Un alcoologue se doit-il d’avoir été alcoolique ? Un dermatologue acnéique ? Un gastro-entérologue hémorroïdaire ? Un psychiatre dépressif ? Etc. Passionnante problématique. Elle est omniprésente dans les épisodes 19 et 20 de la saison ultime de Dr House. Avec, en bonus, la question du légiste
Ce soir les rires sont à la remise. Wilson le cancérologue va-t-il mourir de son cancer inopérable? Une mère généticienne peut-elle sauver sa fille atteinte d’une maladie génétique? Un médecin légiste est-il autorisé à pratiquer sa propre autopsie? La mise en abyme pathologique commence à sentir salement le roussi. Qui va succéder à Gregory 1er, pape de la médecine occidentale?
Ce soir le claudicant n’est pas loin de sa quille. Yeux fermés il fonce, comme toujours. Mais cette fois, c’est lui qui va vers le Styx. Le sait-il? Sans doute, lui qui ne se trompe jamais. Et il nous le fait savoir. Fini le cochon, pliées les femmes sur commande et avec factures. House est soudainement, ouvertement, humain. Il l’est avec Wilson, ce vieux Wilson devenu cancéreux et qui programme le passage de son arme à gauche. Humain, véritablement humain. Pas une empathie de circonstance: il partage avec son confrère et voisin ses derniers stocks d’antalgiques opiacés.
House partage en confrère ses alcools et ses ivresses. Jusqu’à son divan où il hospitalise son ami pour une chimiothérapie à domicile et à très haut risque. Bien sûr, cette double consanguinité, amicale et confraternelle, n’est pas sans un soupçon d’homosexualité, série américaine oblige. Mais rien de grave. Nous sommes assez loin de La Cage aux folles ( créée il y a précisément quarante ans par Jean Poiret). Les catholiques pratiquants opposés, dit-on, au mariage pour tous pourront n’y voir que du feu.
Spoiler ou pas, voici l’essentiel de ces deux épisodes préterminaux: le malade ne compte plus, les syndromes encore moins. La pathologie ne cesse de se centrer sur le corps du délit: le corps médical.
La qualité de la thérapie est-elle sous-tendue par l’expérience de la maladie ?
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il avançait pour l’essentiel masqué. Les docteurs sont certes des êtres habités des mêmes démons (voire pire) que ceux qui n’ont jamais fait, qui ne feront jamais, médecine. Mais cela s’oublie généralement assez vite quand il est question de sa peau. C’est d’ailleurs là un chapitre essentiel (et donc totalement oublié) des études de médecine, des associations de malades et des sociétés savantes.
Peu nous chaut (it does not matter to us) que notre dermatologue-vénérologue souffre d’un Herpes simplex de type 2 (herpès génital); du moins s’il est compétent pour prendre en charge ce Pityriasis versicolorqui nous taraude le dos.
Mieux: on pourrait même soutenir que les souffrances passées endurées par un praticien sont un gage non pas de compétence mais peut-être de plus grande attention professionnelle. Un chirurgien dentiste qui a vraiment souffert d’une belle suppuration sur grosse molaire doit mieux entendre qu’un autre les jérémiades sur fauteuil devant fraises et roulettes (sauf, il est vrai, s’il a entrepris de se venger).
Un alcoologue est-il meilleur thérapeute s’il connaît (s’il a connu) dans sa chair les petites joies et les vraies tortures de la dépendance à l’alcool? Un psychiatre a-t-il une meilleure écoute s’il est lui-même aux prises avec la construction récurrente de châteaux névrotiques en Espagne? LeZénon de Yourcenar s’explique-t-il par ce qu’il était ou par ce qu’il a vécu?
Comment fait une mère généticienne qui entreprend de sauver sa fille de 6 ans atteinte d’une maladie génétique? Simple: en crachant sur le père cause de tous les maux. Avant de faire marche arrière.
