Bonjour
Aquilino Morelle,51 ans ; membre du premier cercle, plume et conseiller politique de François Hollande. Jusqu’à ces derniers jours on le craignait. Les journalistes l’avaient applaudi quand il avait, au nom de l’Igas, présenté son rapport sur le scandale Médiator®. Il avait alors décortiqué, sans nuance aucune, la responsabilité des Laboratoires Servier. Aujourd’hui il est traqué, accusé, par le site Mediapart. Ce dernier décortique, sans nuance aucune, certains de ses comportements des années passées. Des agissements qui peuvent faire songer aux conflits d’intérêts. Dans le même cadre, ou presque, que ce qui fut politiquement fatal à Jérôme Cahuzac.
Janvier 2011
Les applaudissements des journalistes ? C’était en janvier 2011. Voici ce que nous écrivions alors sur Slate.fr : « Le 15 janvier 2011 restera-t-il comme une date majeure dans l’histoire française de la sécurité sanitaire des médicaments? En choisissant (comme il s’y était engagé) de rendre public le rapport sur le Mediator qu’il avait demandé il y a deux mois à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), Xavier Bertrand, ministre de la Santé, mesurait-il l’ampleur de la nouvelle déflagration provoquée dans cette affaire tentaculaire, une affaire mettant en cause de multiples acteurs et sapant gravement la fiabilité de l’ensemble de la politique du médicament? En toute hypothèse le gouvernement doit désormais compter avec un rapport –à bien des égards «historique»– de l’Igas; un rapport piloté parAquilino Morelle, une ancienne «plume» de Lionel Jospin qui avait déjà longuement écrit sur les affaires du sang contaminé. » Les collectes de sang en prison, notamment.
Rapport explosif
Nous parlions alors d’un « rapport explosif ». Trois ans plus tard une explosion est là. Au lendemain de la mort de Jacques Servier, Médiapart attaque. Et ce en publiant, ce jeudi 17 avril, une enquête [lien payant] sur Aquilino Morelle. Rattaché à l’Inspection générale des affaires sanitaires (Igas), cet énarque et médecin se serait notamment, selon ce site, rendu coupable de conflits d’intérêts dans les années 2000. Pour l’essentiel en « conseillant des laboratoires pharmaceutiques ». Nous serions là très loin de l’image de la rigueur et de l’intégrité que ce membre de l’Igas aimait à donner de lui.
« La défaite de la santé publique »
Avec le temps l’incomplétude de certaines biographies peut être douloureuse. Comme celle-ci :
« Haut fonctionnaire, professeur associé à l’université Paris-I et maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris où il enseigne l’histoire des idées socialistes, Aquilino Morelle a occupé (1997-2002) les fonctions de conseiller auprès du Premier ministre, Lionel Jospin, période pendant laquelle il était membre du Conseil national du Parti socialiste et délégué national auprès du Premier secrétaire. Il travaille également sur les questions relatives à la santé publique. Il est l’auteur de plusieurs articles dans Esprit, Après-Demain et La Revue des Deux Mondes et a publié « La défaite de la santé publique » (Flammarion, 1995) et, en collaboration, « De quoi sommes-nous responsables ? » (Le Monde éditions, 1997) ».
Conflit d’intérêts ? Rien n’est prouvé. Et nous nous garderions bien d’écrire sur le sujet si l’accusé n’avait déjà répondu, depuis le Palais de l’Elysée aux accusations dont il fait l’objet sur son compte Facebook. Voici, in extenso sa réponse. Une réponse qui laisse entrevoir, en miroir, l’essentiel des accusations du site.
[« Droit de réponse à Mediapart
Je suis suffisamment au fait de la vie politique pour ne pas m’émouvoir de la charge dont je viens d’être l’objet. Je veux néanmoins apporter ici des réponses précises à ces allégations.
1. Le droit et les faits.
Docteur en médecine, ancien interne des hôpitaux de Paris et ancien élève de l’ENA, je suis inspecteur général des affaires sociales. Comme tout fonctionnaire de l’Etat, j’ai la possibilité de demander à être placé en position dite de « disponibilité » pour exercer une activité dans le secteur privé, comme salarié ou pour créer une entreprise.
C’est ce que j’ai fait à partir du 1er avril 2003. J’ai alors été engagé par la société Euro RSCG C et O, spécialisée dans le conseil en communication.
J’ai respecté toutes les règles et toutes les procédures, en particulier le passage devant la Commission de déontologie.
J’ai transmis à la Commission un dossier complet, indiquant les fonctions qui devaient m’être confiées. Celle-ci a rendu un avis favorable, sans aucune réserve, à l’inverse de ce qu’elle fait parfois.
J’ai donc été engagé avec pour mission de développer une activité « corporate santé » au sein de l’agence. Il s’agissait de travailler dans l’ensemble du domaine de la santé, du champ social de façon plus large, mais aussi dans tous les secteurs de la vie économique, en fonction des dossiers auxquels l’équipe de direction souhaitait m’associer.
Ce fut notamment le cas, à 3 ou 4 reprises dans mon souvenir, pour des laboratoires, soit déjà clients de l’agence, soit au cours d’appels d’offre -qu’ils aient été remportés ou perdus.
J’ai travaillé sur les dossiers qui m’ont été confiés par mes supérieurs hiérarchiques. Etant médecin de formation, il était logique que me soient notamment attribuées des missions supposant une connaissance des problématiques de santé.
Au cours de ce passage dans cette agence, un de ses clients, le laboratoire Lilly, a apprécié mon travail. Aussi, après mon départ de l’agence, les dirigeants de ce laboratoire m’ont-ils proposé de continuer notre collaboration.
