Des mesures? Faut-il en prendre? Si oui lesquelles ? Si non pourquoi ? Voici un nouvel exercice d’évaluation et de gestion du risque qui est réclamé par voie de presse. Il ne sera pas inintéressant d’observer comment les responsables politiques traiteront (ou pas) de cette question. Et il ne sera pas moins inintéressant de relater de quelle manière les médias d’information générale traiteront (ou pas) de ce traitement.   

 

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La vache folle est de retour sur la scène (1)

 

Où la presse d’information générale hésite à redécouvrir l’encéphalopathie spongiforme bovine, à évoquer les souvenirs des cadavres, de l’équarrissage et des farines de viandes et d’os. Et où l’on voit néanmoins resurgir les angoisses sanitaires que  généra, il n’y a pas si longtemps, un agent transmissible non conventionnel. Premier acte.

Deux informations destinées à (et surgies de)  la presse . Toutes les deux concernent  l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Qui, parmi nous, a oublié cette maladie neurodégénérative apparue fin 1985 dans la trop verte campagne anglaise ? L’ESB  (mieux connue sous la dénomination parlante de  vache folle ) fut à l’origine d’une crise sanitaire alimentaires et socio-économique majeure. C’était pour l’essentiel en Europe, et à compter de 1996. On venait alors de découvrir (dans des circonstances bien rocambolesques) que l’agent transmissible «non conventionnel» (un prion pathologique)  responsable de cette maladie pouvait après plusieurs années se transmettre à l’homme et ce via la consommation de viandes bovines contaminées. Conséquences tragiques et issue toujours mortelle. 

Au total, un peu plus de 200 cas d’une nouvelle forme de la maladie humaine de Creutzfeldt-Jakob ont à ce jour été recensés. Aujourd’hui, l’ESB  est en voie d’éradication. L’heure est ainsi progressivement venue de poser une question hier encore impensable : faut-il revenir sur le dispositif sanitaire (à la fois préventif, efficace et coûteux) mis en place depuis quinze ans en Europe? Si oui sur quels arguments, à quel rythme et pour quelles raisons ?  L’autre question, connexe, est celle de savoir si tous les risques ont été appréhendés, évalués, et prévenus. Elle vient d’être soulevée d’étrange façon.   

Ouvrons tout d’abord ici le premier de ces deux dossiers.

Il nous est fourni par l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentation environnement travail (Anses) et  concerne l’alimentation des animaux en général ; plus précisément des animaux destinés à la consommation humaine. C’est une là une question sanitaire  de grande ampleur, rarement abordée au grand jour des médias, comme sont bien peu abordées les différentes facettes, sanitaires ou éthiques, de leur élevage et de leur mise à mort. Avec la vache folle il n’était plus question de faire l’économie d’un tel sujet. Il fut an effet rapidement établi (à la fin des années 1980, par des vétérinaires et d’autres spécialistes anglais) que le prion pathologique responsable de cette affection émergente avait pour origine le recyclage des cadavres de bovins (ou d’autres mammifères d’élevage) dans l’alimentation des bovins.

Il y a quinze ans la brutale découverte dans les médias de l’existence de cette pratique suscita l’effroi général. Elle était pourtant aussi vieille que la découverte de la thermodynamique de l’inconscient. Elle pouvait aussi être présentée comme un modèle de « développement durable » et de « sécurité environnementale » à une époque où ces concepts commençaient à prendre leur essor sous la baguette magique et martiale des militants écologiques. On ne vit plus alors dans cette pratique que la luciférienne transformation par l’homme d’innocents herbivores en carnassiers ; une pratique dictée par le profit, contraire aux grands équilibres naturels (issus –plus ou moins, selon les croyances – de la darwinienne Evolution des espèces) et à ce titre mortifère.

On parla alors beaucoup des «farines animales ». Ces produits riches en protéines étaient issus de la transformation par incinération des carcasses et des cadavres d’animaux. L’Angleterre thatchérienne en avait modifié les procédures de fabrication avec les conséquences que l’on découvrait un quart de siècle plus tard. On interdit ces farines dans les circuits des alimentations animales ce qui entraîna d’innombrables conséquences environnementales et autant d’inquiétudes sanitaires.

Puis le temps, comme souvent, passa. Et l’affaire revint sur le tapis en  juin 2011. Quelque temps auparavant la Commission européenne avait fait savoir, sans discrétion, qu’elle souhaitait voir prononcée la levée des mesures de police sanitaire prises entre 1990 et 2000 concernant ces farines – ou protéines animales transformées (PAT). Ces mesures d’interdiction ne connaissaient que quelques exceptions: l’utilisation de «farines de poissons» dans l’alimentation des animaux non-ruminants (mais aussi dans celle des veaux non sevrés et qui n’étaient pas «élevés sous la mère»…). Sans oublier le recyclage (méconnu de leurs maîtres) de ces PAT dans les aliments destinés aux chats et chiens domestiques.   

