Tabac : la « Révolution des volutes »® est en marche

La dernière sortie de « 60 Millions de Consommateurs » sur la cigarette électronique « cancérogène » est difficilement  justifiable. Les réactions qu’elle suscite sont remarquables. Il y a là comme un parfum de poudre citoyenne. Les pouvoirs publics en prendront-ils de la graine ? En songeant, par exemple, à l’antique politique de « réduction des risques ».

Feint ou pas l’étonnement est là. Au lendemain de son exploit la rédaction de 60 Millions a rectifié le tir (apporté des précisions, complété son propos, répondu aux questions légitimes des lecteurs, etc.). On verra ici de quoi il retourne. « Les vapoteurs doivent-ils s’inquiéter ? Nos révélations sur la présence de composés indésirables dans les vapeurs de certaines cigarettes électroniques interpellent les utilisateurs. Retour sur les objectifs et les résultats de notre étude. » En clair ce retour montre que l’aller n’était pas très clair.

Nous ne demandons pas l’interdiction

 « Certaines e-cigarettes peuvent émettre des composés potentiellement cancérogènes,  nous redit la revue de l’Institut national de la consommation (INC). Les résultats de notre test sur les cigarettes électroniques, publiés lundi 26 août, ont suscité de nombreuses questions ou critiques de la part des internautes, utilisateurs ou revendeurs de ces appareils. D’emblée, disons-le clairement : nous ne demandons pas l’interdiction de la cigarette électronique. Nos résultats ne le justifient pas. » C’est donc redit. Pourquoi, dès lors cette vendeuse mise en scène ? Pourquoi cette potentielle perversité du « potentiellement cancérigène » ? Pourquoi cet oubli de la bibliographie, cette onction que confère la dramatisation,  ce surf sur la vague créée de l’émotion collective ?

Rassurons-nous : cela ne peut pas être le fruit d’une confraternelle compétition : « Comme nous, nos confrères de Que Choisir ont analysé, en laboratoire, la teneur en nicotine des liquides pour cigarettes électroniques. Comme nous, ils ont constaté de fréquents écarts avec le taux annoncé, écrit Benjamin Douriez. En revanche, Que Choisir n’a pas analysé les vapeurs issues des cigarettes électroniques. C’est bien dans les vapeurs que nous avons décelé des composés potentiellement cancérogènes. » Cherchez l’erreur, elle est dans la vapeur.

Faire flipper les futurs vapoteurs

 Le plus intéressant aujourd’hui est moins dans les réponses apportées en urgence à des internautes (utilisateurs ou revendeurs) férus de cigarette électronique. Elle est dans le nombre considérable et le contenu des messages suscités par la publication du dossier « potentiellement cancérigène ». Deux exemples « bravo , depuis hier tous le monde me conseille de reprendre la clope , juger bien moins cancérigène que la E cig , bravo pour le travail fait » ; « maintenant que le mal et fait , ben bravo , pourquoi n’allez vous pas sur les chaines info pour dire que vous êtes allez très vite en besogne , et que votre discours à bien fait flipper tout les futur vapoteurs. » Il y a aussi plus violent.

S’étonner  de la réactivité immédiate et de la virulence des commentaires? Sans doute pas. Nous savons que c’est là une caractéristique  essentielle de l’expression sur la Toile. Incidemment on observera que la revue de l’INC n’a visiblement pas « modéré/censuré » les réactions qu’elle a suscitées. Ce qui mérite d’être souligné. On observera aussi le formidable réservoir d’énergies, d’intérêts et de savoirs que sous-tend désormais l’affaire de la cigarette électronique, ce potentiel scandale de santé publique.

La volonté d’en découdre

 Ces remarques valent également pour les commentaires suscités par le billet  (pour partie cité ici) de Dominique Dupagne qui autopsie à vif cette affaire débutante. Mêmes énergies, mêmes intérêts, mêmes savoirs. Et même volonté de témoigner, d’expliquer, de se justifier, de revendiquer, d’accuser. Même volonté d’en découdre. Avec cette réflexion montante concernant la gabelle du tabac, les prébendes de Bercy, la brioche des Douanes. On pressent comme un parfum de poudre. D’autant que les buralistes-distributeurs de la drogue manifestent eux aussi, à leur manière, leur mécontentement ; mécontentement récurrent certes mais aujourd’hui grandissant.

