VIH: les derniers chiffres français. Cancer prostatique: « dépistage» de plus en plus anarchique

Bonjour

Deux articles passionnants dans la dernière livraison du précieux BEH. L’un confirme la gabegie des dosages de PSA et l’autre une forme de relative stabilisation de l’évolution de l’infection par le VIH en France.

6372 en 2012

Pour ce qui est du VIH, l’étude  de l’InVS (1) situe à 6372 le nombre des « découvertes de séropositivité » réalisées en 2012; « forte augmentation » chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), avec une poussée de 14 % en 2012 contre 3 % en moyenne par an entre 2003 à 2011.

Après avoir « diminué significativement entre 2004 et 2008 », le nombre de personnes ayant découvert leur séropositivité s’est stabilisé autour des 6 200 par an ces dernières années, relève cette étude. Rien ne change: on estime en France qu’environ 150 000 personnes vivent avec le VIH, mais que parmi eux 30 000 à 40 000 ignorent leur état sérologique.

Un effet des TROD ?

L’augmentation observée pourrait toutefois  être liée à « un recours au dépistage plus précoce » dans la population homosexuelle, avec la généralisation des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD), qui permettent d’obtenir une réponse en quelques minutes seulement contre plusieurs jours pour le test classique. En 2012, plus de 32 000 TROD ont été réalisés dont 13 000 parmi la population homosexuelle. Ces tests ont permis à environ 260 personnes (dont deux tiers d’HSH) de découvrir leur séropositivité.

Parallèlement, l’étude note une stabilité des découvertes de séropositivité chez les hétérosexuels en 2012 avec des diagnostics faits en moyenne de façon relativement tardive. « Les personnes âgées de 50 ans ou plus au moment du diagnostic représentent une part croissante des découvertes de séropositivité », nous apprend cette étude.

Antilles, Guyane et Ile-de-France

Dans cette catégorie, le diagnostic se fait plus tardivement que chez les plus jeunes, « souvent » à l’occasion de complications infectieuses (tuberculose). L’analyse géographique montre que c’est toujours en Guyane, Guadeloupe, Martinique et en Ile-de-France que les découvertes sont les plus nombreuses (en taux par millions d’habitants).

Une analyse par origine des populations infectées en 2012 montre que plus de la moitié (54 %) de celles-ci sont nées en France et 31 % en Afrique subsaharienne. La proportion de personnes nées en France parmi celles qui ont découvert leur infection « a régulièrement augmenté entre 2003 et 2012 » passant de 41 % à 54 %, tandis que la part des personnes nées en Afrique subsaharienne a baissé de 44 % à 31 %.

Les trésors du Sniiram

Pour ce qui est de la prostate les chiffres qui nous sont fournis (2) ont quelque chose de désespérant. Ils vont, à coup sûr, relancer la polémique récurrente de dépistage  excessif  du cancer de la prostate. Ils mettent aussi en lumière le fait que les recommandations répétées de la HAS ne sont en aucune façon suivies d’effet. La HAS en tirera-t-elle matière à réflexion ? Ces mêmes chiffres aussi, à leur façon, les trésors d’information que recèles le coffre-fort du système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (Sniiram). Sniiram, ce Sésame de l’Open data. Nous y reviendrons.

Dosage du PSA chez un homme sur trois

Ce travail a été mené sur onze millions d’hommes de 40 ans et plus. Il s’agissait d’estimer le nombre  des dosages de l’antigène spécifique de la prostate (PSA), des  biopsies et des cancers de la prostate (CPr) nouvellement pris en charge – ainsi que d’estimer les taux de  complications dues aux thérapeutiques.

Il apparaît ainsi qu’en 2011, environ 30% des hommes sans CPr  ont eu au moins un dosage du PSA, 0,5% une biopsie de la prostate et 0,4% un CPr nouvellement pris en charge. Les médecins généralistes ont prescrit 87% des tests. Le PSA libre rendait compte de 21% des 4,2 millions  de tests effectués. Après un dosage du PSA en 2010, 2,1% des hommes ont eu une biopsie l’année suivante et 1% un  CPr pris en charge. Parmi ceux présentant un CPr, près de 80% ont eu au moins un traitement spécifique dans  les deux années suivantes. Chez les hommes de 50-69 ans, près de 66% ont eu une prostatectomie isolée et,  parmi eux, 61% un traitement médicamenteux pour troubles de l’érection et 18% pour troubles urinaires lors des  deux ans de suivi.

Recommandations de la HAS sans effet

« Le dosage du PSA en France correspond à un dépistage de masse, contrairement  aux recommandations de la Haute autorité de santé, concluent les auteurs.  L’hétérogénéité géographique des pratiques et l’utilisation  importante du PSA libre, plus coûteux, doivent conduire à une réévaluation des pratiques. L’information du patient  doit prendre en compte la fréquence élevée des troubles liés aux traitements. »

Une recommandation qui date, précisément de quinze ans. Voici ce que disait l’ancêtre de la HAS en 1999 :

« De nombreuses interrogations persistent quant à l’efficacité des traitements du cancer de la prostate localisé : le meilleur traitement n’est pas défini. L’intérêt du traitement curatif par rapport à la surveillance et un traitement différé n’est pas démontré (même s’il est suggéré pour certaines tranches d’âge et certains types de tumeur). Il est, en 1998, impossible d’identifier, parmi les tumeurs de prostate détectées, celles qui feront courir un risque vital au patient au cours de son existence et celles qui ne seront pas la cause de son décès. » Elle ajoutait que d’un point de vue économique, l’étude de la littérature montrait qu’il était prématuré d’envisager la mise en place d’un dépistage de masse du cancer de la prostate.

Plus de quatre millions de tests chaque année

En 2009 la HAS considérait qu’aucun élément scientifique nouveau n’était de nature à justifier la réévaluation de l’opportunité de la mise en place d’un programme de dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage du PSA. Elle rappelait ses recommandations antérieures et, une nouvelle fois, « insistait sur l’importance de l’information à apporter aux hommes envisageant la réalisation d’un dépistage individuel du cancer de la prostate ».

Gabegie médicale moderne

Aujourd’hui la fréquence des TR n’est pas connue mais on sait que plus de quatre millions de tests sont réalisés chaque année. Et ce chez des hommes sans éléments de suspicion de cancer prostatique aux seules fins de « dépistage » (87% par un généraliste, 3,6% par un urologue). Des différences régionales dans les pratiques apparaissent, que rien n’explique ni ne justifie.  Quant aux complications des interventions pratiquées, elles apparaissent de manière indirecte sous la forme de consommation de spécialités pharmaceutiques contre les troubles de l’érection et les incontinences urinaires. Il ne reste plus qu’à connaître le coût de cette forme, moderne et médicale, de gabegie.

Et à réfléchir à cette totale impuissance des autorités sanitaires quant à  cette pratique médicale.

A demain

(1)     Cazein F, Lot F, Pillonel J, Le Strat Y, Sommen C, Pinget R, et al. Découvertes de séropositivité VIH et sida – France, 2003-2012.  Bull Epidémiol Hebd. 2014;(9-10):154-62

(2)   Tuppin P, Samson S, Fagot-Campagna A, et al. Dépistage et diagnostic de cancer de la prostate  et son traitement en France (2009-2011) selon le Sniiram. Bull  Epidémiol Hebd 2014;9-10:163-71.

Les transsexuels sont-ils propriétaires de leurs cellules sexuelles ?

Bonjour

Questions de genre. La quintessence des questions du genre. Tout commence avec un courrier en date du 23 juillet 2013 dans lequel le Défenseur des droits dit souhaiter connaître la position de l’Académie nationale de médecine concernant « la demande des personnes transsexuelles qui souhaitent procéder à une autoconservation de leurs gamètes [cellules sexuelles] pour éventuellement pouvoir lesréutiliser après leur transition dans un projet de parentalité de couple ».

Un homme devenu femme peut-il conserver ses spermatozoïdes ? Une femme devenue homme peut-elle conserver ses ovocytes ? La chose est possible en cas de traitements stérilisants. L’est-elle en cas de chirurgie visant à une « réassignation sexuelle », chirurgie prise en charge par la Sécurité sociale ?

Nouvelles demandes sociales

Le Défenseur des droits juge  que cette question soulève des interrogations liées à la problématique de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) et aux nouvelles demandes de la société ; des questions qui vont au-delà des raisons médicales prévues par les textes de loi. Il entend que l’Académie mène une réflexion « sur le rôle de la médecine par rapport aux demandes de la société, quand celles-ci ne sont pas liées à une maladie ».

