Total et conflits d’intérêts : les coulisses de la confession du Pr Aubier, pneumologue de l’AP-HP

 

Bonjour

Soit le Dr Michel Aubier, chef du service de pneumologie-allergologie à l’Hôpital Bichat (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), professeur à l’Université Paris 7, membre de l’Unité Inserm U700 « Physiopathologie et épidémiologie de l’insuffisance respiratoire ». Il y a avait eu, mercredi 16 mars, un premier tir groupé (Libération, Le Canard Enchaîné, Le Monde) visant cette personnalité hospitalo-universitaire reconnue, fréquemment invité dans les médias généralistes  et dont la notoriété dans sa discipline n’est plus à faire.

 Et maintenant ? Deux jours plus tard Le Monde remet l’ouvrage sur le métier. Pleine page : « Pollution atmosphérique : Michel Aubier face à ses mensonges » (Stéphane Foucart, Martine Valo). Registre de la coulpe sinon battue, du moins à battre :

« Cinquante mille à soixante mille euros par an : c’est ce qu’a confessé avoir touché du pétrolier Total, depuis la fin des années 1990, le pneumologue -Michel Aubier, chef de service à l’hôpital Bichat, à Paris. Le médecin était entendu à huis clos, jeudi 17  mars au matin, par la commission d’enquête du Sénat sur le coût de la pollution atmosphérique, dans une ambiance assez lourde. »

Il est notamment reproché au Pr Michel Aubier, spécialiste des pathologies respiratoires pouvant être associées à l’environnement d’avoir, le 16  avril 2015, alors que cette commission sénatoriale l’auditionnait en tant qu’expert, d’avoir déclaré en préambule de son intervention : « Je n’ai aucun lien d’intérêt avec les acteurs économiques ». Une déclaration sous serment dénoncée a posteriori par Libération et Le Canard enchaîné. Ces deux titres ont révélé, mercredi 16 mars, que ce médecin exerçait depuis 1997 les fonctions de médecin-conseil pour Total – où il était chargé notamment de conseiller les cadres dirigeants du groupe en cas de problèmes de santé. L’affaire, nous dit Le Monde prend ces proportions exceptionnelles, au prorata de la réputation et des lauriers du Pr Michel Aubier.

Remplacement

Comment comprendre ?  Le 17 mars (le lendemain des révélations dans la presse) les sénateurs auditionnaient Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Il faut ici savoir que M. Hirsch avait initialement été convoqué par la commission d’enquête en avril  2015. Or il s’était alors fait finalement remplacer (pour représenter l’AP-HP) par le Pr Aubier. Pourquoi lui ? «  Je n’avais eu aucun signal d’alerte sur ses liens d’intérêts » a-t-il assuré au Monde.

Pourquoi maintenant ? On explique que le « feu aux poudres » a été mis le 1er mars, dans l’émission Allô Docteurs, sur France 5. A la question «la pollution atmosphérique peut-elle être cancérogène ?» cet expert répondait :

«Elle peut être cancérogène, mais pour le moment, ce qui a juste été démontré, c’est essentiellement des cancers lors d’expositions assez fortes, c’est-à-dire professionnelles. En ce qui concerne les expositions “naturelles”, c’est beaucoup plus discuté, il semble que ce soit en tout cas un facteur favorisant chez les sujets qui ont déjà des prédispositions à développer les cancers, c’est-à-dire les fumeurs.»

Vingt ans après

Or c’est précisément ce qu’il avait déclaré un an auparavant devant le Sénat…. Personne n’avait alors relevé. Cette  fois une sénatrice a réagi plus qu’elle ne l’avait fait en 2015 : Leila Aïchi (Ecologiste, Paris) auteure du rapport sénatorial sur le coût de la pollution de l’air. Voici ses déclarations au Monde :

« Il s’agit d’un faux témoignage d’autant plus inadmissible qu’il émane d’un médecin, un professeur, au sujet d’une question de santé publiqueSi nous avions eu connaissance de ces liens avec Total, nous ne l’aurions pas auditionné. C’est scandaleux ! J’envisage de déposer un amendement instituant des circonstances aggravantes dans des cas de parjure touchant à des affaires de santé ou d’environnement. »

Qui, dès lors, a alerté Mme Aïchi ? La sénatrice confie avoir été alertée sur par des ONG, « dont elle tient à saluer le rôle de lanceur d’alerte » « Ecologie sans frontière », « Respire » et le « Rassemblement pour la planète ». Il reste encore bien des zones d’ombre pour expliquer que l’alerte soit lancée en 2016 a propos d’une collaboration commencée, si l’on comprend bien, il y a près de vingt ans. Collaboration dont on nous dit qu’elle aurait rapporté à l’intéressé « cinquante à soixante mille euros par an ».

Questions et causalité

Cette collaboration avait-elle été dès le départ autorisée par la direction de l’AP-HP ? Etait-elle statutairement possible ? Son existence a-t-elle conduit le spécialiste des pathologies pulmonaires à œuvrer, consciemment ou pas, au bénéfice du groupe pétrolier français (notamment en minorant l’impact pathologique du diesel) ? Pourra-t-on ici démontrer une relation de causalité ? Qui répondra ?.

Reste, dans ce contexte, une certitude récemment révélée : Martin Hirsch est en train d’achever un plan de prévention des conflits d’intérêts. « Actuellement, je ne suis pas en mesure d’obtenir des médecins de l’AP-HP qu’ils déclarent leurs liens d’intérêts, explique  M.  Hirsch au Monde. Ils ont tout à fait le droit de refuser une telle demande. »

On ajoutera que si ce plan avait existé Martin Hirsch n’aurait sans doute pas demandé au Pr Aubier de le remplacer (pour représenter l’AP-HP), le 15 avril 2015, devant Leila Aïchi et ses collègues sénateurs.

A demain

 

Conflits d’intérêts : et puis, soudain, l’affaire du Pr Michel Aubier, pneumologue à l’AP-HP

Bonjour

C’est une affaire assez atypique : la dénonciation ciblé par trois médias, le même jour, des agissements d’une même personnalité accusée d’entretenir de longue date des liens caractéristiques d’une situation de « conflit d’intérêts ». Soit le Dr Michel Aubier, chef du service de pneumologie-allergologie à l’Hôpital Bichat de Paris, professeur à l’Université Paris 7, membre de l’Unité Inserm U700 « Physiopathologie et épidémiologie de l’insuffisance respiratoire ». Une personnalité hospitalo-universitaire reconnue, fréquemment invité dans les médias généralistes  et dont la notoriété dans sa discipline n’est plus à faire 1.

Prédispositions

Soit, le mercredi 16 mars Libération: «Michel Aubier, un pneumologue qui ne crache pas sur le diesel» (Coralie Schaub) ; Le Canard Enchaîné : « Le Docteur Diesel travaillait pour Total » (Jérôme Canard) ; Le Monde : « Diesel et cancer : un pneumologue accusé de conflits d’intérêts » (Stéphane Foucard).