Et quid des cancérologues? Comment s’y prennent-ils, ces spécialistes d’une spécialité qui n’existe pas (le cancer n’est pas une entité organique unique, tout juste un concept)? La plupart des cancérologues se focalisent sur l’organe (le tissu) cancéreux, affinent leur pratique, testent des molécules à prix d’or et ne cherchent guère à prendre le malade dans sa globalité. Ils traitent et laissent les soins au patient ou à des tiers, les soins de l’intendance psychologique et matérielle.
D’autres assurent au contraire publiquement être en empathie absolue avec ceux qui viennent à eux. Ils expriment en compagnie de leur malade la souffrance qui est la leur d’être confrontés à leurs souffrances. Ce n’est pas précisément ce qui est enseigné par la Faculté. Rien ne dit pour autant qu’une telle démarche soit sans intérêts. Pour le soigné comme pour le soignant. Certains passeurs de feu font de même.
La métamorphose gagne
Aujourd’hui le Dr James Wilson ne songe pas vraiment à tout cela. Depuis notre dernière et cochonne rencontre, nous savons que le chef du service d’oncologie souffre d’un cancer du thymus. Déprimé chronique, Robert Sean Leonard est atteint d’une forme avancée d’unelésion assez rare qui nécessite chimiothérapie et radiothérapie. Sans oublier la chirurgie.
Wilson connaît fort bien les procédures thérapeutiques en vigueur face à un thymome. Et il entend bien ne pas les respecter. Où l’on aborde une autre source d’intérêt des non médecins pour ceux qui le sont. Ces derniers ont-ils ou non des recettes secrètes, des solutions miracles qu’ils ne partagent pas avec le commun des mortels?
De ce point de vue, le cas de Wilson est assez exemplaire. Il déroge à toutes les règles qu’il imposait à ses patients. Et, peu soucieux des règles usuelles de la confraternité, le voici qui accuse son second de ne pas être doté, sous sa blouse blanche, des attributs virils traditionnels. Ces mêmes attributs qui (avec les fumées colorisées dont on nous rebat actuellement les oreilles) font (depuis Pierre ou presque) l’une des joies palpables de toutes les élections papales.
Habemus House? C’est de moins en moins certain. Il court les routes en Alfa-Roméo avec Juan Manuel Fangio. Les rencontres sexuelles qu’il organise pour son ami cancéreux sont des enchantements, une forme d’assistance sexuelle. Et Wilson revit. Et la métamorphose gagne.
(Re)jouer à Easy reader ?
Gregory House n’est plus que l’ombre du monstre qu’il fut. Sa face chafouine s’éclaire et il n’est plus vulgaire. Il ne sourit plus en biais: il éclate de rire et de face. L’éclaircie avant l’orage? Les lauriers des Rameaux avant le mont des oliviers? Le vent va-t-il bientôt tourner? Sans doute: il y a de la fin dans l’air. Mais une fin joyeuse, libératoire. Nous allons voir ce que nous allons voir. Et profitons de l’instant présent.
L’instant présent, c’est l’heure du médecin-légiste, cet invariant noir du polar. Les légistes sont des hommes à part, toujours froids et formolés. Comme certains journalistes qui se sont fait une spécialité de n’arriver qu’après la bataille. Les deux sont des férus de marbre, des relecteurs de première. C’est précisément pourquoi on ne les aime généralement guère.
Peter Treiber le pathologist du Princeton-Plainsboro est de ceux là. Il ouvrait les autres pour voir de ses propres yeux les dégâts commis par ses confrères. Aujourd’hui, il a changé d’angle: il s’est ouvert lui-même. Le crâne pour commencer une forme assez originale d’introspection corticale.
On referme la boîte. On cherche un prion pathologique type vache folle. En vain. Ce sera l’eau de Javel. Le légiste, comme souvent, ne jure que par l’interniste. Mais House n’est plus dans la maison mère. Il rejoue à Easy Rider. Et quand il revient, c’est son Chase, son néo-fils, qui part essaimer ailleurs. Poignée de main virile. Regards ailleurs. Il arrive que les médecins ne soient pas loin des aviateurs. Et l’horloge au salon, qui nous dit oui, qui nous dit non.
Une version de ce billet a initialement été publiée sur Slate.fr