Affaire Aquilino Morelle. Accusé par Mediapart, ses explications seront-elles suffisantes ?

Bonjour

Aquilino Morelle,51 ans ; membre du premier cercle, plume et conseiller politique de François Hollande. Jusqu’à ces derniers jours on le craignait. Les journalistes l’avaient applaudi  quand  il avait, au nom de l’Igas, présenté son  rapport sur le scandale Médiator®.  Il avait alors décortiqué, sans nuance aucune, la responsabilité des Laboratoires Servier. Aujourd’hui il est traqué, accusé, par le site Mediapart. Ce dernier décortique, sans nuance aucune, certains de ses comportements des années passées. Des agissements qui peuvent faire songer aux conflits d’intérêts. Dans le même cadre, ou presque, que ce qui fut politiquement fatal à Jérôme Cahuzac.

Janvier 2011

Les applaudissements des journalistes ? C’était en  janvier 2011. Voici ce que nous écrivions alors sur Slate.fr : «  Le 15 janvier 2011 restera-t-il comme une date majeure dans l’histoire française de la sécurité sanitaire des médicaments?  En choisissant (comme il s’y était engagé) de rendre public le rapport sur le Mediator qu’il avait demandé il y a deux mois à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), Xavier Bertrand, ministre de la Santé, mesurait-il l’ampleur de la nouvelle déflagration provoquée dans cette affaire tentaculaire, une affaire mettant en cause de multiples acteurs et sapant gravement la fiabilité de l’ensemble de la politique du médicament? En toute hypothèse le gouvernement doit désormais compter avec un rapport –à bien des égards «historique»– de l’Igas; un rapport piloté parAquilino Morelle, une ancienne «plume» de Lionel Jospin qui avait déjà longuement écrit sur les affaires du sang contaminé. » Les collectes de sang en prison, notamment.

Rapport explosif

Nous parlions alors d’un « rapport explosif ». Trois ans plus tard une explosion est là. Au lendemain de la mort de  Jacques Servier,  Médiapart attaque. Et ce en  publiant, ce jeudi 17 avril, une enquête [lien payant] sur Aquilino Morelle. Rattaché à l’Inspection générale des affaires sanitaires (Igas), cet énarque et médecin se serait notamment, selon ce site, rendu coupable de conflits d’intérêts dans les années 2000. Pour l’essentiel en « conseillant des laboratoires pharmaceutiques ». Nous serions là très loin de l’image de la rigueur et de l’intégrité que ce membre de l’Igas aimait à donner de lui.

« La défaite de la santé publique »

Avec le temps l’incomplétude de certaines biographies peut être douloureuse. Comme celle-ci :

« Haut fonctionnaire, professeur associé à l’université Paris-I et maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris où il enseigne l’histoire des idées socialistes, Aquilino Morelle a occupé (1997-2002) les fonctions de conseiller auprès du Premier ministre, Lionel Jospin, période pendant laquelle il était membre du Conseil national du Parti socialiste et délégué national auprès du Premier secrétaire. Il travaille également sur les questions relatives à la santé publique. Il est l’auteur de plusieurs articles dans EspritAprès-Demain et La Revue des Deux Mondes et a publié « La défaite de la santé publique » (Flammarion, 1995) et, en collaboration, « De quoi sommes-nous responsables ? » (Le Monde éditions, 1997) ».

Conflit d’intérêts ? Rien n’est prouvé. Et nous nous garderions bien d’écrire sur le sujet si l’accusé n’avait déjà répondu, depuis le Palais de l’Elysée aux accusations dont il fait l’objet sur son compte Facebook. Voici, in extenso sa réponse. Une réponse qui laisse entrevoir, en miroir, l’essentiel des accusations du site.

[« Droit de réponse à Mediapart

Je suis suffisamment au fait de la vie politique pour ne pas m’émouvoir de la charge dont je viens d’être l’objet. Je veux néanmoins apporter ici des réponses précises à ces allégations.

1. Le droit et les faits.

Docteur en médecine, ancien interne des hôpitaux de Paris et ancien élève de l’ENA, je suis inspecteur général des affaires sociales. Comme tout fonctionnaire de l’Etat, j’ai la possibilité de demander à être placé en position dite de « disponibilité » pour exercer une activité dans le secteur privé, comme salarié ou pour créer une entreprise.

C’est ce que j’ai fait à partir du 1er avril 2003. J’ai alors été engagé par la société Euro RSCG C et O, spécialisée dans le conseil en communication.

J’ai respecté toutes les règles et toutes les procédures, en particulier le passage devant la Commission de déontologie.

J’ai transmis à la Commission un dossier complet, indiquant les fonctions qui devaient m’être confiées. Celle-ci a rendu un avis favorable, sans aucune réserve, à l’inverse de ce qu’elle fait parfois.

J’ai donc été engagé avec pour mission de développer une activité « corporate santé » au sein de l’agence. Il s’agissait de travailler dans l’ensemble du domaine de la santé, du champ social de façon plus large, mais aussi dans tous les secteurs de la vie économique, en fonction des dossiers auxquels l’équipe de direction souhaitait m’associer.

Ce fut notamment le cas, à 3 ou 4 reprises dans mon souvenir, pour des laboratoires, soit déjà clients de l’agence, soit au cours d’appels d’offre -qu’ils aient été remportés ou perdus.

J’ai travaillé sur les dossiers qui m’ont été confiés par mes supérieurs hiérarchiques. Etant médecin de formation, il était logique que me soient notamment attribuées des missions supposant une connaissance des problématiques de santé.

Au cours de ce passage dans cette agence, un de ses clients, le laboratoire Lilly, a apprécié mon travail. Aussi, après mon départ de l’agence, les dirigeants de ce laboratoire m’ont-ils proposé de continuer notre collaboration.

C’est à cette fin que j’ai créé l’Eurl Morelle, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 15 mai 2006, société au capital de 1.000 euros, et dont j’étais l’unique actionnaire.

Cette entreprise unipersonnelle n’a eu de réalité économique que pendant deux exercices, 2006 et 2007. En 2008 et les années suivantes, l’entreprise n’a plus eu aucune activité et, donc, aucun chiffre d’affaires. C’est pourquoi elle a été radiée d’office le 15 mars 2013 par le greffe du tribunal de commerce de Paris.

