Améliorer la sécurité routière conduit immanquablement à (tenter de) modifier quelques comportements humains devenus (perçus comme) dangereusement archaïques. Il s’agit donc bien avant toute chose d’une affaire de (volonté) politique. Ce qui nécessite d’amples relais dans le champ médiatique.
« PARIS, 7 décembre (Reuters) – Le nombre de morts sur les routes françaises est en baisse de près de 14% en novembre par rapport au même mois de l’an dernier, ce que le ministère de l’Intérieur impute à l’amélioration des comportements des automobilistes. Il y a eu 292 morts lors de ce mois de novembre, contre 339 en novembre 2010, dit la Sécurité routière dans un communiqué. Le nombre de blessés diminue aussi de 7,9% et le nombre d’accidents corporels de 6,9%. C’est le cinquième mois consécutif d’amélioration des chiffres de la mortalité routière, selon le communiqué. »
Toujours dans la soirée de ce 7 décembre l’Agence France Presse ajoute que la Sécurité routière a qualifié de « notable » ce « nouveau recul ». Après un mauvais début d’année 2011, « l’amélioration des comportements observée depuis le mois de juin a permis de sauver 59 vies depuis janvier par rapport aux 11 premiers mois de l’année 2010, soit une baisse de la mortalité de 1,6% sur l’ensemble de 2011 ». « A l’approche des fêtes de fin d’année, il est essentiel que chacun en prenne conscience pour que les traditionnelles fêtes de famille ne soient pas endeuillées par des accidents aux conséquences tragiques » souligne encore le communiqué de presse de la Sécurité routière.
Une affaire présidentielle. Plus de 16000 « tués » en 1970 ; 4 000 en 2010. La voiture automobile et sa cousine la moto sont décidemment des affaires trop sérieuses pour être laissées à ceux qui les possèdent et les conduisent. L’automobile ou, plus précisément, la sécurité routière. Elle fut et demeure une question majeure de santé publique. Sous la Vème République elle est aussi progressivement devenue, en France, une affaire traitée en haut lieu et depuis peu directement à l’échelon présidentiel ; au même titre que la politique étrangère la défense ou l’arme nucléaire. Avec cette différence, essentielle, que l’on peut ici fixer des objectifs chiffrés et faire le bilan des actions menées. Une sorte de tableau de bord politique en somme.
Jacques Chirac s’y était intéressé comme il s’était intéressé à la lutte contre la cancer. Nicolas Sarkozy (qui s’est intéressé à la maladie d’Alzheimer) vient d’en fournir une nouvelle fois la démonstration : le 30 novembre il a annoncé une série de nouvelles mesures pratiques destinées à réduire le nombre des personnes tuées ou blessées sur les autoroutes et routes françaises. En substance : plus de radars fixes et mobiles, plus d’appareils limitant de manière automatique de la vitesse des véhicules et, bientôt, présence imposée d’éthylotests dans chaque véhicule circulant.
Le cap des 4000 « tués ». Arrivant au pouvoir en 2007 le chef de l’Etat avait déjà « assigné au gouvernement » un « objectif ambitieux » : faire en sorte que l’on ne dépasse pas les 3.000 morts annuelles et par définition prématurées. L’ambitieux objectif ne sera pas tenu en 2011. Les données statistiques actuellement disponibles laissent redouter que le cap des 4.000 soit dépassé après le réveillon du 31 décembre ; et l’on voit mal comment l’objectif de 3000 pourrait être atteint, du moins dès l’an prochain.
L’amélioration de la sécurité routière est a priori (et vu d’assez loin) l’une de ces équations de santé publique qui n’a rien redoutable. Le moindre repas de famille en apporte régulièrement la démonstration. Améliorer la situation ? Il faut améliorer l’infrastructure autoroutière (les accidents ne surviennent pas au hasard…). Il faut améliorer la solidité des véhicules et de leurs habitacles. Il faut aussi (et surtout) parvenir à modifier le comportement de celles et ceux qui tiennent le volant et/ou qui trônent sur de puissantes et souvent rutilantes motos chromées.
Alcools et vitesse. Médiatiquement parlant on pourrait réduire les quatre dernières décennies de la lutte contre la « violence routière » à un combat contre les comportements connus pour être les plus fréquemment associés à des accidents meurtriers. On pourrait le dire autrement : cette lutte a fait que la puissance publique n’a cessé de réduire l’espace de liberté individuelle qu’était la conduite automobile. Réduire la vitesse « maximale autorisée », réduire les taux d’alcoolémie « tolérables » chez les conducteurs, interdire l’usage des appareils de communication téléphonique, imposer la présence d’un gilet phosphorescent et d’un triangle de signalisation… Demain (c’est déjà le cas dans plusieurs pays) verbaliser séance tenante la consommation de tabac au volant ; et verbaliser doublement si le conducteur –la conductrice- transporte de jeunes enfants, victimes innocentes du tabagisme adulte.
A cette aune on comprend que le combat fut rude et l’homme politique souvent enclin à déserter ; ce qu’il fit plus souvent qu’à son tour. Les deux batailles majeures –homériques et parfois conjointes – furent, schématiquement, celle de la vitesse et celle des boissons alcooliques. Dans la première, deux redoutables adversaires : l’Allemagne et la « réserve de puissance ». On veut ici parler des autostrades libérées et des formidables berlines d’outre-Rhin qui démontraient à la Terre entière que l’on pouvait avancer (très) vite et arriver à bon port.
