Alcool au volant, mort au tournant, éthylotests dans la boîte à gants

 Améliorer la sécurité routière conduit immanquablement à (tenter de) modifier quelques  comportements humains  devenus (perçus comme) dangereusement archaïques. Il s’agit donc bien avant toute chose d’une affaire de (volonté) politique. Ce qui nécessite d’amples relais  dans le champ médiatique.

« PARIS, 7 décembre (Reuters) – Le nombre de morts sur les routes françaises est en baisse de près de 14% en novembre par rapport au même mois de l’an dernier, ce que le ministère de l’Intérieur impute à l’amélioration des comportements des automobilistes. Il y a eu 292 morts lors de ce mois de novembre, contre 339 en novembre 2010, dit la Sécurité routière dans un communiqué. Le nombre de blessés diminue aussi de 7,9% et le nombre d’accidents corporels de 6,9%. C’est le cinquième mois consécutif d’amélioration des chiffres de la mortalité routière, selon le communiqué. »

  Toujours dans la soirée de ce 7 décembre l’Agence France Presse ajoute que la Sécurité routière a qualifié de « notable » ce « nouveau recul ». Après un mauvais début d’année 2011, « l’amélioration des comportements observée depuis le mois de juin a permis de sauver 59 vies depuis janvier par rapport aux 11 premiers mois de l’année 2010, soit une baisse de la mortalité de 1,6% sur l’ensemble de 2011 ». « A l’approche des fêtes de fin d’année, il est essentiel que chacun en prenne conscience pour que les traditionnelles fêtes de famille ne soient pas endeuillées par des accidents aux conséquences tragiques » souligne encore le communiqué de presse de la Sécurité routière.

 Une affaire présidentielle. Plus de 16000 « tués » en 1970 ; 4 000 en 2010. La voiture automobile et sa cousine la moto sont décidemment des affaires trop sérieuses pour être laissées à ceux qui les possèdent et les conduisent. L’automobile ou, plus précisément, la sécurité routière. Elle fut et demeure une question majeure de santé publique. Sous la Vème République elle est aussi progressivement devenue, en France, une affaire traitée en haut lieu et depuis peu directement à l’échelon présidentiel ; au même titre que la politique étrangère la défense ou l’arme nucléaire. Avec cette différence, essentielle, que l’on peut ici fixer des objectifs chiffrés et faire le bilan des actions menées. Une sorte de tableau de bord politique en somme.

 Jacques Chirac s’y était intéressé comme il s’était intéressé à la lutte contre la cancer. Nicolas Sarkozy (qui s’est intéressé à la maladie d’Alzheimer) vient d’en fournir une nouvelle fois la démonstration : le 30 novembre il a annoncé une série de nouvelles mesures pratiques destinées à réduire le nombre des personnes tuées ou blessées sur les autoroutes et routes françaises. En substance : plus de radars fixes et mobiles, plus d’appareils limitant de manière automatique de la vitesse des véhicules et, bientôt, présence imposée d’éthylotests dans chaque véhicule circulant.

 Le cap des 4000 « tués ». Arrivant au pouvoir en 2007 le chef de l’Etat avait déjà « assigné au gouvernement » un « objectif ambitieux » : faire en sorte que l’on ne dépasse pas les 3.000 morts annuelles et par définition prématurées. L’ambitieux objectif ne sera pas tenu en 2011. Les données statistiques actuellement disponibles laissent redouter que le cap des 4.000 soit dépassé après le réveillon du 31 décembre ; et l’on voit mal comment l’objectif de 3000 pourrait être atteint, du moins dès l’an prochain.

L’amélioration de la sécurité routière est a priori (et vu d’assez loin) l’une de ces équations de santé publique qui n’a rien redoutable. Le moindre repas de famille en apporte régulièrement  la démonstration. Améliorer la situation ? Il faut  améliorer l’infrastructure autoroutière (les accidents ne surviennent pas au hasard…). Il faut améliorer la solidité des véhicules et de leurs habitacles. Il faut aussi (et surtout) parvenir à modifier le comportement de celles et ceux qui tiennent le volant et/ou qui trônent sur de puissantes et souvent rutilantes motos chromées.  