En 2006, mon unique client a été le laboratoire Lilly. Le contrat de conseil a été conclu pour la période du 02 juin 2006 au 15 décembre 2006, pour un montant total de 37.500 euros HT.

A la fin de l’année 2006, j’ai décidé de réintégrer l’IGAS. Aussi, dans cette perspective, j’ai anticipé la cessation d’activité de l’Eurl en demandant à mon frère d’assurer la fonction de gérant.

Cette fonction ne nécessitait évidemment aucune compétence particulière en matière « d’expertise sanitaire ».

J’ai réintégré mon corps d’origine le 1er mars 2007.

En tant que fonctionnaire, un certain nombre d’activités annexes sont autorisées par la loi, dont l’enseignement et le conseil.

C’est à ce titre que je suis professeur associé à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne depuis octobre 2003 et que j’ai aussi enseigné quelques années à Sciences Po Paris, comme beaucoup de hauts fonctionnaires. C’est aussi dans ce cadre que j’ai accepté le contrat ponctuel avec le laboratoire Lündbeck (15 octobre / 31 décembre 2007). Ce fut le second et dernier contrat de cette activité de conseil. Ces activités ont dû être déclarées à l’IGAS. Je n’ai pas retrouvé la trace de cette démarche en dépit de mes recherches. Ce sont des faits anciens –plus de sept ans. Je souligne enfin que je n’ai jamais eu, ni auparavant ni après, de contact avec ce laboratoire.

En particulier, lorsque j’ai été désigné par le chef de l’IGAS pour coordonner l’enquête sur le Mediator en novembre 2010, je n’avais aucun lien avec aucune entreprise quelle qu’elle soit et, en particulier, aucun lien avec aucun laboratoire pharmaceutique.

A aucun moment je n’ai donc été en situation de conflit d’intérêts.

2. La méthode.

Lorsqu’après plusieurs semaines d’enquête le journaliste de Mediapart est entré en contact avec moi, samedi dernier, j’ai répondu à toutes ses demandes adressées par écrit.

A plusieurs reprises, il a manifesté son souhait de me rencontrer, dans le cadre de la préparation de cet article alimenté par des rumeurs et des contre-vérités, ce que j’ai refusé. En revanche tous les bilans et comptes de résultat de mon ancienne entreprise unipersonnelle sur la période allant de 2006 à 2013 lui ont été communiqués dans la plus grande transparence

Je l’ai fait parce que je n’ai rien à cacher à qui que ce soit, que je respecte le travail de la presse, et que je crois que toute ma trajectoire aussi bien personnelle que professionnelle atteste de mon indépendance d’esprit.

Ainsi, à propos de mon patrimoine, commun avec ma conjointe, le journaliste se garde bien de mentionner qu’il a été notamment acquis grâce à des emprunts ; et il ne fait pas état des dettes contractées. Ce patrimoine et les dettes existant en contrepartie ont été communiqués, selon les règles, à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Ainsi, les propos qui me sont attribués quant aux experts sanitaires avaient-ils un sens précis : celui des relations entre experts médicaux travaillant au sein des agences de sécurité sanitaire ou concourant à leurs travaux et l’industrie pharmaceutique. Ils soulignaient un contexte précis : celui de la gravité des fautes commises dans un scandale de santé publique ayant provoqué, selon les estimations disponibles, environ 2500 morts.

Ainsi, il est exact que mon emploi du temps extrêmement chargé ne m’a pas toujours permis d’aller moi-même chercher mon fils le lundi soir, à 19h30, à la sortie d’un enseignement –ce que j’aurais eu beaucoup de plaisir à pouvoir faire moi-même. Il en va de même pour certaines questions personnelles, que mon secrétariat m’a proposé avec gentillesse de me décharger, de façon ponctuelle.

Voilà pour répondre à l’essentiel de ces attaques.

Aquilino MORELLE. »]

Le laboratoire danois Lundbeck

Répondre à « l’essentiel » des attaques ? M. Morelle veut dire qu’il en est d’autres plus personnelles. Ce sont là des attaques d’une nature radicalement différente, plus personnelles  et qui ne sauraient être mises sur le même pied.

Pour celles auxquelles il répond la plus problématique tient sans aucun doute aux relations avec le laboratoire danois Lundbeck. Fin 2007 il rédige un rapport de l’IGAS sur les programmes d’accompagnement des patients financés par les entreprises pharmaceutiques. Et il aurait alors organisé deux rendez-vous avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Or cette structure fixe – dans le plus grand secret –  le prix des médicaments et les taux de remboursement. Aussi est-il  assez fâcheux que le conseiller politique de François Hollande ne retrouve pas la trace de cette démarche. Fâcheux encore qu’il invoque « des faits anciens ».

Quand et quoi ?

Ces faits ne datent pas exactement, comme il l’écrit, de « plus de sept ans ». Que s’est-il exactement passé ? Et quand, très précisément ? Les membres du CEPS doivent en avoir gardé la trace. De même que les dirigeants de Lundbeck. Il suffirait peut-être de leur demander. Qui s’en chargera ? Ou, plus précisément, qui s’en est déjà chargé ? Et qui jugera s’il y a, ou pas, conflit d’intérêts ?

Il ne faudrait jamais, politique ou agent de la fonction publique, se faire applaudir par des journalistes.

A demain

Les transsexuels sont-ils propriétaires de leurs cellules sexuelles ?

Bonjour

Questions de genre. La quintessence des questions du genre. Tout commence avec un courrier en date du 23 juillet 2013 dans lequel le Défenseur des droits dit souhaiter connaître la position de l’Académie nationale de médecine concernant « la demande des personnes transsexuelles qui souhaitent procéder à une autoconservation de leurs gamètes [cellules sexuelles] pour éventuellement pouvoir lesréutiliser après leur transition dans un projet de parentalité de couple ».

Un homme devenu femme peut-il conserver ses spermatozoïdes ? Une femme devenue homme peut-elle conserver ses ovocytes ? La chose est possible en cas de traitements stérilisants. L’est-elle en cas de chirurgie visant à une « réassignation sexuelle », chirurgie prise en charge par la Sécurité sociale ?

Nouvelles demandes sociales

Le Défenseur des droits juge  que cette question soulève des interrogations liées à la problématique de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) et aux nouvelles demandes de la société ; des questions qui vont au-delà des raisons médicales prévues par les textes de loi. Il entend que l’Académie mène une réflexion « sur le rôle de la médecine par rapport aux demandes de la société, quand celles-ci ne sont pas liées à une maladie ».