La e-cigarette occupe bel et bien désormais une place inhabituelle dans le paysage des addictions. Un rôle à part  dans les différentes propositions collectives (médicales, sociétales et politiques) de lutter pour une vie meilleure, sans esclavage ni droit de cuissage. En dépit (ou plus précisément à cause) de son succès les pouvoirs publics (les autorités sanitaires) sont vite apparus comme dépassés. Ni « produit de santé » ni « produit dérivé du tabac » la e-cigarette est exclue des pharmacies et des bureaux de tabac. Disponibles dans des échoppes créées à cet effet, achetées par les citoyens sans aide de l’Etat elle échappe pour une large part aux herses réglementaires des autorités de tutelle de la Santé et de l’Economie.

De la gestuelle du fumeur

Ce n’est pas tout. La cigarette électronique échappe aussi au pouvoir médical. Du moins au pouvoir traditionnel réduit à celui du prescripteur. Par définition absente de l’espace médecin-malade elle est ailleurs. Le docteur peut la condamner ou la conseiller. Son patient fera comme il l’entendra. Ce qui est déjà une forme de liberté doublée, comme toujours, d’une responsabilité retrouvée : conserver la fameuse « gestuelle » (contagieuse ?) du fumeur tout en maîtrisant  seul(e) sa décroissance nicotinique ? Faillir et repartir au combat contre soi-même. En parler. Sur la Toile ou au café. C’est là un ensemble assez neuf, une dimension autogestionnaire inédite dans le monde de l’addictologie.

e-Electre

C’est là un cocktail que l’on pourrait qualifier d’explosif si l’expression n’était pas rongée ; ou de Molotov si l’appétit soviétique n’était pas passé de mode. Disons un beau ferment qui laisse songer à une révolte d’un nouveau genre, l’expérience individuelle de la libération des chaînes de l’addiction tabagique. Une expérience qui pourrait préfigurer d’autres libérations;  par exemple vis-à-vis de substances ou d’objets psycho-actifs fiscalisés.

Pour l’heure la cigarette électronique rougeoie. Comme l’aurore dans Electre ; Electre la lumineuse. Jean Giraudoux nous a dit que tout cela pouvait avoir un très beau nom (1). Proposition: la révolution des volutes.

(1)  La Femme Narsès : Que disent-elles ? Elles sont méchantes ! Où en sommes-nous, ma pauvre Électre, où en sommes-nous !

Électre : Où nous en sommes ?

La Femme Narsès : Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu’il se passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

Électre : Demande au mendiant. Il le sait.

Le mendiant : Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore.

Jean Giraudoux (29/10/1882-31/01/1944) – Électre (dernières répliques, acte II, sc. 10) (éd. Gallimard, 1937)

 

 

 

Tabac : « 60 Millions de Consommateurs » ou les astuces du balayeur

On le redoutait. Le magazine de l’INC a jeté l’opprobre sur la cigarette électronique. Buzz médiatique : elle est « potentiellement cancérigène ». Le mal est fait. En toute impunité.

L’astuce du balayeur ? Elle réside dans l’aisance avec laquelle on parvient à cacher sous le tapis ce que l’on est rémunéré pour éliminer. Un peu de métier est ici demandé. C’est précisément le cas de l’Institut National de la Consommation (INC). Abandonnant pour un temps l’analyse comparative des aspirateurs, 60 Millions de Consommateurs » nous a démontré qu’il ne manquait pas d’air. Hier la revue de l’INC a pris les habits du contre-révolutionnaire, ce même INC qui a pour objet, sur deniers publics, de suivre l’évolution de la législation française et d’aider les consommateurs dans leur vie quotidienne en les informant. 

 Le pire est parfois toujours sûr

Les dépendants tabagiques entendent se libérer de leur chaînes ? Une  « Révolution des volutes »® serait en marche ? Rétablissons sur le champ l’ordre souverain. Démontrons que le pire est toujours le plus sûr et que l’outil libérateur n’est certainement pas le miracle annoncé. Mais sans prendre de risque inconsidéré : expliquer qu’il ne faut pas interdire, simplement se méfier. Allumer la mèche de la rumeur. Laisser planer le doute.