Un groupe de travail est bientôt constitué. Il concentre sa réflexion sur les questions médicales et scientifiques liées à la « préservation de la fertilité des personnes transsexuelles ». (1)

Obsession de changer de sexe

« Transsexualisme » ? Ne pas confondre avec les états « intersexués ». Pas d’anomalies corporelles. Ce fut longtemps le mythe, le diable, la maladie mentale. C’est aussi une entité contestée. On peut retenir aujourd’hui la définition de l’Académie : « le transsexualisme est caractérisé par le sentiment profond d’appartenir au sexe opposé, malgré une conformité physique sans ambiguïté, et par le désir intense et obsédant de changer de sexe ». Combien de personnes directement concernées ? Si l’on en croit une analyse de la littérature faite par la Haute Autorité de Santé (HAS) la prévalence devrait se situer entre 1 : 10 000 et 1 : 50 000. Elle semble augmenter depuis quelques années. Pourquoi ? Les « femmes devenant homme »s (female to male, FtM) seraient deux à trois fois moins nombreuses que les hommes devenant femmes (male to female, MtF).

En France, les interventions chirurgicales, une fois acceptées sont prise en charge par l’assurance maladie. Il existe quatre équipes réunissant psychiatres et psychologues, endocrinologues et chirurgiens, localisées dans des hôpitaux publics à Bordeaux, Lyon, Marseille et Paris. Les praticiens travaillant dans ces centres sont regroupés dans la Société Française d’Etude et de prise en Charge du Transsexualisme (SOFECT).

« Réassignation sexuelle »

Entre septembre 2009 et septembre 2010, ces équipes ont mis en route 329 nouveaux traitements hormonaux et pratiqué 153 transformations chirurgicales. Ces données sont comparables à celles obtenues par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (Igas) qui recensait, en 2010, 125 actes chirurgicaux de « réassignation sexuelle » et mentionnait 127 requêtes pour changement d’état civil formées dans 36 cours d’appel en 2010.

« Ces chiffres doivent cependant être nuancés pour deux raisons, estime l’Académie. D’une part les actes chirurgicaux sont très divers incluant de la chirurgie plastique cherchant à remodeler les organes génitaux mais aussi d’autres parties du corps pour lui donner un aspect masculin ou féminin et des ablations d’organes génitaux (orchidectomie, ovariectomie, hystérectomie) qui ont pour conséquence une stérilisation, ces derniers n’étant pas toujours pratiqués dans les parcours chirurgicaux de transition. D’autre part un certain nombre de personnes sont traitées en dehors des centres régionaux précités ou à l’étranger, il est impossible d’en  apprécier le nombre. »

Entre 100 et 200 personnes par an

 Au final le groupe de travail n’a considéré que la situation des personnes transsexuelles sollicitant un traitement hormonal et/ou chirurgical susceptible de les stériliser. Leur nombre est probablement compris entre 100 et 200 chaque année en France.

Certaines d’entre elles  souhaitent parfois congeler leurs gamètes avant leur « transition » et ce dans le but de pouvoir préserver leur fertilité. Cette mesure d’autoconservation peut être mise en œuvre en stricte application de la loi en cas d’orchidectomie, d’ovariectomie ou d’hystérectomie. Les dispositions législatives en vigueur permettent en effet une telle possibilité aux personnes devant subir de telles interventions programmées (le plus souvent dans le cadre de traitements anticancéreux).

Interdit par la loi

Mais il faut savoir que les traitements hormonaux utilisés dans les procédures de « transition »  n’altèrent pas la fonction gonadique « de manière irréversible ». Dès lors les capacités de procréation des personnes transsexuelles peuvent être maintenues si on évite de procéder à une stérilisation chirurgicale. Entendre ici que la personne qui change de sexe par la seule voie hormonale (sans intervention chirurgicale stérilisatrice) n’est pas concernée par l’autoconservation de ses cellules sexuelles.

Un autre problème, majeur, se pose : l’utilisation des cellules sexuelles qui seraient ainsi conservées ne serait « en principe » envisageable que par un couple homosexuel. Or la loi française interdit formellement cette possibilité comme viennent de le rappeler à l’envi les controverses récentes sur les projets gouvernementaux autour de la « PMA ».

Dilemmes de genre

« Indépendamment de cet aspect légal  les enjeux et les conséquences de cette utilisation ne devraient pas être ignorés, souligne l’Académie. Les personnes transsexuelles qui sont déjà parents peuvent trouver des aménagements pour que la conversion de l’identité parentale accompagne la conversion de l’identité de la personne. En revanche l’utilisation de gamètes conservés préalablement au changement de sexe reflèterait une incohérence identitaire dont les conséquences sont difficiles à évaluer, notamment pour l’enfant. »

Traduire : comment un homme ayant eu des enfants et devenu femme pourrait-il sans difficultés continuer à procréer à partir de ses spermatozoïdes conservés par congélation préalablement à sa « transition » ?

Embarras académique

Conclusion, sinon jésuite du moins bien embarrassée de l’Académie de médecine : « La conservation éventuelle de gamètes ou de tissus germinaux ne peut être entreprisesans considérer leur utilisation potentielle en fonction des possibilités médicales et légales existantes. »

Et encore : « Dans tous les cas, c’est au médecin d’en assurer ou non la mise en œuvre au cas par cas en fonction des situations des personnes qui le sollicitent et de leurs projets parentaux potentiels. »

Qu’en fera  le  Défenseur des droits ? Qu’en feront les médecins ?

A demain

(1)     Ce groupe a réuni Claudine Bergoignan-Esper, Roger Henrion, Marie-Thérèse Hermange, Pierre Jouannet et Guy Nicolas (membres de l’Académie) ainsi que Catherine Brémont-Weill  Jean-François Guérin, Pierre Lamothe et  Marc Revol (experts extérieurs). Le rapporteur en a été Pierre Jouannet.

Tabac et E-cigarette : la HAS est à l’ouest

Bonjour

Euphémisme – AFP : la Haute Autorité de Santé (HAS) « ne déconseille pas l’utilisation de la e-cigarette ». Il est question de  sevrage tabagique et de recommandation. Autre traduction (Le Figaro) : « l’e-cigarette tolérée ». Attention, la HAS s’adresse ici non pas aux fumeurs mais aux médecins prescripteurs. Elle leur dit de « tolérer » (de « ne pas déconseiller  ») un objet en vente libre acheté par plus d’un million de personnes en France. Un objet permettant d’inhaler de la vapeur nicotinée – un objet auquel ne font d’ailleurs plus barrage un nombre croissant de médecins éclairés.

Pinçage et sevrage

Pour un peu, face à de telles recommandations et au vu de l’ampleur du sujet, on se pincerait. Comme on ne peut que se pincer en découvrant l’immobilisme absolu de la HAS sur les conditions de prise en charge du sevrage.  Tout est là.

Pour celles et ceux qui l’ignoreraient (qui l’auraient oublié) la Haute Autorité de Santé est une structure d’importance dans la machinerie sanitaire nationale. Elle s’est dotée d’une noble devise « Contribuer à la régulation par la qualité et l’efficience ».C’est une « autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale ». Elle évalue (d’un point de vue médical et économique) « les produits, actes, prestation et technologies de santé en vue de leur admission au remboursement ». C’est dire, en amont du politique et de l’Assurance maladie, le poids de cet organisme. Une institition que certains continue à percevoir comme une usine à gaz

Dix ans déjà.

Cette usine fêtera ses dix ans en août prochain. Son budget de fonctionnement dépasse les 60 M€, elle emploie plus de 400 agents  et a recours à l’expertise de myriades d’experts. Ce qui l’a conduit à traiter avec le plus grand soin les questions de  déontologie et de gestion des conflits d’intérêt.

Arrêter de fumer ? La HAS recommande aux médecins de prescrire les substituts nicotiniques classiques actuellement sur le marché (patchs, gommes à mâcher, pastilles, spray buccal)  et qui ne sont pas remboursés par la sécurité sociale. Prescrire ces traitements substitutifs médicamenteux et ne pas laisser  au patient la liberté d’user de l’e-cigarette.

Impossible actuellement

Pourquoi ?  La HAS répond clairement : « en raison de l’insuffisance de données sur la preuve de leur efficacité et de leur innocuité, il n’est pas actuellement possible de recommander les cigarettes électroniques dans le sevrage tabagique ou la réduction du tabagisme».

Mais rien n’est simple avec l’addiction-inhalation. Les médecins doivent savoir qu’ils ne doivent « pas déconseiller »  l’usage de la e-cigarette  chez un fumeur refusant les substituts nicotiniques classiques. Pourquoi ?  La HAS répond clairement : parce que  « les cigarettes électroniques sont supposées être moins dangereuses que le tabac ». On appréciera ici la dentelle précautionneuse. Cette e-cig, si e-cig il doit y avoir, « doit s’inscrire dans une stratégie d’arrêt ou de réduction du tabac avec accompagnement psychologique».

