Schiappa-Collomb : le gouvernement  se divise ouvertement sur la « PMA pour toutes » 

Bonjour

Silence jupitérien mais rétropédalage gouvernemental. Il faut d’urgence effacer ce qu’avait pu annoncer, le 12 septembre dernier, Marlène Schiappa. La jeune et controversée secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes était interrogée sur RMC-BFM-TV avec un message à passer :  l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à « toutes les femmes » sera proposée en 2018 par le gouvernement dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique. L’ « engagement de campagne » d’Emmanuel Macron serait respecté dès l’an prochain sur les bases de l’avis rendu le 27 juin dernier par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE).

C’était, disions-nous alors, un nouveau ballon d’essai. Moins d’une semaine plus tard le ballon s’est dégonflé. Et Marlène Schiappa a dû reprendre la parole pour, douloureux exercice, publiquement se corriger. « PMA pour toutes » ou « PMA sans père » ? Où l’on voit que, comme dans l’ancien monde, le gouvernement actuel est plus que divisé sur cette question sociétale. Invité le 17 septembre du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur ne cache pas être dans le camp des opposants.

Ne pas heurter les consciences

L’ancien maire du vieux Lyon catholique (et très proche du président de la République) estime que cette modification de la loi de bioéthique « pose sans doute un certain nombre de problèmes ». « Il faudra mettre des garde-fous », a-t-il osé ajouter – allant même jusqu’à évoquer des « lois sensibles qui peuvent heurter les consciences ». Invité à préciser s’il soutiendrait cet engagement de campagne de l’actuel président Gérard Collomb a répondu : « Je proposerai que l’on puisse résoudre le problème du chômage avant de s’attaquer aux problèmes civilisationnels. » « Pour moi, la priorité est toujours économique et sociale », a conclu l’ancien maire de Lyon.

Le même dimanche, invitée de l’émission Dimanche en politique sur France 3, Marlène Schiappa a mangé son chapeau en annonçant que seul le calendrier de la réforme serait connu en 2018. « Nous ne sommes pas en train de débattre, pour l’instant, de la PMA. La PMA, ce n’est pas notre actualité, ce sera au moment des Etats généraux de la bioéthique, a-t-elle précisé. En 2018, a priori fin 2018, il y aura des Etats généraux de la bioéthique, dans le cadre de la loi bioéthique. Dans ce cadre, nous débattrons effectivement de la PMA et le gouvernement proposera d’ouvrir la PMA. Le calendrier précis sera exposé à ce moment-là. La PMA sera adoptée avant la fin du quinquennat, c’est un engagement du président. » Silence du Premier ministre.

Mme Schiappa aura donc, cette fois, omis de préciser que cette adoption supposait que le problème du chômage soit résolu. Appelé à jouer les pompiers volants Christophe Castaner, porte-parole a fait savoir que le gouvernement suivrait l’avis de la CCNE en cherchant « le plus large consensus » et en évitant toute « crispation ». Or les crispations sont bel et bien déjà là. Ludivine de La Rochère (la « Manif pour tous »)  qui lutte contre la  « PMA sans père » conseille à Emmanuel Macron de s’épargner un débat « inutile ». A l’opposé, dans une tribune publiée par Le Monde, un collectif d’associations réclamait il y a quelques jours que le gouvernement élargisse dès maintenant l’accès à la PMA aux femmes lesbiennes et célibataires. Entre Marlène Schiappa et Gérard Collomb, que choisira, demain, le maître des horloges élyséennes ?

A demain

Tragique: «L’Obs» devient «L’Obsolète». La dynamique du «Monde Diplomatique »

 

Bonjour

Il ne faudrait jamais licencier certains journalistes. C’est le cas d’Aude Lancelin, « talentueuse directrice adjointe de L’Obs ». On peut la présenter ainsi :

« Aude Lancelin  née en 1973 à Tours, compagne de Frédéric Lordon. Ancienne élève du lycée Henri IV, en hypokhâgne et khâgne, puis étudiante à la Sorbonne-Paris IV, agrégée de philosophie, enseigne dans un établissement classé ZEP de l’Essonne.

 « Engagée en 2000 par le Nouvel Observateur, où elle couvre les domaines de la culture et des idées. Réalise de nombreux entretiens avec les philosophes contemporains. Parallèlement, collabore aux émissions télévisées Culture et dépendances (France 3) et Postface (i-télé, Canal+).

« Relève en 2010 que Bernard-Henri Lévy a cité naïvement (elle parle d’« autorité du cuistre ») un auteur imaginaire, Jean-Baptiste Botul, dans un ouvrage alors à paraître – ce qui provoque une vague de réactions amusées ou consternées. En août 2011, elle rejoint Marianne, en tant que directrice adjointe de la rédaction, responsable des pages « Culture » et « Idées » de l’hebdomadaire.

« En 2014, à la suite de la nomination de Matthieu Croissandeau à la direction de la rédaction, elle revient à L’Obs. Est licenciée par M. Croissandeau en mai 2016. Cette décision est, selon Mediapart imposée par les actionnaires, en l’occurrence Claude Perdriel et Xavier Niel. Elle est présentée comme un ‘’choix managérial’’, mais une grande partie de la presse y voit des motivations politiques : Claude Perdriel a en effet ouvertement reproché à Aude Lancelin d’avoir publié des textes « anti-démocratiques », c’est-à-dire trop à gauche, dans les pages « Débats » de L’Obs et d’avoir soutenu le mouvement Nuit Debout.

