L’affaire des prothèses mammaires s’étoffe. Et se transforme en un exercice inédit de santé publique
C’est décidemment bien une affaire sanitaire d’un nouveau type que celle des prothèses mammaires. Rarement on aura pu observer comme ici l’intimité des rouages de la fameuse et contemporaine articulation entre l’évaluation scientifique d’un possible risque sanitaire et la gestion politique de ce dernier ; sauf peut-être, mais c’était à un tout autre rythme, dans l’affaire multiforme dite de la vache folle.
De ce point de vue nous sommes ici dans un passionnant cas d’école, un exercice de santé publique à la fois hors norme; un exercice qui ne pourra désormais que se poursuivre, faire l’objet d’analyses et de commentaire, d’évaluations et d’enseignements.
Pour l’heure restons centrés sur le vendredi 23 novembre. Au terme d’une semaine marquée par une bien savante distillation médiatique des décisions à venir les autorités sanitaires ministérielles ont rendu officiellement publiques leurs décisions. Cette annonce a été faite précisément dans le même temps qu’était rendue publique l’évaluation scientifique qui avait été demandée par les responsables politiques. Seule sont restés dans les médias, répétés en boucle, les choix ministériels concernant les femmes concernées ; les femmes porteuses de prothèses pour lesquelles l’explantation est désormais officiellement recommandée et prise en charge par la collectivité (pour une somme prévue, dit-on, d’environ soixante millions d’euros).
Voici le résumé des deux principaux documents disponibles. Leur lecture pourra apparaître ardue. Elle est capitale pour ceux qui entendent comprendre.
L’évaluation du risque.
Elle prend la forme de l’avis du groupe d’experts réunis sous l’égide de l’INCa et plus précisément celle des « Propositions de conduite à tenir pour les femmes porteuses de prothèses mammaires PIP : avis argumenté du groupe d’experts ». Cet avis est daté du 22 décembre et les experts présents étaient vingt-cinq. Ils représentaient les disciplines médicales concernées (anatomopathologistes, chirurgiens plasticiens, radiologues, oncologues, hématologues, médecin de santé publique) et étaient assistés par un représentant de l’Afssaps et un autre de l’InVS.
Que nous disent-ils ? Il faut ici être exhaustif puisque les auteurs mettent en garde : « Cet avis doit être diffusé dans sa totalité sans ajout ni modification. »
« 1. Par rapport au risque de cancer :
Pour les lymphomes anaplasiques à grandes cellules :
Le lymphome anaplasique à grandes cellules est une pathologie extrêmement rare. Le groupe retient, sur la base des données disponibles, qu’il existerait un sur-risque chez les femmes porteuses d’un implant mammaire quels que soient la marque et le contenu de l’implant (sérum physiologique ou gel de silicone). Il n’existe pas de donnée à ce jour pour conclure à un sur-risque des lymphomes anaplasiques à grandes cellules spécifique à la prothèse PIP en comparaison aux autres implants.
Pour les cancers du sein (adénocarcinomes) :
Le cancer du sein est une pathologie fréquente. Le groupe retient que les données disponibles aujourd’hui permettent de conclure à l’absence de sur-risque d’adénocarcinome mammaire chez les femmes porteuses d’implants en comparaison avec la population générale. Il n’existe pas de donnée à ce jour pour conclure à un sur-risque d’adénocarcinome mammaire spécifique à la prothèse PIP en comparaison aux autres implants.
2. Avis concernant la décision d’explantation
Le groupe de travail retient que les éléments justifiant une explantation sont la présence de signes cliniques et/ou radiologiques évocateurs d’une altération de l’implant et/ou la demande de la patiente. Il n’existe pas d’argument à ce jour justifiant une explantation en urgence.
Chez une femme asymptomatique (absence de signe clinique et/ou radiologique), les risques liés à la non explantation à visée préventive sont : risque de rupture, risque d’imagerie faussement rassurante (faux négatif), risque d’une réintervention plus compliquée (préjudice esthétique, augmentation du risque de complications post opératoires), et la toxicité potentielle, à ce jour mal connue, de ce gel non conforme des prothèses PIP.
Les risques liés à une explantation sont : risque lié à une réintervention (anesthésique et lié au geste), et risque lié à un résultat morphologique différent. Le groupe rappelle qu’en l’absence de sur-risque démontré de cancer chez les femmes porteuses de prothèses PIP par rapport aux autres implants, l’avis concernant l’explantation est lié au risque de rupture de l’implant et à ceux de la non-conformité du gel.