Raison garder

« L’avis de la HAS était très attendu alors que la cigarette électronique est devenue un véritable phénomène de société puisque près d’un Français sur cinq affirme l’avoir déjà testée, selon un récent sondage IPSOS » observe l’AFP.  Qui ajoute qu’elle échappe à la fois à la réglementation sur les médicaments et aux contrôles applicables

Pour la HAS il faut savoir raison garder : les médecins doivent selon elle se borner aux traitements nicotiniques de substitution en première intention. Mieux : les combiner en associant un timbre transdermique et des gommes à mâcher. Pour le plaisir et la curiosité on verra ici ce que doit faire  un médecin recevant un fumeur exprimant le souhait de sortir de son esclavage goudronné et nicotiné : « recommandation de bonne pratique- parcours du combattant ».

Un quinquennat et demi

Mais les recommandations de la HAS ne s’adressent pas qu’aux troupes de première ligne. Certaines sont à destination de l’Etat Major. Au gouvernement il est ainsi suggéré de prendre les mesures qui s’imposent pour aller progressivement vers « la  couverture totale de la prise en charge de l’arrêt du tabagisme pour tous les fumeurs ». On lira ici ce que qu’écrivait, sur le même sujet, la HAS en janvier 2007.

Sept ans et un quinquennat et demi plus tard rien n’a changé : un assuré social qui veut cesser de fumer doit payer sa tentative de levée d’écrou. Même s’il souffre d’un cancer dû au tabac (1).

La HAS suggère encore au gouvernement de prévoir que « tous les professionnels de santé et notamment les médecins généralistes soient formés ». Suggère, enfin, « de mettre en place des études sur l’innocuité et l’efficacité dans le cadre du sevrage tabagique des cigarettes électroniques et des nouvelles formes de tabac ou de nicotine qui pourraient apparaître sur le marché ».

Chef des armées

Où l’on voit par là qu’il manque encore quelques boutons de guêtre avant la prochaine offensive annoncée de Big Tobacco contre la Révolutions des Volutes – tandis que la division de l’INPES annonce le lancement d’un dirigeable d’observation. Sans oublier le récent cri d’alarme lancé sur RTL par le soldat Apathie découvrant dans Le Parisien les fissures du Quartier Général. On attend désormais le discours sur le cancer du chef des armées. Ce sera le 4 février. En fin de matinée. A la Maison de la Mutualité. Chaque année près de 80 000 morts prématurées.

A demain.

(1) Soyons précis :

L’Assurance Maladie vous accompagne dans l’arrêt du tabac. Elle prend en charge, sur prescription médicale établie par un médecin ou une sage-femme, les traitements par substituts nicotiniques (patch, gomme, pastille, inhalateur… ) à hauteur de 50 € par année civile et par bénéficiaire. Pour les femmes enceintes, ce montant est porté à 150 € à compter du 1erseptembre 2011.

Quelles sont les conditions ?

Pour bénéficier de cette prise en charge, les substituts nicotiniques doivent figurer sur la liste des substituts nicotiniques remboursables par l’Assurance Maladie (voir la liste disponible ci-dessous en téléchargement).
Ils doivent être prescrits par un médecin ou une sage-femme sur une ordonnance consacrée exclusivement à ces produits ; aucun autre traitement ne doit figurer sur cette ordonnance.

En pratique

Votre pharmacien vous délivrera les substituts nicotiniques (patch, gomme, pastille, inhalateur…) qui vous ont été prescrits. Vous devrez les lui régler directement, la dispense d’avance des frais (tiers-payant) n’étant pas prévue dans le cadre de ce dispositif.
À noter que vous n’êtes pas obligé d’acheter en une seule fois le traitement qui vous a été prescrit ; vous pouvez échelonner vos achats.

Pour que vous soyez remboursé, votre pharmacien :

  • transmet directement, via votre carte Vitale, une feuille de soins électronique à votre caisse d’Assurance Maladie,
  • ou, à défaut, vous délivre une feuille de soins papier que vous enverrez vous-même à votre caisse d’Assurance Maladie.

À noter que les substituts nicotiniques peuvent éventuellement être pris en charge par votre mutuelle ou votre assurance complémentaire santé, si le contrat que vous avez souscrit le prévoit. Renseignez-vous auprès d’elle.

Vitamine D : qui va oser dérembourser ?

Son seul dosage sanguin coûte cent millions d’euros annuels à la collectivité. Les prescriptions explosent. Pour l’essentiel chez les généralistes.

L’assurance maladie interroge la HAS qui établit que cette pratique est quasi-inutile. Et maintenant ?  

Sans aucun intérêt médical démontré. Le couperet de la Haute Autorité de Santé (HAS) est tombé : le dosage sanguin de la vitamine D n’a pratiquement pas lieu d’être. Or c’est précisément une pratique qui connaît un engouement considérable  en France : environ six millions de ces dosages ont été réalisés en 2011. Les prescriptions (jamais motivées ou presque) ont augmenté de 250% entre 2007 et 2009.

Elles ont, depuis, été multipliée par dix. Pour atteindre un montant remboursable annuel  compris entre 50 et 60 millions d’euros. Au total le montant facturé par les laboratoires d’analyses biologiques atteignait dépassait les 92 millions d’euros en 2011 (1). Et on ne parle pas des ventes de vitamines associées à ces dosages. Pourquoi une telle passion ?

Les généralistes loin devant les rhumatologues

Ces dosages sont demandés trois fois sur quatre par des médecins généralistes, une fois sur dix en milieu hospitalier et une fois sur vingt par des rhumatologues. Huit fois sur dix ce dosage est effectué chez une femme. Et près de la moitié de la totalité des dosages concernent des femmes âgées de 50 à 79 ans.  C’est sur la base de ce constat que la caisse nationale d’assurance maladie a demandé en janvier dernier à la HAS de réaliser au plus vite un tour d’horizon de la littérature internationale scientifique et médicale sur ce sujet.

Rappels

On ne redira pas ici que la vitamine D est une molécule naturellement synthétisée à partir du cholestérol et qui joue de multiples rôles biologiques. Qu’en absorbant le calcium et le phosphate elle est notamment indispensable à une formation osseuse et dentaire saine chez l’être humain. Que notre organisme en assure la synthèse à partir du cholestérol – notamment  sous l’action des rayonnements ultraviolets de la lumière qui permettent de fournir environ 90% de nos besoins. On rappellera néanmoins que contrairement à diverses allégations commerciales  une alimentation saine et équilibrée est suffisante pour apporter les compléments (notamment via les œufs et les poissons gras, tels que saumon, sardines, maquereau, etc.). La question de la nécessité de ses apports est très controversée.

Suspicions

Faut-il redire que l’on parle de carence en vitamine D lorsque le corps n’en a pas assez pour absorber correctement les quantités nécessaires de calcium et de phosphore ? Que cette carence peut conduire à une raréfaction de la trame des os du squelette qui caractérise l’ostéoporose. Et nous savons tous que cette carence peut conduire, chez l’enfant, au rachitisme ou, chez l’adulte, à l’ostéomalacie.

Le plus important est ailleurs : ces mêmes carences sont suspectées d’exposer à des risques accrus vis-à-vis d’un certain nombre de maladies chroniques (affections cardiovasculaires, certaines maladies cancéreuses, diabète). Forte production bibliographique ces dernières années qui explique sans doute l’explosion des prescriptions de dosage. Pour autant il ne s’agit que de suspicions, nullement de preuves. C’est du moins ce que viennent d’établir les experts réunis sou l’égide de la HAS.

Travail remarquable

La saisine de la HAS  par l’assurance maladie s’inscrivait explicitement dans une démarche de maîtrise des dépenses de biologie médicale. L’assurance maladie s’inquiétait (avec un retard certain sur lequel elle ne s’explique pas) de l’engouement rapidement croissant des médecins pour ce dosage.

On critique souvent la HAS, cette usine à gaz du paysage administratif et sanitaire français. Force est aujourd’hui de reconnaître le remarquable travail d’analyse bibliographique  et les conclusions sans (trop d’) ambiguïtés de la copie qui vient d’être rendue publique. Cette institution confirme celles faites par les spécialistes hospitalo-universitaires français qui traitent de cette question dans le  numéro  d’octobre) de La Revue du Praticien qui consacre un dossier (également remarquable) à la « vitaminothérapie » – dossier dirigé par le Pr Jean-Claude Guilland (CHU de Dijon). C’est le Pr Guilland qui parvient à la facturation de 92 millions d’euros, soit très loin devant les dosages de toutes les autres vitamines. (1)

Inutilité

Selon la HAS l’inutilité du dosage de la vitamine D est totale dans l’immense majorité des situations cliniques où ce dosage est demandé à un laboratoire d’analyses médicales : chute, bilan des performances physiques ou cognitives, cancer colorectal, cancer du sein, cancer de la prostate, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires, allergie, maladies auto-immunes, diabète de type II, maladie rénale chronique, grossesse, maladies infectieuses, profil lipidique, mucoviscidose.