 Alcools et vitesse. Médiatiquement parlant on pourrait réduire les quatre dernières décennies de la lutte contre la « violence routière » à un combat contre les comportements connus pour être les plus fréquemment associés à des  accidents meurtriers. On pourrait le dire autrement : cette lutte a fait que la puissance publique n’a cessé de réduire l’espace de liberté individuelle qu’était la conduite automobile. Réduire la vitesse « maximale autorisée », réduire les taux d’alcoolémie « tolérables » chez les conducteurs, interdire l’usage des appareils de communication téléphonique, imposer la présence d’un gilet phosphorescent et d’un triangle de signalisation… Demain (c’est déjà le cas dans plusieurs pays) verbaliser séance tenante la consommation de tabac au volant ; et verbaliser doublement si le conducteur –la conductrice-  transporte de jeunes enfants, victimes innocentes du tabagisme adulte.

A cette aune on comprend que le combat fut rude et l’homme politique souvent enclin à déserter ; ce qu’il fit plus souvent qu’à son tour. Les deux batailles majeures –homériques et parfois conjointes – furent, schématiquement,  celle de la vitesse et  celle des boissons alcooliques. Dans la première, deux redoutables adversaires : l’Allemagne et la « réserve de puissance ». On veut ici parler des autostrades libérées et des formidables berlines d’outre-Rhin qui démontraient à la Terre entière que l’on pouvait avancer (très) vite et arriver à bon port.

En ce qui concerne la « réserve de puissance » il s’agissait de s’opposer à ceux qui voulaient brider la puissance des moteurs. Ces liberticides faisaient valoir qu’il était criminel de laisser commercialiser des véhicules pouvant dépasser les 200 kilomètres par heure quand il était interdit de dépasser les 130 sur toutes les belles (auto)routes de France. C’était, expliquaient-ils, comme si les forces de police ne s’opposaient pas à la vente d’héroïne sur les places et les marchés de nos villes. Quant aux conducteurs rétifs ils avançaient, souvent de bonne foi, la nécessité impérative d’en avoir sous le pied en cas, par exemple, de dépassement hasardeux.

Pour l’alcool l’affaire était un peu plus ardue encore ; ce qui n’empêcha nullement en définitive  la puissance publique de resserrer les interdictions réglementaires.

On connaît pour l’essentiel, la suite et la réduction progressive du nombre des morts prématurées et des handicapés à vie.  Reste que le combat  continue.  Et pour l’heure force est bien de constater que la volonté sécuritaire présidentielle demeure en dépit des échéances électorales. Nous écrivons en dépit car l’expérience montre que ces échéances ont souvent coïncidé avec une forme de laxisme ; un laisser-aller  que l’on imagine flatter sinon l’opinion en général du moins quelques puissants groupes de pression.   

 

Radars fixes, radars mobiles, radars pédagogiques. Premier point hérissant une partie de l’électorat, les radars fixes: « La France en compte 2.080 à ce jour. Je souhaite que 400 radars fixes supplémentaires soient déployés pour fin 2012, vient de déclarer le président de la R&publique devant la presse. Ces radars ne seront plus annoncés par des panneaux, et ne pourront plus être signalés en tant que tel par les systèmes d’avertissement entre automobilistes. »

Comme rien n’est simple sur la route les radars fixes resteront néanmoins annoncés par des radars pédagogiques  qui indiquent la vitesse sans sanctionner. Sur ce sujet que la presse qualifie de délicat, Nicolas Sarkozy a tenu à rappeler que les radars ne constituaient pas des « recettes budgétaires faciles ».  Passionnant sujet où (comme dans le cas du tabac et des boissons alcooliques) la fiscalité (imposée) sur de menus plaisirs de la vie quotidienne est suspectée de venir à la rescousse de l’incurie financière étatique. « L’argent de la sécurité routière revient intégralement à la route et ses usagers » a ainsi affirmé le président de la République. A-t-il convaincu ?

M. Sarkozy a également souhaité que les radars mobiles de nouvelle génération (appareils aujourd’hui expérimentaux mesurant la vitesse des véhicules automobiles à partir d’un véhicule de police en mouvement) soient généralisés au plus vite ; soit avant la fin du 1er semestre  2012.