C’est Libération qui, ici, est le plus complet :

« Le 1er mars, dans l’émission Allô Docteurs, sur France 5, à la question «la pollution atmosphérique peut-elle être cancérogène ?», le mandarin répondait en ces termes : «Elle peut être cancérogène, mais pour le moment, ce qui a juste été démontré, c’est essentiellement des cancers lors d’expositions assez fortes, c’est-à-dire professionnelles. En ce qui concerne les expositions “naturelles”, c’est beaucoup plus discuté, il semble que ce soit en tout cas un facteur favorisant chez les sujets qui ont déjà des prédispositions à développer les cancers, c’est-à-dire les fumeurs.»

« Et d’insister un peu plus tard dans l’émission : «Je ne pense pas, et la plupart des experts sont d’accord [sur ce point], que le fait d’être exposé à une pollution ambiante, dans des villes comme Paris, prédispose au cancer du poumon, sauf si on a un autre facteur favorisant, comme le tabagisme.»

Michel Cymes

Ces propos n’ont fait réagir ni l’autre médecin invité sur le plateau, ni les présentateurs Michel Cymes et Marina Carrère d’Encausse. Mais ils ont fait bondir plusieurs autres médecins. Leur indignation est telle qu’ils ont jugé nécessaire d’en faire part dans un communiqué de presse, publié ce mardi. Parmi les signataires figurent les docteurs Florence Trébuchon (allergologue, asthmologue), Thomas Bourdrel (radiologue membre du collectif «Strasbourg respire») ou Pierre Souvet (cardiologue et président de l’Association santé environnement France, qui rassemble près de 2 500 médecins). »

Suit un rectificatif doublé d’un débat d’experts nourri de références bibliographiques. Puis Libération revient sur les précédentes déclarations médiatiques, rassurantes, du Pr Aubier qui  « minimise les risques du diesel pour la santé ». Et de citer « un exemple parmi d’autres » : sur RTL, en mars 2014, lors d’un pic de pollution aux particules fines en Ile-de-France, il avait affirmé qu’«aucun risque n’est à craindre pour les personnes bien portantes» et les avait encouragées à sortir faire du sport.

Même discours depuis vingt ans

Libération  contacte le Pr Aubier, qui confirme tenir le même discours depuis qu’il a  commencé à travailler sur la pollution de l’air en 1995 :

 «  J’ai toujours dit qu’elle avait des effets sur la santé, mais qu’en ce qui concerne le cancer des poumons, le sujet reste débattu. Oui, le diesel est cancérigène, mais si risque il y a, il n’est pas encore totalement démontré. Les éléments scientifiques sont beaucoup moins solides que pour l’asthme et les maladies cardio-vasculaires.»

Là où les choses se compliquent c’est  quand lors de son audition le 16 avril 2015 par la Commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, où, représentant l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le Pr Aubier déclarait n’avoir «aucun lien d’intérêt avec les acteurs économiques».

Fondation Total

Libération : « Pourquoi n’a-t-il pas mentionné qu’il est membre du conseil d’administration de la Fondation Total, (…) ? Bien pire, pourquoi n’a-t-il pas déclaré qu’il est médecin conseil de Total? Cet élément est beaucoup plus discret, bien qu’on puisse en trouver sur la toile une trace dans ce document datant de 2006, où il est présenté comme « Médecin du groupe Total » (page 28). »

La chose est si peu cachée que Total confirme l’information à Libération :

« [Michel Aubier] ne perçoit pas de rémunération directe ou indirecte au titre de ses activités» pour la Fondation, il est en revanche «médecin conseil de Total et perçoit une rémunération au titre de cette activité. Sa mission est double : suivi de la santé des dirigeants du groupe et conseil au groupe sur les enjeux sanitaires et la santé au travail, auprès de la direction des Ressources humaines ».

« Un peu léger »

Réponse à Libération de l’intéressé : «j’aurais dû le déclarer, c’est vrai, mais ça ne m’était même pas venu à l’esprit».  Il siège au  CA de la Fondation Total depuis «une dizaine d’années», où il traite «de projets santé-solidarité, essentiellement dans les pays en voie de développement». Et être médecin-conseil de Total «depuis 1997 ou 1998, pour m’occuper uniquement des problèmes sanitaires. Je suis sur le plan santé les 200 dirigeants du groupe. Quand ils ont par exemple de l’asthme sévère ou un infarctus, je les oriente dans un service hospitalier. Je m’occupe aussi d’un comité d’experts chargé d’améliorer la prise en charge sanitaire des salariés du groupe». Il reconnaît avoir été «un peu léger en ne le disant pas au Sénat, mais ces activités n’influencent absolument pas mon jugement sur la pollution de l’air et le diesel. Jamais, au grand jamais, Total ne m’a demandé de le faire, ce n’est pas du tout mon rôle et je ne l’aurais pas accepté. Je vous garantis en toute transparence qu’il n’y a absolument aucun conflit d’intérêts».

Le Pr Aubier a refusé de dire combien lui rapportent ses activités annexes pour Total (qui lui prennent «deux demi-journées par semaine). Mais Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP sait que la somme est « conséquente ». Il dit ignorer que le Pr Aubier avait un lien avec Total quand il l’a envoyé  le représenter à sa place à l’audition sénatoriale d’avril 2015. M. Hirsch dit aussi ne pas retrouver dans le dossier administratif du Pr Aubier l’autorisation qui lui aurait été donnée en 1997 de travailler pour Total. Libération dit encore que le directeur général de l’AP-HP est «  furieux d’avoir potentiellement à gérer un parjure devant le Sénat, lui qui dit attacher la plus haute importance’’  à la prévention des conflits d’intérêts. » Martin Hirsch a d’ailleurs écrit un petit ouvrage sur le sujet : « Pour en finir avec les conflits d’intérêts ». C’était en 2010.

A demain

1 Eléments de sa biographie officielle :

« Michel Aubier est Professeur de Pneumologie à l’Université Denis Diderot – Paris VII depuis mai 1988 et Chef de Service de Pneumologie A de l’hôpital Bichat à Paris Après avoir effectué un stage post doctoral à l’Université Mac Gill à Montréal, il a effectué un clinicat de 3 ans en Pneumologie et ensuite a été chargé de recherche première classe à l’INSERM de 1983 à 1988. Durant son stage post doctoral, il a commencé à s’intéresser aux mécanismes conduisant à l’insuffisance respiratoire.

« Ces dernières années, il s’est intéressé aux mécanismes cellulaires et moléculaires responsables du remodelage bronchique de l’asthme sévère et des bronchopneumopathies chroniques obstructives. Il développe ces thématiques au sein de l’équipe 2 l’unité INSERM 700 dont il est co-responsable ainsi qu’au sein du CIC 07 de l’hôpital BICHAT qu’il coordonne. Au sein de ce CIC, il a développé une recherche clinique translationnelle sur l’asthme sévère en relation avec la recherche d’amont effectuée au sein de l’unité INSERM 700.