Les experts réunis sous l’égide de la HAS ne retiennent qu’une seule et unique étude menée auprès de personnes à risque de fracture osseuse qui suggérait éventuellement un intérêt de ce dosage chez les personnes âgées. Mais cette étude n’est pas jugée suffisamment solide pour que la HAS puisse recommander le dosage systématique dans une telle situation.

 Un seul bénéfice démontré

Citons le Pr Guilland dans La Revue du Praticien : « De nombreuses études épidémiologiques portant sur la vitamine D montrent une association inverse entre la concentration sérique de 25-(OH)D et divers troubles cliniques (ostéoporose, fractures, cancers, infections, maladies auto-immunes…) mais il n’est pas possible d’intégrer toutes ces données dans la pratique quotidienne. En effet les essais randomisés permettent de conclure qu’il existe un effet bénéfique de la vitamine D uniquement sur le risque de fracture et de chute pour des concentrations de l’ordre de 75 nmol/L ».

Dès lors chez qui faut-il raisonnablement doser la vitamine D dans le sang ? Pour la HAS uniquement chez les personnes pour lesquelles on peut suspecter l’existence de certaines maladies du squelette : rachitisme, ostéomalacie, personnes âgées faisant des chutes répétées. Ou encore chez les personnes greffées d’un rein ou opérée pour cause d’obésité. En toute hypothèse le respect de ces indications devrait considérablement réduire le volume actuel des prescriptions et les coûts qu’ils génèrent pour les assurés sociaux et ceux des assurances complémentaires santé.

La passion sérique des généralistes

Le sujet a été évoqué aujourd’hui même par Dominique Dupagne sur France Inter.  Sera-t-il repris et amplifié médiatiquement ? La n’est peut-être pas le plus important. Reste désormais la partie plus proprement comptable et politique de ce dossier. Qui de la direction de la Sécurité sociale ou de la ministre de la Santé prendra l’initiative de procéder au déremboursement de ce dosage biologique lorsqu’il est démontré qu’il est inutile ? Sans oublier la partie sociologique et/ou commerciale de ce même dossier : commente expliquer qu’en cinq ans on puisse assister à une telle explosion de demandes médicales que rien, médicalement, ne justifie ? Pourquoi cette passion des généralistes pour ces concentrations sériques ?

(1) 92 696 405 euros. Il s’agit ici du montant facturé par les laboratoires. Cette somme était de  9 318 584 euros en 2007. Ces données ne comprennent pas les actes réalisés dans les établissements publics de santé et dans les établissements publics de santé d’intérêt collectif que ce soit en hospitalisation ou en consultations externes. Il ne serait pas inintéressant de disposer des chiffres de l’évolution des ventes de vitamine D en France depuis 2007. Et de tenter d’établir un calcul global coûts/bénéfices.

 

Ce billet reprend et complète une chronique parue sur le site Slate.fr

 

 

 

 

Pendant la grossesse le café sera prohibé

Une toute récente étude de l’Inserm démontre que la caféine n’est pas anodine pour la progéniture des  souris gestantes. Il faudra y réfléchir.

Aujourd’hui une  femme enceinte sur quatre fume. Et les études de toxicité sont faites depuis bien longtemps. Personne ne semble s’en souvenir.

Voici le communiqué de presse qui résume une étude dont l’embargo vient de tomber. Elle est publiée dans  la revue Science Translational Medicine, datée du 7 août. « La caféine est la substance psychoactive la plus consommée au monde, y compris pendant la grossesse » rappelle le premier auteur Christophe Bernard, directeur de recherche Inserm (Institut de Neurosciences des Systèmes/Université Aix Marseille). Avec des chercheurs allemands, croates, portugais et français il  vient de décrire pour la première fois quelques-uns des effets néfastes de la consommation de café par des souris femelles gestantes sur les cerveaux de leur descendance.

Pourquoi inquiéter sans démontrer ?

On peut voir là un exemple des impasses auxquelles peut aboutir la recherche médicale actuelle. Une démonstration obtenue sur la souris a-t-elle une valeur dans l’espèce humaine ? Si oui comment le démontrer ? Si non pourquoi devrait-on inquiéter les futures mères et leur entourage ?

On connait le cadre général : les substances psycho-actives » se fixent sur des récepteurs les cellules cérébrales et modifient ainsi leur activité. Consommées pendant la grossesse ces substances psycho-actives modifient-elles  la construction du cerveau du fœtus ? On peut raisonnablement  le supposer : les molécules sur lesquelles elles se fixent jouent un rôle clé dans le développement cérébral. C’est précisément la raison pour laquelle la consommation de certaines de ces substances est aujourd’hui fortement déconseillée pendant la grossesse. Faut-il ajouter le café à la liste de ces substances ? Si oui comment le démontrer ?

Epilepsie, anomalies mnésiques

Les chercheurs de l’Inserm ont choisi de travailler sur la souris de laboratoire. Ils ont reproduit chez des femelles gestantes (la gestation dure une vingtaine de jour chez ces mammifères)  une consommation de café régulière équivalente de 2-3 cafés par jour chez la femme. En pratique ils ont ajouté de la caféine à l’eau de boisson des rongeurs et ce depuis la fécondation jusqu’au sevrage. « Les bébés souris étaient beaucoup plus sensibles aux crises d’épilepsie et, une fois devenues adultes, nous avons observé qu’elles présentaient d’importants problèmes de mémoire spatiale, c’est-à-dire des difficultés à se repérer dans leur environnement » commente Christophe Bernard.

Passons sur la démonstration qui fait référence  au neuromédiateur GABA. Et notons que le service de presse de l’Inserm propose aux médias une vidéo sur la migration de neurones caféinés qui ne manquera pas de faire un certain effet. « Ces cellules arrivent plus tard que prévu à l’endroit où elles étaient destinées à s’établir, expliquent les chercheurs à la presse. Ce retard de migration va se répercuter tout au long du développement et entrainer des effets néfastes sur le cerveau des souris à la naissance (excitabilité cellulaire et sensibilité aux crises d’épilepsie) et à l’âge adulte (perte de neurones et problèmes de mémoire). »

De la souris à la femme

« L’ensemble de ces données devrait permettre aux cliniciens d’affiner les recommandations élaborées à l’intention des femmes enceintes » estime Christophe Bernard. Dans le même temps ce chercheurs se garde d’aller trop loin : « Ces résultats  posent la question de la consommation de café chez la femme enceinte mais il est nécessaire de rappeler la difficulté, liée à l’utilisation de modèles animaux, d’extrapoler ces résultats à la population humaine sans prendre en compte les différences de développement et de maturation entre les espèces ».

Anticipant ces résultats les recommandations officielles le Programme national nutrition santé (PNNS) français recommande aux femmes enceintes de « modérer la caféine » et de ne pas dépasser « trois tasses de café par jour ». Faut-il passer à deux ? à une ? La puissance publique devrait-elle (si elle le pouvait) interdire ?

Une femme enceinte sur quatre fume

Aujourd’hui les chiffres officiels établissent qu’en France une femme enceinte sur quatre fume du tabac (document HAS de mars 2012, page 8). La toxicité de ce dernier ne fait ici aucun doute : fausses couches, morts fœtales in utero, complications placentaires, prématurité et retard de croissance intra-utérin, diminution de la fertilité et augmentation des risques de grossesses extra-utérines.

La puissance publique  peut calculer les coûts sinon toujours les souffrances du tabagisme des femmes gestantes. Sans doute ces calculs sont-ils déjà faits. Et voici que l’on déploie des trésors d’ingéniosité pour évaluer la toxicité de la caféine dans l’espèce murine.  Qui, aujourd’hui, est chargé de hiérarchiser ?

 

 

Trébuchante et sonnante, voici l’affaire Piascledine® 300

Qui a le pouvoir en matière de médicament et de remboursement ? La décision du Conseil d’Etat concernant un extrait d’avocat-soja est  un cas : les magistrats annulent en référé le déremboursement ordonné par un arrêté de la Santé. Pourquoi ?