« Le fait que le compagnon d’Aude Lancelin soit Frédéric Lordon, figure de la gauche de la gauche, pourrait aussi avoir motivé l’éviction. Le 25 mai 2016, une quarantaine d’intellectuels publient dans Libération une lettre de protestation contre le licenciement d’Aude Lancelin . »

Plan média

Le plus généralement les journalistes licenciés (ou « invités à partir ») gardent le silence. Tel n’est pas le cas d’Aude Lancelin. Elle va publier « Le monde libre » (19 euros). Elle y narre, vu  de l’intérieur « la dérive du système médiatique français ». Voici ce qu’en dit (extraits) Livres Hebdo :  

« On se demandait qui allait éditer le livre d’Aude Lancelin, ancienne directrice adjointe de L’Obsdont le licenciement avait fait grand bruit fin mai. Ce sont Les liens qui libèrent qui, après avoir réussi à garder le secret jusqu’à cette fin de semaine, publieront le 12 octobre Le monde libre avec un tirage de 14000 exemplaires dont 10000 seront mis en place. Dès ce dimanche 9 octobre, le plan média démarre avec une interview dans le JDD.

« Elle raconte de l’intérieur la dérive du système médiatique français avec l’histoire de la numéro deux d’un hebdomadaire de gauche qui s’appelle L’Obsolète, dirigé par un certain Jean Joël. Elle fustige « la décadence d’un métier,  les opérations de police intellectuelle et le socialisme d’appareil à l’agonie » et trace de durs portraits de Manuel Valls « petit homme colérique aux idées simples devenu l’enfant chéri de l’Obsolète » ou Bernard-Henri Levy, « le sentencieux maître à penser de l’Obsolète ».

« La force de ce texte est qu’il est l’expression d’une époque, explique Henri Trubert, son éditeur. On voit comme les théories de management ont envahi les rédactions, le glissement des médias mais aussi de la gauche qui emprunte ses valeurs et concepts à la droite. » »

« Les Valls et les Macron »

Dans Le Journal du Dimanche (groupe Lagardère) l’ancienne de L’Obsolète cogne dur. L’hebdomadaire dominical du groupe Lagardère « a décidé de donner la parole à Aude Lancelin car son ouvrage «  bien au-delà des portraits cruels de journalistes et intellectuels parisiens, pose à sa manière le problème de la liberté d’expression ». « Aude Lancelin : « Il y a un trou d’air dans la vie intellectuelle française  » » (propos recueillis par Marie-Laure Delorme) – sur abonnement. On y lit des choses désespérantes, que L’Obs est devenu le nom de la gauche officielle, prétendument « sociale-démocrate », en réalité néolibérale et autoritaire, « une gauche obligée de mentir en permanence sur elle-même », mais dont « plus grand monde n’est tout à fait dupe désormais ».

Aude Lancelin a écrit un pamphlet, œuvre contestataire 1 et non « entreprise de dénigrement systématique ». Elle dénonce le « monde Uber » et le « monde El Khomri » prônés « par les Valls et les Macron ». Et elle n’a pas « assuré ses arrières », pas assuré son « avenir professionnel ». Ce serait, en somme, une fin.

« Ce livre est évidemment une lettre d’adieu à ces lieux que l’on appelle encore journaux par habitude, mais où l’esprit a été vaincu, où les combats de sont plus que d’apparence. Pour autant ce n’est nullement un adieu à ce métier. Les journalistes étouffent, nous sommes nombreux à ne plus supporter d’être les hochets de géants des télécoms intrumentalisant la presse à leurs propres fins. Avec l’aide des lecteurs, eux aussi spoliés, une autre histoire reste à écrire ».

« Notre vigueur découle de votre appui »

Hasard ou fatalité, on lit ceci dans le dernier numéro du Monde Diplomatique :

« Depuis deux ans, la diffusion du Monde diplomatique s’est nettement redressée  ; le nombre de ses abonnés atteint un record historique ; la situation de ses finances n’inspire plus d’inquiétude. Un tel rétablissement détonne dans le paysage de la presse et dans le climat idéologique actuel. Il tranche en particulier avec le délabrement éditorial et économique de la plupart des périodiques, dont certains ne diffèrent leur trépas qu’en se transformant en prime numérique du géant des télécoms qui les possède. Notre santé contraste également avec la situation politique et idéologique générale. (…)

«  Depuis 2009, nous avons fait appel à vous pour mener ce combat éditorial et politique. Le résultat est là, puisque notre vigueur découle de votre appui. La période qui s’annonce réclamera plus que jamais que notre voix porte. Votre contribution aura donc également pour avantage de prévenir tous les dynamiteurs du bien commun que leur offensive nous trouvera sur leur chemin.,Soutenez-nous ! Le Monde diplomatique  ambitionne de faire vivre un journalisme affranchi des pouvoirs et des pressions. Une liberté qu’il doit essentiellement à ses acheteurs et abonnés. »

Peut-être faudrait-il, parfois, licencier certains journalistes. Ou les inviter à quitter ces lieux que l’on appelle encore journaux. Par habitude.

A demain

1 Sur ce thème, le remarquable : « L’âge d’or du pamphlet », de Cédric Passard. CNRS éditions. 25 euros.

 

« Moi(s) sans tabac »: sans la e-cigarette, Marisol Touraine prend le risque de l’échec

 

Bonjour

On pouvait le redouter, c’est fait. Lancée aujourd’hui en grande pompe par Marisol Touraine l’opération « Moi(s) sans tabac » a tout de l’autocélébration centralisée. C’est  « le premier défi de santé publique grandeur nature jamais organisé en France ». C’est encore « une opération nationale d’un genre nouveau pour lutter contre le tabagisme ». C’est enfin, « une campagne de communication massive déployée à partir du 10 octobre ».  Et ce sont déjà, dynamique électronique, des centaines de commentaires critiques de vapoteurs sur le blog de la ministre : « PS. Marisol Touraine ». Leur répondra-t-elle ?

Résumons : il  s’agit de tenter de faire précipitamment et en quatre semaines ce qui n’a pas été fait depuis près de cinq ans. Officiellement annoncé en février 2014 par le président de la République, le Plan national de réduction du tabagisme n’a produit aucun résultat. La situation n’a cessé d’empirer. On fume en France, plus que dans la plupart des pays comparables et nettement plus qu’au Royaume-Uni.