Un groupe de travail est bientôt constitué. Il concentre sa réflexion sur les questions médicales et scientifiques liées à la « préservation de la fertilité des personnes transsexuelles ». (1)

Obsession de changer de sexe

« Transsexualisme » ? Ne pas confondre avec les états « intersexués ». Pas d’anomalies corporelles. Ce fut longtemps le mythe, le diable, la maladie mentale. C’est aussi une entité contestée. On peut retenir aujourd’hui la définition de l’Académie : « le transsexualisme est caractérisé par le sentiment profond d’appartenir au sexe opposé, malgré une conformité physique sans ambiguïté, et par le désir intense et obsédant de changer de sexe ». Combien de personnes directement concernées ? Si l’on en croit une analyse de la littérature faite par la Haute Autorité de Santé (HAS) la prévalence devrait se situer entre 1 : 10 000 et 1 : 50 000. Elle semble augmenter depuis quelques années. Pourquoi ? Les « femmes devenant homme »s (female to male, FtM) seraient deux à trois fois moins nombreuses que les hommes devenant femmes (male to female, MtF).

En France, les interventions chirurgicales, une fois acceptées sont prise en charge par l’assurance maladie. Il existe quatre équipes réunissant psychiatres et psychologues, endocrinologues et chirurgiens, localisées dans des hôpitaux publics à Bordeaux, Lyon, Marseille et Paris. Les praticiens travaillant dans ces centres sont regroupés dans la Société Française d’Etude et de prise en Charge du Transsexualisme (SOFECT).

« Réassignation sexuelle »

Entre septembre 2009 et septembre 2010, ces équipes ont mis en route 329 nouveaux traitements hormonaux et pratiqué 153 transformations chirurgicales. Ces données sont comparables à celles obtenues par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (Igas) qui recensait, en 2010, 125 actes chirurgicaux de « réassignation sexuelle » et mentionnait 127 requêtes pour changement d’état civil formées dans 36 cours d’appel en 2010.

« Ces chiffres doivent cependant être nuancés pour deux raisons, estime l’Académie. D’une part les actes chirurgicaux sont très divers incluant de la chirurgie plastique cherchant à remodeler les organes génitaux mais aussi d’autres parties du corps pour lui donner un aspect masculin ou féminin et des ablations d’organes génitaux (orchidectomie, ovariectomie, hystérectomie) qui ont pour conséquence une stérilisation, ces derniers n’étant pas toujours pratiqués dans les parcours chirurgicaux de transition. D’autre part un certain nombre de personnes sont traitées en dehors des centres régionaux précités ou à l’étranger, il est impossible d’en  apprécier le nombre. »

Entre 100 et 200 personnes par an

 Au final le groupe de travail n’a considéré que la situation des personnes transsexuelles sollicitant un traitement hormonal et/ou chirurgical susceptible de les stériliser. Leur nombre est probablement compris entre 100 et 200 chaque année en France.

Certaines d’entre elles  souhaitent parfois congeler leurs gamètes avant leur « transition » et ce dans le but de pouvoir préserver leur fertilité. Cette mesure d’autoconservation peut être mise en œuvre en stricte application de la loi en cas d’orchidectomie, d’ovariectomie ou d’hystérectomie. Les dispositions législatives en vigueur permettent en effet une telle possibilité aux personnes devant subir de telles interventions programmées (le plus souvent dans le cadre de traitements anticancéreux).

Interdit par la loi

Mais il faut savoir que les traitements hormonaux utilisés dans les procédures de « transition »  n’altèrent pas la fonction gonadique « de manière irréversible ». Dès lors les capacités de procréation des personnes transsexuelles peuvent être maintenues si on évite de procéder à une stérilisation chirurgicale. Entendre ici que la personne qui change de sexe par la seule voie hormonale (sans intervention chirurgicale stérilisatrice) n’est pas concernée par l’autoconservation de ses cellules sexuelles.

Un autre problème, majeur, se pose : l’utilisation des cellules sexuelles qui seraient ainsi conservées ne serait « en principe » envisageable que par un couple homosexuel. Or la loi française interdit formellement cette possibilité comme viennent de le rappeler à l’envi les controverses récentes sur les projets gouvernementaux autour de la « PMA ».

Dilemmes de genre

« Indépendamment de cet aspect légal  les enjeux et les conséquences de cette utilisation ne devraient pas être ignorés, souligne l’Académie. Les personnes transsexuelles qui sont déjà parents peuvent trouver des aménagements pour que la conversion de l’identité parentale accompagne la conversion de l’identité de la personne. En revanche l’utilisation de gamètes conservés préalablement au changement de sexe reflèterait une incohérence identitaire dont les conséquences sont difficiles à évaluer, notamment pour l’enfant. »

Traduire : comment un homme ayant eu des enfants et devenu femme pourrait-il sans difficultés continuer à procréer à partir de ses spermatozoïdes conservés par congélation préalablement à sa « transition » ?

Embarras académique

Conclusion, sinon jésuite du moins bien embarrassée de l’Académie de médecine : « La conservation éventuelle de gamètes ou de tissus germinaux ne peut être entreprisesans considérer leur utilisation potentielle en fonction des possibilités médicales et légales existantes. »

Et encore : « Dans tous les cas, c’est au médecin d’en assurer ou non la mise en œuvre au cas par cas en fonction des situations des personnes qui le sollicitent et de leurs projets parentaux potentiels. »

Qu’en fera  le  Défenseur des droits ? Qu’en feront les médecins ?

A demain

(1)     Ce groupe a réuni Claudine Bergoignan-Esper, Roger Henrion, Marie-Thérèse Hermange, Pierre Jouannet et Guy Nicolas (membres de l’Académie) ainsi que Catherine Brémont-Weill  Jean-François Guérin, Pierre Lamothe et  Marc Revol (experts extérieurs). Le rapporteur en a été Pierre Jouannet.

Médiator® : l’Assurance maladie fera partie du puzzle

Bonjour,

Bonne nouvelle démocratique : le puzzle Mediator® se complète. Quand les citoyens le verront-ils reconstitué ?  Notre justice ne s’intéressera-t-elle qu’aux gros morceaux ? Ira-t-elle jusque dans les marges, celles  des prescriptions indélicates, celles des remboursements indus par des agents comptables ignorants ? Remboursements à l’aveugle, mais toujours rubis sur l’ongle ; dans les pharmacies d’officine et avec l’argent de notre collectivité. D’assez grosses sommes. Et pendant assez longtemps. Grosse machinerie dont on imagine qu’elle dépasse ce petit coupe-faim déguisé en gros antidiabétique.