Devant l’absence d’éléments nouveaux concernant le gel non conforme ou de données cliniques nouvelles sur des complications spécifiques, les experts considèrent ne pas disposer de preuves suffisantes pour proposer le retrait systématique de ces implants à titre préventif. Ils rappellent néanmoins le risque de rupture prématurée et les incertitudes concernant les complications liées au caractère irritant de ce gel. Le groupe d’experts précise qu’il est nécessaire de mettre en place une étude épidémiologique prospective sur les implants rompus avec documentation des données cliniques, radiologiques et histopathologiques.
3. Surveillance des femmes porteuses d’une prothèse PIP
• En l’absence de tout symptôme :
Concernant le risque de cancer du sein, il n’y a pas lieu de modifier chez une femme porteuse d’implants les modalités actuellement recommandées de dépistage et de surveillance de cette pathologie. Du fait du risque accru de rupture des prothèses PIP, le groupe maintient le suivi tel que recommandé par l’Afssaps, à savoir « un examen clinique et une échographie tous les six mois, en ciblant pour chacun de ces examens les seins et les zones ganglionnaires axillaires ». Le groupe retient qu’une IRM mammaire n’est pas indiquée en première intention.
• En cas de signes cliniques et/ou radiologiques anormaux :
Une consultation spécialisée est préconisée pour une prise en charge.
4. Modalités à suivre en cas d’explantation
Avant toute explantation, quel que soit son motif, un bilan d’imagerie (incluant une mammographie et échographie mammaire et axillaire) récent doit être disponible.
Dans tous les cas d’explantation :
En présence d’un épanchement périprothétique anormal (sur son aspect ou son abondance), il est nécessaire de réaliser une aspiration du liquide pour analyse cytologique. Il est nécessaire de réaliser une biopsie systématique de la capsule et du tissu périprothétique.
La capsulectomie la plus large doit être réalisée lorsqu’elle est raisonnablement possible, à l’appréciation du chirurgien. Le groupe préconise une analyse histologique systématique des pièces de capsulectomie. En cas d’anomalie du creux axillaire, une analyse histologique ou cytologique est souhaitable. Le groupe précise qu’un curage axillaire n’est pas indiqué. Les biopsies et les pièces opératoires seront fixées dans le formol pour permettre des investigations complémentaires.
Une congélation des prélèvements doit être réalisée en cas de lésion périprothétique suspecte. En cas de diagnostic ou de suspicion de lymphome après analyse anatomo-cytopathologique, un envoi au réseau LYMPHOPATH est nécessaire. La pose immédiate d’un nouvel implant est envisageable si les conditions locales le permettent. Dans le cas contraire, elle peut alors être proposée à distance de l’explantation. Elle est discutée avec la patiente avant tout geste opératoire.
5. Surveillance après explantation
En cas d’explantation, il n’y a pas de suivi spécifique préconisé compte tenu de l’absence de sur-risque de cancer lié aux prothèses PIP démontré à ce jour.
Les recommandations habituelles de dépistage du cancer du sein ou de surveillance sont applicables en fonction du niveau de risque de la femme et indépendamment de l’antécédent d’implant. »
La décision gouvernementale
Elle prend la forme résumée d’un communiqué de presse daté du 23 décembre et intitulé « Actualisation des recommandations pour les femmes porteuses de prothèses mammaires Poly Implant Prothèse (PIP) ». Reproduisons le ici dans sa totalité sans ajout ni modification :
« Xavier BERTRAND, Ministre du travail, de l’emploi et de la santé, et Nora BERRA, Secrétaire d’Etat chargée de la Santé, actualisent les recommandations de prise en charge des femmes porteuses de prothèses PIP.
A titre préventif et sans caractère d’urgence, ils souhaitent que l’explantation des prothèses, même sans signe clinique de détérioration de l’implant, soit proposée aux femmes concernées.
Cette proposition pourra intervenir lors de la consultation de leur chirurgien, déjà recommandée.
Les ministres chargés de la santé ont saisi le 7 décembre les agences sanitaires (Institut national du cancer, Institut de veille sanitaire, Afssaps), afin de recueillir leur expertise, en lien avec les sociétés savantes, sur les signalements d’effets indésirables chez les femmes porteuses de prothèses PIP.