C’est une affaire d’articulations et de dentition, de rhumatologue et de chirurgien dentiste. Arthrose (de la hanche et du genou) et parodontopathies. Traitement « symptomatique à effet différé » d’un côté ; « d’appoint » de l’autre.

On parle ici du seul extrait total d’insaponifiable  avocat-soja de la pharmacopée française. Ses excipients  Silice (E551),  Butylhydroxytoluène (E321),  Enveloppe de la gélule : Gélatine,  Polysorbate 80 (E433),  Titane dioxyde (E171),  Erythrosine (E127),  Fer oxyde (E172).

Egalité de traitement ?

Il est non soumis à prescription médicale. Son prix de vente conseillé est de 7,69 euros la boîte. Gélules 300 mg, en étui de quinze. Une gélule par jour pendant le déjeuner avec un grand verre d’eau fraîche.  Piascledine®, bien sûr. Produit phare des laboratoires  Expanscience qui fêtent cette année leur soixante-trois ans. 

Piascledine® remboursée à 15%. Du moins était remboursée jusqu’à l’arrêté ministériel du 31 mai qui prévoyait le déremboursement de Piascledine ® 300 mg à compter du 15 juillet 2013. Or dans une ordonnance  du 11 juillet 2013, le Conseil d’Etat a ordonné en référé la suspension de cet arrêté ministériel (1).

Les célèbres AASAL

« Le Conseil d’Etat a en effet estimé qu’en ne déremboursant qu’une partie de la classe des anti-arthrosiques symptomatiques d’action lente (les AASAL), l’arrêté ministériel du 31 mai 2013 pourrait avoir rompu l’égalité de traitement entre les industriels de cette classe » précise-t-on auprès du fabricant. On appréciera l’élégance conditionnelle.

Guérir l’arthrose lentement peut-être, mais la guérir ? On trouvera ici ce qu’en pense la société savante de rhumatologie. Et ici l’avis documenté (favorable au remboursement) de la HAS à propos de l’un d’entre eux, également des laboratoires Expanscience. Ceclui-ci est à base de glucosamine.

 Que les officinaux continuent à dispenser

« Du fait de la suspension les grossistes et les officinaux peuvent continuer de s’approvisionner en Piascledine®, vient de faire savoir le fabricant à la presse ; les officinaux [entendre les pharmaciens d’officine] peuvent continuer à dispenser normalement les boîtes vignettées qui restent prises en charge.  Cette suspension prend effet dès le 11 juillet. »

Mais encore ? Cette mesure cessera à la date de l’arrêt à intervenir par lequel le Conseil d’Etat se prononcera sur le recours formé par les Laboratoires Expanscience à l’encontre de l’arrêté ministériel du 31 mai. Ou encore  à la date à laquelle les ministres auront tiré les conséquences de la réévaluation – à intervenir prochainement – par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé des AASAL à base de glucosamine. C’est là une molécule pour le moins originale qui alimente un marché mondial (pharmaceutique et alimentaire) qui est loin d’être négligeable.

(A suivre)

(1) On lira ici le texte de l’ordonnance du Conseil d’Etat. C’est une lecture à bien des égards délicieuse qui témoigne du fait que la France est un pays infiniment riche de son droit, de ses traditions et de sa langue.

PS : L’auteur de ce billet n’a aucun lien ou conflit d’intérêt avec les marques et les sociétés citées. Il a été amené par le passé à suivre (sur prescription) une ou ceux cure d’extrait total d’insaponifiable  avocat-soja pour des raisons qui n’étaient pas de nature arthrosique.

 

Cancer de la prostate : les coulisses de l’affaire Jevtana®, 5000 euros par mois

Cette fois c’est France Info qui fait monter la température. Rembourser ou pas ? Un cas de figure sans précédent en France. Une décision politique et éthique va être prise sous l’œil médiatique. Avec la question du prix à payer via la solidarité pour un médicament comparé à la survie attendue grâce à ce même médicament. Et  en cascade les multiples et passionantes questions qui en découlent.  

L’affaire a commencé aujourd’hui avant l’aube. Sur France Info (Bruno Rougier). En ces termes repris (comme c’est la règle) sur cette station :

« Les personnes atteintes d’un cancer de la prostate sont écœurées. Depuis des mois elles attendent en vain qu’un médicament soit pris en charge en France mais rien ne vient de la part des autorités de santé. Le Jevtana permet de prolonger de plusieurs mois la vie d’une personne quand son cancer est devenu résistant aux traitements habituels.

En octobre dernier, la Haute autorité de santé reconnaissait que le Jevtana était efficace pour la chimiothérapie de quelque 2.700 malades atteints d’un cancer de la prostate. Depuis, ils attendent en vain que ce traitement soit remboursé. C’est le cas d’Olivier : « Je ne sais pas si ce produit me guérira mais il prolongera ma vie de plusieurs mois voire de plusieurs années. Je me sens abandonné.« 

Les associations de malades sont d’autant plus remontées qu’une vingtaine de pays européens remboursent le Jevtana. A 5.000 euros le mois de traitement, c’est un poids en moins pour les patients.

Roland Muntz, président de l’Anamacap, une association de malades, parle d’une discrimination « car certains établissements hospitaliers ont les fonds nécessaires pour rembourser ces médicaments sur leurs budgets de recherche. Mais c’est surtout une discrimination sociale » parce que certains peuvent se payer le traitement et d’autres n’en n’ont pas les moyens.

Contacté par France Info, le ministère de la Santé assure qu’une décision sera prise « dans les jours qui viennent« .

Une première salve avait été tirée il y a un mois dans les colonnes du Parisien/Aujourd’hui en France

Les éléments du dossier.

I Voici la position de la Haute Autorité de Santé, datée du 17 octobre 2012.

On la trouvera ici, sous une autre forme, plus détaillée.

C’est là un document important à plusieurs titres

Le Jevtana® (cabazitaxel) n’est pas le seul médicament concerné. Il faut ici compter avec le Zytiga® (abiratérone). Ces deux spécialités ont une AMM « dans le traitement du cancer métastatique de la prostate résistant à la castration, chez les hommes dont la maladie a progressé pendant ou après une chimiothérapie à base de docétaxel ».

En termes d’efficacité sur la survie globale, Jevtana® a montré « un allongement de 2,4 mois versus mitoxantrone et Zytiga® de 3,9 mois versus placebo ». Le choix entre Jevtana® et Zytiga® « se fera selon le terrain du malade » lorsque l’état de ce dernier le permet.

 

Pour la HAS le service médical rendu (a) par Jevtana® et par Zytiga® est « important ». Jevtana® apporte une amélioration du service médical rendu (b) modérée (ASMR III) et constitue une alternative à Zytiga®. Quant à Zytiga® il apporte une amélioration du service médical rendu  modérée (ASMR III) en termes d’efficacité et de tolérance.

Au final : « Avis favorable au remboursement en ville pour Zytiga® et à la prise en charge à l’hôpital pour les deux médicaments. » Et la Commission de la transparence de la HAS de prendre soin d’ajouter que « l’apport thérapeutique de Zytiga® et Jevtana® dans la prise en charge du cancer de la prostate métastatique est du même ordre et l’un ou l’autre peut être utilisé en fonction du terrain ».

a « Le service médical rendu par un médicament (SMR) correspond à son intérêt clinique en fonction notamment de ses performances cliniques et de la gravité de la maladie traitée. La Commission de transparence de la HAS évalue cet intérêt clinique, qui peut être important, modéré, faible, ou insuffisant pour que le médicament soit pris en charge par la collectivité. »

b « L’amélioration du service médical rendu (ASMR) correspond au progrès thérapeutique apporté par un médicament. La commission de transparence de la HAS évalue le niveau d’ASMR, cotée de I, majeure, à IV, mineure. Une ASMR de niveau V (équivalent de « pas d’ASMR ») signifie « absence de progrès thérapeutique».

 II L’action de l’association des malades d’un cancer de la prostate.

On trouvera ici le site de l’Anamacap.  Association Nationale des Malades du Cancer de la Prostate  Tél. : 05 56 65 13 25 | Fax. : 05 56 65 14 25 E-mail : info@anamacap.fr

Cette association très active est dotée d’un conseil scientifique où siègent plusieurs spécialistes hospitalo-universitaires de renom. De très nombreux spécialistes ont d’autre part signé une lettre adressée à Marisol Touraine, ministre de la Santé  par le président de cette association. Cette lettre est datée du 22 mai. En voici le texte :

« Objet : Appel à Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé : les milliers de patients atteints d’un cancer de la prostate avancé attendent votre décision.