Ethylomètres anti-démarrage.  L’ « alcool au volant », pour reprendre la formule consacrée (que l’on n’associe plus guère de nos jours  –pourquoi ?- à la « mort au tournant ») est impliqué dans un accident mortel sur trois. Jusqu’à quand ? La présence d’un éthylotest dans chaque véhicule sera rendue « obligatoire au printemps prochain » a dit le président. « Il s’agit du ‘’ballon’’ dans lequel on souffle, qu’il faudra avoir dans sa voiture sous peine d’écoper d’une amende de 11 euros », a aussitôt précisé le délégué interministériel à la sécurité routière. Déjà les discothèques et autres bars à ambiance musicale doivent mettre de tels  éthylotests à disposition de leurs clients.

 Mieux, si l’on en croit des indiscrétions utilement faites à la presse, le gouvernement français songerait  à aller beaucoup plus loin: l’actuel ministre de l’Intérieur Claude Guéant aurait saisi la commission européenne pour rendre obligatoire dans tous les pays de l’Union l’installation d’éthylomètres anti-démarrage dans chaque véhicule ; soit  l’obligation faite au conducteur de souffler avant de démarrer et blocage du moteur  en cas de présence trop élevée d’alcool dans l’air expiré.

 L’hécatombe collectivement acceptée des motards. Le président de la République  annonce également la prochaine mis en service du Lavia (Limitateur s’adaptant à la vitesse autorisée), dont il espère « des résultats remarquables ». « Opérationnel depuis 2006, le Lavia est un système GPS régulant lui-même la vitesse des voitures, jusqu’à présent délaissé » souligne, perfide dans les limites du genre, l’Agence France Presse.

Nicolas Sarkozy a enfin jugé « pas normal qu’en 2010, 24% des morts soient des utilisateurs de deux-roues alors qu’ils ne représentent que 2% du trafic ». Qui pourrait, en effet, considérer une telle situation comme n’étant pas pathologique ? En valeur absolue et dans le champ désincarné de la sécurité sanitaire de tels chiffres seraient perçus comme inacceptables et –pour peu que la presse s’en mêle – de nature à constituer un véritable scandale. Pour l’heure cette hécatombe est encore perçue comme une fatalité, l’exercice d’un libre arbitre par celles et ceux qui, sur deux roues, aiment à jouer avec leur vie qu’ils soient ou non sous l’empire de substances  psychotropes, licites ou pas.

Pour l’heure et jusqu’à quand ?

Retour sur l’été 2011 (I): Cigarettes, whisky et sucres ajoutés…

Au nom de la « santé publique » le gouvernement va procéder à de nouvelles taxations sur le tabac, les « alcools forts » et les  boissons sucrées. Buzz garanti. Mais encore ?

Mercredi 24 août Le Premier ministre François Fillon a présenté une longue série de mesures visant à réduire les déficits français à hauteur de 12 milliard d’euros (1 milliard en 2011 et 11 en 2012). Ce fut une longue présentation, très technique, avec un liste infinie de mesures : mise en place de prélèvements spécifiques « en faveur du redressement de nos finances publiques dans un esprit de justice fiscale » ; poursuite de l’effort « de réduction des niches et d’harmonisation des prélèvements obligatoires » ; effort « supplémentaire de réduction des dépenses de l’Etat » etc.

Puis, dans ces épaisses forêts fiscales, une « clairière » sanitaire : la réduction du déficit national passera, aussi, par une « modification des comportements en matière de santé publique » : augmentation du prix du tabac de 6% en 2011 et 2012, hausse de la fiscalité et des prélèvements sociaux sur les « alcools forts » et « création d’une taxe sur les boissons sucrées ». Soit, dès l’an prochain,  de nouvelles recettes fiscales d’un peu plus d’un milliard d’euros. Soit, aussi, une « modification des comportements » sur le mode d’une thérapie de choc faisant directement  appel  aux bourses individuelles. Nous sommes loin des incitations à « bouger » à «modérer » ou à encore « ingérer » quotidiennement un certain nombre de fruits et de légumes (cinq?).

Les services de l’Elysée et de Matignon avaient-ils programmé le traitement médiatique dont firent l’objet les annonces du Premier ministre et les explications complémentaires qu’il devait peu après donner au 20 heures de TF1 ? Faut-il au contraire imaginer que le « traitement médiatique » est la rencontre improbable de décisions journalistiques et de mouvements plus ou moins souterrains de l’opinion ? Et qu’à ce titre il ne saurait être programmable ? Toujours est-il que ce fut le chapitre « cigarettes, whisky et sucres ajoutés » qui captiva l’attention. Et plus précisément la partie boissons sucrées. Buzz assuré.