Homicides et tromperies

Pour quand, ce puzzle ? En ce mois de février 2014 nul ne sait répondre. Une certitude : il sera nettement plus vaste que ce que les médias nous avaient annoncé. Le salon n’y suffira pas. Il se résumait jusqu’ici  aux manœuvres d’une firme pharmaceutique (les Laboratoires Servier) facilitées par l’action plus ou moins complices de hauts fonctionnaires. L’affaire dépassera le cadre du bon et des méchants.

Nous savons l’essentiel. Ce médicament-phare et symptomatique  a été commercialisé pendant trente-trois ans (de 1976 à 2009), prescrit dans de nombreux par des dizaines de milliers de médecins à plusieurs millions de personnes. En France on le soupçonne d’être à l’origine d’environ deux mille décès prématurés du fait de lésions de valves cardiaques. Tout cela fut découvert sur le tard. Des procédures d’indemnisations des victimes sont en cours et deux informations judiciaires (homicides et blessures involontaires ; tromperie aggravée) sont ouvertes auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris.

Xavier Bertrand

Après les premières alertes heureusement lancées depuis la Bretagne, après les premiers chiffres rétroactifs, après les premières passions médiatiques vint une première recherche des responsabilités. Elle fut entreprise en 2011 avec l’enquête demandée par Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Applaudi stricto sensu par la presse, ce travail sur ordre ne permit d’éclairer qu’une partie des mécanismes mis en œuvre pour assurer le maintien sur le marché français d’un médicament longtemps comme ayant des vertus antidiabétiques mais qui était le plus souvent prescrit et consommé pour ses propriétés de « coupe-faim ». Pour l’essentiel les principales suspicions visèrent des responsables de la firme et des membres de l’administration en charge du médicament.

Prescripteurs payeurs

Cette lecture avait pour conséquence affichée de n’inquiéter ni les médecins prescripteurs (Xavier Bertrand avait publiquement déclaré qu’ils ne « seraient pas les payeurs ») ni les responsables de l’Assurance maladie. Peut-être était-ce un préalable nécessaire. Aujourd’hui cette construction ne résiste plus aux derniers éléments de l’enquête patiemment menée par le mouvement «Initiative Transparence Santé» (ITS). (1)

Une étape cruciale avait été franchie fin décembre avec une décision de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Cette dernière se déclarait alors favorable à ce qu’ITS puisse avoir connaissance des documents qu’elle réclamait, sans succès jusqu’alors à  Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). ITS souhaitait prendre connaissance de l’ensemble de pièces chiffrées relatives à la prescription et à la commercialisationdu  coupe-faim des Laboratoires Servier.  

Sniiram secret

Il s’agissait de toutes les informations relatives à la consommation entre 1999 et 2009  du Mediator® en France. Ces deux dates correspondaient à deux moments-clefs. L’année 1999 vit la création de la base nationale informatisée des informations inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM). 2009 correspond à l’arrêt de la commercialisation de ce  médicament mis sur le marché en 1976.

Le feu vert de la Cada devait permettre à ITS de disposer ainsi de tous les éléments qui lui permettraient de connaître le nombre d’assurés sociaux ayant réellement consommé  du Mediator®  durant cette période de dix ans mais aussi la durée moyenne des traitements, les taux de prescriptions médicales effectuées en dehors des autorisations de mise sur le marché, le nombre des boîtes remboursées et celles qui ne l’étaient pas.  

Igas zélée

Il s’agissait aussi d’identifier les principales catégories de médecins initiateurs de ce traitement médicamenteux, le nombre total des praticiens et celui des plus gros prescripteurs. Il s’agira enfin de préciser le montant des sommes remboursées aux patients consommateurs. C’était en d’autres termes la possibilité de compléter la lecture partielle effectuée par l’Igas à la demande de Xavier Bertrand. Fin décembre Slate.fr avait rapporté les obstacles que l’assurance-maladie avait opposés à cette demande – ainsi que la décision de la Cada  qui ouvrait en France la voie aux entreprises d’Open data dans le champ du médicament. (2)

Le postulat d’ITS était que l’assurance maladie ne pouvait pas ne pas savoir, au vu des montants de remboursements que le Mediator® était largement prescrit hors de ses indications (et donc indument pris en charge par la collectivité. C’est (en partie) chose faite avec la lettre datée du 31 janvier adressée par le directeur général de la Cnam à ITS.

Cnam muette

On apprend ainsi qu’au moment où il a été retiré du marché près de 400 000 personnes étaient des consommateurs réguliers de Mediator®. Entre 2000 et 2009 près de 55 millions de boîtes ont été prescrites et commercialisées pour un montant total, pris en charge par la collectivité de plus de 210 millions d’euros. La Cnam ne répond pas précisément à la question des prescriptions médicales effectuées en dehors de l’autorisation de mise sur le marché (« hors AMM »). Elle fait valoir que le libellé de l’AMM a varié au cours du temps, parfois de façon importante. C’était, on l’a compris depuis, la stratégie adoptée par les Laboratoires Servier pour rester coûte que coûte sur le marché.

Pour ITS les choses sont désormais claires : « en 2008 à l’échelle nationale, le médicament de Servier était prescrit dans environ 80 % des cas hors de ses indications officielles. Soit la Cnam avait connaissance de ce mésusage et n’a rien fait, ce qui nous semble hautement critiquable. Soit elle ne le savait pas mais aurait facilement pu le découvrir.  La réponse que notre collectif est parvenu à obtenir (avec difficulté) en atteste. »

Huit fois sur dix hors AMM. Comment comprendre ? Et pourquoi l’Assurance-maladie ne l’a-t-elle pas compris ?

Succès massif d’un adjuvant

De 1989 à avril 2007  le Mediator®  était indiqué comme «adjuvant du régime adapté chez les hypertriglycéridémies et adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale ». Puis d’avril 2007 à novembre 2009, l’AMM fut réduite à l’extrême. En théorie le Mediator®  ne pouvait plus être prescrit que comme «adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale». Soit, en d’autres termes chez des personnes connues par l’assurance maladie pour être diabétiques.