 Madame la Ministre,

Cette année en France, 9 000 hommes décèderont d’un cancer de la prostate. Un homme sur six sera touché par cette maladie au cours de sa vie.  En dix ans, la découverte de traitements innovants a permis aux patients atteints d’un cancer  de la prostate métastatique de gagner plus de quatre ans d’espérance de vie. Le Jevtana  (cabazitaxel) fait partie de ces traitements. Il représente l’espoir de vivre plus longtemps pour des milliers de patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique et dont la maladie a  continué de progresser rapidement sous chimiothérapie. C’est la raison pour laquelle la  Haute Autorité de Santé a pleinement reconnu son apport thérapeutique dans son avis du 17  octobre 2012.

 Pourtant, l’autorité que vous représentez, Madame la Ministre, n’a toujours pas décidé  d’inscrire Jevtana sur la liste des médicaments hospitaliers pris en charge directement par  l’assurance maladie. Cette absence de décision a une conséquence très concrète : les  patients qui devraient bénéficier de ce traitement n’y ont aujourd’hui pas accès.

Comment accepter cette situation qui représente une véritable perte de chance pour les  patients ? Comment l’accepter quand près de vingt pays européens, dont l’Espagne,  l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Grèce ou Chypre ont, eux, déjà fait le choix de  prendre en charge ce traitement ?

 La France a longtemps été reconnue pour son engagement à mettre au plus tôt les  médicaments innovants à la disposition des patients. Nous craignons que les aspects  budgétaires passent désormais avant l’intérêt médical dans la décision d’inscrire ou non une  innovation thérapeutique telle que le Jevtana, à la liste des traitements pris en charge par la  solidarité nationale.

 L’objectif de réduire les déficits publics ne saurait, à nos yeux, justifier la mise à l’écart d’un  traitement qui peut prolonger la vie de plusieurs milliers de personnes chaque année. Plus  largement, il ne saurait excuser une entorse aux principes fondateurs de notre politique de  santé en France : l’excellence médicale et l’égalité d’accès au soin. Le Président de la  République n’a-t-il pas déclaré lui-même, le 4 décembre dernier, vouloir consacrer le  prochain plan cancer 2014-2018 à la « lutte contre les inégalités » face à la maladie ?

 Par la présente, nous – patients, famille de patients, médecins, citoyens –, vous appelons solennellement, Madame la Ministre, à autoriser la prise en charge de ce traitement contre le  cancer et ainsi mettre fin à cette situation injuste et alarmante.  Il y a urgence : chaque jour qui passe dans l’attente de votre décision est un jour perdu  pour les patients (…) »

 III Informations complémentaires

Jevtana® est une spécialité de la multinationale pharmaceutique française Sanofi Aventis. La molécule est utilisée en France dans le cadre d’une « autorisation temporaire » depuis deux ans par l’Agence nationale de sécurité des médicaments (Ansm).   Elle y fait aussi l’objet, depuis un mois, d’une procédure de surveillance renforcée.

Zytiga®  est une spécialité de la multinationale pharmaceutique américaine  Janssen Biotech  qui en France bénéficie de « la quatrième meilleure image auprès des patients »La même procédure de surveillance renforcée a été mise en place depuis un mois.

En juin 2011 l’Ansm (à l’époque l’Afssaps) indiquait  que le Zytiga® était disponible en France depuis décembre 2010 dans le cadre d’autorisations temporaires nominatives et que « plus de 1000 patients avaient  déjà pu bénéficier de ce traitement ». Elle ajoutait Le développement de ce médicament se poursuit dans le traitement du cancer de la prostate et une demande d’AMM a été déposée auprès de l’Agence européenne des médicaments (EMA).

 IV Une décision politique désormais attendue sous l’œil médiatique. L’initiative de l’Anamacap relayée par France Info est sans précédent. Elle soulève notamment toutes celles, jamais exposées, qui concernent la fixation du prix du médicament (notamment en cancérologie). Qui payait jusqu’à présent ? Et à quelle hauteur ? Pourquoi « 5000 euros par mois » ? Et pourquoi une seule des deux molécules concernées ?

Cette affaire naissante soulève aussi  les multiples question des mécaniques de lobbying concernant le remboursement. Des mécaniques qui sont au cœur même de célèbres affaires politiques et judiciaires aujourd’hui en cours d’instruction.

De ce point de vue l’affaire Jevtana®,  qui ne fait que commencer, pourrait marquer le début d’une nouvelle époque où plus de transparence conduira, peut-être, à plus d’équité. Aujourd’hui comme hier rien ni personne n’ interdit d’espérer pour entreprendre. Ni de réussir pour persévérer.

 

Epilogue provisoire:  vendredi 31 mai Marisol Touraine, ministre de la Santé, a annoncé sur France Info le remboursement du Jevtana®,  « C’est un médicament qui permet à certains malades qui sont devenus résistants aux autres traitements qui existent d’être soignés et soulagés à la fin de leur vie puisque le cancer dont ils souffrent n’est malheureusement pas guérissable, a déclaré Marisol Touraine. Ce n’est donc pas un nouveau remède miracle, ça n’est pas un remède qui permet de guérir cette maladie. »

 

 

 

 

 

 

Hypertension artérielle et dépassements d’honoraires : l’heure des comptes

Pour la première fois la HAS associe les traitements et leurs coûts. On apprend d’autre part le lancement de la  première offensive indépendante sur  « ce qui reste à la charge du patient ». La crise gagne, les nuages s’amoncellent, le tonnerre gronde. Et les incohérences de fond, une fois de plus, réapparaissent.

Pas de hasard ici. Et encore moins de fatalité. Simplement la vieille règle selon laquelle les mêmes causes produisent les mêmes effets. Même en économie. Rien ne se crée, rien ne se perd ; tout se transforme. La France n’a pas voulu rationaliser son merveilleux système de soins et de couverture sociale quand il en était encore temps –vers la fin des Trente Glorieuses. Elle le fera donc dans la douleur et nous savons tous qu’elle n’a plus de  valeur rédemptrice ; si elle en a eu un jour –ce dont le Vatican, déjà, ne se souvient plus

Les symptômes convergent.

Aujourd’hui lundi 27 mai 2013 nous en avons recensé deux, et  de belle taille. Le premier est apparu au nord de Paris, à l’ombre de la basilique de Saint-Denis, au siège de la Haute Autorité de Santé. Il s’agit d’une première, une forme de mariage qui hier aurait été tenu pour contre nature ; la publication des bans de l’association entre les thérapeutiques anti-hypertensives et les données médicales économiques qui leur sont attachées. On trouvera l’essentiel de la cérémonie ici. L’hypertension artérielle : deux  millions de nouveaux cas par an en France, quatorze  millions de personnes atteintes, plus de deux milliards par an de dépenses (en repli de 150 millions l’an dernier, grâce à l’apparition de génériques. (Quotidien du Médecin de ce jour dixit).

A priori l’affaire aurait dû passionner la presse d’information générale, parfois curieuse des coulisses marchande des pratiques médicales. On se trompait. Seul Le Figaro (Damien Mascret) s’y est intéressé comme on peut le voir ici. La HAS travaillait, sans surprise, à la demande du ministère de la Santé. Cité par Le Figaro le Pr Jean-Luc Harousseau, président du collège de la HAS, a posé clairement la nouvelle règle du jeu: «La question n’est plus seulement de savoir quel est le traitement efficace mais quel est le traitement le plus efficient.» Efficient ? Un outil pour économiste qui traduit le rapport entre le gain d’efficacité apporté par un traitement et la différence de coût de prise en charge. «L’ana­lyse de l’efficience, ajoute le Pr Lise Rochaix, économiste de la santé et membre du collège de la HAS, intègre deux dimensions: des aspects de coûts et les résultats cliniques sur la morbidité et la tolérance.»

Qui fixe donc le prix des médicaments ?

Des mots précieux pour dire des choses simples : la HAS ne veut plus se contenter de situer la place optimale d’un médicament dans la stratégie thérapeutique sans se préoccuper du coût. Efficience n’est jamais loin de résilience qui évoque elle-même des moments généralement durs à vivre. Ce sera le cas pour la famille des bêtabloquants. Le collège de la HAS « conclut à la non-efficience des bêtabloquants en l’absence de complications cardiovasculaires ». Idem pour la famille, jeune encore des « antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II».

Au petit jeu de l’efficience le couperet tombe vite: « la HAS estime que l’écart de prix constaté en juillet 2012 entre cette classe et les autres classes d’antihypertenseurs n’est pas justifié, même si les ARAII  apportent un bénéfice clinique en termes de tolérance et de persistance ».  Trop chers pour ce qu’ils apportent en plus. Ce sont des breaks Volvo 240, des Citroën traction avant 16 CV.  Cette analyse coût-bénéfice pourra être réévaluée si le prix des ARAII baisse, en particulier grâce à l’arrivée des génériques pour la majorité d’entre eux.