Pourquoi dira-t-on ? Sans doute parce que l’opinion française est rompue de longue date aux augmentations du prix des produits du tabac, cette substance désormais unanimement considérée comme un toxique majeur induisant une addiction qui ne l’est pas moins. Et il en va de même, sur un autre registre, avec les boissons alcooliques dont la consommation impose, pour la santé individuelle, la modération.

Le sucre (inclus dans des boissons), voilà bien ce qui créait l’évènement (médiatique). Non pas que les mesures sur le tabac (600 millions d’euros attendus) et les « alcools forts » (340 millions) ne méritaient pas de sérieux commentaires. Bien au contraire. Les spécialistes de la lutte antitabac tentèrent  de se faire entendre. Il y parvinrent ici ou là. Message souvent brouillé : pas facile d’être audible en quelques secondes quand on se dit indigné d’une hausse du prix des substances que l’on combat. Pas simple d’expliquer que la mesure gouvernementale n’est qu’un  expédient pour remplir les caisses de l’Etat et qu’elle n’a nullement pour objectif  d’aider les fumeurs à faire une croix sur leur drogue.

« Ce n’est pas une mesure de santé, mais seulement de taxation qui va toucher les plus pauvres, les jeunes et précaires qui fument le plus, sans contribuer à les aider à arrêter de fumer, a déclaré à l’Agence France Presse le Pr. Bertrand Dautzenberg, président de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT). On est un peu comme dans l’amiante, où l’argent, l’économie est passée avant la santé. C’est en pleine conscience qu’on sacrifie la vie des gens, en faisant d’abord un choix de percevoir des taxes alors qu’on sait que Jacques Chirac en 2003 avait démontré, avec le lancement du Plan Cancer, que l’on pouvait faire diminuer rapidement les ventes (82 à 54 milliards de cigarettes par an) et avoir quatre fois moins de fumeurs parmi les collégiens parisiens. Je me bats pour que les produits d’aide à l’arrêt soient pris en charge par la sécurité sociale pour tous les Français. »

Le Comité national contre le tabagisme ne dit rien d’autre qui réclame « une hausse générale des taxes de l’ordre de 10% pour réduire la consommation d’environ 4% » et de bien plus parmi les jeunes et précaires fumeurs ». Les deux associations observent que les trois dernières augmentations de 6% n’ont pas eu d’impact sur la consommation de tabac en France. Avec 60.000 morts prématurées par an le tabac  tue 15 fois plus que les accidents de la circulation routière. Mais cette fois l’heure médiatique était au sucre, aux sucres ajoutés, aux sodas, aux canettes.

Il y avait pourtant les mesures de taxations supplémentaires sur certaines boissons alcooliques ; mesures également prises par le gouvernement au nom de la « santé publique » (370 millions de recettes supplémentaires attendues en 2012). Là encore il y avait amplement matière à commentaires. A commencer par le recours au concept d’ « alcools forts », concept  contesté par la Fédération française des spiritueux, qui rassemble des producteurs et des distributeurs. Selon eux  « aucune donnée scientifique ne permet de différencier les boissons alcoolisées entre elles ». Cette fédération se soucie-t-elle de l’impact sanitaire des activités de ses membres ? C’est possible. Mais en l’espèce rien ne le démontre. Pour l’heure elle réclame « davantage d’équité », dénonce que l’on ne s’attaque – une nouvelle fois- qu’aux « boissons spiritueuses » et réitère sa proposition de révision de la fiscalité de l’ensemble des boissons alcooliques assise uniquement sur le titrage en alcool de ces dernières.

Pour l’heure le terme « alcool fort » désigne les boissons présentant un taux d’alcool supérieur à 20%. On peut aisément (on doit ?) voir là une forme d’abus de langage : ce n’est nullement l’alcool qui est fort mais bien la boisson qui est plus ou moins fortement alcoolisée. On s’est d’autre part bien peu intéressé, dans l’espace médiatique à deux anomalies  majeures (d’un point de vue rationnel) mais aisément justifiable (politiquement) : l’exclusion du rhum de la catégorie des « alcools forts » ; la non-inclusion de l’ensemble des vins dans la nouvelle taxation. On aura sans doute l’occasion, ici ou là, d’y revenir. Mais cette fois l’urgence médiatique était au sucre ; du moins au sucre présent –pour y avoir été « ajouté » dans des boissons par ailleurs indemnes de toute trace d’alcool.

