Bonjour
Soit le Dr Michel Aubier, chef du service de pneumologie-allergologie à l’Hôpital Bichat (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), professeur à l’Université Paris 7, membre de l’Unité Inserm U700 « Physiopathologie et épidémiologie de l’insuffisance respiratoire ». Il y a avait eu, mercredi 16 mars, un premier tir groupé (Libération, Le Canard Enchaîné, Le Monde) visant cette personnalité hospitalo-universitaire reconnue, fréquemment invité dans les médias généralistes et dont la notoriété dans sa discipline n’est plus à faire.
Et maintenant ? Deux jours plus tard Le Monde remet l’ouvrage sur le métier. Pleine page : « Pollution atmosphérique : Michel Aubier face à ses mensonges » (Stéphane Foucart, Martine Valo). Registre de la coulpe sinon battue, du moins à battre :
« Cinquante mille à soixante mille euros par an : c’est ce qu’a confessé avoir touché du pétrolier Total, depuis la fin des années 1990, le pneumologue -Michel Aubier, chef de service à l’hôpital Bichat, à Paris. Le médecin était entendu à huis clos, jeudi 17 mars au matin, par la commission d’enquête du Sénat sur le coût de la pollution atmosphérique, dans une ambiance assez lourde. »
Il est notamment reproché au Pr Michel Aubier, spécialiste des pathologies respiratoires pouvant être associées à l’environnement d’avoir, le 16 avril 2015, alors que cette commission sénatoriale l’auditionnait en tant qu’expert, d’avoir déclaré en préambule de son intervention : « Je n’ai aucun lien d’intérêt avec les acteurs économiques ». Une déclaration sous serment dénoncée a posteriori par Libération et Le Canard enchaîné. Ces deux titres ont révélé, mercredi 16 mars, que ce médecin exerçait depuis 1997 les fonctions de médecin-conseil pour Total – où il était chargé notamment de conseiller les cadres dirigeants du groupe en cas de problèmes de santé. L’affaire, nous dit Le Monde prend ces proportions exceptionnelles, au prorata de la réputation et des lauriers du Pr Michel Aubier.
Remplacement
Comment comprendre ? Le 17 mars (le lendemain des révélations dans la presse) les sénateurs auditionnaient Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Il faut ici savoir que M. Hirsch avait initialement été convoqué par la commission d’enquête en avril 2015. Or il s’était alors fait finalement remplacer (pour représenter l’AP-HP) par le Pr Aubier. Pourquoi lui ? « Je n’avais eu aucun signal d’alerte sur ses liens d’intérêts » a-t-il assuré au Monde.
Pourquoi maintenant ? On explique que le « feu aux poudres » a été mis le 1er mars, dans l’émission Allô Docteurs, sur France 5. A la question «la pollution atmosphérique peut-elle être cancérogène ?» cet expert répondait :
«Elle peut être cancérogène, mais pour le moment, ce qui a juste été démontré, c’est essentiellement des cancers lors d’expositions assez fortes, c’est-à-dire professionnelles. En ce qui concerne les expositions “naturelles”, c’est beaucoup plus discuté, il semble que ce soit en tout cas un facteur favorisant chez les sujets qui ont déjà des prédispositions à développer les cancers, c’est-à-dire les fumeurs.»
Vingt ans après
Or c’est précisément ce qu’il avait déclaré un an auparavant devant le Sénat…. Personne n’avait alors relevé. Cette fois une sénatrice a réagi plus qu’elle ne l’avait fait en 2015 : Leila Aïchi (Ecologiste, Paris) auteure du rapport sénatorial sur le coût de la pollution de l’air. Voici ses déclarations au Monde :
« Il s’agit d’un faux témoignage d’autant plus inadmissible qu’il émane d’un médecin, un professeur, au sujet d’une question de santé publique. Si nous avions eu connaissance de ces liens avec Total, nous ne l’aurions pas auditionné. C’est scandaleux ! J’envisage de déposer un amendement instituant des circonstances aggravantes dans des cas de parjure touchant à des affaires de santé ou d’environnement. »
Qui, dès lors, a alerté Mme Aïchi ? La sénatrice confie avoir été alertée sur par des ONG, « dont elle tient à saluer le rôle de lanceur d’alerte » « Ecologie sans frontière », « Respire » et le « Rassemblement pour la planète ». Il reste encore bien des zones d’ombre pour expliquer que l’alerte soit lancée en 2016 a propos d’une collaboration commencée, si l’on comprend bien, il y a près de vingt ans. Collaboration dont on nous dit qu’elle aurait rapporté à l’intéressé « cinquante à soixante mille euros par an ».
Questions et causalité
Cette collaboration avait-elle été dès le départ autorisée par la direction de l’AP-HP ? Etait-elle statutairement possible ? Son existence a-t-elle conduit le spécialiste des pathologies pulmonaires à œuvrer, consciemment ou pas, au bénéfice du groupe pétrolier français (notamment en minorant l’impact pathologique du diesel) ? Pourra-t-on ici démontrer une relation de causalité ? Qui répondra ?.
Reste, dans ce contexte, une certitude récemment révélée : Martin Hirsch est en train d’achever un plan de prévention des conflits d’intérêts. « Actuellement, je ne suis pas en mesure d’obtenir des médecins de l’AP-HP qu’ils déclarent leurs liens d’intérêts, explique M. Hirsch au Monde. Ils ont tout à fait le droit de refuser une telle demande. »
On ajoutera que si ce plan avait existé Martin Hirsch n’aurait sans doute pas demandé au Pr Aubier de le remplacer (pour représenter l’AP-HP), le 15 avril 2015, devant Leila Aïchi et ses collègues sénateurs.
A demain