En ce qui concerne la « réserve de puissance » il s’agissait de s’opposer à ceux qui voulaient brider la puissance des moteurs. Ces liberticides faisaient valoir qu’il était criminel de laisser commercialiser des véhicules pouvant dépasser les 200 kilomètres par heure quand il était interdit de dépasser les 130 sur toutes les belles (auto)routes de France. C’était, expliquaient-ils, comme si les forces de police ne s’opposaient pas à la vente d’héroïne sur les places et les marchés de nos villes. Quant aux conducteurs rétifs ils avançaient, souvent de bonne foi, la nécessité impérative d’en avoir sous le pied en cas, par exemple, de dépassement hasardeux.
Pour l’alcool l’affaire était un peu plus ardue encore ; ce qui n’empêcha nullement en définitive la puissance publique de resserrer les interdictions réglementaires.
On connaît pour l’essentiel, la suite et la réduction progressive du nombre des morts prématurées et des handicapés à vie. Reste que le combat continue. Et pour l’heure force est bien de constater que la volonté sécuritaire présidentielle demeure en dépit des échéances électorales. Nous écrivons en dépit car l’expérience montre que ces échéances ont souvent coïncidé avec une forme de laxisme ; un laisser-aller que l’on imagine flatter sinon l’opinion en général du moins quelques puissants groupes de pression.
Radars fixes, radars mobiles, radars pédagogiques. Premier point hérissant une partie de l’électorat, les radars fixes: « La France en compte 2.080 à ce jour. Je souhaite que 400 radars fixes supplémentaires soient déployés pour fin 2012, vient de déclarer le président de la R&publique devant la presse. Ces radars ne seront plus annoncés par des panneaux, et ne pourront plus être signalés en tant que tel par les systèmes d’avertissement entre automobilistes. »
Comme rien n’est simple sur la route les radars fixes resteront néanmoins annoncés par des radars pédagogiques qui indiquent la vitesse sans sanctionner. Sur ce sujet que la presse qualifie de délicat, Nicolas Sarkozy a tenu à rappeler que les radars ne constituaient pas des « recettes budgétaires faciles ». Passionnant sujet où (comme dans le cas du tabac et des boissons alcooliques) la fiscalité (imposée) sur de menus plaisirs de la vie quotidienne est suspectée de venir à la rescousse de l’incurie financière étatique. « L’argent de la sécurité routière revient intégralement à la route et ses usagers » a ainsi affirmé le président de la République. A-t-il convaincu ?
M. Sarkozy a également souhaité que les radars mobiles de nouvelle génération (appareils aujourd’hui expérimentaux mesurant la vitesse des véhicules automobiles à partir d’un véhicule de police en mouvement) soient généralisés au plus vite ; soit avant la fin du 1er semestre 2012.
Ethylomètres anti-démarrage. L’ « alcool au volant », pour reprendre la formule consacrée (que l’on n’associe plus guère de nos jours –pourquoi ?- à la « mort au tournant ») est impliqué dans un accident mortel sur trois. Jusqu’à quand ? La présence d’un éthylotest dans chaque véhicule sera rendue « obligatoire au printemps prochain » a dit le président. « Il s’agit du ‘’ballon’’ dans lequel on souffle, qu’il faudra avoir dans sa voiture sous peine d’écoper d’une amende de 11 euros », a aussitôt précisé le délégué interministériel à la sécurité routière. Déjà les discothèques et autres bars à ambiance musicale doivent mettre de tels éthylotests à disposition de leurs clients.
Mieux, si l’on en croit des indiscrétions utilement faites à la presse, le gouvernement français songerait à aller beaucoup plus loin: l’actuel ministre de l’Intérieur Claude Guéant aurait saisi la commission européenne pour rendre obligatoire dans tous les pays de l’Union l’installation d’éthylomètres anti-démarrage dans chaque véhicule ; soit l’obligation faite au conducteur de souffler avant de démarrer et blocage du moteur en cas de présence trop élevée d’alcool dans l’air expiré.
L’hécatombe collectivement acceptée des motards. Le président de la République annonce également la prochaine mis en service du Lavia (Limitateur s’adaptant à la vitesse autorisée), dont il espère « des résultats remarquables ». « Opérationnel depuis 2006, le Lavia est un système GPS régulant lui-même la vitesse des voitures, jusqu’à présent délaissé » souligne, perfide dans les limites du genre, l’Agence France Presse.
Nicolas Sarkozy a enfin jugé « pas normal qu’en 2010, 24% des morts soient des utilisateurs de deux-roues alors qu’ils ne représentent que 2% du trafic ». Qui pourrait, en effet, considérer une telle situation comme n’étant pas pathologique ? En valeur absolue et dans le champ désincarné de la sécurité sanitaire de tels chiffres seraient perçus comme inacceptables et –pour peu que la presse s’en mêle – de nature à constituer un véritable scandale. Pour l’heure cette hécatombe est encore perçue comme une fatalité, l’exercice d’un libre arbitre par celles et ceux qui, sur deux roues, aiment à jouer avec leur vie qu’ils soient ou non sous l’empire de substances psychotropes, licites ou pas.
Pour l’heure et jusqu’à quand ?