« Il est co-auteur de plus de 250 publications dont plusieurs en premier et en dernier auteur dans le New England Journal of Medicine, Journal of Clinical Investigation, Journal of Immunology., Journal of Allergy and Clinical Immunology,  American Journal of Respiratory, Critical Care medicine. Ces travaux ont été récompensés par plusieurs prix scientifiques dont le prix de la Fondation de la Recherche Médicale, le Manuel Albertal Award de l’American College of Chest physician et le prix Environnement – Santé de l’Académie Nationale de Medecine.

«  Michel Aubier a été membre de nombreuses instances d’évaluation en France et à l’étranger. Il a participé à plusieurs commissions INSERM, a été membre du Comité d’Orientation de Recherche Stratégique de l’INSERM de 2001 à 2008, Président du Conseil Scientifique et Vice Doyen de la Faculté de Médecine de Xavier Bichat et membre du Conseil de Gestion de la Faculté de Médecine Denis Diderot Paris VII. »

 

 

Nicolas Sarkozy ne semble pas avoir encore tout compris au tabagisme et aux AOC

Bonjour

Et Nicolas Sarkozy se grisa, et il provoqua, et il se fourvoya. C’était le mercredi 3 février. Les Républicains avaient organisé  (à Paris) une « journée de travail sur l’agriculture et la ruralité ». Grand patron des buralistes  Pascal Montredon avait été  convié au titre de « grand témoin » du commerce de proximité en zone rurale. Aux côtés, notamment, de Paul Auffray (président de la Fédération nationale porcine), de Yann de Kerguenec (Ordre national des infirmiers) et de Thomas Diemer (président des Jeunes agriculteurs). Etaient annoncés, parmi d’autres élus, Éric Woerth et Dominique Bussereau. Clou de cette journée : l’ancien président de la République était en charge de la conclusion des travaux.

Fin de nos terroirs

Voici l’intégralité des propos tenus par l’ancien président de la République française tels qu’ils sont rapportés par le site des buralistes :

« Je voudrais revenir sur cette histoire de paquet neutre.  Si nous acceptions le paquet de cigarettes neutre, dans six mois on vous proposera la bouteille de vin neutre et c’en sera fini de nos appellations et c’en sera fini de nos terroirs, et c’en sera fini de la défense de notre savoir-faire ».

[Et d’insister devant les réactions favorables de l’assistance] « Si vous acceptez le paquet neutre, vous aurez demain des intégristes qui vous demanderaient la bouteille neutre puis le fromage neutre.  Cette bataille, c’est la bataille de nos appellations, c’est la bataille de notre savoir-faire, c’est la bataille de notre identité, c’est la bataille de notre histoire, c’est la bataille de nos terroirs. Et si nous cédons là, nous cèderons sur tout.

« Il est vrai que nous avons déjà un président normal ! »

Succès assuré :

Bertrand Dautzenberg, sur France Info: Il a estimé que ces propos étaient « inappropriés et inacceptables », Nicolas Sarkozy étant un « super lobbyiste du tabac qui a vendu la Seita à Bolloré ». « Le débat est totalement à côté de la plaque. Le tabac tue. Les autres produits qu’il cite ne tuent pas comme le tabac tue. Il n’y a pas de territoires du tabac en France »

Michèle Delaunay, sur France Inter : « Lui, comme Alain Juppé, pense que les buralistes sont des agents électoraux, ce qui n’est pas vrai. Ils vont à la pêche aux voix. C’est une grave erreur parce que la lutte contre le tabac pour la santé des Français est un combat supra-partisan. Donc, soyons responsables ».

 Daniel Fasquelle (député LR, Pas-de-Calais) sur France Inter : « Nous avons en France des producteurs de tabac. Il y a des marques de cigarettes françaises et elles font vivre des Français dans certains terroirs. Il faut éviter, au nom de la préservation de la santé, de déresponsabiliser complètement les citoyens et de les priver de choix ».

 Pr David Khayat sur France 2 ( responsable du Plan Cancer lors de la hausse des prix du tabac de 2003-2004 voulu par Jacques Chirac alors président de la République) : « Je ne vais pas rentrer dans la polémique … mais je fais partie de ceux qui ne croient pas beaucoup au paquet neutre, parce que l’expérience que nous avons en Australie montre que ce qui a le plus marché ce n’est pas le paquet neutre mais le fait d’avoir augmenté de 6 à 12 dollars australiens le prix ».

 Session de rattrapage

Jeudi 4 février, sur France 2 le journaliste David Pujadas offre une session de rattrapage à l’ancien président de la République dans l’émission « Des paroles et des actes » :

 « J’ai, à la suite de Jacques Chirac, engagé le plan cancer le plus ambitieux que notre pays ait jamais connu. J’ai, à trois reprises, augmenté brutalement le prix du paquet de cigarettes qui est la seule façon de réduire la consommation de cigarettes (…)  Comment peut-on dire  qu’on va moins consommer de cigarettes parce qu’on mettra à la disposition des consommateurs un paquet de cigarettes sans la marque ? Qui peut croire une fable pareille (…)  ça n’a aucun sens.

 « Si vous voulez interdire la cigarette, vous interdisez la cigarette. Mais dire : la cigarette reste à disposition mais au prétexte que c’est un paquet sans marque, on va moins en vendre… C’est une plaisanterie, de mauvais goût de surcroît (…)

 « Un jour, on viendra nous dire que le vin et l’alcool c’est mauvais pour la santé et qu’il faut supprimer les marques. J’ajoute que les voitures – ça peut tuer la voiture – donc je vous propose, dans la logique de madame Touraine, de supprimer les marques également pour les voitures (…)

 « J’ajoute un dernier point. A force, dans notre société, de multiplier les interdictions, plus personne n’y comprend rien (…) Il n’y a pas assez d’autorité et il y a trop d’interdictions. Voilà pourquoi, entre autres, je suis contre, comme beaucoup d’autres, le paquet neutre. »

Produit mortifère

 Il faut, pour être complet, rapporter les peu banales réactions de  Michel Cymes et Marina Carrère d’Encausse animateurs du Magazine de la santé  diffusé sur France 5 :

« On ouvre ce journal sur notre colère face à l’irresponsabilité des propos tenus hier par Nicolas Sarkozy (…) Monsieur Sarkozy, sachez, un, que le tabac tue, que l’alcool ne tue qu’en cas de consommation excessive, mais que le fromage ne tue pas. Deuxièmement, qu’en France, la culture de tabac ne représente que 200 hectares. Vous en conviendrez, il est très étrange d’associer la notion de terroir à un produit mortifère. Et troisièmement, qu’il est pour le moins blessant pour tous les médecins ou acteurs de la santé de se faire traiter d’intégristes, quand on défend des questions de santé publique »,

« Vive le tabac, vive la France ! »

Pour sa part Michel Cymes a parodié un clip politique, dans lequel on le voit faire campagne pour le tabagisme :

« Mes chers compatriotes, si vous aussi vous souhaitez qu’il y ait toujours autant de morts liés au tabagisme. Si, vous aussi, vous aimez croiser dans la rue des amis qui ne se déplacent qu’avec la moitié du corps (l’autre étant paralysée par un accident vasculaire cérébral dû au tabagisme) », commence Michel Cymes, qui reprend la figure de style de la métaphore, très répandue dans les discours politiques.