En réponse aux questions précises d’ITS l’Assurance maladie répond ne pas avoir les moyens de savoir quelle était la proportion des consommations hors AMM avant 2007. Elle fait valoir que « l’hypertriglycéridémie » qui constituait alors une indication majeure du Mediator®  « repose sur un dosage biologique » et il n’existe pas de « traitement spécifique ». « Pour appréhender le respect de l’AMM, il eût été nécessaire de disposer d’une analyse détaillée de la situation médicale nécessitent l’accès au dossier médical du patient » fait valoir le directeur général de la Cnam.

Le mystère bourguignon

Un travail avait toutefois été réalisé en 1997, par l’Union régionale des caisses d’Assurance maladie (Urcam) de Bourgogne. Il concluait qu’« un tiers des prescriptions étaient hors du champ des indications thérapeutiques prévue par l’AMM. » La Cnam fut alertée. Personne ne donna suite à cette observation majeure, ni en Bourgogne ni à Paris. Pourquoi ?

« A la suite du changement d’indications de l’AMM en 2007, le taux de «hors AMM» sur la période des deux dernières années de commercialisation peut être estimé à partir de la consommation concomitante de médicaments antidiabétiques. En 2008, parmi les patients consommant du Mediator®, c’est-à-dire, ayant eu au moins un remboursement de Mediator® dans l’année, 19,6 % étaient des personnes traitées par médicaments antidiabétiques. A ces patients traités par médicament antidiabétique, il faut ajouter les diabétiques traités par régime alimentaire seul. Suivant l’estimation que l’on fait de la prévalence du diabète traité par régime seul le taux de non-respect de l’AMM peut être approché, sans qu’il soit possible d’en connaître la valeur exacte en l’absence de possibilité de reconnaître les diabétiques sous régime diététique seul dans les données de l’Assurance maladie. »

Sérieusement, ne peut-on pas aller plus loin dans l’approche ? On peut raisonnablement en douter. Sauf à évoquer d’autres hypothèses.

Héliotropisme d’opérette

Autre observation d’ITS : la très forte variabilité du nombre de personnes ayant consommé du Mediator® dans chaque département sur les douze derniers mois ayant précédé l’arrêt de sa commercialisation. C’est ainsi que les quatre départements les moins consommateurs (la Mayenne, l’Ille-et-Vilaine, le Maine-et-Loire et l’Indre-et-Loire) affichent un taux de prescription pour mille habitants compris entre 1,14 et 1,58. Or ce taux  varie de 12,4 à 14,3 dans les quatre départements en France métropolitaine où le Mediator® a été le plus prescrit (Corse-du-Sud, Var, Alpes-Maritimes et Bouches-du-Rhône). Rien, pour l’heure, ne permet encore de comprendre pourquoi a pu exister de telles disparités. Certains on voulu ne voir là un effet héliotrope. On pourrait en sourire si le sujet n’était pas celui-ci.

Lumières sans ombres

Le directeur général de la Cnam se refuse encore à transmettre certaines données (par caisses d’assurance maladie). Il souhaite savoir si les informations judiciaires ouvertes auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris font ou non obstacle à la transmission de ces données. C’est là une décision bien étrange. Pourquoi le travail de la justice s’opposerait-il à celui de ceux qui entendent, aussi, faire la lumière sur cette assez peu banale affaire ?

A demain

1 Rappelons que l’ «Initiative Transparence Santé» (ITS) est un mouvement réunissant de nombreux acteurs du monde de la santé (associations de malades et de consommateurs, chercheurs en santé publique, assureurs, entrepreneurs etc.) qui réclament une «libération des données» relatives aux différents domaines de la santé.

2 Voir aussi, sur ce blog « Mediator® le scandale va rebondir »

 Ce texte reprend pour partie une chronique publiée sur Slate.fr

 

Médiator: non, le silence n’est pas toujours d’or.

L’autopsie de cette affaire reste à compléter. De précieuses données chiffrées demeurent dans des coffres forts républicains fermés à clef.

A-t-on le droit d’en disposer ? Certains s’y emploient. Au nom de l’Open data.

Est-ce pur hasard où Le Monde mène-t-il désormais un noble combat ? Il y a une semaine le site du quotidien vespéral publiait une tribune atypique signée « Initiative transparence santé ». Il s’agit ici « d’un collectif d’acteurs œuvrant dans le domaine de la santé qui réclame l’accès aux données publiques relatives à notre système de soins (www.opendatasante.com) ».

Fossé entre pouvoir et citoyens

Il s’agissait d’un propos dérangeant d’actualité. Pierre-Louis Bras, membre de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)  venait de remettre à la ministre de la Santé Marisol Touraine un rapport sur la « gouvernance et l’utilisation des données de santé ». « Une nouvelle occasion de mesurer le fossé qui sépare les pouvoirs publics des tenants -d’un accès universel aux données publiques sur le système de soins » écrivaient les auteurs de la tribune. Extraits :

« Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur l’intérêt que présentent ces données, notamment celles collectées par la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAMTS) lors de la télétransmission des feuilles de soins électroniques. Utilisées à bon escient, elles permettraient d’améliorer considérablement le pilotage de notre système de santé.

Privilège de l’administration

Sauf que l’accès à ces données reste pour le moment réservé à l’administration qui n’en fait rien ou pas grand chose et laisse ainsi perdurer des dysfonctionnements majeurs.

Exemple parmi d’autres, la surconsommation de médicaments, dont l’impact financier se chiffre chaque année en milliards d’euros. Le coût est humain également. On estime à environ 6000 par an le nombre de décès attribuables à des prescriptions injustifiées (…) Voilà près de 15 ans que les informations relatives à la consommation de soins des Français sont méthodiquement stockées par la puissance publique et enfin celle-ci s’aperçoit qu’il serait peut-être intéressant de s’en servir. Quelle réactivité !

Exception française

L’administration veut bien ouvrir l’accès, mais seulement aux données qui ne présentent pas, ou peu, d’intérêt. Celles dont l’utilisation permettrait d’envisager de réelles avancées dans la gestion de notre système de santé, les données individuelles anonymisées notamment, la ministre de la Santé n’a aucune intention de laisser les acteurs extérieurs à la sphère publique en disposer.

