Cancers, rats, pesticides, OGM et conflits d’intérêts : la série Séralini est relancée

Bonjour

Tous les auteurs de feuilletons (de séries) cherchent le mouvement perpétuel. On se souvient peut-être de l’affaire Séralini. C’était  le 19 septembre 2012  « OGM-Monsanto : pourquoi le gouvernement français s’est affolée » (Slate.fr). Une histoire au départ assez invraisemblable, mêlant du scientifique, du politique et du médiatique. Une sorte de série franco-américaine qui partit en fanfare.

Nouvel Observateur

La Une du Nouvel Observateur, « Oui, les OGM sont des poisons ! »… des images de rats cancéreux… des journalistes dans la confidence au prix d’on ne sait quel pacte secret… des médias généralistes en grande excitation….  Et le gouvernement à l’unisson, expliquant «avoir pris connaissance des informations, rendues publiques aujourd’hui, sur l’étude menée par des chercheurs français, mettant en cause l’innocuité à long terme du maïs transgénique NK 603 sur les rats». Quand et comment le gouvernement avait-il pu «prendre connaissance» d’informations qui n’étaient pas encore rendues publiques?

L’étude «menée par des chercheurs français» n’était pas encore disponible sur le site de la revue américaine Food and Chemical Toxicology qui devait la publier. Toutes les institutions scientifiques de France et de Navarre mobilisées…  Des orages en cascade …

Libération

Au cœur de l’affaire le Pr Gilles-Eric Séralini (Université de Caen). L’affaire devait durer des mois. Pas de réelles conclusions, des opprobres réciproques. Un papier rétracté… ou pas… Ou republié… Des soupçons croisés de conflits d’intérêts… Un enkystement des positions. «Un désastre pour le débat public, sa qualité, sa capacité à générer de la décision politique et démocratique. C’est, pour l’instant, le résultat majeur de l’opération de communication organisée par l’équipe du biologiste Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen», analysait, d’emblée,  le journaliste Sylvestre Huet dans Libération rejoignant les analyses de Michel Alberganti publiées sur Slate.fr (voir le dossier).

Médiapart

Juin 2015 : voici que l’on reparle du Pr Séralini. Des causes voisines peinent pour l’heure  à produire les mêmes effets. Ce n’est pas le Nouvel Observateur mais Mediapart. Ce n’est pas Food and Chemical Toxicology, mais PLoS One. Et un gouvernement français qui à d’autres chats à fouetter.

Que peut-on lire sur Mediapart (18 juin) ? Ceci :

« Une nouvelle étude du Pr Séralini  a fait l’objet de pressions de la part du lobby des pesticides : alors qu’une revue (PLoS One) s’était engagée à publier cette étude dès aujourd’hui, la revue en question, sous des prétextes douteux, a reporté cette publication… L’étude en question est qualifiée de remarquable par les scientifiques qui en ont pris connaissance.

Son résultat est facile à comprendre : les animaux (dont les rats) utilisés dans les laboratoires reçoivent une alimentation dite standard-normale-hygiénique qui est en fait imprégnée de multiples toxiques (dont le Roundup, métaux lourds et OGM).  Il est donc impossible, dans ces conditions, de valider les études portant sur les effets de ces agents. (Voir ici le site Foodnavigator.com).

 Au travers de cet « incident » est confirmée la volonté du lobby des pesticides de « tout faire » pour s’opposer à la remise en question de l’innocuité de leurs produits (pesticides et semences-OGM). »

FR3 et France Inter

On peut voir ici un entretien accordé par le Pr Séralini sur FR3 où il met en cause la revue PLoS One. Le sujet a aussi été abordé sur France Inter dans l’émission « La tête au carré » qui invitait aussi le Pr Séralini. . Ecouter ici. Où l’on retrouve la même ambiance de bonneteau scientifico-médiatique…  des embargos qui devaient être levés … mais qui ne le sont pas… une revue qui publie… ou pas … qui fait parler d’elle à prix réduit… le dépit d’un chercheur qui rate une opération de communication … les soupçons… les lobbies… Et dans tout cela de bonnes raisons, dans un camp et dans l’autre, de se réjouir, de continuer un combat face auquel le citoyen laïc est comme perdu.