« Si, vous aussi, vous aimez réconforter des enfants ayant perdu leur papa mort jeune d’un infarctus lié au tabagisme. Si, vous aussi, vous avez envie d’avoir un déclin plus rapide de vos capacités cognitives liées au tabagisme. Si, vous aussi, vous rêvez de vous voir retirer un poumon et profiter d’une vie raccourcie, alors soutenez mon action POUR le tabagisme, pour cette tradition française associant fromage, alcool et cigarette », poursuit le médecin qui conclut : « Vive le tabac, vive la France ! »

E-cig  et campagne présidentielle

Nicolas Sarkozy et ses conseillers avaient-ils imaginé un tel tir de barrage ? L’ancien président reverra-t-il sa copie ? Et, surtout, comment faire pour qu’au-delà des invectives, on en vienne à l’objectif essentiel ? Cet essentiel est connu : c’est une hausse progressive constante et dissuasive des prix – hausse associée au paquet neutre (qui doit voir le jour en mai). Le tout accompagné d’une pleine acceptation collective de la cigarette électronique comme possibilité de sevrage.

C’est là une question majeure de santé publique. Cela fera, aussi, un très beau thème pour les primaires qui s’annoncent, de part et d’autre du champ politique. Un beau thème, aussi, pour la campagne présidentielle. Rappelons que depuis 2012  le nombre des jeunes esclaves du tabac n’a cessé d’augmenter en France. Il faudra bien, un jour prochain, expliquer pourquoi au citoyen.

A demain

 

Spermatozoïdes humains créés in vitro : le mutisme scientifique avant la tempête éthique ?

Bonjour

C’est une « première mondiale » qui reste à prouver. Et c’est un formidable sujet journalistique dont la presse généraliste hésite encore à s’emparer. Aujourd’hui, 8 mai, c’est Le Figaro (Pauline Fréour) qui s’y risque.  Avec les précautions d’usage et sans parvenir à lever un brouillard savamment entretenu depuis Lyon.

Nous avons déjà rapporté, le 6 mai, cette étrange annonce d’une « première mondiale » auto-claironnée. Des chercheurs français de la société lyonnaise Kallistem affirment être parvenus à créer in vitro des spermatozoïdes humains matures à partir de cellules situées bien en amont dans la cascade de la genèse spermatique – et ce à partir de ponctions testiculaires. Un nouveau créneau dans le marché plus que porteur de la thérapeutique de la stérilité masculine.

Récoltes de fonds

Mais encore ? Kallistem ne répond pas aux demandes qui lui sont faites. Silence d’autant plus troublant que l’on ne dispose ici d’aucune publication scientifique, les médias contactés ne semblant utile qu’à récolter des fonds. Un service de presse extérieur à la société répond  en substance qu’il faudra ici savoir prendre son mal en patience. Une histoire de brevet.

Le Figaro est quant à lui parvenu à franchir le barrage et à joindre Isabelle Cuoc. Mme Cuoc est  la PDG de Kallistem. Et voici la réponse de la PDG : « L’équipe scientifique des Drs Marie-Hélène Perrard et Philippe Durand est la seule à avoir mis au point un bioréacteur qui permet de réaliser une spermatogénèse in vitro totale à partir de tissu testiculaire prélevé par biopsie, un processus extrêmement complexe qui prend 72 jours».

Brevet à venir

Elle annonce aussi la publication, le 23 juin, « du brevet sur le procédé ». Brevet déjà nommé Artistem® , une thérapie cellulaire qui bénéficiera aux hommes qui ont des cellules souches germinales mais qui ne produisent pas de spermatozoïdes. Soit certains enfants pré-pubères (soumis à des traitements gonado-toxiques ; opérés suite à une cryptorchidie bilatérale ; atteints de drépanocytose sévère nécessitant une greffe de moelle osseuse). Soit  les hommes adultes atteints d’une azoospermie non obstructive liée à une déficience somatique (hommes ne produisent pas de spermatozoïdes mais ‘’possédant’’ des cellules souches germinales).

« Nous avons obtenu, sur la base du prélèvement de quelques millimètres cubes de tissu testiculaire, assez de spermatozoïdes pour donner naissance à un enfant par fécondation in vitro» assure au Figaro Mme Cuoc, sans plus de précisions. Une « phase clinique » est prévue « pour 2017 » avec ces néo-spermatozoïdes utilisés spermatozoïdes pour des fécondations in vitro. Cette phase sera « précédée de tests précliniques visant à vérifier le bon état des spermatozoïdes, notamment sur le plan génétique, mais aussi épigénétique ».

Saisir le Comité d’éthique

«Nous respecterons toutes les contraintes réglementaires», insiste Isabelle Cuoc qui vise l’infertilité des 120 000 Français atteints d’azoospermie non obstructive. Quelles contraintes réglementaires ? Et qui des considérations éthiques (créer un enfant avec un spermatozoïde expérimental…) ? La ministre de la Santé va-t-elle saisir le Comité national d’éthique? Est-ce déjà fait ? Sinon pourquoi attendre ?

Les spécialistes français interrogés reconnaissent généralement  la qualité professionnelle de l’équipe « Perrard- Durand ». Le Figaro cite un travail d’experts belges et néerlandais publié dans Human Reproduction qui fait la synthèse des travaux menés sur ce thème à travers le monde chez l’animal. Les auteurs concluent en ces termes : “Before potential clinical use, the societal and ethical implications of artificial gametes should be reflected on”.

Israël Nisand

Cet appel à la prudence ne semble pas troubler Mme Cuoc :  «Nos recherches ne sont pas concurrentes. D’abord parce qu’elles s’adressent à des pathologies différentes, en l’occurrence, pour eux, des hommes n’ayant pas du tout de cellules germinales, et parce que leurs techniques n’aboutissent pas encore au stade définitif du spermatozoïde. En ce sens, le procédé Artistem® pourrait les aider à aboutir à une forme mature de gamète.»

Il y a vingt ans des allégations françaises associées une publication dans The New England Journal of Medicine n’avaient pas permis d’ouvrir un véritable débat et l’affaire couve toujours dans les milieux de la procréation médicalement assistée comme l’a montré il y a peu un précieux documentaire télévisé [« Le divorce des pères » (Olivier Lamour) de la série Duels de France 5 ] consacré à Jacques Testart et René Frydman.

Aujourd’hui c’est au Pr Israël Nisand (CHU de Strasbourg) de prendre la parole sur l’affaire Kalistem. C’est assez court : « Cela ne me pose pas de problème éthique » dit-il au Figaro. Cette forte personnalité sera-t-elle contredite ? On peut le penser. On peut aussi l’espérer.