L’avis rendu le 22 décembre indique qu’il n y a pas à ce jour de risque accru de cancer chez les femmes porteuses de prothèses de marque PIP en comparaison aux autres prothèses. Néanmoins les risques bien établis liés à ces prothèses sont les ruptures et le pouvoir irritant du gel pouvant conduire à des réactions inflammatoires, rendant difficile l’explantation. Les ministres chargés de la santé ont donc décidé :
1. de renforcer les recommandations émises par l’Afssaps :
· Les femmes porteuses d’une prothèse mammaire doivent vérifier la marque de cette prothèse sur la carte qui leur a été remise. En l’absence de carte, elles doivent contacter leur chirurgien, ou à défaut, l’établissement où a été pratiquée l’intervention.
- · Les patientes porteuses de prothèses PIP doivent consulter leur chirurgien. A cette occasion, une explantation préventive même sans signe clinique de détérioration de l’implant leur sera proposée. Si elles ne souhaitent pas d’explantation, elles doivent bénéficier d’un suivi par échographie mammaire et axillaire tous les 6 mois.
- · Toute rupture, toute suspicion de rupture ou de suintement d’une prothèse doit conduire à son explantation ainsi qu’à celle de la seconde prothèse
- · Avant toute explantation, quel que soit son motif, un bilan d’imagerie (incluant une mammographie et échographie mammaire et axillaire) récent doit être disponible.
2. d’adapter l’organisation qui doit permettre à toute femme qui le souhaite d’avoir recours à une explantation préventive. Ainsi les ministres demandent aux Agences Régionales de Santé (ARS) de mettre en place, dès début janvier, un numéro de téléphone à destination des patientes porteuses d’implants mammaires PIP qui auraient des difficultés d’accès à un professionnel pour leur proposer une liste d’établissements pouvant les recevoir.
3. de mettre en place une étude épidémiologique prospective sur prothèses rompues. Les établissements de soins et les professionnels de santé concernés sont informés en parallèle de cette décision et des nouvelles recommandations.
Les frais liés à cette explantation éventuelle, incluant l’hospitalisation, sont pris en charge par l’assurance maladie. S’agissant de femmes relevant d’une chirurgie reconstructrice post cancer du sein, la pose d’une nouvelle prothèse est également remboursée. Les ministres rappellent qu’il est demandé aux chirurgiens plasticiens libéraux de ne pas pratiquer de dépassements d’honoraires pour effectuer ces actes, comme le Conseil de l’Ordre l’a déjà recommandé.
Le comité de suivi, qui se réunira le 5 janvier 2012, au ministère de la santé fera un nouvel état des lieux de la situation et examinera plus en détail les procédures et dispositifs d’application de cette décision afin de répondre au mieux aux préoccupations des femmes concernées et de faciliter l’organisation de toutes les demandes d’explantation.
Pour toutes informations complémentaires, un numéro vert national 0800 636 636 est disponible. Ouverture du lundi au samedi de 9h00/19h00. »
Ainsi donc cette articulation entre évaluation et gestion nous est ainsi ouvertement accessible à l’examen. On découvre de manière précise et détaillée la différence d’appréciation entre le regard des experts spécialistes et le choix des responsables politiques. Il y a là une bien belle opportunité pour tous ceux, professeur(e)s et élèves, que la santé publique et ses arcanes passionnent, notamment dans ses croisement avec le journalisme et donc avec la perception que le plus grand nombre peut en avoir.
Affaire(s) à suivre sans doute. Dans l’attente les amateurs de rhétorique apprécieront comme il convient, à la loupe, la clef de voûte présente dans ce passage essentiel du communiqué de presse ministériel :
« L’avis rendu le 22 décembre indique qu’il n y a pas à ce jour de risque accru de cancer chez les femmes porteuses de prothèses de marque PIP en comparaison aux autres prothèses. Néanmoins les risques bien établis liés à ces prothèses sont les ruptures et le pouvoir irritant du gel pouvant conduire à des réactions inflammatoires, rendant difficile l’explantation. »
Selon les dictionnaires néanmoins est rangé au rayon des conjonctions ou des adverbes. Le terme vient, clairement, de néant et de moins. Il marque une opposition. Le rédacteur aurait tout aussi bien pu choisir cependant, mais, pourtant ou toutefois. Sans doute a-t-on pensé, en haut lieu ministériel, dans les étages de l’avenue de Ségur, que néanmoins sonnait mieux, plus juste, plus chic. Question : en langue anglaise le choix se bornerait-il à nevertheless , however et yet ?