Dans de nombreux pays (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Suède, etc.), l’ouverture des données de santé s’impose comme frappée au coin du bon sens. En France, sous couvert d’un discours  » open « , l’administration invente, exception française oblige sans doute, un autre concept : la transparence en accès restreint. Pourquoi, une telle position ?

Laboratoires pharmaceutiques au parfum

Les raisons invoquées par les opposants à un accès plus large aux données sont diverses. Elles ont toutes en commun de ne pas tenir bien longtemps l’examen. L’anonymat des données ? Personne ne le remet en cause. C’est une évidence partagée de tous. L’identité des patients, les acteurs qui souhaitent disposer des données de santé, fussent-ils privé, n’en ont cure.

(…) les labos ont déjà accès aux informations. Comment ? Via les données issues des ventes en pharmacies ou encore par l’intermédiaire des équipes publiques de recherche ayant accès aux données. Si les pouvoirs publics freinent des quatre fers pour ouvrir l’accès aux données, c’est bien qu’ils craignent qu’on lève le voile sur l’incompétence dont ils font preuve depuis des années dans la gestion du système de soins. »

Les mystères du Sniiram

Dans son édition datée du 15 octobre Le Monde revient sur le métier. « Derrière l’acronyme Sniiram se cache l’un des coffres-forts les mieux gardés de la République : le système national d’information interrégimes de l’assurance-maladie, la plus grande base de données de santé au monde, peut-on lire. Toutes les feuilles de soins électroniques y sont centralisées, soit 1,2 milliard de pages chaque année. On y trouve des informations sur les patients (âge, sexe, lieu de résidence…), les pathologies et les prescriptions de médicaments. Cette base de données fait l’objet d’un bras de fer qui oppose, d’une part, le ministère de la santé et la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), d’autre part, le Collectif initiative transparence santé, composé d’entreprises privées (des comparateurs de services de santé comme Santé Clair) et d’associations (UFC-Que choisir…), qui réclame à cor et à cri la mise à disposition des fruits du Sniiram au public.

Silence sur le Mediator

Mais la CNAM, appuyée par le ministère de la santé, verrouille l’accès à la base (…) dernier frein, les laboratoires pharmaceutiques, qui n’ont pas intérêt à ce que la surconsommation de médicaments soit dénoncée, preuves à l’appui… »

Les responsables d’ « Initiative transparence santé » rappellent que leur collectif a officiellement saisi la CNAMTS d’une demande relative à la consommation de Mediator. « Quelles quantités ont été consommées ? Dans quelle mesure les prescriptions étaient médicalement justifiées ? Et surtout, combien la collectivité a-t-elle dépensé afin de rembourser l’empoisonnement de centaines de patients ? L’Assurance maladie dispose de toutes les réponses à ces questions. Elle a refusé de nous fournir la moindre information. » Est-ce vrai ? Et si oui pourquoi ?

Open data et jacobinisme

On peut aussi penser que la réponse à ces questions permettrait, peut-être, d’élargir le spectre des responsabilités et des culpabilités présumées tel qu’il avait été dessiné par un rapport de l’Igas à la demande de Xavier Bertrand lorsqu’il était ministre de la Santé.

Les résistances à l’Open Data en santé sont sans doute, par nature, plus coriaces dans un pays à la longue tradition jacobine. Un pays où la Sécurité sociale tient par ailleurs, et c’est heureux, le haut du pavé de la solidarité depuis bientôt soixante-dix ans. Cela n’explique pas tout.

L’accusation du Pr Sicard

Pour le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (et l’un des signataires du manifeste Initiative Transparence Santé) ces résistances à l’Open data en santé trouvent, de façon évidente, leur origine « dans la volonté de maintenir l’illusion que la santé des Français est gérée avec rigueur et discernement ». On y verra plus clair quand le coffre-fort du Sniiram s’ouvrira.

 

Prothèses mammaires : le pré-mea culpa de l’administration sanitaire

 
La Direction générale de la santé et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ont remis le fruit unique de leurs enquêtes. Un scoop sur un plateau. Plus que troublant. Se rapprocherait-on petit à petit de la « transparence la plus totale » ?
 
Le journalisme d’investigation, s’il existe, est par nature borné. Rien de tel, parfois, que la fidèle mémoire de l’administration pour éclairer, avec une tragique précision, la genèse et l’ampleur des dessous d’une affaire. Dans celle des prothèses mammaires la démonstration vient d’en être directement fournie, en ce glacial 1er février, par le ministère de la Santé. Une démonstration à ce point exemplaire que l’on vient à se demander si elle ne va pas brutalement tuer dans l’œuf l’énergie médiatique dépensée pour investiguer et révéler une vérité cachée.
 
Nous avons pour partie rapporté ici les fruits des travaux menées dans différents organes de presse pour tenter de comprendre comment on a pu en arriver à cette crise de dimension internationale sans véritable fondement sanitaire de nature dramatique. Et nous avons vu de quelle façon deux théories explicatives pouvaient s’affronter. D’une part un génie de la malfaçon et du trucage. De l’autre une série de failles majeures dans ce que le jargon désigne comme étant la « matériovigilance ». Certains tiraient le portrait de l’improbable Jean-Claude Mas quand d’autres tentaient de coincer l’Afssaps ou les institutions sanitaires qui remplissaient auparavant ses fonctions. Avec ce paradoxe provocateur : le prince déchu de la prothèse accusant l’Afssaps de ne pas avoir su organiser la surveillance qui s’imposait ; avant de reprocher vertement à  Xavier Bertrand, ministre de la Santé, d’avoir pris de manière irréfléchie en non scientifique la décision de recommander l’explantation aux 30 000 Françaises porteuses de prothèses PIP.
 
Or voici que Xavier Bertrand vient de rendre public (comme il s’y était engagé) un rapport consacré à  cette affaire. Intitulé « Etat des lieux des contrôles opérés par les autorités sanitaires sur la société Poly Implant Prothèse » ce rapport a été élaboré conjointement par la Direction générale de la santé et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Il est désormais disponible sur le site du ministère dans sa version complète ainsi que dans une version synthétique
 
Et voici que ce document fournit pour la première fois la chronologie officielle des contrôles effectués par l’administration sanitaire auprès de la société varoise productrice des prothèses mammaires PIP.  Et ce rapport va nettement plus loin –et de manière plus précise, indiscutable- que ce que les investigations journalistiques avaient pu jusqu’ici établi. Etranges instants que ceux qui – à la demande de son ministre de tutelle- voient une administration enquêter sur son passé et contrainte de reconnaître ses insuffisances. On n’ira certes pas jusqu’à assister au mea culpa. Mais on ne saurait mésestimer cet effort imposé par l’urgence. On a sans doute estimé, en haut lieu que, tout bien pesé, l’exposé officiel des faits valait mieux que leur révélation journalistique progressive qui, par le canal croisé des avocats des différentes parties notamment, n’aurait pas tardé.
 