L’astuce du balayeur ? On plaisante bien sûr. On force plutôt un peu le trait. Pour tenter de se faire mieux entendre. Reste que ce que nous redoutions, ici-même, s’est bien réalisé. Hier objet encore étrange, outil au statut indéterminé la cigarette électronique, cette sans-culotte sanitaire, est devenue sinon une menace du moins un objet suspect. Un objet dont doivent désormais se méfier celles et ceux qui seraient tentés de sortir, grâce à elle, de leur servitude pulmonaire et neurologique quotidienne. Pas aussi dangereuse que le tabac, certes. Mais comme lui potentiellement cancérogène. Et tous ceux qui ont connu les affres indicibles de la dépendance savent qu’il en faut bien peu pour y demeurer quand la conscience et la raison vous pousseraient potentiellement à en sortir.

Le mauvais exemple

Les religions et leurs guerres réclament le binaire. Sur BFM TV M. Joseph Osman (directeur général de l’Office français de prévention du tabagisme) vient de plaider pour que la cigarette électronique soit vendue exclusivement en pharmacie. Ce qui n’est pas possible en l’état. Dans le journal de mi-journée de France 2  deux tabacologues : « pour » la cigarette électronique, Michel Reynaud (Institut Gustave Roussy-Villejuif) et « contre » : Michel Henry Delcroix (centre anti-tabac de Lille). Le premier : « C’est moins dangereux et cela peut aider des fumeurs à freiner ou à arrêter ». Le second : « Cela donne le mauvais exemple de fumer quand même … ». Tout est dit : le pragmatisme versus l’apparence. Et si les volutes de la cigarette électronique étaient, précisément le bon exemple, l’exemple libérateur pour les asservis aux multinationales du tabac et aux taxations étatiques ?

Une nouvelle lecture erronée du principe de précaution

L’astuce du balayeur ? Avec elle nul ne voit plus l’erreur. Plus grave : sur RMC, Yves Bur (UMP, ancien député du Bas-Rhin et président d’Alliance contre le tabac) : « On dit depuis longtemps qu’il faut être prudent … La cigarette électronique est effectivement moins dangereuse, mais cependant,  elle n’est pas inoffensive. Et c’est pourquoi nous avons demandé, au ministère, d’appliquer le principe de précaution : pas de publicité, pas de vente aux mineurs et interdiction d’usage dans les lieux où est interdite la cigarette. Il faut des études complémentaires ». Militant tenace, mais saisissant encore mal la révolution en marche, Yves Bur a été entendu par Marisol Touraine, ministre de la Santé. Mme Touraine avait demandé une expertise sur le sujet à Bertrand Dautzenberg qui préside l’Office français de prévention du tabagisme.

 « Les cigarettes électroniques sont loin d’être des gadgets inoffensifs qu’on nous présente. Ce n’est pas une raison pour les interdire. C’est une raison pour mieux les contrôler » avait expliqué Thomas Laurenceau, rédacteur en chef du magazine de l’Institut national de la Consommation (INC). La belle affaire quand on ajoute que l’on a décelé grâce à une méthode inédite, des « molécules cancérigènes en quantité significative » dans les volutes d’e-cigarettes. Des molécules qui n’auraient jamais été mises en évidence : « dans trois cas sur dix, pour des produits avec ou sans nicotine, les teneurs en formaldéhyde (couramment dénommé formol) relevées flirtent avec celles observées dans certaines cigarettes conventionnelles ». (1)

UFC-Que Choisir battue à l’irrégulière

 L’astuce du balayeur ? Elle permet d’aller nettement plus vite que les aspirateurs. Le concurrent UFC- Que choisir (accès payant) est à la traîne. Après sa « Caméra cachée » sur les méthodes de vente dans les boutiques de cigarettes électroniques il publie dans son édition de septembre son premier dossier complet sur cette « nouvelle tendance de consommation ». C’est le pointilleux site lemondedutabac.com qui nous le dit et qui fait ici la leçon (2)

Et puis il y a toujours un invité qui (pourquoi ?) soulève le tapis. Dominique Dupagne, sur son site atoute.org :

« Avant toute chose, il y a un problème de liens d’intérêts. L’INC qui édite la revue 60 Millions, est subventionné majoritairement par le Ministère des finances qui nomme également ses administrateurs. Le Ministère des finances perçoit les taxes sur les ventes de tabac, en baisse en 2013 pour la première fois. Je n’accuse pas les journalistes d’avoir orienté leur travail, je constate simplement un conflit d’intérêt majeur et inacceptable, surtout pour un dossier qui a engagé des dépenses de recherche conséquentes

Qu’apporte l’INC pour inquiéter ainsi des centaines de milliers d’utilisateurs français et pour contredire la publication scientifique ci-dessus ? Rien. Aucun détail du protocole n’est accessible, pas plus que les résultats bruts de leurs mesures. Tout au plus apprend-on dans l’article que le laboratoire a utilisé un « protocole original ».