A demain.

Michel Cymes à la Santé, Patrick Pelloux peroxydé, le carnaval n’est pas terminé

Bonjour

On peut en rire bien sûr. Il y a quelques jours le Dr Michel Cymes franchissait une nouvelle étape de sa quête transgressive. C’était dans « C à vous » (France 5). Roi d’un soir il a succédé à Marisol Touraine, ministre de la Santé.

Pénible

« Êtes-vous favorable à la généralisation du tiers payant ? », l’interroge le journaliste Patrick Cohen. Michel Cymes se lance alors dans un long monologue, avant d’être interrompu. « Je décroche, vous êtes aussi pénible qu’un ministre », s’amuse Patrick Cohen. On se souvient peut être que Patrick Cohen a découpé il y a quelques jours sa carte de presse devant des caméras pour soutenir Pascale Clark. Rappelons que Pascale Clark est intermittente du spectacle et réclame à corps et à cris une carte qu’elle n’a pas reçue.

Auteur  à succès, animateur multicarte, médecin hospitalier à temps partiel le Dr Cymès parviendra tout de même à livrer le fond de sa pensée sur le tiers payant généralisé : « Oui, le tiers payant, il faut le généraliser. Mais il faut donner aux médecins les moyens de le faire. Comment voulez-vous que sans secrétaire… Aujourd’hui, pour être médecin généraliste, il faut faire des études de droit, de finances, de secrétariat, et après, peut-être, vous avez le temps d’exercer la médecine ! Vous passez les deux tiers de votre temps à remplir des paperasses. »

Morale

On peut en rire, à coup sûr. Il y a quelques jours le Dr Patrick Pelloux franchissait, lui aussi, une nouvelle étape d’une quête de plus en plus incertaine. Urgentiste, moraliste politique et chroniqueur à Charlie Hebdo, il apparaissait une nouvelle fois à la télévision. C’était dans un portrait de Josiane Balasko, dans le talk show hebdomadaire d’Alexandra Sublet. L’émission à pour nom Un soir à la tour Eiffel. C’est sur France 2.

Certains téléspectateurs ont dit avoir été surpris de sa courte intervention. Moins sur le fond que sur la forme: une fantaisie capillaire inattendue – genre blond peroxydé. La célèbre actrice est actuellement sur la scène du Théâtre de la Michodière. A partir du 7 avril elle y jouera une pièce écrite et mise en scène par elle-même. Ce sera « Un grand moment de solitude ». C’est une histoire de thérapie psychique.  On y rit beaucoup, paraît-il.

A demain

«De 20 000 à 40 000 manifestants». Grand embarras du gouvernement. Et maintenant ?

Bonjour

Le suspense grandit. Les organisateurs de la manifestation nationale contre la loi de Santé avaient tablé sur 20 000. C’est (grosso modo) le chiffre de la police. En face ou parle du double. Retenons 30 000 : c’est un succès. Une manifestation  comme la profession médicale en connaît peu. Des « blouses blanches » en colère. Des slogans déclinant le nom et le prénom de la ministre de la Santé – cible du défilé. Une opposition affichée au tiers payant généralisé – seul thème fédérateur d’un ensemble hétérogène.  Pour le reste : plaintes contre les difficultés d’installation… défense coûte que coûte de la liberté d’exercer… crainte de la bureaucratisation… hantise de l’étatisation  etc.  On réclame, au choix, le retrait du texte…  la démission de la ministre… une réécriture du projet de loi… Tous dénoncent le manque de concertation… la surdité de la ministre… son incapacité à dialoguer…

Tout cela était connu, attendu. Et maintenant ? Force est d’observer (notamment après l’entretien à visée prophétique accordé au JDD par Jean de Kervasdoué que Marisol Touraine apparaît sinon désavouée, du moins quelque peu esseulée dans son action gouvernementale. Le Premier ministre semble comme absent, aucun collègue de poids ne monte en première ligne. Quant au président de la République il est occupé à d’autres priorités.

Claude Bartolone

Désormais c’est la machinerie parlementaire qui va se mettre en place. Avec, pour commencer et à compter du 17 mars, un examen du projet de loi par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Il faut aussi compter avec les (discrets) reculs de Marisol Touraine acceptant, en bout de course, de lâcher sur de petites  questions qu’elle semblait tenir hier encore pour essentielle (comme  la délégation de la vaccination aux pharmaciens). Quant  au tiers payant généralisé son application est renvoyée à la fin 2017 et il ne sera pas obligatoire…

Maigre soutien gouvernemental de cette ministre en première ligne depuis des mois ? C’est l’évidence. Et ailleurs ? Interrogé sur France Inter le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone s’est dit attentif à la colère des médecins – attentif  tout en soutenant le projet de loi de la ministre de la Santé et le principe de généralisation du tiers payant. « Il faut faire le tiers payant car l’argent est toujours une barrière, a-t-il dit.  Il faut voir comment on peut faciliter le travail des médecins. C’est le rôle du médecin généraliste de pouvoir accueillir les patients. Plus vous rendez facile l’accès aux médecins généralistes et moins votre système de santé vous coûte. » On pourra voir là des approximations polies doublées d’un soutien a minima.

Jean-Christophe Cambadélis

Autre symptôme, celui d’un homme qui prend visiblement plaisir à occuper la nouvelle fonction qui est la sienne : Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du Parti socialiste. Il vient de demander au gouvernement de «ne pas céder sur le tiers payant». M. Cambadélis a reconnu sur France 5 «une inquiétude» et la nécessité de «rassurer».

«Mais je dis au gouvernement de ne pas céder sur le tiers payant. Le PS est très vigilant là-dessus et il est unanime, il faut l’avoir en tête , a poursuivi le député de Paris. Le tiers payant c’est une réforme de justice et dans le moment présent elle est nécessaire. On a donné du temps pour que ça se mette en place, et ça doit se mettre en place. C’est pas la guerre civile, on peut tenir sur un objectif, et négocier sur les moyens. » La guerre civile ?

Et demain ? Demain lundi 16 mars Marisol Touraine est l’invitée (8h35)  de l’émission « Bourdin direct ». C’est  sur RMC/ BFM TV

A demain

Sir Terry Pratchett s’est éteint à l’âge de 66 ans. Alzheimer. Entouré des siens et de son chat.

Bonjour

Soit un vieil arbre dans une forêt. Une forêt sans écureuil ni blaireau. Une forêt sans Dieu. Question: si personne n’est là pour l’entendre, fait-il du bruit quand il tombe ? A quoi songeait le chat qui dormait sur son lit quand Sir Terry Pratchett est doucement parti sur l’autre face du disque ? A quoi songent, aujourd’hui, les dizaines de millions de celles et de ceux qui ont suivi Pratchett dans ses innombrables fulgurances créatrices ?