C’est à cette fin que j’ai créé l’Eurl Morelle, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 15 mai 2006, société au capital de 1.000 euros, et dont j’étais l’unique actionnaire.
Cette entreprise unipersonnelle n’a eu de réalité économique que pendant deux exercices, 2006 et 2007. En 2008 et les années suivantes, l’entreprise n’a plus eu aucune activité et, donc, aucun chiffre d’affaires. C’est pourquoi elle a été radiée d’office le 15 mars 2013 par le greffe du tribunal de commerce de Paris.
En 2006, mon unique client a été le laboratoire Lilly. Le contrat de conseil a été conclu pour la période du 02 juin 2006 au 15 décembre 2006, pour un montant total de 37.500 euros HT.
A la fin de l’année 2006, j’ai décidé de réintégrer l’IGAS. Aussi, dans cette perspective, j’ai anticipé la cessation d’activité de l’Eurl en demandant à mon frère d’assurer la fonction de gérant.
Cette fonction ne nécessitait évidemment aucune compétence particulière en matière « d’expertise sanitaire ».
J’ai réintégré mon corps d’origine le 1er mars 2007.
En tant que fonctionnaire, un certain nombre d’activités annexes sont autorisées par la loi, dont l’enseignement et le conseil.
C’est à ce titre que je suis professeur associé à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne depuis octobre 2003 et que j’ai aussi enseigné quelques années à Sciences Po Paris, comme beaucoup de hauts fonctionnaires. C’est aussi dans ce cadre que j’ai accepté le contrat ponctuel avec le laboratoire Lündbeck (15 octobre / 31 décembre 2007). Ce fut le second et dernier contrat de cette activité de conseil. Ces activités ont dû être déclarées à l’IGAS. Je n’ai pas retrouvé la trace de cette démarche en dépit de mes recherches. Ce sont des faits anciens –plus de sept ans. Je souligne enfin que je n’ai jamais eu, ni auparavant ni après, de contact avec ce laboratoire.
En particulier, lorsque j’ai été désigné par le chef de l’IGAS pour coordonner l’enquête sur le Mediator en novembre 2010, je n’avais aucun lien avec aucune entreprise quelle qu’elle soit et, en particulier, aucun lien avec aucun laboratoire pharmaceutique.
A aucun moment je n’ai donc été en situation de conflit d’intérêts.
2. La méthode.
Lorsqu’après plusieurs semaines d’enquête le journaliste de Mediapart est entré en contact avec moi, samedi dernier, j’ai répondu à toutes ses demandes adressées par écrit.
A plusieurs reprises, il a manifesté son souhait de me rencontrer, dans le cadre de la préparation de cet article alimenté par des rumeurs et des contre-vérités, ce que j’ai refusé. En revanche tous les bilans et comptes de résultat de mon ancienne entreprise unipersonnelle sur la période allant de 2006 à 2013 lui ont été communiqués dans la plus grande transparence
Je l’ai fait parce que je n’ai rien à cacher à qui que ce soit, que je respecte le travail de la presse, et que je crois que toute ma trajectoire aussi bien personnelle que professionnelle atteste de mon indépendance d’esprit.
Ainsi, à propos de mon patrimoine, commun avec ma conjointe, le journaliste se garde bien de mentionner qu’il a été notamment acquis grâce à des emprunts ; et il ne fait pas état des dettes contractées. Ce patrimoine et les dettes existant en contrepartie ont été communiqués, selon les règles, à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Ainsi, les propos qui me sont attribués quant aux experts sanitaires avaient-ils un sens précis : celui des relations entre experts médicaux travaillant au sein des agences de sécurité sanitaire ou concourant à leurs travaux et l’industrie pharmaceutique. Ils soulignaient un contexte précis : celui de la gravité des fautes commises dans un scandale de santé publique ayant provoqué, selon les estimations disponibles, environ 2500 morts.
Ainsi, il est exact que mon emploi du temps extrêmement chargé ne m’a pas toujours permis d’aller moi-même chercher mon fils le lundi soir, à 19h30, à la sortie d’un enseignement –ce que j’aurais eu beaucoup de plaisir à pouvoir faire moi-même. Il en va de même pour certaines questions personnelles, que mon secrétariat m’a proposé avec gentillesse de me décharger, de façon ponctuelle.
Voilà pour répondre à l’essentiel de ces attaques.
Aquilino MORELLE. »]
Le laboratoire danois Lundbeck
Répondre à « l’essentiel » des attaques ? M. Morelle veut dire qu’il en est d’autres plus personnelles. Ce sont là des attaques d’une nature radicalement différente, plus personnelles et qui ne sauraient être mises sur le même pied.
Pour celles auxquelles il répond la plus problématique tient sans aucun doute aux relations avec le laboratoire danois Lundbeck. Fin 2007 il rédige un rapport de l’IGAS sur les programmes d’accompagnement des patients financés par les entreprises pharmaceutiques. Et il aurait alors organisé deux rendez-vous avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Or cette structure fixe – dans le plus grand secret – le prix des médicaments et les taux de remboursement. Aussi est-il assez fâcheux que le conseiller politique de François Hollande ne retrouve pas la trace de cette démarche. Fâcheux encore qu’il invoque « des faits anciens ».
Quand et quoi ?
Ces faits ne datent pas exactement, comme il l’écrit, de « plus de sept ans ». Que s’est-il exactement passé ? Et quand, très précisément ? Les membres du CEPS doivent en avoir gardé la trace. De même que les dirigeants de Lundbeck. Il suffirait peut-être de leur demander. Qui s’en chargera ? Ou, plus précisément, qui s’en est déjà chargé ? Et qui jugera s’il y a, ou pas, conflit d’intérêts ?
Il ne faudrait jamais, politique ou agent de la fonction publique, se faire applaudir par des journalistes.
A demain