En substance le Pr Séralini et son équipe auraient découvert que toutes les études visant à évaluer la toxicité des OGM menées par Monsanto &C° seraient pipées. Etudes publiées dans les meilleures revues scientifiques mondiales. Ce serait, pour user d’un mot qui fut en vogue, énorme. Cela l’est-il ?

Cette nouvelle étude est-elle remarquable ? Comment le dire avant de la lire ? Sera-t-elle publiée un jour ? Ou, comme avant, brûlée place du Vieux marché, à Caen ?

A demain

OGM et cancers : un nouvel embrouillamini dans l’affaire Séralini

Rebondissement dans une affaire sulfureuse. Quatorze mois plus tard la publication hautement médiatisée de l’équipe de Pr Séralini sur la cancérogénicité d’un maïs génétiquement modifié de Monsanto vient d’être rétractée.

Le prolixe Hervé Maisonneuve vient d’aborder le sujet sur son blog hautement spécialisé. Nous poursuivons l’affaire sous ses angles médiatiques et politiques.

Rebondissements et déclaration en cascade attendus. Mais déjà  ce feuilleton formidable  réclame mieux et plus : une histoire et une géographie de la rétractation des publications. Avec une question : combien de publications rétractées ont-elles fait l’objet d’une reprise de l’expérience désavouée ?  

C’était une publication-phare, une étude en passe de devenir culte. Bientôt elle n’existera plus. Elle avait marqué les mémoires avec ses illustrations photographiques: des rats de laboratoire porteurs de monstrueuses tumeurs cancéreuses. Ces animaux avaient été nourris avec un maïs transgénique plus ou moins associé à  l’herbicideRoundup, deux produits commercialisés par la multinationale Monsanto. Il faut désormais oublier ces images: bientôt cette étude n’aura jamais existé. Le rédacteur en chef de la revue Food and Chemical Toxicology vient de décider qu’il allait «rétracter» la publication faite dans ses colonnes en septembre 2012 par le Pr Gilles-Eric Séralini et son équipe de l’Université de Caen.

Cinq millions d’euros

Ce coup de théâtre soulève une question pratique de taille. La controverse déclenchée par la publication française avait conduit, après bien des atermoiements, à dégager cinq millions d’euros sur des fonds publics: trois millions par l’Union européenne, deux millions par le gouvernement français. Il s’agissait d’une part de reproduire l’expérience contestée avec de meilleures garanties méthodologiques. Il s’agissait aussi de répondre aux critiques récurrentes faites à un secteur essentiel de la toxicologie alimentaire: les procédures d’expertises destinées à vérifier sur l’animal l’innocuité des OGM destinés aux consommations animales et humaines.

L’Agence européenne en charge de la sécurité alimentaire (EFSA) avait déjà défini le cadre des futures études. Il s’agissait de définir les principes directeurs qui aideront les scientifiques à mener des «études sur deux ans» portant sur des «aliments entiers». Objectif: évaluer le risque de cancer et/ou de toxicité que présente la consommation de longue durée de nouveaux aliments pour l’homme.

Pas de fraudes

La donne a désormais radicalement changé. Va-t-on décider, à Bruxelles et à Paris, qu’il n’est plus nécessaire d’utiliser cet argent pour vérifier le caractère reproductible d’une étude qui n’existe plus dans la bibliographie scientifique?

Pour l’heure, la principale question est celle des raisons de la rétractation de la publication d’octobre 2012.  Il  s’agit là d’une procédure assez rare, souvent vécue comme infâmante par ceux qui en sont victimes. Elle  suppose qu’il y a eu découverte a posteriori de pratiques scientifiques frauduleuses. L’un des cas récents les plus célèbres de rétractation  après fraude scientifique a été l’affaire Hwang Woo-suk du nom d’un scientifique sud-coréen spécialiste du clonage des mammifères qui, avec d’autres chercheurs de renom, était parvenu à publier un travail frauduleux dans la célèbre revue américaine Science.

Tous cobayes ?

Aujourd’hui, le cas de figure est radicalement différent. Avec toutefois un point commun: il concerne une publication amplement médiatisée, en septembre 2012. Avant même qu’elle soit disponible, Le Nouvel Observateur l’avait mise en scène, titrant à la Une que la démonstration était faite que les OGM étaient des «poisons». Le Pr Séralini y commentait sa propre étude et extrapolait ses résultats et accusait les végétaux génétiquement modifiés d’être cancérogènes. Il amplifiait son propos en assurant la diffusion concomitante de son dernier ouvrage («Tous Cobayes!») ouvrage et de documentaires télévisés.