Devins

Pour l’heure ses lecteurs peuvent le découvrir sous d’autres facettes: dans les nécrologies qui lui sont consacrées. Celle de la BBC, pour commencer. Car Pratchett c’est d’abord la puissance, jouissive, affolante et maîtrisée de l’anglais (remarquablement traduit en français par Patrick Couton, aux éditions L’Atalante). La langue d’un univers clos en partance vers un monde infini. A cinq siècles de distance Terry Pratchett reproduisait les luminescences de François Rabelais. Deux devins, deux chapeaux, deux langues productrices d’univers en expansion. Deux hommes qui ont enrichi la planète en retravaillant leur langue maternelle.

Futurs journalistes

« Terry Pratchett, c’était avant tout une écriture, empreinte d’argot et de jeux de mots, mais aussi un propos politique, résume Quentin Girard dans Libération. Après des premiers tomes potaches (et assez courts), l’auteur a donné à sa planète, au fil d’histoires de plus en plus longues, une profondeur et une épaisseur digne des mondes de Dune de Herbert ou de ceux de Fondation d’Asimov. L’action se déroule toujours «au siècle de la Rousette», équivalent de notre Renaissance.» Rabelais, toujours.

Girard ajoute: « Les habitants du Disque-Monde vont connaître petit à petit des inventions et des bouleversements qui sont autant de paraboles de notre société actuelle.Les Zinzins d’Olive-Oued narre la création du cinéma ; Timbré, celle de la poste, tandis que Monnayé est un traité d’économie. La Vérité, sur la presse (sérieuse et poubelle) devrait être mis dans toutes les mains des futurs journalistes.» Précisons que Quentin Girard est un jeune journaliste.

“ Sense of humour ”

Sir Terry Pratchett est mort à un âge où, dans notre partie du monde, on ne meurt plus. Deux fois (seulement) l’âge du Christ en croix. Il est mort de la maladie d’Alzheimer. D’une forme rare, nous dit-on, de cette maladie qui nous menace. Peut-être n’était-ce là que la forme véritable, celle décrite il y a cent ans précisément par Alois Alzheimer. Non pas une démence banale, mais bien une démence précoce. La nécrologie de la BBC nous le montre se jouant de son mal. Le devin montre un tableau sur lequel il a écrit:

‘’IT’S POSSIBLE TO LIVE WELL WITH DEMENTIA AND WRITE BESTSELLERS « LIKE WOT I DO »’’ #dementiafriends

La BBC ajoute: “ Sir Terry approached his Alzheimer’s diagnosis with a pragmatic sense of humour ”

Vendredi 13

Sur son île anglicane, Sir Terry Pratchett penchait-il du côté de la fatalité ou de celui de la coïncidence ? Au moment où nous apprenions son départ la cinquième chaîne de la télévision publique française diffusait une émission consacrée aux livres. Et, ce soir là (la veille du vendredi 13 mars 2015) aux livres s’intéressant à la philosophie. A la philosophie et à la méditation. A la méditation, à Dieu et au cosmos.

Une autre chaîne publique mettait en valeur le jeune ministre français de l’Economie prénommé Emmanuel et dont une loi porte déjà le nom. Restons un instant sur la cinquième.

Irradiance

Qui voit-on ? Michel Onfray, philosophe las. Il semble avoir tout dit et attendre les coups pour, à nouveau, prendre plaisir à reparler. Dieu ? Jacques Arnould, jadis moine aujourd’hui en quête d’éthique cosmique. Et puis, irradiant dans cette Grande Librairie, Alexandre Jollien, citoyen suisse vivant actuellement à Séoul « pour se refaire une santé ». Ecrivain et philosophe atteint d’athétose et auteur d’un « Eloge de la faiblesse ».

Jollien, donc. Où l’on pressent, après avoir appris la mort de Pratchett, que la télévision publique française pourrait aider les hommes à mieux se comprendre. Laisser une place aux ministres, bien sûr, eux qui ont tant et tant à dire. Mais ne plus oublier les malades, ceux qui écrivent et ceux qui n’écrivent pas. Sans oublier leurs chats.

A demain

« Hippocrate » (le film) : la brutale allergie déontologique du Dr Kierzek

Bonjour

Le Dr Gérald Kierzek n’est plus seulement médecin, anesthésiste, réanimateur et urgentiste à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Il est par ailleurs expert auprès des tribunaux. « Passionné de communication et de vulgarisation médicale » il est aussi chroniqueur pour le « Magazine de la Santé » sur France 5 et dans « Le Grand 8 » sur D 8.

Coup de cœur

Il est encore « spécialiste santé pour Europe 1 » ; il est en outre l’auteur d’un livre préfacé par Michel Cymès, Un livre dont on peut ne pas goûter le titre aéronautique « 101 leçons pour ne pas atterrir aux urgences » . Il est ,enfin, critique cinématographique pour Paris Match. Pour les lecteurs de l’hebdomadaire du groupe Lagardère il a vu «Hippocrate» de Thomas Lilti (1) – un film qui est le « coup de cœur » de Paris Match. Et c’est peu dire que le réanimateur n’est pas tendre avec ce film :  « il s’insurge contre le regard porté sur l’hôpital et son personnel par un réalisateur qui est, comme lui, docteur en médecine ».

Assis dans la salle, face à l’écran, le Dr  Kierzek « n’a pas passé un bon moment ». « Cela m’a fait souffrir, cela m’a même fait de la peine, car cela met à mal l’hôpital public et la probité médicale. Sur un plan déontologique, cela m’a fait mal ». Et Dieu sait si les souffrances déontologiques peuvent être intenses.

Un « ancien médecin »

Même Paris Match a du mal à comprendre : le réalisateur connaît l’hôpital et s’est attaché à rendre la réalité du monde hospitalier : « Justement, rétorque l’expert auprès des tribunaux. Le décor, la vie à l’hôpital, la salle de garde, le quotidien, tout ça, c’est bien retranscrit, c’est crédible et réaliste. On voit qu’il connaît son sujet, qu’il a fait ses études à l’hôpital, mais, malheureusement, j’ai ressenti une certaine aigreur, peut-être une frustration. Quelque chose de négatif en ressort, en tout cas pour moi qui suis urgentiste – réanimateur, bref un praticien de l’hôpital. Autant le décor qui est planté est crédible, autant les relations entre les professionnels, et les relations entre les professionnels et les patients sont fausses. » Fausses ?

Ce que l’urgentiste ne goûte guère, c’est précisément que Thomas Lilti soit  un « ancien médecin » (sic). Sa double casquette de docteur-réalisateur ? Elle fait, dit cet animateur-chroniqueur, que l’on « peut prendre pour argent comptant tous les messages qui sont véhiculés ». « Les dialogues, les ficelles scénaristiques sont fausses, accuse-t-il. Je suis sorti de ce film en me disant : ‘’les patients vont mettre ma parole en doute’’. Dès qu’il y aura une complication, ils vont penser que c’est une erreur médicale et qu’on va lui cacher des choses. » Cacher ?