Scoop fourni sur un plateau : Il apparaît aujourd’hui que l’attention de l’administration avait été attirée dès 1996 sur « des risques de malfaçons et de taux de ruptures anormalement élevés ». Elle l’a ensuite été, par différents canaux, jusqu’en 2011 avant que la décision d’interdire la commercialisation de ces implants soit enfin prise.
 
« La société PIP, ayant déjà été inspectée deux fois [avant 2000] n’a pas été inspectée sur la période 2001-2010. Néanmoins, devant cette fraude particulièrement élaborée, il n’est pas évident qu’une inspection, même inopinée, aurait été efficace » écrivent les auteurs du rapport.
 
Il faut lire et relire ces lignes, pré-meaculpa et miracle né de la parfaite maîtrise de la langue française. On appréciera comme il se doit le néanmoins, la fraude et sa qualification ainsi que  le balancement entre l’évidence et sa négation précédant le conditionnel. Quant à l’hypothèse de l’inspection, même inopinée, c’est du grand art, du Courteline, du Rostand (Edmond).
 
On comprend certes ici qu’une administration (en l’espèce sanitaire) ne puisse s’exprimer plus clairement ; dire par exemple, qu’elle n’a pas pleinement rempli sa mission mais que, l’aurait-elle fait, la face du monde n’en aurait pas été changée. Ce serait avouer que cette mission n’est au fond que de peu d’importance.
 
 Laisser entendre sans véritablement dire ? C’est là un exercice de très haute voltige quand on sait que les avocats rôdent et  que l’Afssaps est déjà, depuis quelques heures, poursuivie en justice. Il faut donc reconnaître les faits tout en trouvant une porte de sortie. Ce sera le caractère particulièrement élaboré de la fraude.  Si l’on suit bien seul le génie malin du fraudeur sauvera l’administration sanitaire. Les juges suivront-ils ?
 
En toute hypothèse tous les acteurs décrypteront bientôt les lignes suivantes, extraites de la synthèse du rapport officiel (170 pages) ; un rapport qui « au regard de l’ancienneté de certains faits », « s’appuie exclusivement sur les documents archivés du ministère chargé de la santé et de l’Afssaps.» Lignes et rapport qui seront bientôt des documents essentiels pour tous les acteurs de l’administration sanitaire atant  -et plus peut-être – que pour ceux qui entendent le devenir.
 
Pour sa part, peu après la publication de ce rapport Xavier Bertrand s’est dit favorable – comme dans le cas de l’affaire du Médiator- au lancement de deux missions d’enquête, l’une confiée au Parlement, l’autre à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ; ce  afin de « tirer le maximum d’enseignements » du scandale des prothèses mammaires PIP. Journalistiques ou pas les investigations risquent donc fort de se poursuivre.
 
 
  
 
 
 
 
 
 

Ginkgo biloba: quelques mystères restent à éclaircir

Où l’on découvre, non sans surprise, le contenu du dernier épisode en date du grand toilettage post-Médiator de la pharmacopée française. Et où l’on s’interroge sur l’opportunité et l’ampleur  d’une future enquête  qui tenterait de faire la part entre la médecine « fondée sur les preuves » et celle qui ne l’est pas.

 A l’heure où nous écrivons ces lignes l’affaire semble en passe d’être réglée. Prudence toutefois. On sait que dans le domaine médicamenteux la commercialisation de la peau de l’ours réclame de très longs délais avant la mort, scientifiquement constatée, de l’animal. Une chose est toutefois acquise. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé  (Afssaps) va très prochainement informer l’ensemble des médecins français d’une décision de taille : tous les médicaments fabriqués à partir du Ginkgo biloba ne devraient plus avoir leur place sur le marché français où ils  sont commercialisés (et partiellement remboursés) depuis 1974.

En termes officiels la chose est évidemment exprimée différemment : la Commission d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) de l’Afssaps estime aujourd’hui que le rapport « bénéfice/risque » de ces spécialités est, tout bien pesé, « défavorable ». L’Afssaps va donc « adresser dans quelques jours une information aux professionnels de santé ». Elle leur fera part des conclusions auxquelles  elle vient d’aboutir. Et elle leur demandera « de revoir de façon individuelle, lors d’une prochaine consultation et sans urgence, le rapport bénéfice/risque de ces médicaments en tenant compte du fait que leur efficacité a été jugée insuffisante dans toutes leurs indications ». Qui ne comprend, ici, ce que nous dit la science ?

Après le très long feuilleton (toujours pendant) du Médiator, l’affaire du Ginkgo biloba va-t-elle susciter un intérêt médiatique, sinon comparable, du moins soutenu ? C’est bien peu vraisemblable et c’est fort regrettable. Car tout laisse penser que l’affaire du Ginkgo biloba est à bien des égards exemplaire. Elle témoigne tout d’abord de ce qui apparaît désormais avec le temps comme une profonde et durable désorganisation, difficilement compréhensible, des technostructures en charge des différentes facettes de la politique du médicament.      

Au-delà des éléments qui la caractérisent (et qui font l’objet de diverses actions en justice) l’affaire du Médiator a joué ici un puissant rôle de révélateur. Elle a aussi précipité les évènements. Le temps semble révolu où on pouvait –pour diverses raisons – laisser sur le marché (et prises en charge par la collectivité) des spécialités pharmaceutiques qui n’avaient jamais fait la preuve de leur efficacité ; ou plus précisément pour lesquelles aucune réévaluation de l’efficacité n’avait été demandée. Et, plus grave, il en allait de même pour la sécurité de leur emploi sur de larges échelles.

L’émoi médiatique, comme auto-entretenu, suscité par l’affaire Médiator, mais aussi le réquisitoire formulé sur ce thème par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)  et la volonté du gouvernement d’élaborer une nouvelle politique du médicament semblent avoir radicalement modifié la donne. Plus question d’approximations coupables désormais, qu’il s’agisse de pharmacovigilance ou de l’association  « efficacité démontrée-remboursement accordé ». Seule la fixation des prix semble encore résister à la volonté affichée de transparence absolue.