On en viendrait presque à se demander qui fixe les prix des médicaments.

Qui décide donc des implantations médicales  ?

L’information vient du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) qui annonce aujourd’hui même  la création de « l’Observatoire citoyen des restes à charge en santé ». L’objectif de cet observatoire « indépendant des pouvoirs publics » est ni plus ni moins de mettre sous surveillance l’évolution des dépenses de soins non remboursées par la Sécurité sociale (dépassements d’honoraires, franchises, forfaits…).

Ce premier panorama distingue aussi des « zones noires » (où il est quasiment impossible de trouver un médecin libéral en secteur II dans certaines spécialités. En ligne de mire les dépassements d’honoraires, un des postes les plus importants de « reste à charge ». Et une première annonce : les dépassements des spécialistes de secteur II ont augmenté de 9 % entre 2010 et 2012, pour atteindre 2,1 milliards d’euros. Cet Observatoire livre des moyennes dans chaque département en chirurgie, gynécologie-obstétrique, ophtalmologie et ORL, spécialités a priori les plus concernées par ces dépassements. « Des surcoûts de 15 à 20 euros par acte (consultation, acte technique…) sont courants, cite Le Monde. Mais les tarifs se font ici ou là plus conséquents : 30 euros en Corrèze chez les gynécologues, 32 euros dans le Rhône chez les ophtalmos, et à Paris, 65 euros pour les gynécologues et 137 euros chez les chirurgiens.

Qui fixe donc le prix des consultations médicales ?

Détail : l’Observatoire  dispose des statistiques de l’Institut des données de santé (IDS) dont le CISS est membre. Selon les données extraites de l’IDS, un patient devra débourser, pour chaque acte, en moyenne 15,90 euros au-dessus du tarif Sécu pour consulter un médecin spécialiste, toutes disciplines et secteurs confondus. Ce tarif oscille de 8,20 euros en Moselle à 37,70 euros à Paris. « C’est la première fois que des données de santé hébergées par l’Institut des données de santé ne vont pas être réservées à quelques happy few, commente pour sa part dans Le Quotidien du Médecin Frédérick Cosnard, directeur médical de Santéclair, associé à la création de cet observatoire citoyen.

La CSMF perçoit en ce dernier  un « tribunal inquisitorial » et dit n’être « pas dupe des liens d’intérêts évidents qui conduisent des complémentaires santé comme Santéclair à s’unir au CISS pour bénéficier des données de santé de l’assurance-maladie auxquelles cette association a accès ». La FMF regrette pour sa part une campagne « démagogique et nauséabonde ». On en viendrait presque à se demander qui fixe le prix des consultations médicales.

Cinq millions d’euros supplémentaires pour la démocratie sanitaire

« Marisol Touraine récolte ce qu’elle a semé avec la médiatisation des dépassements d’honoraires », estime son président, le Dr Jean-Paul Hamon. Marisol Touraine, précisément. Elle fait annoncer aujourd’hui qu’elle  affecte cinq millions d’euros supplémentaires à la démocratie sanitaire en 2013. L’arrêté fixant le montant des crédits attribués aux agences régionales de santé au titre du fonds d’intervention régional (FIR) pour l’année 2013 sera publié dans les prochains jours. Dans ce cadre la ministre a décidé d’accorder « cinq millions d’euros supplémentaires à des actions de démocratie sanitaire en 2013 ». Ce montant servira :

. au recueil de l’expression des attentes et des besoins de tous les acteurs de santé, et en particulier des usagers et des citoyens : soit par le recueil de la parole des usagers via les associations ou les collectifs d’associations qui les représentent ; soit par des débats publics initiés par des instances de démocratie sanitaire (Conférences régionales de la santé et de l’autonomie, conférences de territoire) ;

. aux actions de formation des représentants des usagers, qui pourront être mises en œuvre par des associations et collectifs d’associations.

Oasis  hospitaliers dans des déserts sanitaires

Dans le même temps, Marisol Touraine annonce avoir confié une mission sur la représentation des usagers dans les établissements de santé à une personnalité de la société civile, Claire Compagnon. Elle réaffirme sa volonté de renforcer la démocratie sanitaire et la participation des usagers aux politiques de santé.

Tout ne va pas si mal sous les cieux hospitaliers français. Mercredi 29 mai Jean Debeaupuis, directeur général de l’offre de soins, propose aux journalistes d’échanger avec eux sur la situation financière des hôpitaux publics.  « En 2012, le redressement de la situation financière des hôpitaux de santé s’est confirmé : il traduit avant tout les efforts de productivité fournis depuis plusieurs années par les établissements, valorisés par le renforcement du pilotage financier » annonce-t-il déjà.

On parlera « maîtrise des déficits, capacité d’autofinancement, investissement, veille active sur la trésorerie… ». Enfin un peu de calme retrouvé, grâce aux efforts de productivité,  dans des déserts sanitaires.

 

 

 

Cancer du col et vaccination : la presse nationale est « vraisemblablement » responsable du désamour croissant

Quelques journalistes seraient-ils coupables d’un mal vaccinal ? Un article du Bulletin épidémiologique hebdomadaire évoque cette hypothèse à propos de l’immunisation contre les HPV. Les auteurs pourraient  vraisemblablement mieux dire.  

 On trouve ces mots dans le dernier numéro (8-9/19 mars 2013) en date du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) :

« La couverture HPV complète reste faible puisqu’elle était de 29,9% chez les jeunes filles de 15 à 17 ans. Notre estimation est inférieure mais reste comparable à celle de l’enquête Vaccinoscopie®, dans laquelle 34% des jeunes filles de 15 ans en 2011 étaient complètement vaccinées contre le HPV [1]. Ces CV basses montrent un suivi des recommandations vaccinales insuffisant et posent la question de la faible adhésion à cette vaccination. Le suivi réactif de la couverture HPV a permis de mettre rapidement en évidence une tendance à la baisse de la couverture des jeunes filles de 14 ans en 2011. La publication, au printemps 2010, de plusieurs articles dans la presse nationale mettant en cause la sécurité d’emploi du vaccin explique vraisemblablement cette tendance. » 

[1] Cohen R, Denis F, Gaudelus J, Lery T, Lepetit H, Martinot A, et al; Le Groupe d’étude Vaccinoscopie®. Couverture vaccinale : les ados en danger… Le point à l’occasion de la semaine de la vaccination. Med Mal Infect. 2012;42:139-40

« Vraisemblablement »

Il s’agit là d’un extrait de l’article  « Estimation des couvertures vaccinales en France à partir de l’Échantillon généraliste des bénéficiaires (EGB) : exemples de la rougeole, de l’hépatite B et de la vaccination HPV ». il est signé Laure Fonteneau (l.fonteneau@invs.sante.fr), Jean-Paul Guthmann, Daniel Lévy-Bruhl (Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France).  « Vraisemblablement » ? Paradoxalement pas de référence bibliographiques. Et un bien vieil adverbe dont l’usage n’est guère fréquent chez les épidémiologistes-statisticiens.

Cinq ans après leur commercialisation le désamour vis-à-vis du  Gardasil  et du Cervarix un sujet majeur et passionnant de santé publique. Voilà deux très coûteux vaccins pris en charge par la solidarité nationale  et qui ne font plus recettes. Cette désaffection n’a rien de spécifiquement français. Le sujet est abordé dans deux récentes publications américaines.

L’une est le fruit des travaux d’une équipe dirigée par le Dr Robert M. Jacobson (Mayo Clinic). Elle vient d’être publiée dans la revue Pediatrics. On en trouvera un résumé ici-même (en anglais). L’autre est  un article du  Journal of the National Cancer Institute (résumé en anglais disponible ici même). Il montre qu’aux Etats-Unis  moins d’une jeune fille sur trois (parmi celles  âgées de 13 à 17 ans) était effectivement vaccinée contre les HPV en 2010.

Question aux responsables sanitaires

Qu’en est-il de ce contexte de l’impact de « la publication, au printemps 2010 de plusieurs articles dans la presse nationale mettant en cause la sécurité d’emploi du vaccin ». Et de quels « articles » parlent les auteurs ? Une analyse de leur contenu a-t-elle été menée ? Publiée ? Quels étaient les termes de la mise en cause de la sécurité d’emploi ? Des suites ont-elles été données à ces suspicions ? Lesquelles ? Il est vraisemblable que ces articles de la presse nationale n’ont pas été de nature à inciter à cette vaccination. Peut-on pour autant en évaluer la portée négative ?