Publicité et thérapeutique de l’addiction

Aucune politique française de réduction du risque tabagique n’a vu le jour. Les blocages politiques, le poids des buralistes  et la volonté obstinée de Bercy ont réduit à néant toute forme d’augmentation des prix. Pire : la ministre de la Santé refuse obstinément (à la différence de l’Angleterre) de s’appuyer sur le levier considérable qu’est la cigarette électronique.  Et après une tentative de rapprochement avec la Direction Générale de la Santé,les ponts semblent malheureusement coupés avec les associations les plus actives dans ce domaine 1. L’affaire est désormais entre les mains du Conseil d’Etat.

Et c’est ainsi que nous restons avec ce maigre et triste « Moi(s) sans tabac ». Une nouvelle opération publicitaire pour « inciter les fumeurs à arrêter ». Comme si l’incitation (publicitaire et gouvernementale) était la thérapeutique de l’addiction :

« Le principe est simple : inciter un maximum de fumeurs à arrêter de fumer pendant au moins 30 jours, à partir du 1er novembre prochain. Une initiative toujours gagnante, quand on sait qu’un mois sans tabac multiplie par 5 les chances d’arrêter de fumer définitivement… Tout au long de l’opération, les participants bénéficieront d’un accompagnement sur mesure. (…) inciter les fumeurs à arrêter de fumer pendant au moins 30 jours, à partir du 1er novembre. »

« Plus Belle la Vie »

La cause est bonne, aussi a-t-on battu les gentils tambours.

« Plus de cinquante  partenaires participent à l’opération : acteurs publics, associations, médias, grandes entreprises… En octobre, mobiliser un maximum de participants Pour inciter les fumeurs à participer à l’opération, une campagne de communication massive est lancée à partir du 10 octobre à la télévision, sur Internet et dans les rues (affichage). Un partenariat est lancé avec l’émission « Plus Belle la Vie », diffusée chaque soir de la semaine sur France 3.

 «  Un accompagnement personnalisé est prévu : les participants pourront retirer gratuitement dans les pharmacies un kit d’aide à l’arrêt, comprenant notamment une brochure de préparation, un agenda de 30 jours avec des conseils quotidiens, un disque pour calculer leurs économies, etc. »

Puis, le 1er novembre, ce sera le ‘’top départ’’ (sic)  du défi collectif « Moi(s) sans tabac ». Tout au long du mois, pour soutenir les participants au quotidien, des événements seront organisés (consultations d’aide à l’arrêt, défis sportifs…) dans différents lieux partout en France (espaces collectifs, espaces de loisirs, espaces commerciaux, en entreprise…). En complément, la campagne de communication se poursuivra à la radio, sur Internet et en affichage. Un « marathon du sevrage », en somme, chaque participant souffrant devant payer les ravitaillements en substituts nicotiniques.

Mauvaise volonté

 Aujourd’hui Marisol Touraine déclare ce qu’elle a maintes fois déclaré : « Chaque année, le tabac tue 73 000 personnes en France. J’ai choisi de combattre ce fléau. C’est le sens des mesures fortes que j’ai prises, dont la mise en place du paquet neutre. Aujourd’hui, avec l’opération « Moi(s) sans tabac », nous franchissons une nouvelle étape : créer un mouvement collectif, fédérateur en nous adressant directement aux fumeurs. Plus d’un fumeur sur deux souhaite arrêter de fumer,  ‘’Moi(s) sans tabac » va les y aider’’. »

On peut, bien sûr l’espérer. Faute de connaître les modalités de l’évaluation de l’opération on attend les résultats. Mais on sait aussi qu’en santé publique la bonne volonté  affichée ne suffit pas. Plus d’un fumeur sur deux souhaite arrêter de fumer et n’y parvient pas. Marisol Touraine s’est-elle demandée pourquoi ? L’Etat, qui détient le monopole de la vente et des recettes du tabac, sera-t-il un jour accusé de quelques centaines de milliers de morts prématurées ?

A demain

1 SOVAPE – www.sovape.fr, FÉDÉRATION ADDICTION – www.federationaddiction.fr, SOS ADDICTIONS – www.sos-addictions.org RESPADD – www.respadd.org et Tabac & Liberté – www.tabac-liberte.com.

 

 

Rebondissements en série dans l’affaire de la mort (toujours) inexpliquée d’Adama Traoré

 

Bonjour

Jusqu’où  la presse devra-t-elle aller pour que l’on commence, au-delà de l’officiel, à saisir la vérité ?  Une nouvelle fois c’est Médiapart (Faïza Zerouala) qui lève un coin du voile : « Le parquet a lancé une enquête contre Adama Traoré alors qu’il était déjà mort » (sur abonnement) :

« Selon nos informations, le parquet de Pontoise avait réclamé l’ouverture d’une enquête pour rébellion le 20 juillet contre Adama Traoré, alors que ce jeune homme de 24 ans était mort la veille à la gendarmerie de Persan, dans le Val-d’Oise. Retour sur une affaire avec de plus en plus de zones d’ombre. »

 La famille d’Adama Traoré a décidé de porter plainte contre une policière « pour faux en écritures publiques aggravés, dénonciation calomnieuse et modification de scène de crime », a appris France 3 auprès de son avocat, Me Yassine Bouzrou, ce samedi 6 août. Dans la plainte transmise vendredi au procureur de la République de Pontoise, l’avocat de la famille Traoré accuse désormais une femme officier de la police judiciaire en résidence à la Brigade de recherches de l’Isle-Adam (Val-d’Oise) d’avoir reporté de fausses informations dans un procès-verbal rédigé au soir de la mort d’Adama Traoré, et censé relater le déroulement de l’interpellation durant laquelle le jeune homme a trouvé la mort.