Nous sommes donc confrontés à bricolo et bricolette qui jettent le doute sur un progrès de santé publique majeur et qui oublient de signaler que les principaux cancérigènes sont les goudrons et les oxydes de carbone, absents de la cigarette électronique. C’est un peu comme si l’INC tirait à boulets rouges sur la bière sans alcool en expliquant que le sucre peut être « potentiellement » mauvais pour les futurs diabétiques (…)  Cette charge de l’INC contre la e-cigarette est idiote dans sa forme, infondée jusqu’à preuve du contraire et dangereuse pour la santé publique. L’Institut ne rend pas service aux consommateurs et aurait mieux fait de concentrer son travail sur le contrôle des teneurs alléguées dans le liquide des cartouches ou recharges. »

Bières sans alcool

L’astuce du balayeur impose de se méfier de tout. Et peut-être surtout de la bière sans alcool qui est relancée depuis peu sous nos latitudes par Kronenbourg et qui connaît un succès croissant dans les pays musulmans comme le révélait  The Economist (daté du 3 août). (Brewers in the Middle East, Sin-free ale. Non-alcoholic beer is taking off among Muslims consumers). En dépit de Louis Pasteur le diable se cache toujours dans les fermentations. Et les spécialistes religieux débattent encore de savoir s’il n’y aurait pas, ici ou là des traces de la molécule alcool.

(A suivre)

(1) Pourquoi s’asseoir sur cette étude remarquablement documentée et (que nous a fort obligeamment transmise notre confrère Jean-Daniel Flaysakier) ? Une étude publiée en mars dernier dans Tobacco Control et qui aboutit à des conclusions radicalement opposées.

(2) Présentation faite par lemondedutabac.com : « Un horizon encore vaporeux » ne court pas, malgré son titre, après la polémique. Mais le dossier cherche à montrer que les adeptes de ce produit de consommation « atypique » qu’est la cigarette électronique ont besoin d’un « encadrement ». Suivant la méthode d’analyse du magazine et de l’Union Fédérale des Consommateurs (UFC), le phénomène  de la cigarette électronique est « scanné » en quatre parties.

• Le contexte : le boom du phénomène ; « la frilosité des autorités sanitaires à travers le monde » ; la prise en compte du développement d’une communauté (avec une citation de l’Aiduce, l’Association indépendante des Utilisateurs ) ; la prise de conscience de la nécessité d’ un certain encadrement, confirmée par Mickaël Hammoudi, président du CACE (Collectif des Acteurs de la Cigarette électronique).

• Pourquoi réglementer ? Parce que le « Test labo », réalisé par l’association, démontre un certain décalage entre étiquetage, analyse et résultats. Pas forcément trompeur, ni dangereux. Mais pas toujours fiable.
Par exemple , sur 14 e-liquides testés (Alphaliquid, Cigarettec, Cigway, Conceptarôme, D’Ilice, FUU, Tag Replay pour nommer ces exemples )   neuf sont appréciés comme « bon », deux comme « médiocre » et trois comme « très mauvais », concernant le comparatif « taux déclaré/taux mesuré » sur la nicotine.

• Autre source de décryptage : « le faux du vrai » à l’usage du consommateur. Qu’il s’agisse des effets sur la santé des ingrédients, de la présence de substances toxiques, de l’efficacité en terme de sevrage tabagique ou encore de « vapotage passif » … les réponses des experts de la consommation se montrent plutôt ,« réservés » en défendant autant le pour que le contre.

• Enfin, l’avis des experts. Contradictoire, bien sûr. Entre Luc Dussart, consultant en tabagisme, qui défend la liberté de vapoter « parce que plus la cigarette électronique sera visible, plus le tabagisme reculera ». Et le pneumologue Michel Underner (qui a participé au groupe de travail sur le rapport remis à Marisol Touraine le 28 mai dernier) qui craint « le danger de l’imitation auprès des jeunes ».

 NB : Nous traversons des temps qui réclament la transparence absolue. Aussi précisons-nous ne pas être intéressé (autrement que du point de vue des idées et de la santé) par le marché des cigarettes électroniques, celui des produits dérivés du tabac et/ou des substituts nicotiniques.