L’affaire Ginkgo biloba marque ainsi, de manière à la fois concrète et symbolique, la fin d’une époque ; et ce même si la question du déremboursement des médicaments  (voire du maintien de la commercialisation) n’est pas encore semble-t-il tranchée. Les spécialités concernées sont les suivantes : Tanakan®, Tramisal®, Vitalogink®, Ginkogink®, Ginkgo Biogaran®, Ginkmongo®. Elles étaient « préconisés » comme « traitement d’appoint » dans différentes  et nombreuses indications concernant  les personnes âgées : déficit pathologique cognitif et neurosensoriel chronique du sujet âgé (officiellement à l’exclusion des démences), certaines artériopathies chroniques des membres inférieurs, baisses d’acuité ou auditives, syndromes vertigineux et/ou acouphènes présumés d’origine vasculaire.

Comme dans le cas du Médiator la question soulevée est celle du délai qu’il aura fallu pour prendre la mesure de l’inefficacité d’un même principe actif dans de très nombreuses indications thérapeutiques. Pourquoi ?  Au bénéfice et au détriment de qui? Mais à la notable différence du Médiator la problématique d’effets secondaires graves, voire mortels, n’a pas été ici été soulevée. Il n’en reste pas moins qu’il y a là une forme de mystère structurel et qu’une enquête (dépassionnée mais néanmoins approfondie) aiderait sans doute à comprendre les véritables raisons qui ont pu conduire à une telle situation. Enquête conduite auprès des différentes structures et agences en charge du médicament et de sa prise en charge ; mais aussi des sociétés savantes médicales concernées et des prescripteurs.  

Enquête d’autant plus intéressante qu’elle n’omettrait pas la dimension phytothérapique de l’affaire. Car, au-delà de la réglementation et des indispensables contraintes pharmaceutiques, c’est bien de Ginkgo biloba qu’il s’agit ; Ginkgo biloba  qui nourrit les espoirs de tous ceux –et ils sont nombreux-  qui sont intimement persuadés que ce végétal possède, entre autres multiples vertus, celle de prévenir l’apparition au fil du temps des troubles de la mémoire. A ce titre l’affaire Ginkgo biloba ne peut que relancer  la controverse récurrente, parfois violente, qui oppose les tenants de la «médecine basée sur les preuves» aux adeptes d’une approche différente – moins rationnelle ou plus «globalisante» –  des maux humains.

 C’est dire si l’enquête devrait aussi embrasser l’histoire et la place de l’arbre aux écus (quarante ou mille). «Quarante écus» parce qu’un botaniste français en aurait acheté cinq plants à un collègue anglais en 1788 pour la somme de quarante  écus d’or; «Mille écus»  à cause de l’aspect de ses feuilles prenant une teinte mordorée à l’automne avant de former un tapis d’or sous les ramures.

Comme dans le cas de l’homéopathie  les raisons ne manquent  pas pour expliquer l’engouement que peut nourrir cet arbre hors du commun. Ses seuls congénères connus, au nombre de sept, ont été retrouvés sous la forme de fossiles. C’est aussi la plus ancienne famille d’arbres ayant existé sur la terre apparue, dit-on, il y a plus de 300 millions d’années soit -environ- quarante millions d’années avant que les dinosaures commencent à établir leur règne avec les conséquences que l’on sait.

A ce titre il peut légitimement nourrir bien des mythes. D’autant plus que cet arbre de taille moyenne (entre 25 et 30 mètres) qui peut parfois vivre plus de 25 siècles est un prespermaphyte. En clair, il ne produit pas de graines; les arbres femelles portent des ovules (souvent confondues avec les graines sous les fruits) qui sont fécondées par le pollen d’un arbre mâle. La rencontre fécondante conduit à une germination immédiate donnant naissance à un jeune pousse, au pied du plant mère. Comment pourrait-on ne pas ici être ému? Reste les conclusions fournies par la science et la médecine officielles auxquelles nous nous étions déjà intéressés, sur le site Slate.fr et en décembre 2009, à l’occasion d’une publication du JAMA.

Une première alerte avait été lancée  en 2008, avec la publication (dans le JAMA, déjà) d’une étude financée par le National Center for Complementary and Alternative Medicine et le National Institute on Aging: Ginkgo biloba for prevention of dementia, a randomized controlled trial. Ce travail portait sur 3 069 personnes et avait duré six ans (à raison, soit de 120 mg deux fois par jour, soit d’un placebo). Conclusion, déjà: une absence totale d’effet sur l’évolution de la maladie d’Alzheimer et de la démence en général.

Domestiqué dans le sud-est de la Chine le Ginkgo biloba semble arriver en Corée et au Japon vers le XIIème siècle. Un demi-millénaire plus tard un médecin et botaniste allemand le découvre, le décrit le classe et l’importe. Les premiers plants européens grandissent au jardin botanique d’Utrecht vers le milieu du XVIIIème siècle. On en verra plus tard au jardin botanique de Montpellier puis au Jardin des plantes de Paris où, dit-on, ils sont toujours vivants. Et puis, pour parfaire le mythe on rapporte que cet arbre fut le premier  à avoir repoussé dans la zone radioactive créé par l’explosion de la bombe nucléaire américaine sur Hiroshima; une forme sacralisation moderne, le double symbole de la longévité et de la résistance à la folie humaine.

Est-ce la raison pour laquelle le Ginkgo biloba devait au fil du temps trouver des applications médicales dans de très nombreux domaines –  des applications d’ailleurs plus ou moins justifiées ces dernières décennies par une série de résultats scientifiques ? On a ainsi découvert que ses feuilles étaient particulièrement riches en flavonoïdes, substances aux intéressantes propriétés anti-oxydantes. On a proposé l’utilisation pharmaceutique d’extraits à des fins préventives ou thérapeutiques dans le domaine dermatologique, vasculaire (varices, hémorroïdes, «jambes lourdes», syndrome de Raynaud) ou neurologique (sénilité, démences, maladie d’Alzheimer, troubles cognitifs). Et  ces extraits continuent aujourd’hui l’objet d’un commerce important dans de très nombreux pays.

En France et en 2011 l’aventure est-elle ou non sur le point de s’achever ?