Nuire à la manifestation de la vérité

« Les affirmations de ce procès-verbal, selon lesquelles Adama Traoré aurait commis des violences à l’égard d’un gendarme, sont contredites par tous les éléments de la procédure, et notamment les déclarations dudit gendarme », croit pouvoir avancer  l’avocat. Selon l’audition de ce gendarme, lui et ses collègues ont « employé la force strictement nécessaire pour le maîtriser ».

Cette policière qui a rédigé le procès-verbal « avait nécessairement conscience de la fausseté des mentions qu’elle inscrivait sur le procès-verbal, puisqu’elle avait conversé avec ses collègues avant de le rédiger ». « Il est donc permis de penser qu’elle l’a rédigé dans le dessein de protéger ses collègues et de nuire à la manifestation de la vérité dans le cadre de l’enquête relative aux causes de la mort de Monsieur Adama Traoré », estime Me Bouzrou. Ce sont là des accusations graves.

Ce ne sont pas les seules. L’avocat de la famille d’Adama Traoré affirme que cette policière aurait procédé « à de nombreux actes d’enquête », notamment en mettant sous scellés différents éléments, sans qu’ « aucune instruction ne lui avait été donnée » en ce sens par le parquet de Pontoise. Où l’on revient à Médiapart et au fait que cet officier de la police judiciaire aurait « décidé de ne pas attendre les consignes » du magistrat de permanence au parquet de Pontoise et qu’elle avait « pris l’initiative d’isoler les militaires du Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (Psig) ayant participé »  à l’interpellation d’Adama Traoré.

Anomalie juridique

Médiapart ajoute que la policière avait également « procédé, sans être manifestement habilitée à le faire, à une saisie d’une pièce importante pour l’enquête, à savoir le polo porté par l’un des gendarmes, ‘maculé de traces rougeâtres s’apparentant à du sang’ ».

Autre « bizarrerie : une enquête pour rébellion a été ouverte à l’encontre du jeune homme alors qu’il était déjà décédé. « Le parquet de Pontoise a demandé à la section de recherches de la gendarmerie de Versailles d’ « ouvrir une nouvelle procédure visant l’infraction de rébellion à l’encontre du défunt Traoré Adama. Infraction commise lors de son interpellation ». Cette information apparaîtrait  dans un procès-verbal nommé « information et instruction du parquet ». Or,  souligne le site, il s’agit là d’une anomalie juridique car « en droit, on ne peut pas engager de poursuites contre une personne décédée ».

On sait d’autre part que rien n’est (officiellement) acquis quant aux causes de la mort en dépit de deux autopsies médicolégales 1.  Des documents médicaux  sont étrangement absents. La famille avait déjà  annoncé son intention de porter plainte pour violences volontaires ayant entraîné la mort.

Adama Traoré sera inhumé demain 7 août au Mali.

A demain

1 Par le  Dr. Julien. CAPPY (IML de Garches) puis par les  Drs Isabelle SEC Marc TACCOEN (IML de Paris)

1er mai : Jean-Luc Mélenchon prophétise une mort violente lors des prochaines manifestations

Bonjour

Prendre date, attiser ou volonté de prévenir ?  « Au rythme où l’on va, quelqu’un va mourir » vient de déclarer Jean-Luc Mélenchon, tribun bien connu, député européen et candidat à la prochaine élection présidentielle.  M. Mélenchon faisait écho aux violences d’une particulière intensité qui ont émaillé de récentes manifestations contre la loi de réforme du code du travail. Le tribun d’extrême gauche était, en ce dimanche de fête du muguet et de repos médiatique, l’invité de France 3. « Au rythme où l’on va, quelqu’un va mourir parce que la violence est, chaque manifestation, un peu plus élevée », a-t-il  déclare, mettant en cause Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur.

« Nous n’avons aucune gloire à tirer du fait qu’un policier soit grièvement blessé par une pierre, aucune gloire. Ça me fait mal au cœur pour lui, comme pour le môme qui a perdu son œil », a expliqué le cofondateur du Parti de gauche. L’homme s’est toutefois montré soucieux de ne pas opposer policiers et manifestants. « On doit dire d’abord qu’un policier qui frappe quelqu’un à terre, qui tire quelqu’un par les cheveux ou qui fait un tir tendu se déshonore. Mais, à l’inverse, les nôtres, en aucun cas, ne doivent s’associer à cette violence », a-t-il ajouté.

Laisser les casseurs tranquilles

Plus grave, Jean-Luc Mélenchon a évoqué « une malveillance absolue du haut commandement de la police », assurant ne pointer « du doigt que le ministre de l’Intérieur ». « Ces hommes avec ces uniformes, ce sont des hommes qui obéissent […], mais quand […] vous barrez un pont et que vous permettez aux casseurs d’être tranquilles pendant au moins un quart d’heure, alors vous permettez de manière délibérée la violence », a-t-il estimé.

Comme l’avait fait la veille le Parti de gauche, il a demandé à Bernard Cazeneuve de « rappeler les règles : pas de tirs tendus, pas d’utilisation de flash-ball pendant les manifestations, pas de présence de la BAC [brigade anticriminalité] pendant les manifestations, la BAC n’est ni équipée ni organisée pour ça ».

Les deux dernières morts associées, en France, à des mouvements de protestations avaient eu de lourdes conséquences politiques : celle de Rémi Fraisse, (le 26 octobre 2014, lors des manifestations contre le barrage de Sivens dans le Tarn) ; celle de Malik Oussekine (le 6 décembre 1986, à Paris, lors des manifestations contre le projet de loi Devaquet).  Le premier avait 21 ans, le second un de plus.

A demain

Météo : Joël Collado n’est plus à la radio. Ce n’est pas qu’une tempête dans un verre d’eau

Bonjour

Vingt et un an ! Joël Collado nouas annonçait le temps depuis vingt et un ans… D’abord sur France Inter – puis sur France Inter et France Info. Une douceur, un calme, une chaleur, un régal. Un ami de la maison. C’est fini. Le prévisionniste a donné, hier dimanche 27 décembre,  son dernier bulletin météo. Cela aurait pu se faire dans la joie, ce n’est pas le cas. Agé de 66 ans, l’homme n’a pas vu venir le coup de torchon : il accuse et parle de « sanction » de la part de la radio publique.