Pompiers à intubation

Pire : ce film aborde la « douloureuse question de l’euthanasie » (sic). « Je suis médecin-réanimateur, dit ce passionné de vulgarisation-communication médicale. «Hippocrate» donne l’impression que l’on arrive avec la pompe à intubation, que l’on est des cowboys, que l’on ne regarde pas les dossiers et l’on intube tout le monde, même les personnes en fin de vie. Tout ça c’est faux. La loi est très claire : c’est notre métier d’urgentiste et de réanimateur de contextualiser, et de ne pas être dans l’acharnement thérapeutique. J’ai l’impression que pour les besoins du film, il a fallu ajouter des débats de société, on a coché la case erreur médicale, on a coché la case euthanasie/fin de vie. Le film met à mal la relation de confiance entre le patient et le médecin. » Confiance ?  

Pire encore, le nœud central, la mortelle intrigue, la raison d’être du film : cet interne-fils protégé par son père-patron :

Véreux, branleuses et fils à papa

 «  Il y a beaucoup de ‘’fils de’’, aussi, à l’hôpital, c’est très vrai, mais ce n’est pas pour ça qu’ils seront couverts en cas de faute, assure le vulgarisateur. Pour moi, il y a là une faute morale de la part du réalisateur, une remise en cause de la probité. On a l’impression que c’est la concurrence entre tout le monde, entre les différents services, entre les internes. Mais que face aux familles, tout ce petit monde, presque mafieux, se met d’accord (…) On applique la loi Kouchner de 2002 sur l’information des malades. Là c’est traité comme s’il y avait encore une Omerta médicale, que l’on est resté au temps de la médecine de Papa, d’il y a 50 ans, ce qui est faux. Le père est un véreux, le chef du service réa est un véreux, les infirmières passent pour des branleuses quand elles regardent la télé la nuit, le seul qui est bien, tout le temps, c’est le médecin étranger. Je ne voudrais pas que le public, qui veut voir l’envers du décor, prenne «Hippocrate» pour un documentaire. Sur le plan déontologique, le film me pose un vrai problème, ce n’est pas le réel. L’hôpital de 2014 ce n’est pas ça. » Vraiment ?

Appel à l’Ordre

Rien à garder ?  Tout à jeter ? « La salle de garde est vue de façon réaliste, on pratique beaucoup ce genre d’humour à l’hôpital. Mais moi je n’ai pas rigolé pendant le film, je suis plus ressorti avec un sentiment de colère. » Humour ?

Résumons : « mise à mal de la probité médicale »,  abcès au plan déontologique, mitage de la relation « médecin-malade », altération de l’image du corps médical … On en connaît qui attaquent pour moins que cela devant la juridiction ordinale. Qu’attend donc notre confrère Kierzek, expert auprès des tribunaux ? Un peu de logique ! Vite, qu’il traduise « Hippocrate » devant la juridiction des gardiens du temple et du serment qui porte son nom….  

A demain

(1) Pour notre part nous avons dit ici  (et sur Slate.fr)  tout le bien que nous pensons de cette tranche de vie médicale et hospitalière.

 

Les professionnels du tabac sont-ils vraiment coupables d’un « holocauste » ?

Bonjour

La polémique couvait, la voici qui commence à enfler. Le symptôme est bien visible, aujourd’hui, sur le site lemondedutabac.com. On le distingue ici. Ce site s’en prend sans nuance aucune à l’un de ses meilleurs ennemis : le Pr Gérard Dubois. ce dernier fut l’un des cinq membres titulaires de la dream team des ayatollahs de la santé publique –c’était au temps au temps où Jérôme Cahuzac (cabinet de Claude Evin, ministre de la Santé) n’était pas encore celui que l’on sait.

Cicatrices médiatiques

Longtemps proche de Claude Got on sait que Gérard Dubois n’est pas toujours un adepte de la nuance. Lemondedutabac.com en conserve visiblement la mémoire et quelques cicatrices médiatiques.

 « Propos excessifs, discours radical, « diabolisation » injurieuse de l’adversaire … Il arrive que l’actualité nous rappelle la vacuité de ce genre de méthodes. Pourtant, certains restent adeptes de cette violence verbale d’autant plus forte qu’elle est caricaturale.Ainsi de Gérard Dubois (président de la commission Addictions de l’Académie nationale de Médecine et président d’honneur de l’Alliance contre le Tabac) à propos de la théorie de « la conspiration de l’industrie du tabac », orchestrée dans les 750 pages de « Golden Holocaust ».

« Indifférence médiatique »

On se souvient de ce pavé-bombe dont Libération parla avant l’heure promise. (« Bientôt en librairie : « Golden Holocaust, l’autopsie du gigantesque complot de Big Tobacco »Le Point, France Inter, Le Monde ont depuis évoqué, en termes souvent louangeurs, le contenu, la portée et la puissance de ce travail. Pour autant le site proche des buralistes estime quant à lui que l’accueil de cet ouvrage (sorti le 21 mars) s’est fait « dans une certaine indifférence médiatique ». Il revient pour autant sur le sommaire,  du « Magazine de la santé » (daté du 21 mars) de France 5. « Comment l’industrie du tabac nous enfume » en était le titre. On peut voir ici.

Lemondedutabac.com :

« On connaît le militantisme anti-tabac de l’animateur, Michel Cymes, qui a complaisamment accueilli, sans question critique, son invité Gérard Dubois. Lequel aura été au-delà de toute espérance dans l’outrance de ses propos.

• A propos de l’emploi du terme « holocaust » : « il faut l’entendre plutôt en massacre de masse que le meurtre systématique des juifs pendant la seconde guerre mondiale » (sic), jette Gérard Dubois en démarrage. Et de poursuivre en citant des associations juives qui avaient donné leur accord à la diffusion d’un spot de la campagne anti-tabac « True Verity », en Floride, où le « président de l’industrie du tabac » est désigné comme  le pire criminel du 20ème siècle … devant Hitler et Staline.

• Utilisation abusive de chiffres-choc : le nombre de morts dus au tabac, « un Stade de France chaque année pour l’hexagone » ; « au niveau mondial, l’équivalent de 32 Airbus A 380 à 500 places qui s’écrasent chaque jour ».

• Instrumentalisation de « la théorie du complot : « Ils ont nié, ils ont caché, ils ont manipulé, ils savaient ». Gérard Dubois se complaît à reprendre une argumentation manichéenne : « nos enfants, vos enfants sont l’avenir de leur business puisque vu leur nombre de morts, il faut bien qu’ils renouvellent leur cheptel ».

« Holocauste » ou pas ?

L’auteur, universitaire et historien, a bien mesuré le risque.  En anglais son ouvrage était titré « Golden Holocaust, origins of the cigarette catastrophe and the case of abolition».

