« Honte du service public » : comment détruire un journaliste à France Télévisions

Bonjour

Cuir épais ou pas, le journaliste est un oiseau assez facile à abattre. Ancien reporter de guerre. Trente ans de carrière au-delà des mers. Tout cela pour être brûlé de nuit sur la place du Vieux Marché, à Rouen ? Sans les Anglais et sans l’évêque Cauchon.

L’histoire nous est révélée, sur le site du Monde, par notre confrère Gilles Triolier, journaliste indépendant (Filfax, site normand d’informations). Où l’on parle d’un autre confrère Jean-Marc Pitte. Une gueule et un cas comme la profession, jadis, s’honora de les recruter :

« Entré dans le réseau France 3 en 1988, Jean-Marc Pitte fut longtemps journaliste au service étranger de France Télévisions à Paris, pour lequel cet ancien reporter de guerre a couvert notamment les conflits en Bosnie, Irak et Afghanistan. Profil qui lui valut alors d’être élu président de la société des journalistes de France 3. Il est revenu dans sa région de naissance en 2014, pour raisons familiales. »

Devenu « simple journaliste » à France 3 Normandie, basé à Rouen, Jean-Marc Pitte a été licencié sans ménagement mi-février, après trente ans de carrière. Un événement : les syndicats SNJ, CGT, CFDT et FO du groupe de dénoncer d’une seule voix « l’arbitraire de la décision » et « l’absence de motifs sérieux »« Son licenciement est la honte du service public », dénoncent-ils dans un tract commun en promettant de déposer un préavis de grève national si la sanction n’est pas levée.

Le chasseur, lui, reste coi : la direction de l’antenne régionale de France 3 ne commente pas. On reprocherait au journaliste d’avoir « refusé de réaliser un reportage » et « insulté un rédacteur en chef », ce qu’il nie formellement – ainsi qu’une entorse au code de la route, sans contravention. Début janvier, le quinquagénaire, au volant d’une voiture de la rédaction, s’engage sur une rocade, au nord de Rouen, malgré une barrière baissée. La scène est filmée et sa direction alertée. Orwell et les fidèles contremaîtres veillent.

Information versus communication

Les chefs de rayon ne peuvent supporter les méthodes de travail de Jean-Marc Pitte. « C’est un grand reporter expérimenté, exigeant et intransigeant, quelqu’un de tenace, franc, direct qui dit des vérités parfois dures à entendre. C’est dérangeant pour une hiérarchie – qui s’en est servie pour le licencier », explique Danilo Commodi, délégué syndicat CGT à France 3 Normandie« Il a un comportement rugueux, il dit ce qu’il pense, tout en restant dans les clous. C’est la vie normale des rédactions. Aucun manquement professionnel n’a été observé », ajoute  François Ormain, délégué syndical central FO à France Télévisions.

Jean-Marc Pitte explique quant à lui que des accrochages avec sa hiérarchie normandes existaient bel et bien.  « Mais ils relevaient toujours de discussions de fond, de l’éditorial, argue-t-il. J’ai des principes journalistiques et je n’appréciais pas de faire de la communication et de réaliser des sujets non anticipés afin de remplir des cases. » De la souffrance inhérente à la pratique, souvent asphyxiante, du journalisme régional.

Jean-Marc Pitte a osé poser des questions gênantes à  Frédéric Sanchez , énarque et philosophe devenu président socialiste de la Métropole Rouen Normandie. Troubles. Sanction.  « Il s’est acharné sur moi en se plaignant à plusieurs reprises auprès du directeur régional. En plus d’être considéré comme chiant, je suis devenu gênant », assure le journaliste. Sollicité, Frédéric Sanchez « dément formellement être intervenu pour demander quelque mesure que ce soit concernant » Jean-Marc Pitte. « Cela n’a pas signé son licenciement, mais c’est entré en ligne de compte », assure Danilo Commodi. Le différend a été évoqué par la « direction régionale » en « commission de discipline ».

Tout semble clair. On veut toutefois vérifier. On se renseigne. Tout concorde. On appelle un confrère de la maison-mère. « Pitte ? Il avait demandé à repartir en région et je crois qu’il les gonflait sévère. Donc à la première occase : ‘’ pan pan ‘’ ».

A demain