Amertume

Jérôme Collado  avait commencé sa carrière de présentateur météo sur Sud Radio en septembre 1987 avant de rejoindre Radio France en 1994. Depuis cette année-là, il présentait chaque jour depuis Météo France à Toulouse  les bulletins météo des radios du service public

Sur France 3 Midi-Pyrénées, M. Collado a fait savoir qu’il avait été écarté « pour des raisons mystérieuses qu’il ne connaît pas » et dit en avoir été prévenu seulement à la fin de septembre. Une retraite forcée, pour résumer, Radio France n’ayant pas renouvelé son contrat. Personne à la direction de Radio France ne lui a téléphoné pour lui dire que c’était terminé. L’homme se dit aujourd’hui très amer et estime que cette décision- sanction est très injuste. Il reste salarié de Météo-France, il prendra sa retraite en décembre 2016. Ainsi donc peut-on, à Météo-France être payé à ne rien faire.

Incarnation en studio

De son côté, Météo France a affirmé à l’Agence France-Presse que « Radio France voulait faire évoluer le format de la météo » pour qu’elle soit « plus incarnée, avec plus d’interactions entre le journaliste en studio et le prévisionniste ».

Or, Joël Collado officiait depuis Toulouse. « C’était compliqué, il fallait des prévisionnistes qui soient en Ile-de-France », a poursuivi Météo France, précisant que M. Collado était « proche de la retraite », n’était « pas licencié et continuerait à percevoir son salaire de Météo France » (voir plus haut)

Dindons

C’est Elodie Callac, (remplaçante de Jacques Kessler) qui faisait déjà partie depuis 2013 de l’équipe météo sur France Inter et France Info qui présentera désormais les bulletins météo de la semaine. « Elodie Callac sera en direct une grosse partie de la journée et en studio, ce qui n’était pas possible avec Joël Collado », a expliqué Michel Polacco, secrétaire général de l’information de Radio France.

M. Polacco ne nous dit pas ce qu’est une météo plus incarnée que celle annoncée par Joël Collado. Disons le autrement : l’impression, après tout ce temps passé ensemble, que l’on ne nous en dit pas assez. Ou beaucoup trop. Une mauvaise farce. Avec les « Dindes fermières de Loué », écoutez, une dernière fois Joël Collado.

A demain

Liberté de la presse : à Beauvais, la justice l’avait saigné ; à Amiens «Oise Hebdo» est sauvé

Bonjour

Les médias nationaux se sont généralement pincé le nez. Le Syndicat national de journalistes (SNJ) a tenu son rang. Oise Hebdo va pouvoir diffuser à nouveau son édition du 12 août dans les kiosques. Vendredi 21 mai la cour d’appel d’Amiens a donné raison a cassé le référé du tribunal de grande instance de Beauvais (voir « Suicide et scandale : « Oise hebdo » condamné à détruire les 20 000 exemplaires de son dernier numéro »).

Lieutenant-colonel

Rappel de l’affaire : au début du mois d’août, un habitant bien connu de Therdonne meurt sous les roues d’un camion qui circule à grande vitesse sur l’autoroute. Dans son édition du 12 août, Oise Hebdo (hebdomadaire régional tiré à 27 000 exemplaires dans la région de Picardie) relate l’accident et ses conséquences.

Dans l’article, le lieutenant-colonel Robert Clech y est interrogé et affirme : « il ne s’agit pas d’un accident mais d’un suicide ». L’hebdomadaire cite également des témoins de la scène, évoque quelques éléments biographiques de ce commerçant – son cursus scolaire ou encore son parcours professionnel, familial et conjugal. Le travail assez classique de la presse régionale.

Urgence.

Jugeant être atteintes dans leur intimité, la mère et l’ex-compagne du défunt saisissent la justice en référé.  L’audience se tient au tribunal de Beauvais le vendredi 14 août. Climat tendu. Apparemment irritée par la médiatisation de l’affaire  la présidente du tribunal interdit aux journalistes le suivi en direct de l’audience via les médias sociaux. La presse rapportera qu’elle fait confisquer en début d’audience les téléphones des journalistes présents dans la salle.

Une décision « totalement incompréhensible », explique Pierre-Antoine Souchard, président de l’association de la presse judiciaire, à Libération. M. Souchard ignore-t-il que la présidente a tous les droits qu’elle s’autorise à avoir ?

Faire son boulot

Me Catherine Baclet-Mellon est l’avocate de la famille du défunt. Elle soutient que l’article constitue « une atteinte à sa vie privée, à son deuil » rapportera Le Parisien. Pour sa part Oise hebdo se défend d’avoir  juste fait son boulot . « On informe seulement que le commerçant décédé a deux enfants, en quoi cela porte-t-il atteinte à la vie privée ? », demandera Vincent Gérard, fondateur de l’hebdomadaire. Il ajoute notamment que l’homme décédé est « très connu » dans la région, que les faits sont intervenus sur la voie publique, ce qui donne aux citoyens le droit d’être informés.

L’avocate de la Société de presse de l’Oise, dresse, quant à elle, un parallèle entre l’histoire du commerçant et un fait divers qui avait retenu l’attention des journaux du monde entier, rapportera France 3  : « On est en train de dire qu’on n’aurait rien dû écrire sur le pilote de la Lufthansa Andreas Lubitz et que tous les juges auraient dû interdire la publication d’informations sur sa vie. » Ce n’est pas tout à fait vrai : la famille d’Andreas Lubitz n’avait rien demandé.