La suggestion de la Commission européenne de lever les actuels interdits ne concernait toutefois pas les animaux ruminants. Il ne s’agit donc pas de réintroduire différentes formes de  « cannibalisme » : Bruxelles précisait  les PAT  issues des volailles ne pourraient être inclues dans l’alimentation de ces dernières; idem a priori pour les poissons et les porcs. On n’allait que croiser les alimentations. Et Bruxelles de demander à  chaque Etat membre de l’Union d’analyser les différents paramètres, sanitaires et économiques, de l’équation. Il y a six  mois ont découvrait en France le constat du groupe de travail du Conseil national de l’alimentation (CNA) grâce à un rapport d’étape .

Le CNA est un organisme consultatif des ministères français de l’Agriculture, de la Santé et de l’Economie. Il  réunit des représentants de tous les acteurs de la chaîne alimentaire; et il est notamment —plus d’un an — en charge de la question de la possible réintroduction des farines animale. En juin 2011  ce groupe de travail estimait  que la situation sanitaire concernant l’ESB était «désormais maîtrisée». Il existait selon lui une «absence de risques pour la santé humaine» et, dans le même temps des «besoins croissants en protéines pour l’alimentation animale» ainsi que de «probables avantages environnementaux» à la réutilisation alimentaire des PAT. 

Le groupe du CNA proposait la «levée de la mesure de police sanitaire» puisque «les conditions  ayant conduit à l’interdiction des PAT dans l’alimentation des animaux destinés à la consommation humaine » n’étaient « plus d’actualité». Pour le dire autrement on pouvait, en juin, s’attendre à une réintroduction progressive de ces farines qui ne servent plus aujourd’hui –dans le meilleur des cas— qu’à alimenter les fourneaux des cimentiers. Au titre de la précaution, ces farines demeureraient toutefois prohibées dans l’alimentation des bovins et autres ruminants. C’était compter sans  la position non pas du ministre de la santé mais de celui de l’agriculture, Bruno Le Maire, expliquant alors  au « Grand jury » RTL/LCI/Le Figaro qu’il était fermement opposé à une telle mesure :  

«Tant que je serai ministre de l’Agriculture, les farines animales ne seront pas réintroduites en France. J’en prends l’engagement. J’ai en tête les 200 morts de l’ESB et les 23 décès en France (…) j’ai aussi en tête l’incapacité que l’on a eue pendant des mois et des mois à retracer l’origine de ces farines animales. Aujourd’hui, je constate que l’on ne nous donne pas de certitude (…) personne ne m’écrit noir sur blanc que cela ne pose aucun problème de sécurité sanitaire pour les Français.»

On attendait depuis l’avis (que l’on imaginait plus précautionneux) de l’’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).  C’est chose faite depuis quelques jours, cette puissante Agence ayant décidé dans ces conclusions de temporiser pour ne pas dire –ce qui serait injuste- de botter en touche.

Assouplir comme le veut la Commission européenne  les règles actuelles d’interdiction des PAT pour l’alimentation de certains animaux de rente ?  L’Anses rappelle qu’en 2009 elle avait déjà posé plusieurs conditions à un éventuel assouplissement « concernant notamment l’étanchéité des filières pour prévenir les risques de contamination croisée et la mise au point d’un test fiable de détection de l’espèce d’origine des PAT ». Dans son dernier  avis et rapport elle note « des progrès dans l’organisation des filières » mais  considère néanmoins que les conditions permettant une utilisation sécurisée des PAT (1) ne sont pas, à ce jour « totalement réunies ».

Il faudra donc attendre. Mais pour l’heure force est d’observer que ce travail d’expertise et la prise de position de l’Anses (qui a fortement déplu à Bruxelles où Paris est souvent critiqué pour sa politique frileuse en matière sanitaire) n’ont guère mobilisé l’intérêt des médias d’information générale.  Jusqu’au prochain épisode (par définition imprévisible, de ce long feuilleton.

(A suivre sous peu, le deuxième dossier) 

1 La spécialisation n’interdit pas, bien au contraire, le respect dû à la sémantique. L’Anses souligne ainsi que les PAT dont elle parle sont des matières premières protéiques produites à partir de sous-produits provenant d’animaux destinés à la consommation humaine (sous-produits de catégorie 3). Elles se distinguent de ce qui avait été appelé dans les années 1990 et 2000 « farines animales », et qui recouvraient de façon beaucoup plus large des sous-produits d’animaux de catégories 1 (destinés exclusivement à l’incinération), 2 (utilisés comme matières fertilisantes et à d’autres usages exclusivement non alimentaires) et 3. Les sous produits de catégories 3 sont définis par l’Art.10 du règlement n°1069/2009. Ce sont des coproduits d’abattage provenant d’animaux propres à la consommation humaine mais non utilisés par exemple : sang, peau, phanères, tendons, …. Dont acte