Pourquoi taxer (à hauteur de 120 millions d’euros en 2012) les boissons « artificiellement » sucrées ? Pour réduire le déficit national bien sûr. Mais aussi, officiellement, pour lutter contre l’obésité ce fléau des temps moderne dont témoigne, dans l’Hexagone, l’augmentation du tour de taille. Une obésité qui laisserait sans doute de marbre le politique si elle n’était pas source de pathologies et donc de dépenses. Or, précisément, le gouvernement entend plafonner à 2,8% l’augmentation des dépenses de santé en 2012. « Pour atteindre ces objectifs, il faut mener des politiques de santé publique, et on sait que le tabac, l’alcool et les boissons sucrées avec l’obésité sont à la source de dépenses de santé importantes, a déclaré M. Fillon sur TF1. C’est normal de taxer l’alcool, le tabac, et les boissons dans lesquelles on rajoute du sucre. » La présentatrice du 20 heures n’a pas « relancé » le Premier ministre pour lui demander ce qui lui permettait d’assimiler alcool, tabac et boissons sucrées, ni ce que recouvrait la « normalité » à laquelle il faisait référence. C’est, peut-être, qu’un code non écrit de bienséance impose que l’on n’inquiète pas outre mesure l’invité prestigieux d’un journal télévisé.

Pour sa part l’Agence France Presse ne craint pas de nous préciser que dans la  documentation gracieusement fournie à la presse, et accompagnant le train détaillé des mesures fiscales à venir, les services du Premier ministre  avaient tenu à rappeler qu’entre 1997 et 2009, les Français ont pris en moyenne  3,1 kg alors que leur taille ne progressait dans le même temps que de 0,5 cm. Et Matignon d’ajouter que la prévalence de l’obésité qui s’élevait à 8,5 % en 1997 atteint désormais près de 15 %, soit une progression de plus de 70 % en 12 ans.  « Confidences » de Xavier Bertrand, ministre de la Santé, sur France 2 : « Je me suis battu pour qu’on puisse obtenir une différence entre les sodas qui sont particulièrement sucrés et ceux qu’on appelle les sodas light c’est-à-dire sans sucre ajouté. Cela va permettre que tous ces produits sans sucre ajouté coûtent au final moins cher que les autres et qu’on puisse adapter et changer son comportement »

Sus au sucre!  Et ce d’autant que c’est l’Organisation mondiale de la Santé qui, depuis Genève, prône le renchérissement des boissons sucrées comme mesure de nature à combattre l’obésité.  En pratique l’accise spécifique sur ces breuvages sera alignée sur celle des vins (qui, rappelons-le ne bouge pas soit une TVA de 19,6%) tandis que celle des eaux et des jus de fruit (sucres non ajoutés restera à 5,5%). Les professionnels ont aussitôt compris ; les consommateurs ne tarderont guère à faire de même. La mesure entrera en vigueur le 1er janvier 2012 et devrait permettre de générer 120 millions d’euros de recettes supplémentaires pour la sécurité sociale; ce pour un renchérissement d’un centime d’euros en moyenne du prix de la canette.

Aussitôt cris d’orfraie électrisée chez les producteurs de sucré. Ainsi Tristan Farabet. PDG de Coca-Cola France il ne voit là qu’une « mesure de bouc émissaire » sans aucune justification en termes de santé publique. Sur RTL il a assuré avoir accueilli l’annonce « avec stupeur et beaucoup d’incompréhension »   cette  « mesure injuste qui va frapper la quasi-totalité des ménages français ». Affirmation quelque peu paradoxale puisque le même M. Farabet assure que les Français sont de « très faibles consommateurs de boissons sucrées »  et que  « l’ensemble des boissons rafraîchissantes sans alcool représente 3,5% des apports caloriques quotidiens d’un individu ». Aussi n’est-ce pas en « s’attaquant » à ce seul segment alimentaire que l’on va « résoudre le problème réel de santé publique qu’on a avec le surpoids ». M. Farabet (dont l’entreprise emploie 3000 salariés sur cinq sites en France et qui est par ailleurs président du syndicat national des boissons rafraîchissantes) : Nous souhaitons que le gouvernement renonce à cette taxe qui frappe une industrie qui a fait le choix du ‘’made in France’’ et qui contribue déjà très largement à l’économie française. » Menaces à peine voilée de délocalisations à venir.