Ancienne compagne

La présidente du tribunal de grande instance de Beauvais n’avait rien voulu entendre ni savoir. Elle avait estimé que l’article crée bien un « trouble manifeste illicite » par « la mise en exergue de divers éléments relatifs à l’intimité de la vie privée, non seulement du défunt, mais aussi et surtout de (…) son ancienne compagne ».

Oise hebdo était condamné à retirer de 500 points de vente l’édition du 12 août avant le lendemain, 18 heures. À défaut, la société éditrice devrait  acquitter une astreinte de 500 euros par heure de retard, ainsi qu’une peine d’amende de 500 euros par infraction constatée.

L’Oise chinoise

« C’est la liberté d’informer dans les faits qui est atteinte. On a l’impression qu’on est en Chine, qu’il faut faire croire que tout va bien, alors que pas du tout », avait commenté Vincent Gérard, le fondateur de l’hebdomadaire, interrogé par Les Inrocks. Pourquoi un journal local ne devrait pas s’occuper du principal sujet qui occupe les pouvoirs publics locaux : préfecture, police, pompiers, juges… On fait un vrai travail d’investigation et c’est un travail compliqué d’exercer en province parce que la proximité implique une certaine pression des autorités. »

 La cour d’appel d’Amiens a donné raison à l’hebdomadaire en cassant le référé du tribunal de grande instance de Beauvais, vendredi 21 août. La cour a rappelé que « la liberté de la presse est un principe fondamental inscrit dans la Constitution ». Voilà qui est clair et tranchant. Comment expliquer que la juge de Beauvais ait pu l’oublier ? Il est probable qu’on ne le saura jamais.

A demain

Vincent Lambert : ce regard que le CSA aurait aimé censurer sur huit chaînes de télévisison

Bonjour

A quoi sert au juste le CSA, ce « gendarme de l’audiovisuel » ? C’est une question qu’habituellement on ne se pose guère. Qui, d’ailleurs, sait en France ce qu’est le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel ? Et, d’ailleurs, qu’est-ce que l’audiovisuel au temps du numérique ? Le CSA fait songer à l’ORTF. On l’imagine en noir et blanc, faisant la part du grain et de l’ivraie. Les antiques ciseaux, jamais rouillés, de la censure. Mieux, ceux de l’autocensure, de la peur du gendarme. C’est le carré blanc pour les petits enfants à l’époque de l’i-phone.

Mimiques

On se souvient de la vidéo du visage de Vincent Lambert – et des émois qu’elle suscita. Ce qu’on voulut lui faire dire et qu’elle ne disait pas. Pour beaucoup ce fut la découverte d’une réalité : les personnes en état végétatif chronique ne sont pas des corps rivés à des machines. Cela ne change rien à leur degré de conscience mais cela n’en fait nullement des morts-vivants. Ils ont des yeux ouverts, des cycles veille-sommeil et comme des mimiques qui n’en sont pas mais que l’on se plait à interpréter. Dans un sens ou dans un autre. Ce sont d’ailleurs ces mimiques, ces comportements réflexes qui furent interprétés comme « des refus de soins » – interprétation qui conduisit à la décision d’un processus de fin de vie – le début de la tragédie que l’on suit.

La diffusion de cette courte vidéo, sur les réseaux sociaux souleva la question de son exploitation par les chaînes de télévision. Conférences de rédaction…  interrogations sur la concurrence…  appels des directions… consultations des services juridiques…  l’impasse… le floutage… l’intégral … Chaque chaîne fit comme elle put, comme elle crut devoir faire, se contredisant parfois à quelques heures de distance.

Intimité

Aujourd’hui 18 juin le CSA agit. Huit jours plus tard. Il vient de faire savoir qu’il a « mis en garde » BFM TV, LCI, M6 et TF1. « La diffusion de ces images de M. Vincent Lambert sans consentement préalable et sans floutage constitu(e) une atteinte à l’intimité de sa vie privée et à son image » fait valoir, dans sa sagesse désuète  le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Ce n’est pas tout : le CSA a également adressé un « courrier » à Canal+, France 2, France 3 et i-Télé – qui ont, eux, flouté le visage de Vincent Lambert. Le gendarme leur rappelle « que la diffusion de telles images sans consentement préalable était de nature à porter atteinte à l’intimité de la vie privée ».

Le gendarme de l’audiovisuel avait été saisi le 10 juin. Par qui ? On rappellera, ici, que ce sont des proches du malade, réunis en « comité de soutien » qui sont à l’origine de cette initiative.  On y voit le malade sur son lit d’hôpital, les yeux mi-clos ; une main plaque à son oreille un téléphone portable qui diffuse la voix de sa mère venant d’apprendre la décision de la CEDH le concernant. Un autre plan serré montre son demi-frère David en train de lui parler, penché à quelques centimètres de son visage alors que le patient cligne des yeux et semble du regard. « Cette vidéo piétine sa dignité et son droit à l’image, c’est de la manipulation intellectuelle en jouant sur l’émotion », avait alors réagi le Dr Éric Kariger, l’ancien médecin de Vincent Lambert.

Excuses

Et maintenant ? La « mise en garde » est le premier niveau d’avertissement du CSA avant la « mise en demeure ». En cas de récidive, après une « mise en demeure », le CSA peut décider (dans de très rares cas) de « sanctions », comme la suppression d’une tranche de publicité, la lecture d’un « communiqué d’excuses » lors d’un journal télévisé. Voire une amende. Les plus âgés songent immanquablement, ici, à un sketch de Coluche concernant les sanctions pouvant frapper les policiers et la maréchaussée.

Qui contrôle le CSA ?

A demain

De quels « démons » Renaud est-il le nom ? Peut-on s’autoriser à parler de lui au passé ?