Dans les heures qui suivirent la sortie du Nouvel Observateur (et avant même que la publication scientifique soit disponible), trois ministres du gouvernement français (ceux de l’Agriculture, de la Santé et de l’Environnement) estimaient que l’étude menée par des chercheurs français «mettait en cause l’innocuité à long terme du maïs transgénique NK 603 sur les rats».

Urgence du gouvernement français 

Les trois ministres décidaient alors en urgence  de saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) le Haut Conseil des biotechnologies et l’Autorité européenne de sécurité des aliments.» Une controverse nationale et internationale sans précédent avait suivi. , entre opposants aux OGM qui dénonçaient les pro-OGM d’être peu ou prou financés par la technostructure scientifique et industrielle en général –et par  Monsanto tout particulièrement. Ces derniers envoyant la méthode expérimentale développée par l’équipe du Pr Séralini à la poubelle.

Le ministère de la Recherche

L’étude contestée avait quant à elle été financée par l’association Ceres, le Criigen, la Fondation « Charles Léopold Meyer pour le Progrès de l’Homme » ainsi que par le ministère français de la Recherche.

La décision du rédacteur en chef de Food and Chemical Toxicology, A. Wallace Hayes a été prise après les très nombreux commentaires critiques qui ont été adressées depuis sa publication aux responsables de la revue. Certains scientifiques allaient jusqu’à évoquer la possibilité de fraudes.

Conclusion : pas de conclusions

Il précise que le texte adressé à la revue par l’équipe française avait suivi le processus habituel d’examen, de relecture anonyme par des pairs – processus suivi de modifications acceptées par les auteurs. Pour autant, de nouvelles relectures critiques par d’autres pairs avaient été jugées nécessaires. Et elles aboutissent aujourd’hui à la conclusion … qu’aucune véritable conclusion ne peut être raisonnablement tirée de cette expérience. Les principaux éléments techniques de ce dossier sont disponibles ici.

Au final, aucune fraude, volontaire ou involontaire, n’a été décelée. Mais il est apparu, à la réflexion, que la méthodologie retenue (faible nombre d’animaux, caractéristiques génétiques des cette variété de rats Sprague-Dawley susceptibles de présenter spontanément des tumeurs cancéreuses) ne permettait pas de conclure. Sans être véritablement «faux», les résultats ne sont pas «interprétables».

«Pressions insupportables»

La revue a également fait sur ce sujet une mise au point en forme d’autocritique quant aux procédures en vigueur de relecture et de validation des articles qui lui sont soumis. Rappelant qu’elle traite de sujets controversés par nature, elle soutient que, sans être infaillibles, ces procédures demeurent les meilleures. Des ajustements sont néanmoins prévisibles. Les responsables de la revue annoncent qu’ils publieront la réponse du Pr Séralini et les commentaires qui seront fait à cette occasion.

Refus du refus

Pour sa part, le Pr Séralini vient de déclarer qu’il refusait la rétractation de sa publication et qu’il maintenait ses conclusions. Il a aussi dénoncé des «pressions insupportables». Il est ici soutenu par l’association GMWatch qui estime que la rétractation est illicite, contraire à la démarche scientifique comme à l’éthique. Reste que la rétractation est une décision des responsables des revues scientifiques à laquelle les auteurs ne peuvent s’opposer.

Ce rebondissement dans une affaire déjà sulfureuse vient un peu plus compliquer l’approche scientifique des phénomènes d’exposition alimentaire des organismes animaux ou humains à de faibles doses de substances tenues pour potentiellement toxiques. Il ne manquera pas d’exacerber les tensions entre deux camps que tout oppose. De ce point de vue, il serait dommageable que la rétractation de l’étude initiale conduise à abandonner les expériences prévues pour en vérifier les bien-fondés. Un tel abandon conforterait les militants anti-OGM dans l’idée que le Pr Séralini est, sinon un martyr, du moins une victime de la science officielle.

Ce billet a initialement été publié sur le site pure player Slate.fr