Et, en écho, cris d’orfraie au sein de l’association nationale des industries alimentaires (Ania). « Taxer certaines denrées alimentaires, sur la base d’arguments de santé publique, alors même que ces produits sont autorisés sur le marché, et qu’ils font l’objet de contrôles permanents de la part des autorités sanitaires, est purement et simplement illogique et scandaleux, affirment ces industriels. Une telle mesure revient à stigmatiser ces produits en les désignant comme  ‘’mauvais’’ ou ‘’nocifs’’, en appliquant la même politique fiscale que pour le tabac, sans justification scientifique ».  Selon l’Ania seuls quelques pays appliquent un tel droit d’accise sur le sucré : la Belgique, le Danemark, la Finlande ou les Pays-Bas…. D’autres peut-être, d’autres sans aucun doute.

La structuration médiatique des questions relatives à la santé publique étant ce qu’elle est, du moins en France, il ne fallait pas s’attendre à ce que les questions de fond soient d’emblée abordées à propos d’un tel sujet ; un sujet d’autant plus complexe qu’il emprunte à plusieurs champs, dont celui des choix gouvernementaux et des finances publiques. Beaucoup de factuel donc, la reprise des mesures gouvernementales, les réactions de quelques citoyens sollicités par les chaînes de radio, celles des principales associations ou secteurs professionnels directement concernés. Mais bien peu d’éditoriaux, encore moins d’analyses si l’on excepte celle parue sur le site Slate.fr concernant l’efficacité controversée de la taxe soda aux Etats-Unis. Si l’on excepte aussi la réaction analytique d’Antoine Flahault  sur son blog, voisin de celui-ci.

« Nous reviendrons lors d’un prochain billet sur d’autres aspects relatifs à la prévention du surpoids et de l’obésité, mais nous pouvons d’ores et déjà constater que la bataille autour des politiques de prévention des conséquences de l’épidémie du siècle est en train de véritablement commencer, écrit notamment le directeur de l’EHESP. Quelle intervention de l’Etat ? Trop ou trop peu ? Quel poids des différents lobbys dans les décisions proposées ? Dans l’expertise disponible ? Quel rôle de la recherche en santé publique dans le domaine ? Quelle évaluation entoure les mesures préconisées ? » Ce sont  ces questions que l’on devrait  bientôt, en toute logique citoyenne voir traitées dans les médias d’information générale. Sera-ce la cas ?

Il est vrai que ce chapitre médiatique se complique d’une dimension atypique : celle du « light ». Anticipant la vague critique grossissante contre le sucré-obésité les industriels du secteur ont, depuis quelques décennies, développé les boissons « sans sucre » sur lesquelles ils réalisent des marges équivalentes si ce n’est supérieures. Il n’y aurait donc aucune véritable menace si ce n’est que le principal produit « sucrant » (l’édulcorant) utilisé (l’aspartame) fait à son tour l’objet de critiques sanitaires grandissantes.  Ainsi le nutritionniste Laurent Chevallier, du Réseau environnement santé, applaudit sur l’Agence France Presse à cette « très bonne mesure » tout en regrettant que les sodas light et les jus de fruits industriels en soient exclus et en rappelant les doutes qui demeurent quant à la nocivité de l’aspartame.

Gérard Bapt médecin et député (PS, Haute-Garonne) fait de même. Il vient de faire savoir qu’il avait adressé une lettre au ministre Xavier Bertrand dans laquelle il regrette que la nouvelle taxe « épargne les boissons adoucies par des édulcorants et peut donc conduire à l’augmentation de leur consommation ». Il rappelle que la dose journalière admissible de l’aspartame, fixée à 40 mg par jour et par kilo, est en cours de réévaluation par les agences de sécurité alimentaire, que l’Autorité européenne ad hoc annoncera en 2012 ses conclusions et  deux études (dont la méthodologie a été  contestée) ont d’ores et déjà mis en garde contre la possibilité d’effets indésirables de cette molécule, notamment chez les femmes enceintes. Et pour compliquer un peu plus encore ce dossier voici que certains assurent que les sodas light ne seraient pas, eux non plus, particulièrement flatteurs pour nos tours de taille

A suivre, donc.