Bonjour

Mal de vivre. Renaud, encore lui. Il fait à nouveau la Une de Paris Match. Mêmes causes mêmes effets : « il ne s’arrache pas à ses démons » et « le public l’attend toujours ». En juillet 2014 la Une du magazine était consacrée à ce même « mal de vivre ». On le voyait assis, casquette, devant la Closerie des Lilas et le maréchal Ney. Un an plus tard Paris Match revient vers lui : il a fêté son 63ème anniversaire le 11 mai, jour où France 3 lui consacrait une soirée.

Points assassins

Les « démons » de Renaud ? Un secret de polichinelle qu’il faut taire. « Une maison de famille qu’il habite seul, cerné par la mélancolie, malgré la pêche, le jardinage et les bouquins. A ses côtés son chien Sony. Et les amis qu’il retrouve dans les restaurants du coin, pour partager des verres… ».

Ah, ces verres qu’on ne partage plus… Ah, ces points de suspension assassins… Une photo, troublée : le 27 juin 2014 au Stade de France pendant le concert d’Indochine. Un verre à ses côtés. Une autre photo. Elle date de 2009 – légende : « Dans un pub de Dublin. Renaud délaisse la pastis, sa boisson préférée, pour une pinte de bière ».

Mai 1968

Et puis deux pages. Deux pages signées Yann Moix ; un écrivain inclassable en cours de classement (….. il va remplacer Aymeric Caron dans «On n’est pas couché» à la rentrée …). C’est un texte hétérogène d’où il ressort que la France a besoin de Renaud. Yann Moix est né à Nevers, peu avant mai 1968 et Renaud lui manque comme il manque à la France

Extraits :

« Loin des ritournelles chagrines d’un Michel Berger, des revendications lyriques d’un Balavoine ou des refrains abscons d’un Bashung, Renaud disait l’époque, toute l’époque et rien que l’époque. Il tenait à la fois du lynx et de l’éditorialiste (…)

A l’heure des kalachnikovs, nous célébrons son cran d’arrêt  (…) L’homme que le pays regrette et tente à toute force de rappeler sur scène ou sur disque n’est ni Bonaparte, ni de Gaulle, ni Sarkozy (…) Il voulait changer le monde et le monde n’a fait que vieillir (…)

Fonds-bas

Ce pâlichon poulbot, bâti comme un moineau, ce poids plume à foulard ravacholien est devenu notre conscience nationale. Un Marianne mâle (…) Renaud devient le fils improbable de Robespierre et de Fréhel (Le coup de génie de Renaud : prendre de la hauteur depuis les bas-fonds. Ou plutôt : se servir des bas-fonds pour prendre de la hauteur (…) »

« Aujourd’hui exilé au fond du Vaucluse mais surtout au fond de lui-même, il tient la permanence du passé. Renaud ou la sentinelle de nos années perdues. »

Gouaille muette

C’est long, très long, deux pleines pages de Paris Match… Le lecteur a droit à quelques paroles de chansons. Et puis la fin :

« Les Français sont les orphelins de cette gouaille désormais muette. Il était conscient d’être un éclaireur, un leader d’opinion. Mais un leader d’opinion qui, pour rêver, lisait des fiches cuisine avec sa femme. Il avait choisi la musique pour ne pas faire de discours. Au lieu des promesses, Renaud faisait des constats. »

Virage, camarade

A la relecture, il y a comme quelque chose qui cloche.

« J’en parle au passé, parce qu’il vit enfermé dans ce passé. Mais le présent et une bonne partie de l’avenir l’attendent, non pas au virage, mais au bout du chemin. A tout de suite, camarade. »

Yann Moix écrira  encore de Renaud qu’il est « le voisin de postérité de Léo Ferré ». Voisin de postérité ?

A demain

Renaud, 63 ans à la télévision : alcoolisme et dépression, comment ne pas dire vos noms

Bonjour

L’angle ? Cette fois c’est David Carzon (directeur adjoint de la rédaction de Libération) qui a trouvé le meilleur : « Comment rendre hommage à Renaud sans Renaud et sans faire croire qu’il est mort ? ». « Renaud, une affection longue durée ». Parler d’un vivant qui se terre ? Hier, 11 mai, France 3 s’y essayait. En début de soirée. Avec un prétexte tout trouvé : 63 ans le jour même. Un gâteau d’anniversaire sans les bougies, sans le gâteau, sans Renaud.

Le pire

On avait titré ce documentaire Renaud, on t’a dans la peau. Un clin d’œil à l’addiction ?  A l’amour des foules pour son idole ? On pouvait, une nouvelle fois, redouter le pire. Et, cette fois, on avait tort. « On ne peut pas douter de la sincérité de la démarche du documentaire, nous avait expliqué Libération. Coauteur du film avec Nicolas Maupied, Didier Varrod est – en plus d’un des meilleurs spécialistes de la chanson française – un proche du chanteur de 63 ans qui a volontairement coupé les ponts avec le monde. Tout au plus, avons-nous de ses nouvelles – alarmantes – à la faveur d’une couverture de VSD comme en juillet. »

En juillet 2014 c’était, souvenons-nous, « Renaud ou l’alcoolisme vendu en photo ». Nous passions d’un alcoolisme entre les lignes à un alcoolique en photo. Affiché en devanture des kiosques. Dans Paris-Match début juillet. Puis  dans VSD (« Renaud la déprime sans fin »). « Ce sont, écrivait Le Point, des photos qu’on ne voudrait plus voir. » On ne les as pas vues, sur France 3, ces photographies de voyeurs, prises devant la Closerie des Lilas, entre l’Observatoire et la Sénat, non loin de la Santé. Une Closerie où Renaud fume et boit (pastis) depuis longtemps et depuis longtemps nettement plus que de raison. Une Closerie « où on est au petits soins pour lui » (VSD).