Il s’en explique (pages 23 et 24) : « J’emploie le terme d’« holocauste » avec prudence et surtout pour attirer l’attention sur l’ampleur de la catastrophe du tabagisme. A l’évidence il existe de profondes différences entre l’assassina de six millions de juifs par les nazis et les souffrances des fumeurs. Dans les deux cas, cependant, nous faisons face à une calamité hors du commun sur laquelle trop de gens préfèrent fermer les yeux sans rien tenter, car ils sont prêts à laisser l’horreur s’étendre. L’apathie règne.

Une déjà longue histoire

Je soulignerai aussi que l’emploie de ce terme pour parler des cigarettes a une longue histoire. En 1885, dans son Cigarettes Underground, Alan Blum comparait le lourd tribut du tabac à un holocauste. Il s’inspirait d’un rapport de 1971 du Collère royal de médecine de Grande-Bretagne dénonçant « l’holocauste en cours (…) ». En 1886 un éditorial du JAMA déplorait « l’holocauste du tabacism » (1). On en trouvera des expressions similaires avant même la Seconde Guerre mondiale.

« Holocauste » signifie littéralement « être entièrement consumé », mais il est porteur de toute une série d’autres résonances, liées à la catastrophe, à la malfaisance et aux crimes contre l’humanité (…) L’Holocauste nous ensigne aussi que l’éthique est souvent affaire d’échelle (…) Dans la bonne société, on a tendance à user d’euphémisme. Or quand la vérité est scandaleuse en soi, des mots trop policés risquent de masquer la réalité de souffrances scandaleuses et inutiles. »

Politiques coupables

Lemondedutabac.com a-t-il lu ces lignes ? Il estime qu’assimiler l’activité des professionnels du tabac à un holocauste  « est proprement injurieux pour les collaborateurs d’une filière professionnelle travaillant dans un cadre légal, partout dans le monde. » 

La légalité, en somme, autoriserait  tout. Pour Big Tobacco la loi, c’est la morale. C’est une manière comme une autre de souligner à quel point celles et ceux qui incarnent le législatif  sont également coupables.

A demain

(1)  Néologisme, de l’anglais tobaccoism, forgé par John Harvey Kellog, auteur de Tobaccoism or How Tobacco Kills (1922). Désigne l’empoisonnement par le tabac. Egalement décliné en nicotinisme.

 

 

Allergiques aux génériques ? Ils ont enfin dit la vérité à la télé ! (France 5)

Bonjour

Il fallut se faire violence mais, au final, aucun regret. Mardi 4 mars une heure et demie de télévision publique (France 5) consacré aux médicaments génériques. Nous connaissons tous la chanson. Sont-ils véritablement la copie véritable des originaux ? Mon médecin est contre, il ne me donne que des vrais. Les pharmaciens touchent grassement au passage. Ma mère y est allergique. Combines et compagnie. On nous cache la vérité. Ils sont tous blancs et on ne peut pas les casser. Je n’arrive jamais à retenir leur nom.  Ils sont faits en Inde. Pire : en Chine.

Sauveur

« Enquête de santé ». Sur le plateau, de ma gauche à ma droite : le Pr Sylvie Legrain  (gériatre, hôpital Bretonneau, AP-HP), le Pr Jean-François Bergmann (chef du service de médecine interne – hôpital Lariboisière, AP-HP), le PrAlain Astier, chef du département pharmacie, hôpital Henri-Mondor, AP-HP) et l’omnipraticien omniprésent  Sauveur Boukris. Trois vrais hospitaliers et un petit généraliste qui s’est fait une spécialité unique : pourfenderur de l’arnaque, grand procureur médiatique anti-génériques   comme on peut le voir ici.  Personne de chez Sanofi pour répondre aux accusations terribles du documentaire sur ses basses manœuvres officinales concernant le Plavix®. Dommage.

Tout ne fut pas limpide. Sujet nettement trop large. Chemin de fer inversé. Redites et passages abscons. Et cette absence de hiérarchie qui tue bien des débats télévisés. Pourtant des bribes de vérités furent dites et bien dites. Au point que, tout bien pesé, l’ensemble pouvait éclairer les auditeurs, les malades comme les bien-portants. Sans oublier les prescripteurs qui, comme le Dr Boukris, calquent leurs gestes sur les désirs et aux angoisses de leurs patients. Ce qui ne fait rarement fuir la clientèle.

Stigmates

Débattre du générique c’est immanquablement s’enfoncer dans les sables mouvants de la croyance. Opposer ceux qui croient en lui à ceux qui n’y croient pas. Ceux qui sont pour les vrais médicaments  vous racontent avoir vu les stigmates du mal des copies. Les autres rament pour certifier, du haut de leur chaire que ces stigmates ne sont pas, ou que ce sont là de faux stigmates. Avec, sur toutes ces paroles, le voile épais des allergies d’expression cutanée.

Empathique en diable le Dr Boukris reprend son bâton de pèlerin. Lui préfère écouter ses malades plutôt que croire dans les études chiffrées du Pr Astier. Lui sait les souffrances causées par les insécables et les grumeaux des génériques en suspension. Lui et ses malades ont souffert de la perversité d’un pharmacien d’officine qui, ne respectant pas sa mention « non substituable », délivra un générique de  Dépakine®  à un malade épileptique. Et pourquoi, je vous prie,  faut-il perdre tant de temps à devoir écrire à la main « non substituable » à gauche, en face de chaque spécialité princeps à une époque où les ordonnances sortent imprimées de l’ordinateur-prescripteur ?

Gestuelles

Face à Sauveur Boukris, deux piliers hospitaliers pour les deux branches du rationnel: la médecine (interne) et la pharmacie (hors-officine). Discours raisonnable, démontant au passage « une ineptie » du confrère généraliste. Discours abordant enfin ce qu’habituellement on cache : la puissance non pas du seul effet placebo mais bien de la gestuelle, de la puissance de conviction du prescripteur. S’il montre qu’il y croit, cela marchera. S’il affiche qu’il n’y croit pas c’est perdu d’avance. Le Pr Bergmann tente de faire comprendre ce que le Dr Boukris ne peut ni entendre ni avouer. Le Pr Legrain parle au nom des personnes âgées. Elle tutoie Sauveur et Jean-François. Elle tente la médiation. L’émission est finie.

On avait au passage appris que les allergies aux génériques pouvaient aussi être une affaire de pouvoir : la révolte, dans l’ombre des cabinets, des couples prescripteurs-prescrits. Des couples en révolte contre  la machine Etat-Assurance Maladie qui veut imposer les génériques au seul motif  de faire des économies. De ce point de vue l’intéressement financier considérable des pharmaciens d’officine à la substitution des médicaments prescrits par le médecin est une opération proprement  ahurissante.

Têtes de veaux

Placebo/nocebo. Il  faudra songer à retravailler cette question à la télévision.

« Knock

Ça vous fait mal quand j’enfonce mon doigt ?

Le Tambour

–          Oui on dirait que ça me fait mal.

Knock

–          Ah ! ah !  (il médite d’un air sombre) Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ?

Le Tambour

–          Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais effectivement ça me gratouillerais plus. »

A demain