Plus généralement si des « articles de presse » peuvent nuire à une protection vaccinale officiellement recommandée (nous avons vu au fils du dernier quart de siècle ce qu’il a pu en être avec la vaccination contre l’hépatite virale de type B) quelle est la stratégie élaborée par les responsables sanitaires pour que les objectifs visés soient néanmoins atteints ? On peut poser la question autrement : les responsables sanitaires (cabinet du ministre de la Santé, direction générale de la santé, Haute Autorité de Santé, Agence nationale de la sécurité des médicament, Institut national de veille sanitaire, Caisse nationale d’assurance maladie,  etc. ) ont-ils élaboré une stratégie ?

Question connexe : une réponse à cette question est-elle vraisemblable ?

 

 

Baclofène en folie (+ 50% en un an). Catatonie en haut lieu.

Les prescriptions et les consommations de baclofène ne cessent de progresser en France (a) Aucun doute : ce médicament a désormais trouvé sa place dans la pharmacopée contre la dépendance aux boissons alcooliques. Mais c’est une place qui n’a toujours rien d’officiel. Situation étrange : on assiste  à une expérience à la fois sauvage, à ciel ouvert et en vrai grandeur mais sur laquelle les autorités sanitaires ne disposent d’aucune prise. Or une solution existe qui permettrait de mieux comprendre ce qui se passe précisément sur le terrain. Pourquoi n’est-elle pas expérimentée ?    

La consommation actuelle de baclofène en France ? Pour un peu on dérangerait. Poser la question auprès de l’Agence nationale de sécurité sanitaire du médicament (ANSM) ne permet pas d’obtenir de réponse : « pas de données précises  disponibles ». Une information cependant : la prochaine publication « d’un point d’information actualisé sur le baclofène ». Auprès de l’assurance-maladie on répond avoir, en 2004, recensé 1,326 million de boîtes remboursées, tous régimes confondus. Puis avoir observé une augmentation constante jusqu’en 2,524 millions de boîtes en 2011. Mais pas de données plus précises. Et pas de données disponibles depuis.

Contacter un « opérateur privé »

S’intéresser à la consommation de baclofène en France  conduit en pratique  à contacter un « opérateur privé ». Par exemple  Celtipharm 1. Réponse immédiate de cette société :   « Baclofène :  + 47% dans les 12 derniers mois pour baclofène (LIORESAL® et génériques).  Sur le dernier cumul annuel mobile 3,9 millions d’unités ont été délivrées. C’est-à-dire du 01/03/2012 au 28 février 2013. Ce nombre est en forte augmentation (+ 46,7% en un an – par rapport à la fin février 2012). Les délivrances connaissent une forte hausse depuis le début d’année 2012. Le générique gagne en part de marché, nous a précisé  le Dr Patrick Guérin, PDG de Celtipharm. Le princeps LIORESAL®  est en recul (- 9,1% en volume) à la différence notable du Baclofene Winthrop  (+ 70,7% en volume). La baisse des délivrances de princeps (LIORESAL®) arrive à la même période que la mesure tiers-payant = générique. »

Ces précieuses données complètent celles déjà données par Celtipharm dont nous avions fait état en septembre 2012 sur ce blog. « Nos recherches sur les sorties consommateurs en pharmacie d’officines du baclofène (Lioresal ® et son générique) nous ont permis d’établir que  3,2 millions de boîtes ont été délivrées sur la période allant de septembre 2011 à la fin août 2012, nous avait alors déclaré le Dr Patrick Guérin. Ceci représente une augmentation de + 43,6% par rapport  à la période allant de septembre 2008 à fin août 2009. Mais surtout nous observons une accélération : sur les douze derniers mois la progression était de + 30,7%. En prenant comme hypothèse une dose de 80 mg par jour et par patient (dosage maximal autorisé dans l’autorisation de mise sur le marché), on peut estimer qu’en moyenne près de 39.000 patients ont été traités par le baclofène sur les douze derniers mois. »

Que font les autorités sanitaires en charge du médicament ?

 On peut donc à nouveau extrapoler en constater que le phénomène baclofène est bien loin de s’épuiser. Ce mouvement grandissant ne semble ni intéresser ni inquiéter les autorités sanitaires et tout particulièrement celles en charge du médicament. Régulièrement annoncée depuis des mois une « recommandation temporaire d’utilisation » (RTU) se fait toujours attendre.

« Il faut d’abord nous assurer de l’absence de risques importants pour les patients recevant des posologies très élevées, expliquait ces dernières semaines au Point le Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’ANSM C’est pourquoi nous sommes en train d’instruire un dossier de RTU.  Ce dispositif, créé par la loi de décembre 2011, permet, en l’absence d’alternative, un usage temporaire hors AMM. Il faut aussi des essais cliniques pour dire par exemple quelle est la bonne dose, quelle surveillance donner au patient, quels risques par rapport aux bénéfices attendus. Ces démarches sont en cours pour offrir un accès sécurisé et équitable aux médicaments. Le traitement de l’alcoolo-dépendance par le baclofène est un sujet très complexe, car ce produit doit être utilisé dans de bonnes conditions, par des médecins qui ont l’habitude de cette pathologie et dans le cadre d’une prise en charge globale. »

Mieux faire au service de la santé publique

 Des précautions et des délais qui ne correspondent guère à l’évolution de la situation de terrain. Ce qui pourrait à l’extrême limite se comprendre si les autorités sanitaires réunissaient et analysaient l’ensemble des données issues de ce même terrain et ce via le maillage des pharmacies d’officine et du système existant des données qu’il engrange minute après minute sur l’ensemble du territoire. Or l’accès à ces données semble comme verrouillé

 « Pour notre part nous pouvons compter des boîtes, explique le PDG de Celtipharm. Nos observations portent sur les évolution du nombre de boîtes vendues. Mais nous pourrions faire beaucoup mieux au service de la santé publique. Préciser par exemple (bien évidemment de manière totalement anonyme) quels sont les traitements associés sur chaque ordonnance ; préciser les dosages et le caractère compatible ou non des traitements associés ; la durée des traitements, le nombre des interruptions et de reprises, le nombre de nouveaux patients. »

Open data

Toutes ces données permettraient une forme de surveillance anonyme, inédite et originale d’une forme de phase IV. Le recueil de ces données est techniquement possible. Mais il est pour l’heure interdit à Celtipharm de le réaliser. « La CNIL nous a autorisé, à l’unanimité, le 8 septembre 2011 à traiter les feuilles de soin électroniques préalablement doublement anonymisées pour répondre à ces questions en temps réel ; comme on peut le voir ici souligne le Dr Guérin.  Mais depuis cette date le GIE SESAM Vitale refuse de nous confier le dispositif de décodage des codes médicaments.  Ce refus est encouragé par les fonctionnaires de la Direction de la Sécurité Sociale. Nous pouvons certes faire le décompte en direct de l’évolution des ventes des boîtes de médicaments. Mais on nous refuse la possibilité de faire mieux et plus : s’intéresser à ceux qui les consomment. »

Tout ceci s’inscrit bien évidemment dans le courant grandissant de l’accès aux données de santé (voir la chronique sur ce thème publiée sur Slate.fr). Sans se prononcer sur la nature et les causes d’un tel blocage on peut se demander pourquoi une expérimentation ciblée n’est-elle pas envisageable ? Dans le cas précis du baclofène tout laisse redouter que le maintien de la situation présente (avec toutes les tensions qu’elle génère par ailleurs 2 soit une forme de perte de chance pour la santé publique. Est-il trop tard ? Nous y reviendrons.

(a) Le 28 mars l’ANSM confirmera en ces termes  les données chiffrées inédites publiées dans ce billet :  » les données de vente de ce produit montrent une forte progression en 2012 qui ne peut être en lien avec son indication première». Avec ce document complémentaire

1  Celtipharm est une société française spécialisée dans le recueil et le traitement de l’information sur le circuit du médicament et des produits commercialisés en officines. Elle travaille notamment pour le compte de la HAS  

 2 Comme la controverse née de la « fuite » sur « les deux morts de Bacloville » et le début des négociations entre la filiale française de la firme danoise Lundbeck et le autorités compétentes françaises sur le fixation du prix du prochain nalméfène (Selincro®) ; une molécule qui vient d’obtenir son autorisation sur le marché européen et qui « pour la première fois ne vise plus « l’abstinence » mais plus simplement « l’abus ».

A noter encore la toute prochaine publication d’un ouvrage du Dr Renaud de Beaurepaire « Vérités et mensonges sur le baclofène » (Entretien avec Claude Servan-Schreiber) aux Editions Albin Michel, parution le avril 2013. Nous y reviendrons sous peu. Pour l’heure en voici la présentation.