Impasses

France 3, hier, évita précisément ce que ces photos exprimaient, la souffrance, la bouffissure, la maladie, l’expression d’une possible déchéance, les rechutes récurrentes, les impasses thérapeutiques. Sans parler du déni affiché de nombre de ses amis  Le Point : « Et toujours cette même inquiétude, ce lancinant mal de vivre pointé par la presse: comment va Renaud, l’un de nos plus grands chanteurs, ce compositeur et poète écorché vif, si prompt à se laisser envahir par un spleen plus destructeur que créatif ? ». RTL, station au micro de laquelle l’éternel ami Hugues Aufray dit « souffrir beaucoup de le voir souffrir comme cela ». Tout nous était dit des errances entre L’Isle-sur-la-Sorgue et le boulevard du Montparnasse.

« Ne cherchez pas d’explications. J’ai du mal avec la vie. Point final » (Paris Match, février 2012). « J’en ai marre qu’on dise en permanence que je vais mal, explique le chanteur dans Match. Ceux qui prétendent m’aider en disant le pauvre Renaud, il est malade, il est dépressif, il est alcoolique ne me font aucun bien. C’est tout l’inverse ! » Tous les alcooliques ou presque vous diront approximativement la même chose. Et ceux qui lui fêtaient, hier, son soixante-troisième anniversaire semblaient l’avoir compris.

Failles

Le fan est un monstre comme les autres. Un ami n’est pas un thérapeute. Un admirateur encore moins qui, souvent, se nourrit des failles dévorantes de son idole. L’admirateur, l’ami, peut seulement espérer que l’artiste, que le malade, retrouve un point d’ancrage suffisamment solide pour commencer à se relever. Les exemples ne manquent pas.  Ray Charles  souffrit durablement d’une dépendance à l’héroïne qu’il parvint à briser. Edvard Munch (Le Cri) vit les alcools, la dépression et leurs enfers d’assez près. (Dominique Dussidour, Si c’est l’enfer qu’il voit : dans l’atelier d’Edvard Munch, Paris, Gallimard). Puis il revint parmi ses contemporains. Sans parler de Georges Simenon , le patron.

« Il y a une dizaine d’années, Didier Varrod avait réalisé un très beau documentaire sur Renaud, le Rouge et le Noir, et à l’époque le chanteur y avait participé, rappelle Libération. Mais cette fois, il a fallu parler de lui, sans lui. Alors c’est le ban et l’arrière-ban de la chanson française qui sont venus déclamer son amour pour le Renaud rebelle, le Renaud sensible, le Renaud poète… Une bande qui a déjà commis deux albums hommages dont les succès laissent augurer de nombreuses déclinaisons possibles. »

Rechute

En novembre 2011 (« Renaud, alcoolique public »)  on avait déjà connu une vague d’exposition médiatique de ce chanteur « carburant au pastis ».  Il avait rechuté. Une dépêche de l’AFP :

« Des proches du chanteur français Renaud, dont son frère Thierry Séchan et le chanteur Hugues Aufray, s’inquiètent de son état de santé, entre dépression et alcool, mais interrogé par le journal Le Parisien, il assure qu’il va bien même s’il reconnaît vivre « une période un peu difficile ». « Je vais bien, merci », assure Renaud, interrogé par le quotidien à la terrasse d’une grande brasserie parisienne où il a ses habitudes. Le Parisien souligne que le chanteur parle « en tremblant, sans jamais tourner les yeux vers son interlocuteur (…), le visage creusé par des cernes abyssaux ».

« Je traverse une période un peu difficile avec mon divorce, mais bon, c’est la vie », ajoute-t-il, tout en assurant ne pas avoir repris la boisson: « si avaler deux pastis dans un repas c’est boire du matin au soir… »

Le chanteur, âgé de 59 ans, dit également qu’il n’a pas l’intention de revenir sur scène: « De toutes façons, je n’ai pas de nouvelles chansons, je n’en écris plus, je n’ai pas d’inspiration ». « Il boit comme on peut prendre des antidépresseurs pour aller mieux. Actuellement, pour moi, mon frère cherche, il attend un déclic, soit pour écrire soit pour rencontrer une nouvelle femme », témoigne de son côté Thierry Séchan, évoquant un « suicide à petit feu ».AFP – 16/11/2011 – 09:24:10 »

Dépendance-souffrance

Il y avait aussi eu ce texte, publié sur le site Slate.fr , intitulé  « Laisse béton, Renaud »  L’auteur, Laurent Sagalovitsch  soutenait l’inaudible : laisser le chanteur décider de mettre fin prématurément à ses jours, grâce à l’alcool anisé, si tel était son bon vouloir. Mais qu’est-ce que le bon vouloir, le libre arbitre, d’une personne ayant atteint un haut degré de dépendance-souffrance à l’alcool.

Mai 2015, 63 ans, France 3 et Libération : « Les paroles de cette génération post-Hexagone (Alex Beaupain, Olivia Ruiz, Vincent Delerm, Raphael, Grand Corps Malade, Disiz…) sont souvent touchantes. Qu’on les aime et qu’on les déteste, les chansons de Renaud continuent de marquer, sans forcément inspirer une descendance directe. (…) Au final toutefois, il nous reste une impression de malaise après ces 90 minutes d’hommages : le documentaire n’évite pas l’écueil principal et revêt par moments un aspect nécrologie avant l’heure. Et ça fout un peu les glandes. » Les glandes ?

Mélancolie

« Mais de même qu’une maladie ne commence pas avec son diagnostic, de même le sort d’un homme ne commence pas au moment où il devient visible, et où il se réalise » écrit Stefan Zweig, en tête de « Destruction d’un cœur ».

Renaud, « Mon paradis perdu » (2002) :

« Mon paradis perdu c’est mon enfance / A jamais envolé, si loin déjà / La mélancolie s’acharne, quelle souffrance / J’ai eu dix ans, je n’les ai plus, et je n’en reviens pas / Les souvenirs s’estompent et le temps passe / La vie s’écoule, la vie s’enfuit, et c’est comme ça / Léo a dit « avec le temps, va, tout s’efface » / Sauf la nostalgie qui sera toujours là.(…) »

A demain